Aller au contenu

Classiques Garnier

Liberté et passivité chez Emmanuel Levinas et Simone Weil Peut-on être un soignant levinassien ?

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Éthique, politique, religions
    2019 – 1, n° 14
    . Levinas et le soin
  • Auteur : Meyer (Pierre-Yves)
  • Résumé : La philosophie de Levinas permet de représenter les rapports de soin en termes d’hétéronomie. En particulier, la responsabilité du soignant est pensée comme une passivité face à la souffrance du patient. Bien que Levinas ne cherche pas à décrire la mise en œuvre d’une telle approche, on peut en trouver les fondements dans le concept d’attention chez Simone Weil. Cet article discute la pertinence de cette « éthique de la passivité », commune à Levinas et à Weil, dans le contexte des soins.
  • Pages : 57 à 74
  • Revue : Éthique, politique, religions
  • Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN : 9782406098997
  • ISBN : 978-2-406-09899-7
  • ISSN : 2271-7234
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09899-7.p.0057
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 17/12/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Emmanuel Levinas, Weil, passivité, attention, soins
57

Liberté et passivité
chez Emmanuel Levinas
et Simone Weil

Peut-on être un soignant levinassien ?

Philosopher, cest remonter en deçà de la liberté1.

Nêtre quun intermédiaire entre la terre inculte et le champ labouré, entre les données du problème et la solution, entre la page blanche et le poème, entre le malheureux qui a faim et le malheureux rassasié2.

Lentrée de la pensée de Levinas en éthique médicale est une bouffée dair frais pour un domaine obnubilé, depuis la fin des années 1970, par le principe dautonomie. Là où léthique de lautonomie prône le respect du droit du patient à sautodéterminer et instaure un modèle contractuel accordant la liberté du patient à celle du soignant, léthique levinassienne invite au contraire à penser la relation de soins sous le mode dune double passivité. Passivité du patient, qui avant dêtre un sujet de droit est un humain confronté au mal absurde de la souffrance – « appel originaire à laide, au secours curatif, au secours de lautre moi dont laltérité, dont lextériorité promet le salut3 ». Passivité, plus inédite, du 58soignant face à l« autorité désarmée mais impérative » du malade4. Le visage du malade mappelle à une responsabilité infinie, sans que cette responsabilité soit librement contractée de ma part. « Dans ce “pour-autrui”, relève Corine Pelluchon, nentre aucune réflexion, positive ou négative, aucune volonté5 ». Ainsi la rencontre avec un patient « rend compréhensible ce que Levinas écrit lorsquil parle de la responsabilité comme dune “passivité plus passive que toute passivité”6 ».

Cette éthique de la passivité tranche avec lapproche traditionnelle qui veut quun acte atteigne sa plénitude éthique lorsquil repose sur une liberté. Ordinairement en effet, un acte paraît dautant plus parfait que dautres possibilités moins morales se présentaient à lagent. Dans léthique moderne de la liberté, cest parce que je pouvais agir autrement que mon acte est parfaitement moral, alors que léthique de la passivité affirme au contraire que cest parce que je ne pouvais pas agir autrement que mon acte est parfaitement moral. Labsence de délibération et dengagement volontaire, la reconnaissance que ma responsabilité nest pas prise par moi mais que je la portais toujours déjà, sont les signes les plus sûrs de la valeur dun agir (ou, si lon veut, dun pâtir) moral. Cest pourquoi la liberté moderne fait lobjet chez Levinas dune sévère critique : « La morale commence lorsque la liberté, au lieu de se justifier par elle-même, se sent arbitraire et violente7 ».

Pour Levinas, la responsabilité est passivité car elle affecte la subjectivité malgré elle, dans sa structure fondamentale, avant même que le couple liberté/non-liberté ne prenne sens pour elle. « La responsabilité pour autrui ne peut avoir commencé dans mon engagement, dans ma décision. [] La responsabilité où je me trouve vient den deçà de ma liberté []. Nul nest bon volontairement8 ». Cette responsabilité ne peut être annulée, tout comme elle ne peut pas être non plus générée par ma volonté. Autrui nest jamais, en dautres termes, « apprivoisé », comme lest la rose par le Petit Prince9. Contrairement à ce que suppose Saint-59Exupéry, je ne suis pas responsable seulement de ce que jai librement apprivoisé. La responsabilité est antérieure à tout apprivoisement.

