Aller au contenu

Classiques Garnier

Introduction Mythes de l’intériorité, de la critique d’un mythe à celle d’un autre ?

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Éthique, politique, religions
    2020 – 1, n° 16
    . Mythes de l'intériorité, du métaphysique au politique ?
  • Auteur : Delpla (Isabelle)
  • Résumé : Cette introduction définit et thématise le solipsisme politique (dont le mythe de l’intériorité est une déclinaison) par analogie avec le solipsisme métaphysique. On vise ici l’isolement de l’État des autres l’États et non seulement l’isolement de l’individu. Le solipsisme étatique, comme ignorance de l’étranger, est un problème spécifique, à distinguer du nationalisme. Peut-on alors le réfuter comme sa version métaphysique ? Quel rôle peut jouer la philosophie du langage de Wittgenstein ?
  • Pages : 9 à 24
  • Revue : Éthique, politique, religions
  • Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN : 9782406105732
  • ISBN : 978-2-406-10573-2
  • ISSN : 2271-7234
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10573-2.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/06/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Solipsisme métaphysique, solipsisme politique, mythe de l’intériorité, individualisme, cosmopolitisme
9

Introduction

Mythes de lintériorité,
de la critique dun mythe à celle dun autre ?

La philosophie du langage a ouvert des voies originales dans la critique du solipsisme épistémique et sémantique. Wittgenstein a attaqué lidée même dun langage privé, réduisant ainsi le solipsiste au silence. Le livre de Jacques Bouveresse Le mythe de lintériorité sur la signification et le langage privé chez Wittgenstein a fait date1. Quarante plus tard, son ouvrage sur Karl Kraus et la guerre lui offre un lointain écho2. Kraus y dénonce le nationalisme et le solipsisme, notamment allemand et autrichien, qui ont conduit à la Première Guerre mondiale ou ont ensuite miné la paix. Une telle critique le conduisait à défendre un internationalisme humaniste et juridique. Quelle est la portée de cette référence, moins usuelle, au solipsisme en politique ? Peut-on parler de solipsisme politique sur le modèle du solipsisme subjectif ? Peut-il être critiqué sur les mêmes bases que le solipsisme métaphysique ? À la même époque, ce pas est franchi par Hans Kelsen : il voit dans le dogme de la souveraineté de lÉtat une forme de solipsisme découlant dune conception subjectiviste du droit : lÉtat souverain est lanalogue du moi solipsiste, centre du monde, ne voyant dans ce monde quun objet de sa volonté et de sa représentation3. Avec ou sans référence explicite au solipsisme, Jeremy Bentham ou Herbert Hart ont également défendu le droit international par une critique de la personnification dun État doué des pouvoirs exorbitants du sujet solipsiste souverain (B. Bourcier sur Bentham)4. La philosophie du langage leur sert alors à 10attaquer les fictions nuisibles ou les illusions de ce super sujet étatique. Un tel recours à la philosophie du langage ou à des modèles linguistiques nest pas isolé : à des degrés divers, on le retrouve négativement pour critiquer lenfermement national ou la souveraineté étatique, positivement pour défendre des formes dinternationalisme ou de cosmopolitisme dans les réflexions de Walzer sur les guerres justes5, dans le modèle despace public cosmopolitique dHabermas ou dans la déconstruction de Derrida et sa défense de lhospitalité et du cosmopolitisme. On peut aussi chercher des modèles cosmopolitiques dans la critique de linternalisme sémantique et la traduction radicale de Quine6.

Un air de famille se dégage de ces positions. A-t-il une portée théorique ? Faut-il thématiser un solipsisme politique sur le modèle du solipsisme subjectif ? Peut-on passer de la critique dun solipsisme métaphysique du sujet à la critique de sa version politique ? Quelles ressources la première offre-t-elle à la seconde ? Pourquoi et comment un tel passage est-il refusé ou recherché ? Un tel passage est-il futile ? Pertinent ? Fertile ? La philosophie du langage peut-elle jouer pour la critique du solipsisme politique un rôle comparable à celui joué dans la critique du mythe de lintériorité subjective ? Que peut-on attendre de lanalyse linguistique en la matière ? Un fondement ? Un modèle ? Une méthode ? Une analogie ? Une simple inspiration ?

Ces interrogations sont lobjet de ce numéro dÉthique, Politique et Religion qui a une fonction exploratoire. Car elles ne vont pas de soi : le passage du solipsisme métaphysique au solipsisme politique ou celui de la critique de lun à celle de lautre ne relèvent pas de la déduction logique, mais plutôt du paradoxe. Critiquer le solipsisme métaphysique ne savère en effet ni nécessaire, ni suffisant pour critiquer sa forme politique. Lisolement du sujet peut certes conduire à son isolement politique7, mais, dans lhistoire de la philosophie, il conduit plus souvent 11à linverse. Le sujet solipsiste, cartésien ou lockéen, se trouve ainsi au fondement du libéralisme, voire du cosmopolitisme (B. Gnassounou). Russell, lun des rares philosophes à revendiquer les vertus du solipsisme épistémique, défendait un internationalisme politique et juridique8. Ses critiques du nationalisme guerrier durant la Première Guerre mondiale doivent dailleurs davantage à lutilitarisme politique quà sa théorie de la connaissance9.