Mais peut-on vraiment penser léthique sous le seul mode de la passivité ? Peut-on concevoir le passage dune archi-responsabilité pré-originaire à une responsabilité concrète assumée sans faire référence à une dimension dactivité et de liberté ? Même si je suis demblée responsable, je peux en effet accepter ou rejeter concrètement cette responsabilité, ce qui implique nécessairement ma liberté. Comme le souligne Alain Renaut dans sa critique de Levinas : « Le projet éthique en tant quil passe par lirruption de la responsabilité mobilise une référence incontournable à cet horizon dautonomie sans la visée duquel on voit mal comment le sujet moral pourrait se penser comme en charge dautrui10 ».

De plus, au-delà du caractère pensable ou non de léthique de la passivité, sa popularisation dans les soins est-elle seulement souhaitable ? Reposant sur une conception de la subjectivité infiniment responsable et « otage dautrui », léthique levinassienne ne conduit-elle pas à une surresponsabilisation du soignant ? Surresponsabilisation qui contrebalancerait certes une certaine déresponsabilisation propre à léthique de lautonomie contemporaine (le patient nétant plus quun client dun médecin prestataire de services)11, mais avec des conséquences peut-être plus lourdes. À lheure où le personnel soignant est massivement menacé par le burn-out (souvent lié à un sentiment excessif de culpabilité et à lendossement par le soignant dune « fonction apostolique » écrasante12), nest-il pas, précisément, irresponsable de faire de Levinas une référence de la formation éthique du soignant ?

60

Le sujet responsable

Léthique de Levinas comme philosophie première

Il importe de rappeler avant tout – sans quoi le projet levinassien paraît soit incompréhensible, soit scandaleux – que Levinas ne se donne pas pour mission délaborer une éthique au sens courant dun ensemble de règles de comportement destinées au sujet normal. « Ma tâche, dit Levinas, ne consiste pas à construire léthique ; jessaie seulement den chercher le sens. [] On peut sans doute construire une éthique en fonction de ce que je viens de dire, mais ce nest pas là mon thème propre13 ». En élevant léthique au rang de philosophie première, Levinas « ontologise14 » léthique : il vise à mettre au jour la condition de possibilité de toute action morale, cest-à-dire de toute prise de responsabilité concrète15. Ce qui lintéresse est donc moins lAprès vous Monsieur ! empirique que, comme il le dit lui-même, l« Après vous Monsieur originel16 » : autrement dit lorigine, ancrée dans la subjectivité, du fait étonnant quil puisse y avoir une priorité dautrui sur moi-même. Levinas sintéresse à la préhistoire du Moi, en vue dy discerner ce qui permet à ce Moi denvisager ne serait-ce que la possibilité de se préoccuper dautrui. « Pourquoi Autrui me concerne ? Que mest Hécube ? Suis-je le gardien de mon frère ? – Ces questions nont de sens que si lon a déjà supposé que le Moi na souci que de soi, nest que souci de soi. Dans cette hypothèse en effet, il reste incompréhensible que le hors-de-Moi absolu – Autrui – me concerne. Or, dans la préhistoire du Moi posé pour soi, parle une responsabilité. Le soi est de fond en comble otage, plus anciennement que Ego, avant les principes17. »

61

Quand Levinas qualifie le sujet de responsable, dotage dautrui, voire de « responsable de la persécution quil subit18 », sa thèse est avant tout phénoménologique et descriptive – même si la teneur de cette description fait éclater les catégories du descriptif et du prescriptif. Cette thèse vise à mettre au jour la « structure essentielle, première, fondamentale de la subjectivité19 ». Levinas soutient que « cest dans léthique entendue comme responsabilité que se noue le nœud même du subjectif » et que la responsabilité « nest pas un simple attribut de la subjectivité, comme si celle-ci existait déjà en elle-même, avant la relation éthique », mais sa définition même. La subjectivité est « initialement pour un autre20 ». Quand Levinas dit que la subjectivité est responsable, il faut donc lentendre comme René Descartes qui dit que le sujet est res cogitans, comme Edmund Husserl qui dit que la conscience a demblée un rapport intentionnel à des objets de conscience, ou comme Martin Heidegger qui dit que le Dasein est être-au-monde.

Pourquoi Levinas élève-t-il la responsabilité au rang de structure fondamentale de la subjectivité ? Heidegger, dans son analytique du Dasein, thématisait déjà la Fürsorge ou sollicitude, mais celle-ci nétait quun existential parmi dautres. La sollicitude pour autrui, quand elle se matérialise en dispensation de soins, nourriture et vêtements, était même ravalée par Heidegger à un mode « déficient » de la Fürsorge21. Pour comprendre loriginalité levinassienne, il faut sattarder sur le renversement quil fait subir à la phénoménologie classique, tout en restant pour une part fidèle à ses méthodes. Occasion de répéter une fois de plus que Levinas est inintelligible sans une connaissance préalable des fondements de la phénoménologie husserlienne et/ou heideggérienne !

En Levinas reste profondément ancré le principe fondamental de la phénoménologie, lidée husserlienne dun « a priori corrélationnel22 » : 62le rapport intentionnel de la conscience à des objets de conscience est le fait premier sur la base duquel se construit le discours philosophique. Seulement, Levinas reproche premièrement à lintentionnalité husserlienne dêtre une expression supplémentaire du primat de lattitude connaissante du sujet, attitude synonyme chez Levinas de volonté de possession et de maîtrise. Levinas reprend ici à son compte la critique du philosophe Martin Buber, qui oppose le rapport de connaissance sujet-objet ou Je-Cela (qui domine lhistoire de la philosophie) au rapport du sujet à autrui, le Je-Tu23. Lidée de Buber, que Levinas réinterprétera également à sa manière, est que cest dans cette dimension de la rencontre avec un Tu que le sujet se constitue comme tel24.

Deuxièmement, critique liée à la première, Levinas reproche à lintentionnalité husserlienne de ne présenter quun simulacre de relation à une altérité. Dans son rapport connaissant, cest-à-dire aussi possessif, aux objets de conscience, le sujet ne rencontre en définitive que lui-même. Comme Levinas lécrit dans Le Temps et lAutre : « Lobjet éclairé est à la fois quelque chose quon rencontre, mais du fait même quil est éclairé, on le rencontre comme sil sortait de nous. [] Cest avec moi-même que je me retrouve dans la connaissance et dans la jouissance. Lextériorité de la lumière ne suffit pas à la libération du moi captif de soi. [] Lobjectivité du savoir rationnel nenlève rien au caractère solitaire de la raison25 ».

Pour Levinas, lenchaînement à soi du sujet nest rompu que par la rencontre du visage dautrui, qui assigne ce sujet à une responsabilité infinie. Cette relation à laltérité nest pas, Levinas y insiste, une relation de réciprocité comme chez Buber, où le Je et le Tu se reconnaîtraient mutuellement et se constitueraient mutuellement comme sujets. Lirruption du visage institue une relation asymétrique, où le sujet est demblée responsable dautrui, quelle que soit lattitude de cet autrui à son égard. Toute relation véritable signifie donc une mise entre 63parenthèses de lattitude connaissante et de la propension naturelle à jouir des objets du monde, caractéristique pour Levinas de la liberté. La relation à autrui ne peut se penser que par opposition au conatus essendi, terme que Levinas reprend à Baruch Spinoza et qui signifie la tendance de toute chose à persévérer dans son être26. Bref, de même que chez Husserl toute conscience est demblée conscience dobjet, de même pourrait-on dire que chez Levinas toute conscience est demblée « mauvaise conscience » : impossibilité de laisser libre cours à son propre conatus, remise en cause de sa « place au soleil », nécessité de « répondre de son droit à lêtre27 ».