À linverse, la critique du mythe de lintériorité subjective appuie la défense par Kelsen du primat du droit international, mais elle peut conduire à refuser linternationalisme ou le cosmopolitisme. Par des voies différentes, tel est le cas de Thomas Nagel et dAlasdair MacIntyre, dans des positions inspirées par Wittgenstein (articles de Blondine Desbiolles et Corentin Lelong).

Définitions

Les expressions employées ne vont pas de soi non plus. Parler de solipsisme en politique nest pas rare dans la presse, cet usage saccroissant avec les évolutions politiques contemporaines. Le solipsisme désigne alors de manière lâche les tendances égoïstes et narcissiques dune « génération moi-moi-moi » ou la mégalomanie des dirigeants10. Suivant un usage philosophiquement plus rigoureux, le solipsisme désigne également la fermeture des frontières et celle de lÉtat au monde extérieur11, notam12ment avec le Brexit12. Il vise aussi le déni de la réalité, en particulier dans le climato-scepticisme13.

Dans des écrits académiques, parler de solipsisme étatique14, de « solipsisme national15 », ou de « solipsisme politique16 » nest pas nouveau. Pourtant le solipsisme politique na pas de définition canonique ou de référence standard en théorie politique, ni dentrée dans les dictionnaires ou encyclopédies philosophiques. Son usage théorique reste rare et non systématique. Sa signification fluctue, désignant le repli sur soi de lindividu, coupé de la société politique17, ou le repli dune communauté nationale ou dun État, coupés des pays étrangers et dune société internationale18, voire les deux19. Quant à lexpression « mythe de lintériorité politique », elle est plus rare encore, et employée en référence à Wittgenstein20.

La référence à Wittgenstein et à sa critique du solipsisme est à cet égard complexe. Comme le rappelle Jacques Bouveresse dans le dialogue qui suit, Wittgenstein ne tire pas lui-même de conséquences politiques de ses analyses de la signification, mais dautres lont fait à sa suite. Deux niveaux danalyse doivent alors être distingués, selon le sens donné au 13solipsisme politique. La critique wittgensteinienne du solipsisme métaphysique contribue clairement à la critique du solipsisme politique pris comme isolement de lindividu. Des anthropologues comme Veena Das sy sont référés pour montrer le caractère social de nos émotions les plus intimes, comme la douleur. Alasdair MacIntyre, Vincent Descombes et Bruno Gnassounou partent de la conception wittgensteinienne des formes de vie et des règles pour penser lhomme comme animal social et politique. Dans un débat déjà ancien entre libéraux et communautariens, ces derniers opposent la socialité des formes de vie, des traditions et des institutions à une conception libérale de lindividu, atomique et isolé, vu comme un prolongement de lindividualité solipsiste21. La critique de ce solipsisme politique subjectiviste et individualiste découle de la critique du solipsisme métaphysique par le biais dune philosophie du langage : le(s) sujet(s) cartésien(s) sont dépourvus de langage, de la capacité à former une société ou un groupe politique (B. Gnassounou ; C. Lelong sur MacIntyre).

Peut-on répliquer cette analyse à un degré supérieur, en passant de lindividu au groupe ? Peut-on tirer de Wittgenstein une critique du solipsisme politique, pris comme isolement dune entité politique vis-à-vis des autres ? À cet égard, les analyses diffèrent, tant dans les réponses que dans les définitions et la manière de poser les problèmes. Commençons dabord par des définitions. À ce second stade, celui du groupe, le solipsisme politique correspond au solipsisme national, au solipsisme étatique, ou au solipsisme juridique en droit international. Il désigne la conception dune entité ou groupe politique, cité, royaume, empire, nation ou État, coupée du reste du monde, ignorant ou négligeant son existence22. Quoique peu thématisé, un tel solipsisme politique nest pas une chimère ou une exception, mais une tendance récurrente en philosophie politique. À des degrés divers, linsularité, leffacement ou lignorance des étrangers et des pays étrangers ou leur mise entre parenthèses sont des modèles politiques majeurs dans la République de Platon et son Atlantide, dans LUtopie de More, La Nouvelle Atlandide de Bacon, La cité du Soleil de Campanella, ou la position originale de Rawls 14dans la Théorie de la justice. Comme dans le Contrat social de Rousseau, on nenvisage les relations externes quin fine, pour dire quon en traitera plus tard : même sil ne sagit que dun moment de la réflexion, ce moment suppose que le contrat social sinstaure dans leffacement de létranger.