Liberté et responsabilité se voient ainsi radicalement opposées : la responsabilité caractérise la relation à une véritable altérité, la sortie du sujet hors de lui-même, alors quen exerçant sa liberté le sujet retombe sur lui-même dans sa connaissance et sa jouissance du monde : « Le processus de la connaissance se confond à ce stade avec la liberté de lêtre connaissant28 ». Alors quune théorie classique de la responsabilité rattache dune manière ou dune autre celle-ci à la liberté, ne serait-ce que pour penser lacceptation de cette responsabilité, Levinas peut affirmer au contraire : « Le prochain me concerne avant toute assomption, avant tout engagement consenti ou refusé. Je suis lié à lui – qui cependant est le premier venu, sans signalement, dépareillé, avant toute liaison contractée29 ».

Mais un problème se pose à ce stade, dès lors quil sagit de construire une éthique « pratique » à partir de cette phénoménologie. Si la responsabilité doit être comprise comme la structure fondamentale du sujet, en deçà de sa liberté, comment penser le rapport de cette archi-responsabilité pré-originaire à la responsabilité concrète et assumée ? Même sil est demblée responsable, un sujet peut cependant choisir dassumer cette responsabilité ou au contraire la rejeter. Or, comment penser ce choix autrement quen termes de liberté ? Il semble bien quil faille 64dire, avec Renaut, que la responsabilité assumée suppose un « horizon dautonomie30 », ne serait-ce que pour expliquer quil y ait des saints et des criminels autrement que par une providence hasardeuse.

Levinas admet lui-même implicitement la distinction entre ces deux niveaux de la responsabilité31. Mais au moment de décrire la moralité concrète et empirique, il conserve un vocabulaire de la passivité. Tout se passe comme si la passivité de larchi-responsabilité pré-originaire impliquait la passivité de lassomption concrète de la responsabilité. Levinas affirme en effet non seulement que nul nest responsable volontairement, mais aussi que « nul nest bon volontairement32 ». Par ce renversement de ladage socratique, Levinas suggère que la bonté elle-même exclut une dimension de liberté. La liberté, trop liée au conatus, est chez Levinas incompatible avec lagir moral, quil faudrait peut-être qualifier plus justement de pâtir moral. Cest en deçà de sa liberté que lhomme est responsable et, aussi étrange que cela puisse paraître, cest semble-t-il aussi en toute passivité quil assume cette responsabilité. Comme le fait remarquer Nathalie Maillard : « De laffection-par-lautre au donner-à-lautre, il ny a en fait pour Levinas quune seule séquence : cest sous le signe de la même passivité que se déclinent les modalités diverses de la proximité33 ».

Cette idée paraît difficile à suivre. Comment un sujet pourrait-il accepter passivement une responsabilité sans que cette acceptation lui soit imputée ? Il faudrait, pour suivre Levinas jusquau bout, imaginer une dimension de la libre activité dont lexercice ne contredirait pas la passivité de lacte. Autrement dit, une activité libre qui consisterait en son propre effacement ; une acceptation de la responsabilité par un sujet qui sôterait tout mérite, et même toute participation dans cette acceptation. Pour penser un tel type dactivité, je me propose dexaminer le concept dattention chez Simone Weil, qui me paraît répondre à ces exigences à première vue contradictoires.

65

Simone Weil et lattention

Les rapports dEmmanuel Levinas à la figure de Simone Weil sont assez tendus. Levinas lui consacre un article, « Simone Weil contre la Bible », où malgré une admiration sincère transparaît un agacement à légard de ses déclarations hostiles au judaïsme. Pour Levinas, « Simone Weil hait la Bible » (cest-à-dire lAncien Testament) et elle a « ignoré royalement » le judaïsme34. Cependant, au-delà de ces dissensions théologiques, Weil formule une éthique de la passivité très proche de celle de Levinas, en quelques aphorismes dans ses cahiers des années 1940-1942 réunis par Gustave Thibon sous le titre La Pesanteur et la Grâce.

Pour Weil, lacte moral résulte dune obéissance à un commandement. Le sentiment quon ne peut pas faire autrement, labdication de toute volonté caractérise lacte parfaitement bon. « Agir, non pour un objet, mais par une nécessité. Je ne peux pas faire autrement. Ce nest pas une action, mais une sorte de passivité. Action non agissante35 ».

Weil va plus loin encore que Levinas en renonçant à la distinction sujet-objet dans la description de lacte parfaitement bon. Dans son action non agissante, le sujet se fait lui-même objet ou chose. Le modèle de la moralité est l« esclave » ou la « matière36 ». Lacte moral peut dès lors parfaitement se décrire sous langle de la cause efficiente. « Pour tout acte, le considérer sous laspect non de lobjet, mais de limpulsion. Non pas : à quelle fin ? Mais : doù cela vient-il37 ? ». Lacte dun sujet parfaitement bon na pas de cause finale. Ce sujet renonce à agir, même pour une bonne cause, même pour Dieu. « Ne pas aller au prochain pour Dieu, mais être poussé par Dieu vers le prochain comme la flèche vers le but par larcher38 ». À lautonomie kantienne, Weil oppose une morale de lhétéronomie absolue. Lextériorité totale du mobile, signe chez Kant dune impulsion affective incompatible avec la moralité, 66apparaît à Weil bien au contraire comme la condition de la nécessaire destitution du sujet libre. « Transporter hors de soi les mobiles de ses actions. Être poussé. Les motifs tout à fait purs (ou les plus vils : toujours la même loi) apparaissent comme extérieurs39 ». Pour rendre compte de son acte, il suffirait au sujet de décrire létat de choses qui la poussé vers laction. Toute référence à un horizon de délibération ou dintentionnalité signalerait une perte de lextériorité du commandement. Lacte moral est accompli par le sujet malgré lui :

Jétais nu et vous mavez habillé. Ce don est simplement le signe de létat où se trouvaient les êtres qui ont agi de la sorte. Ils étaient dans un état tel quils ne pouvaient pas sempêcher de nourrir ceux qui avaient faim, dhabiller ceux qui étaient nus ; ils ne le faisaient aucunement pour le Christ, ils ne pouvaient pas sempêcher de le faire parce que la compassion du Christ était en eux. Comme saint Nicolas allant avec saint Cassien à travers la steppe russe à un rendez-vous avec Dieu ne pouvait pas sempêcher de manquer lheure du rendez-vous pour aider un moujik à dégager sa voiture embourbée. Le bien accompli ainsi presque malgré soi, presque avec honte et remords, est pur. Tout bien absolument pur échappe complètement à la volonté40.

Tout lintérêt de cette éthique weilienne de la passivité est quelle décrit également les conditions du renoncement à la volonté propre, ou de transition dun sujet libre à un sujet-chose. Ainsi comble-t-elle ce qui demeure à mon avis un manque chez Levinas, davantage intéressé par la responsabilité pré-originaire ou transcendantale. Le concept-clé est ici lattention. Ce terme signifie chez Weil lattitude permettant au sujet de sexposer au commandement et de se découvrir soi-même comme étant absolument tenu dexécuter une action, au point même ou ce nest plus lui qui exécute laction, mais la nécessité de laction qui lanime presque malgré lui. Une attention au monde correctement dirigée fait découvrir progressivement au sujet quil y a un nombre toujours plus grand dactes quil ne peut pas ne pas accomplir. Weil écrit : « Faire seulement, en fait dactes de vertu, ceux dont on ne peut pas sempêcher, ceux quon ne peut pas ne pas faire, mais augmenter sans cesse par lattention bien dirigée la quantité de ceux quon ne peut pas ne pas faire41 ».

67

Il est impossible à quiconque, quil soit saint ou bandit, de ne pas donner à boire à un blessé mourant de soif près dun point deau. Mais, dit Weil, celui qui dirige suffisamment son attention découvre progressivement, par la force de cette attention, que beaucoup dactes sont tout aussi impératifs42. Ainsi, à la question de savoir comment on peut assumer une responsabilité sans faire référence à un horizon dautonomie, Weil permet de répondre : en se mettant, tout simplement, dans un état tel quil est impossible de ne pas assumer cette responsabilité.