Analogie entre les solipsismes

Ces tendances ou moments de la réflexion politiques restent le plus souvent implicites et diffus. Personne ne se revendique dun solipsisme politique. Pour les expliciter, esquissons un parallèle entre le solipsisme métaphysique et le solipsisme politique. Le solipsisme métaphysique est fondé sur une opposition entre apparence et réalité. Lobjet de mes représentations étant incertain, seules mes pensées subjectives sont certaines. Ce solipsisme a trois caractéristiques. Premièrement, jai un accès privilégié à mes pensées qui sont privées, inaliénables et incommunicables : je suis le seul à les avoir et à les connaître. Mon expérience privée et intérieure est infaillible et incorrigible. Cest un critère de certitude et de sens. Deuxièmement, il existe un dualisme entre un monde subjectif, connu directement, et le monde physique, connu indirectement, entre intériorité et extériorité. Troisièmement, il y a une asymétrie entre la relation à soi et aux autres. Lexistence des autres est doublement douteuse : leur corps nest connu quindirectement et leur esprit sil existe, est inaccessible.

Ces degrés de doute nous conduisent à distinguer un mythe de lintériorité du solipsisme radical. Le mythe de lintériorité correspond à un dualisme entre une intériorité subjective, privée, assurée et une extériorité objective, publique, incertaine. Dans une version radicale où je suis le/la seul/e à exister, je nai ni limites, ni extériorité. Les limites de ma conscience sont les limites du monde. Le monde est mon monde. La métaphore de lintériorité devient inutile.

Par analogie avec le solipsisme métaphysique, définissons le solipsisme politique comme la tendance à concevoir sa société politique comme seule au monde, comme si les pays étrangers et les étrangers nexistaient pas. La politique étrangère et les normes internationales sont ignorées, au 15mieux, secondaires. La Cité ou lÉtat est une personne, un sujet, existant en et par soi, indépendant et souverain. Il est doué dune volonté propre et est source de ses normes, infaillible et incorrigible : sans norme supérieure ou extérieure, personne ne peut le contredire. Le sujet étatique est aussi souverain que le sujet individuel (B. Bourcier sur Bentham et E. Pasquier sur Kelsen). Ses membres sont les seuls à posséder les propriétés qui font deux des citoyens de ce pays, les seuls à pouvoir les connaître et les comprendre (B. Gnassounou). Cet entre-soi est sûr et assuré, source de certitude. La modernité politique de lÉtat souverain se construit dailleurs par lemboitement dune double intériorité, celle de lindividu pouvant se replier sur son for intérieur, et celle de lÉtat, séparant son for intérieur de lextériorité des autres États (C. Nouët). Il y a donc une asymétrie fondamentale entre la relation aux compatriotes et celle aux étrangers (sils existent). Le « nous » est un royaume secret et nous assure une compréhension interne et immédiate, inaccessible aux autres. (J. Bouveresse ; C. Lelong).

Comme dans le solipsisme métaphysique, on peut en discerner plusieurs degrés, conduisant à distinguer un mythe de lintériorité politique dun solipsisme radical. En un premier sens, il y a une opposition entre intériorité et extériorité. Une telle conception peut recouper lautarcie, le protectionnisme, lisolationnisme et le nationalisme prônant le confinement à lintérieur des frontières. Cest une version faible du solipsisme car elle admet lexistence dune extériorité.

Selon une deuxième version de ce dualisme, compatible avec la première, la séparation nette entre intérieur et extérieur est plus importante que leur opposition. Nous sommes souverains et lextérieur nimpose ni norme, ni contrainte décisive à lintérieur. Cette vision englobe les conceptions des relations internationales comme un état de nature anarchique, sans normes. Le droit international nest quun droit secondaire, externe et non contraignant ; ce nest même pas un vrai droit (voir le dialogue avec Jacques Bouveresse). Nous pouvons alors supprimer le monde extérieur et le droit international, sans affecter lorganisation politique nationale et interne.

Enfin, dans une version radicale du solipsisme, les pays étrangers et les étrangers nexistent pas, lopposition entre intériorité et extériorité disparaît. Notre État gouverne comme si les limites de notre monde, de notre population et de nos principes politiques nétaient que celles du 16monde. Pour lÉtat, seul son droit est du droit et a vocation à devenir le droit mondial. Le monisme juridique étatiste est un impérialisme radical (Kelsen). Un État mondial serait-il alors solipsiste ? Sans poser la question en ces termes, MacIntyre formule une objection similaire contre un cosmopolitisme hégémonique : il y voit une assimilation globale des cultures, niant toute forme daltérité (C. Lelong).

Spécificité du solipsisme politique

Ces définitions du solipsisme politique permettent de répondre à une objection contre sa thématisation : pourquoi parler de mythe de lintériorité politique ou de solipsisme politique plutôt que de nationalisme, disolationnisme ou de stato-centrisme, notions proches et bien plus courantes en théorie politique ?

En premier lieu, la critique du solipsisme met au premier plan la question de la vérité (entretien avec J. Bouveresse). Dune part, comme dans le solipsisme métaphysique, le problème posé par le solipsisme politique est bien celui de la réalité et de lillusion : il sagit de déterminer ce qui est réel. Et le mythe de lintériorité est construit sur des erreurs, des pseudo-entités et des illusions comme celui de « race pure » que critique Kraus. Lopposition entre étatistes et internationalistes porte aussi sur la réalité du droit international. Dautre part, il sagit de reconnaître la norme du vrai en politique contre lemprise de la propagande, des fausses nouvelles ou des faits alternatifs. Lentretien avec J. Bouveresse fait ressortir la complémentarité de cette norme du vrai et de la norme du droit chez Kraus.

En second lieu, le déni ou ignorance de létranger, caractéristique du solipsisme politique, est un problème spécifique qui doit être traité en tant que tel. Lautarcie, lisolationnisme, le nationalisme, le protectionnisme ou le stato-centrisme nimpliquent pas nécessairement un tel déni ou une ignorance de létranger. Ils peuvent être fondés sur le désir de se protéger, la peur ou le refus de lautre, tous sentiments impossibles pour un solipsiste cohérent. Un nationaliste obsidional ou agressif a même besoin de lautre pour exister. Le nationalisme recoupe le solipsisme lorsquil conduit à chosifier les autres, à les déshumaniser et à considérer leurs intérêts ou 17leur existence comme négligeables. Toutefois, on peut aussi défendre une conception non solipsiste de la nation, lorsquon y voit une construction internationale, faite déchanges, à linstar de Mauss (conception reprise par B. Gnassounou). Il y a donc des recoupements entre le solipsisme et le nationalisme et le stato-centrisme23, mais non synonymie. Lutilisation de ces termes pour désigner leffacement de létranger est trompeuse.

En troisième lieu, poser la question du solipsisme politique, cest poser une question spécifique : peut-on être une entité politique, un État seul ? De même que Wittgenstein opposait au solipsiste quil ne peut avoir un langage seul, Kelsen oppose au solipsiste étatique quun État ne peut exister seul, sans droit international. Le jeu de langage de lentité politique et de lÉtat ne peut se jouer seul (E. Pasquier, dialogue avec Jacques Bouveresse). Le terme « État » implique une pluralité dÉtats. Critiquer le solipsisme politique cest donc critiquer la conception dun État isolé du monde, à linstar dun État sorti dun état de nature dans les théories contractualistes. Mais pas seulement. Cest aussi contester que la question de la pluralité des États ne soit pas posée demblée, que lon parle dÉtats, de nations, de groupes politiques, en ne se préoccupant que de leur intérieur, de leur structure interne, sans poser la question de leur extériorité. Cette pluralité est aussi celle des peuples (Kraus).

Allons plus loin : il ne suffit pas alors pour échapper au solipsisme politique de concéder une pluralité des entités politiques. Il ne suffit pas daccorder que dautres États existent en dehors du nôtre, que de loin on aperçoit leurs drapeaux, leurs chapeaux et leurs manteaux, probablement forts exotiques. Encore faut-il établir les principes de communication et dune grammaire internationale (B. Bourcier), dune inter-souveraineté (E. Pasquier). Parler dÉtat, cest supposer des découpages territoriaux, une organisation minimale, des droits et obligations internationaux. LÉtat ne peut avoir son statut seul. Il ny a pas de grammaire nationale sans grammaire internationale. Y a-t-il un primat de linternational ? Si le jeu de langage de lÉtat ne se joue pas seul, cest notre manière de concevoir la souveraineté politique qui doit être repensée. Ces questions sont pourtant largement ignorées dans la philosophie du droit et 18la philosophie de lÉtat, comme si le solipsisme y allait de soi et que ny étaient advenus ni la critique du sujet, ni le questionnement sur lintersubjectivité (E. Pasquier).

Un ou deux solipsismes politiques ?

On comprend mieux comment une référence commune à Wittgenstein peut conduire à des positions contraires sur le droit international ou le cosmopolitisme. Car les questions posées ne sont pas les mêmes. Dune part, la critique des significations privées conduit à lidée dune nécessaire socialité du langage : les catégories politiques nont de sens que lorsquelles senracinent dans des formes culturelles et pratiques sociales. Ces pratiques sociales étant celles de communautés, les catégories politiques ont un sens pour autant quelles sinscrivent dans des communautés.

Le cosmopolitisme prétendant dépasser les communautés étatiques et culturelles se trouve vide de sens et de contenu politique24. Cest donc la même critique qui est adressée à lindividu libéral et au cosmopolitisme vu comme le règne de lindividualisme. Le sujet cosmopolite sans attachement national nest que la réplique globalisée du sujet libéral et tombe sous la même critique. Cest plutôt ce cosmopolite qui est menacé par le solipsisme politique en raison de sa négation de toute altérité culturelle et de sa prétention à pouvoir tout englober (MacIntyre). Sil faut critiquer un solipsisme politique, cest celui de lindividu pré ou post social et culturel, tant au plan national quinternational.