On peut bien sûr objecter que je peux décider dexercer ou non ma faculté dattention. Cela suppose une liberté, et on ne ferait alors que repousser le problème. La réponse à cette objection est quil ne sagit pas, dans une éthique de la passivité, de nier lexistence de la liberté, ou même de nier quil existe une bonne et une mauvaise façon de lexercer. Mais il sagit seulement de reconnaître que lacte moral nest pas imputable à cette liberté. De ce point de vue, il y a une différence entre dire que je consens librement à ma responsabilité et dire que je décide librement de porter mon attention sur les situations qui vont, elles, me contraindre à agir. Dans le premier cas, jaurais pu ne pas accepter ma responsabilité, jai en ce sens un mérite moral. Je reste libre dobéir au commandement. Dans le second cas, lacceptation de ma responsabilité échappe totalement à mon pouvoir. Ici, ma liberté nest à lœuvre ni dans la constitution de la responsabilité, ni dans son acceptation. Cest dans ce second cas que lacte moral peut être dit pleinement passif.

Le concept weilien dattention nest pas sans évoquer certaines références classiques de léthique médicale. La dimension de lattention au malade est souvent décrite comme la première étape du soin conditionnant les suivantes. Dans son éthique du care, Joan Tronto distingue quatre phases du soin, dont la première, le caring about (« se soucier de »), requiert la faculté dattention du soignant en vue dorienter son activité. Le caring about rend possible la reconnaissance de lexistence dun besoin43. Chez le psychiatre et philosophe Viktor von Gebsattel, le premier des trois 68niveaux de la relation médicale, le niveau dit de la sympathie, consiste également en une attention à la douleur dautrui. Cette étape préliminaire, qui permet la constatation dun besoin, est antérieure à laction médicale et convoque le soignant non pas en tant que professionnel, mais en tant quêtre humain en général44.

Mais le concept dattention au sens de Simone Weil doit être compris de manière plus radicale que chez Von Gebsattel ou Tronto. Lattention nest pas simplement létape préliminaire permettant dorienter un geste médical efficace : engageant le soignant à se dévouer corps et âme et à se faire instrument de limpératif éthique, elle est bien plus la source de ce geste, en quelque sorte sa « cause occasionnelle » au sens de Nicolas Malebranche45.

Mais si léthique de la passivité savère pensable, est-il pour autant souhaitable quelle sapplique au monde des soins ? Restreindre indéfiniment la part de liberté du soignant pour le rendre toujours plus otage de ses malades, exposé aux injonctions impérieuses des situations douloureuses qui se présentent à lui, ne semble pas être le but de léthique médicale. On touche ici au reproche, souvent adressé à Levinas, dun délire de responsabilité, de lexpression dangereuse dun sentiment maladif de culpabilité, de la représentation accablante dun péché originel sans rédemption. Lopposition de la responsabilité au conatus ne condamne-t-elle pas demblée toute tentative de conciliation entre exigences morales et droit du sujet à persévérer dans son être ?

Weil nhésite pas à tirer cette conséquence, de manière plus radicale encore que Levinas46. Dans sa vie dabord, faite de privations, de 69recherche de la souffrance, dun travail physique harassant jusquà la perte de conscience, vie qui se termine à 34 ans, peut-être des suites dun refus prolongé de salimenter47. Dans son œuvre aussi : la Pesanteur et la Grâce affirme en effet la nécessaire destruction de lego et la négation du droit à être. « Nous ne possédons rien au monde – car le hasard peut tout nous ôter – sinon le pouvoir de dire je. Cest cela quil faut donner à Dieu, cest-à-dire détruire. []48 » « Dieu ne peut aimer que soi-même. Son amour pour nous est amour pour soi à travers nous. Ainsi, lui qui nous donne lêtre, il aime en nous le consentement à ne pas être [] Perpétuellement, il mendie auprès de nous cette existence quil nous donne. Il nous la donne pour nous la mendier49 ». La mort de Simone Weil pose la question des contradictions dun altruisme total. Nietzsche notait déjà : « Que si pourtant un homme désirait être tout amour comme ce Dieu, ne rien faire, ne rien vouloir pour soi, mais tout pour les autres, cest chose déjà impossible pour la simple raison quil est obligé de faire énormément pour soi sil veut pouvoir faire tant soit peu pour autrui50 ». Après tout, si comme le dit Levinas « le donner na de sens que comme [] arracher le pain à la bouche51 », il nen reste pas moins quun être humain qui ne mange pas ne peut plus donner, et pour cause !