Il ne sagit pas pour autant de défendre un enfermement national, et MacIntyre défend lidée de traditions ouvertes à dautres (C. Lelong). Mais, dans cette première approche, la question dune grammaire internationale, des traditions et institutions internationales nest pas traitée, pas plus que leur articulation avec les formes nationales.

Dautre part, la critique dun langage privé ne sarrête pas à celui de lindividu, mais sétend à celui de lÉtat. La philosophie du langage qui a permis de désenclaver le sujet ou lindividu solipsiste peut désenclaver 19lÉtat-nation. Ils peuvent tous procéder de processus intersubjectifs dentente (C. Nouët sur Habermas). La question posée nest pas dabord celle du dépassement de lÉtat, mais de savoir si on peut le penser seul. Un État seul pourrait-il avoir un statut, des frontières, des normes, un droit ? La question de linternationalisme ou du cosmopolitisme ne se réduit pas à un individualisme globalisé. Il faut poser la question de la pluralité des sociétés politiques, mais aussi celle de leurs relations et dune organisation internationale. Comment penser les institutions inter ou supra nationales ? Il faut aussi articuler grammaire étatique et internationale. Cest la tâche poursuivie par Walzer pour les langages et traditions de la guerre, par Bentham, Kelsen ou Habermas pour le droit public et la notion de souveraineté.

À cet égard, lopposition précédemment citée entre libéraux et communautariens devient secondaire : ils peuvent tous être des solipsistes politiques qui trouvent parfaitement normal danalyser les sociétés politiques sans traiter ni de politique étrangère, ni de droit international, comme si leur pays vivait dans une bulle avec des frontières miraculeusement tombées du ciel et dont lextérieur serait sans conséquence sur lintérieur. Rawls et MacIntyre se trouveraient dans une catégorie commune les opposant à Bentham, Kelsen ou Habermas. Secondaire, cette opposition peut donc se rejouer au plan international entre les internationalistes fondant une grammaire internationale sur les droits des communautés et les cosmopolites la fondant sur les droits des individus.

La critique du solipsisme national et étatique
par la philosophie du langage

Les contributions de ce numéro éclairent lintérêt de la philosophie du langage, en particulier celle de Wittgenstein, pour critiquer ce mythe de lintériorité politique, i.e. national ou étatique. La critique par Wittgenstein de la réification des significations a été largement utilisée par les anthropologues pour refuser la réification des cultures, des ethnies et des identités25, 20contribuant ainsi à la critique dun solipsisme national. La critique par Bentham de la personnification ou réification de la fiction de lÉtat, la manière dont elle produit un mythe de lintériorité politique et lillusion dune communauté unie et exclusive des autres va dans le même sens (B. Bourcier). Il en est de même de celle par Kraus dun entre-soi national à la fois fictif, fondé sur une propagande mensongère, et déshumanisant (entretien avec J. Bouveresse).

La comparaison entre la critique du langage privé par Wittgenstein et celle du solipsisme national par Kraus offre dailleurs de nouvelles pistes de réflexion. Jacques Bouveresse tire un fil original du rapprochement entre Wittgenstein et Kraus. Kraus contestait le privilège de lexpérience intérieure de lAllemagne, celle des Allemands restés en Allemagne, excluant les exilés26. Dans lAllemagne nouvelle, celle de la révolution nationale, avec son nouveau langage, les membres ne pourraient se comprendre réellement quentre eux, sur la base dune expérience vécue quils ont en commun et qui est dune espèce unique en son genre. Mais comme Wittgenstein la montré, ce nest pas lexpérience vécue qui décide du sens. Cette critique de la privatisation des concepts politiques vaudrait aussi pour les concepts dami et dennemi que Carl Schmitt fonde sur une participation existentielle (J. Bouveresse).

Kraus apporte également un argument original contre la prétention à être un État seul. Analysant la dérive du nazisme, il constate que le droit qui saffranchit de tout droit international, de toute norme internationale sabolit lui-même. Soumis aux impératifs dune politique qui lui dicte ses lois, le droit ne suit finalement que les intérêts subjectifs de la nation et de ses dirigeants. Ainsi, le droit national, sans boussole, devient flexible : tout ce qui semblera juste aux dirigeants politiques sera juste. Il ny a plus quune illusion de règle juridique. Privé du droit international et de ses normes de références, le droit national devient aussi chimérique que le langage privé. LÉtat solipsiste et ultranationaliste ne pourra pas être un État juridique (I. Delpla, dialogue avec Jacques Bouveresse)27.

21

Que peut-on espérer dune telle critique ? Si lon suit Wittgenstein, on en tirera seulement ce quil ne faut pas dire, mais guère ce quil faut dire. Cest lintérêt et les limites de son approche thérapeutique. Au mieux, Wittgenstein préviendra de lillusion dune compétence spéciale du philosophe en matière politique (J. Bouveresse).

Construction du numéro

Ce numéro dÉthique, Politique et Religion vise à ouvrir des pistes de réflexion et à donner des coups de sonde sur des positions possibles. Il ne prétend pas à lexhaustivité. La position de Kelsen, abordée par Emmanuel Pasquier dans le dialogue avec Jacques Bouveresse, ne fait pas lobjet dun article spécifique. Il ny a pas non plus darticle sur Bertrand Russell, sur Herbert Hart, sur Michael Walzer, sur Jacques Derrida ou sur les théories féministes et leurs critiques de différents aspects du solipsisme politique ou juridique, leur internationalisme ou leur cosmopolitisme.

Ce numéro est centré sur un long entretien avec Jacques Bouveresse. En réponse à Isabelle Delpla, J. Bouveresse revient dabord sur les implications politiques possibles de lœuvre de Wittgenstein, lapport de la philosophie à la politique et le rapport des philosophes – souvent désastreux – à la politique. Concernant la pertinence dune analogie entre mythes de lintériorité épistémique et politique, il souligne limportance de la distinction entre apparence et illusion et éclaire les apports de Kraus à la critique du nationalisme et dun mythe de lintériorité. Emmanuel Pasquier ensuite rappelle la position de Kelsen sur le droit international et interroge J. Bouveresse sur un possible parallèle avec la démarche de Wittgenstein. Olivier de Frouville (juriste internationaliste) replace la pensée de Kelsen et sa critique du monisme juridique étatique dans les grands courants du droit international. B. Bourcier interroge J. Bouveresse sur la critique du solipsisme par Musil.

Ce dialogue est suivi darticles qui explorent une variété de réponses aux questions initiales. Benjamin Bourcier analyse la position de Bentham. Quoique Bentham reste tributaire dune conception subjective de la 22signification, il sattaque à un mythe de lintériorité politique par sa démystification du langage et une critique des fictions. Bentham soppose au stato-centrisme de Vattel qui personnifie lÉtat à linstar dun sujet politique solipsiste. Bentham critique cette substantialisation de lÉtat à la fois parce quelle est une entité fictive, parce quelle favorise la confusion entre intérêt de lÉtat et intérêt personnel des gouvernants, parce quelle favorise aussi lillusion dune intériorité nationale et des sentiments nationaux de gloire, qui poussent au bellicisme. Critiquer ce mythe de lintériorité politique, cest montrer quil soppose au plus grand bonheur du plus grand nombre. Cest aussi proposer une nouvelle grammaire de linternational qui nest plus fondée ontologiquement sur une société des nations, mais sur des institutions : un congrès européen et un tribunal pour la paix assurent un contrôle des gouvernants par les peuples. Bentham plaide donc pour un cosmopolitisme fondé sur les responsabilités cosmopolitiques des gouvernants.

La contribution de Clotilde Nouët permet de comprendre lémergence dun mythe de lintériorité politique à travers les critiques nuancées de lÉtat nation par Habermas et Koselleck. Habermas sinscrit résolument dans le tournant linguistique à partir duquel il critique le mentalisme solipsiste au profit dune intersubjectivité constitutive. Cette entente dialogique soppose à lanthropologie égoïste, atomiste et solipsiste de Hobbes et offre un fondement alternatif à sa conception du contrat social. Refusant lanalogie entre individu et État, Habermas ne passe pas de la critique dun solipsisme à celle dun autre, mais utilise le même paradigme, celui de lentente, pour les éviter. Sa conception de lentente, impliquant la constitution despaces publics, ouvre la voie de son cosmopolitisme, la communauté politique nétant pas limitée à sa forme historique nationale. Cet espace public cosmopolitique doit être régi par des dispositifs constitutionnels et des normes supra-étatiques à linstar de ceux garantis par lUnion européenne. Habermas produit ainsi une critique du solipsisme épistémique, du solipsisme anthropologique et du solipsisme ethnocentrique.

Les trois articles suivants traitent du chemin inverse ou comment la critique du solipsisme épistémique et moral ne conduit pas à des positions cosmopolitiques – voire conduit à leur refus. À la différence de Bentham, Kelsen ou Habermas, le cosmopolitisme est envisagé comme une abolition des frontières, de la diversité des cultures, voire des États, et une unification morale et non politique du genre humain.

23

Dans son article « Groupe, règle et politique : réflexions », Bruno Gnassounou conteste les termes du problème posé. Dune part, il souligne que le sujet cartésien est lorigine de lindividu libéral et universel, ouvrant au cosmopolitisme. Dautre part, du tournant linguistique anticartésien on ne peut inférer aucune conclusion sur le politique. Toutefois, Gnassounou considère que la notion dinstitution selon Wittgenstein permet de trancher la question de la constitution des groupes politiques, dans un sens non cosmopolitique. Dans cette voie, il retrace la manière dont la philosophie sociale est un préalable à la philosophie politique. Il oppose ainsi une conception individualiste (possiblement mentaliste) à une conception « institutionnaliste » de la propriété. Il ny a de sens à attribuer des droits et des devoirs de justice à un individu que dans le cadre dune socialité des règles, i.e. une institution. Que peut-on en déduire sur lexistence dindividus collectifs ? Un groupe politique ne peut se constituer que par une structuration interne, par la définition dune autorité et par contraste avec dautres groupes. Le cosmopolitisme ne serait quune communauté morale et non politique.