Mais plus profondément encore, lexemple de Weil pose la question de la pertinence dune éthique de la passivité faisant totalement abstraction du conatus. Serait-il possible de proposer une éthique de la passivité qui reconnaisse à lhomme un légitime désir doccuper une place au soleil, un appartement, un emploi que quelquun dautre naura pas ? Quant au soignant, peut-il se nourrir des signes de gratitude de ses patients, prendre du plaisir dans son activité, rire avec ses collègues ? Peut-il légitimement aspirer dans sa vie privée aux loisirs et aux vacances ? Dans un commentaire talmudique, Levinas dit que « la distraction est le Mal » car « cest parce quon peut aller au café se détendre quon supporte les 70horreurs et les injustices dun monde sans âme52 ». Jaimerais, dans cette dernière partie, argumenter pour le droit daller au café tout en tenant compte de la thèse de larchi-responsabilité.

La responsabilité infinie
et le conatus

Cest peut-être en raison de sa radicalité difficilement supportable, et pas seulement à cause de sa difficulté spéculative, que la philosophie de Levinas est souvent affadie ou édulcorée. Louverture à lAutre, le visage ou la responsabilité servent alors de mots-clés passe-partout signifiant, en gros, limportance de se préoccuper dautrui dans la mesure du possible. Hors cette porte de sortie, bien éloignée de la pensée de Levinas, deux voies soffrent pour fonder une éthique intégrant le conatus.

Premièrement, on peut nier purement et simplement lidée dune responsabilité pré-originaire et fonder léthique exclusivement sur le conatus. Une telle approche concevrait la responsabilité uniquement en tant que responsabilité contractée. Toutes les limitations imposées à la liberté individuelle découleraient de la nécessité de la faire cohabiter avec celle des autres. Cest le propre du contractualisme de type hobbésien, où la nécessité des lois repose sur le besoin individuel dassistance et de protection. La limitation du conatus serait ainsi justifiée en dernière instance par le conatus lui-même. Comme le résume Catherine Chalier à propos de Hobbes : « Lorigine de la paix entre les hommes – paix qui se fonde sur le renoncement à lillimité du désir de puissance et qui sarrime à une négociation intéressée – ne se compromettrait en rien avec le souci du bien commun, encore moins avec la générosité ou la préoccupation envers les faibles et les offensés de ce monde, elle viendrait de lévidence que seule la cessation de la violence a chance de préserver les intérêts de chacun, dassurer la conservation des uns et des autres, des uns face aux 71autres53 ». Mais réduire la responsabilité à celle prise lors dun contrat, réel ou imaginaire, qui satisfait finalement mon égoïsme, nest-ce pas oublier que je me sens également responsable de personnes extérieures à tout contrat que jaurais pu passer, létranger, linconnu ? Nest-ce pas nier également que mon sentiment de responsabilité est asymétrique, cest-à-dire quil sapplique même aux personnes qui nassumeraient pas la même responsabilité à mon égard ? Enfin, ne doit-on pas reconnaître que la responsabilité nest pas constituée subjectivement, mais est découverte bien plutôt comme étant toujours déjà présente ?

La deuxième voie consisterait à reconnaître lexistence de la responsabilité au sens de Levinas mais à limiter son étendue et sa radicalité. Cependant, on peut sinterroger sur la validité de cette limitation. Levinas la qualifie dhypocrite54. De fait, selon quel critère pourrait-on exclure une part de lhumanité des personnes de qui jai à répondre ? Sans aller forcément jusquà étendre la responsabilité levinassienne au monde animal comme le propose Corine Pelluchon55, il semble impossible de dire quil y aurait certains êtres humains dont la souffrance ne remettrait pas en cause dune manière ou dune autre mon droit à jouir de la vie. Je ne partage pas la critique de Raphaël Lellouche, pour qui « la passivité originaire et hyperbolique de Levinas est un mythe qui na aucun fondement phénoménologique56 ». Il me semble au contraire – et cest bien là tout le problème – que cette affirmation est phénoménologiquement correcte. Limpossibilité de concilier la responsabilité infinie avec le conatus ne doit pas conduire à nier le caractère infini de la responsabilité, ni son ancrage au plus profond de la subjectivité humaine.