Cette position se rapproche de celle défendue par Alasdair MacIntyre, présentée et critiquée par Corentin Lelong. MacIntyre, en référence à Wittgenstein, défend la nature sociale de la rationalité, inscrite dans des formes de vie et des traditions, pour critiquer un solipsisme moral. Sa cible est un émotivisme subjectiviste, voué à légoïsme, ou lindividualisme libéral ou nietzschéen, qui croit pouvoir transcender le monde social. Cette défense des communautés ne le conduit pas pour autant à un solipsisme politique ou communautaire. Il conteste en effet lÉtat nation comme communauté illusoire et plaide en faveur de traditions ouvertes. C. Lelong conteste donc les tentatives de tirer de MacIntyre un quasi-séparatisme dans des communautés religieuses. En défendant des intraduisibles, MacIntyre refuse toutefois le cosmopolitisme prétendant à la transparence de toutes les significations. Sa critique du cosmopolitisme réplique donc celle de la modernité libérale, comme point de vue neutre, impartial. Loin dêtre un sujet suprasocial, le cosmopolite reproduit la culture anglo-saxonne dominante. MacIntyre, toutefois, ne sattaque quà des formes limitées et caricaturales du cosmopolitisme.

Thomas Nagel refuse également le cosmopolitisme et linternationalisme, mais défend ce point de vue de nulle part que conteste MacIntyre. Un tel refus ne découle pas de ses principes initiaux (article 24de Blondine Desbiolles). Thomas Nagel réfute le solipsisme épistémique et le solipsisme moral ou pratique avec des arguments originaux. Privé dune distinction entre points de vue objectif et subjectif, le solipsiste ne peut être rationnel. Il se trouve donc dépourvu de raisons dagir, requérant un « souci interpersonnel impartial » et la reconnaissance des raisons dagir dautrui. À partir de cette critique de la partialité morale, Nagel limite sa réflexion sur limpartialité et la solidarité au cadre démocratique de lÉtat, refusant une impartialité politique internationaliste ou cosmopolitique. B. Desbiolles analyse donc le paradoxe et les faiblesses de la position de Nagel : cette limitation étatique nest pas cohérente avec sa théorisation de la délibération rationnelle et des rapports entre morale, droit et politique. Elle repose aussi sur des constats empiriques pessimistes et discutables.

Les critiques de B. Desbiolles contre Nagel ou celles de C. Lelong contre MacIntyre convergent : ces auteurs visent dabord les versions anglo-saxonnes du cosmopolitisme, sans envisager un cosmopolitisme enraciné dans les cultures ou dans des formes institutionnelles, comme lUnion européenne. Ils délaissent aussi les traditions de linternationalisme inspirées de Durkheim.

Ce numéro est issu dune journée détude « Mythes de lintériorité : de la critique dun mythe à un autre ? » qui a eu lieu le 8 février 2019 à lUniversité Lyon 3 dans le cadre du programme « Justice globale, droit international et constitution de lÉtat » dirigé par I. Delpla dans le cadre du Labex COMOD. Cette journée naurait pas été possible sans le soutien de lIRPhiL et du Labex COMOD.

Isabelle Delpla

Université de Lyon

Institut de recherches philosophiques de Lyon (IRPhiL)

1 Le mythe de lintériorité. Expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein, Collection « Critique », Paris, Éditions de Minuit, 1976.

2 Jacques Bouveresse, Les premiers jours de linhumanité. Karl Kraus, la propagande, le nationalisme et la guerre, Hors datteinte, coll. « Faits & idées », 2019, 245 p.

3 H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. H. Thévenaz, Neuchatel, Édition de la Baconnière, 1953, p. 187.

4 Les noms entre parenthèses renvoient aux articles ou à lentretien de ce volume : sur la position de Bentham, voir larticle de Benjamin Bourcier ; pour Herbert, Hart, Le concept de droit, chapitre sur le droit international, Facultés Universitaires Saint-Louis Bruxelles, 2006.

5 Lidée dune réalité morale de la guerre sancre dans les significations dun langage ordinaire et partagé, Michael Walzer, Guerres justes et injustes, Belin, 1977.

6 Jai consacré plusieurs publications à ce modèle dont La justice des gens, Enquêtes sur les nouvelles après-guerre, chapitre 7, PUR, 2014 ; « Du pays vide : traduction radicale et cosmopolitisme », in Martine Pécharman, Philippe de Rouilhan. Le Philosophe et le langage : études offertes à Jean-Claude Pariente, Librairie philosophique J. Vrin, p. 319-346, 2017 et louvrage à paraître Du pays vide. Réfutation du solipsisme politique.

7 Question discutée pour Max Stirner ou Sonren Kierkegaard, voir Vilfrido Pareto, « Lindividuel et le social », Congrès international de Philosophie, 1905, p. 125-131 ; G Palante, Anarchisme et individualisme, La République des Lettres, 2012 ; Narve Strand, « Political Solipsism and Its Risks : Kierkegaard, a Case-Study », présentation au 6th International Kierkegaard Conference, July 2010.

8 Voir Benjamin R. Barber, « Solipsistic Politics : Russells Empiricist Liberalism », Political Studies, vol. 23, no 1, p. 12-28. Cet article traite des implications politiques du solipsisme de Russell, notamment de sa conception du pouvoir et du libéralisme, mais guère de son internationalisme.

9 Voir « Ethics of war », The International Journal of Ethics, vol. 25, no 2, Janv. 1915, p. 127-142.

10 Voir David Rothkopf, « The Soul-Sucking, Attention-Eating Black Hole of the Trump Presidency », Foreign Policy, 24 Mars, 2017 ; Normand Lester, « Urgence : la santé mentale de Trump », Le Journal de Montréal, Lundi 13 janvier 2020.

11 Voir William Saletan, « National Solipsism. Donald Trump has a foreign policy of self-glorification and nothing else. », Slate, 17 Janvier 17, 2017 ; Rana Dasgupta, « The Demise of the Nation State », The Guardian, 5 april 2018.

12 Voir Marc Porée, « Brexit, limpossibilité dune île », Slate, 18 janvier 2019 ; Sam Byers, « Britain Is Drowning Itself in Nostalgia. Brexit has exposed my country as a solipsistic backwater », New York Times, 23 Mars, 2019 ; « Theresa Mays Brexit will bring about a diminished Britain. The prime minister has bowed to the logic of solipsism », Financial Times, 18 Janvier 2017 ; Hussein Kassim, « Brexit delay : what it would take for the EU to agree article 50 extension », The Conversation, 1 mars 2019.

13 See « Seeking truth among alternative facts », The Conversation, 27 Février 2017 ; Jack Holmes, « Someday, Theyll Be Amazed We Didnt Impeach Trump Over the Climate Crisis », Esquire, oct 25, 2019.

14 H. Kelsen, référence précitée (première publication en 1934).

15 Franz Neumann, Behemoth : The Structure and Practice of National Socialism, 1933-1944, Ivan R Dee, Inc 2009, p. 136 (première publication 1942)

16 Alison M. Jaggar, Feminist Politics and Human Nature, Littlefield, Adams & Company, Harvester Press, 1983, p. 40.

17 A.M. Jaggar, op. cit. ; Rosemarie Tong and Tina Fernandez Botts, Feminist Thought : A More Comprehensive Introduction, Routledge, 2017.

18 H. Kelsen, op. cit.

19 K.M. Fierke « Whereof we can speak, thereof we must be silent : trauma, political solipsism and war », Review of International Studies, 30, 2004, p. 471-491.

20 Francis Sanseigne, GREPH-LEPS, Université de Lyon 2, Compte rendu de Nicolas Mariot, Cest en marchant quon devient président. La République et ses chefs de lÉtat, 1848-2007, Paris, Aux Lieux dÊtre, 2007. Je laisse de côté mes propres usages de ces termes dans les publications précitées et dans « Cosmopolitisme ou internationalisme méthodologique », Raisons politiques, vol. 54, no 2, p. 87-102.

21 Voir A.M. Jaggar, op. cit.

22 Signalons une différence importante : le solipsiste métaphysique est singulier, tandis que les solipsistes politiques sont plusieurs. Ils doivent être plusieurs pour avoir une organisation politique, mais ils considèrent leur pays comme le seul au monde.

23 Le stato-centrisme nest pas non plus équivalent au solipsisme politique. Il désigne deux idées différentes, soit la prévalence de lÉtat sur la société, soit la prévalence de lÉtat dans les relations internationales. Dans le premier sens, on peut sopposer au stato-centrisme tout en restant un solipsiste politique étudiant la société dans un cadre uniquement national, dans le second sens, le stato-centrisme reconnaît la pluralité des États.

24 Tel est la critique de MacIntyre, de Descombes ou de B. Gnassounou contre le cosmopolitisme.

25 Jean-Loup Amselle et Elikia MBokolo (dir.), Au cœur de lethnie ; Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La découverte, 1985, notamment larticle de Jean Bazin, « A chacun son Bambara », p. 87-128 ; Alban Bensa, La fin de lexotisme : Essais danthropologie critique, Toulouse, Anacharsis, 2006.

26 Kraus vise là Gottfried Benn.

27 Dans un ouvrage à paraître, poursuivant cet argument, je tente de montrer que les solipsistes politiques ne pourraient pas avoir de langage politique (Du pays vide. Réfutation du solipsisme politique).