Lécrivain Emmanuel Carrère exprime bien lembarras devant les injonctions contradictoires de la responsabilité et du conatus. Carrère parle de son appartement « dans le Xe arrondissement, dont la population se partage entre Arabes et Pakistanais qui tiennent dindustrieux petits commerces, Kurdes et Afghans qui zonent autour de la gare du Nord en espérant passer en Angleterre, marginaux et clochards de nationalités diverses qui pissent contre les murs, enfin bobos comme nous ». 72Carrère poursuit : « Si demain un décret mordonnait de noccuper avec ma famille quune pièce de ce bel appartement et de céder les autres à ces hordes de Kurdes ou dAfghans qui campent dans la rue, quatre étages plus bas, je trouverais ça éminemment désagréable, je chercherais à men aller et à morganiser ailleurs, si cest encore possible, une vie conforme à mes goûts, mais je narriverais pas à considérer la mesure qui me lèse comme injuste57. » Cette position, qui semble à première vue dune parfaite mauvaise foi, exprime bien, au fond, la situation de tout individu face aux deux exigences contradictoires. Quand bien même nous ne trouverions pas injuste quon nous exproprie pour accueillir des migrants, car nous nous sentons responsables à leur égard, nous nous sentons néanmoins incapables de leur sacrifier volontairement (en tout cas pas totalement) notre bien-être. Sur cette base, ne pourrait-on pas dire quil est aussi arbitraire dexclure le conatus de la constitution fondamentale du sujet que den exclure la responsabilité ? En toute rigueur descriptive, ne devrait-on pas reconnaître un caractère fondamental au conatus ? Son exclusion chez Levinas me semble questionnable.

Levinas se livre à une analyse remarquable de la jouissance, fondée comme souvent sur une réinterprétation de Heidegger. Les objets que nous rencontrons ne sont pas primairement des étants maniables (Zuhandene), intégrés à un ensemble doutils manipulables par le sujet comme le disait Heidegger, ni encore des étants présents (Vorhandene) auxquels le sujet se rapporte comme à des objets de connaissance, mais ils sont avant tout des nourritures58. Ces nourritures sont la finalité de laction : lhomme vit en tant quil les consomme. Celles-ci ne sont donc pas le moyen, mais la fin du vivre. « Quand on respire une fleur, cest à lodeur que se limite la finalité de lacte. Se promener, cest prendre lair, non pour la santé, mais pour lair59 ». La vie ne consiste pas à « rechercher et à consumer les carburants fournis par la respiration et la nourriture », mais à se complaire dans ses propres besoins. Lanalyse de la jouissance chez Levinas se construit ainsi en contrepoint de lanalyse du rapport aux Zuhandene chez Heidegger. Mais là où la phénoménologie heideggérienne 73intègre à la structure du souci (Sorge) le rapport du Dasein aux étants maniables, la phénoménologie levinassienne disqualifie au contraire la jouissance et lui ôte dune certaine manière son caractère de structure fondamentale du sujet. La morale des « nourritures terrestres » est pour Levinas une « première morale » quil sagit de dépasser60. Comment se justifie cette exclusion ?

La position de Levinas sur la jouissance doit être comprise à partir de la réflexion de Totalité et Infini, qui présente la guerre comme la conséquence irrémédiable de la logique des conatus. À cela est lié le fait que Levinas pense la valeur éthique de la jouissance toujours négativement. La jouissance vaut toujours en tant que sacrifiée. Elle est ce à quoi on renonce quand on se donne à lautre, elle est ce qui est nié dans labnégation. « Le donner na de sens que comme arracher à soi malgré soi à la complaisance en soi de la jouissance ; arracher le pain à la bouche. Seul un sujet qui mange peut être pour-lautre ou signifier61 ». Mais cette exclusion du conatus de la structure fondamentale du sujet me paraît davantage morale que phénoménologique. La posture descriptive qui autorise Levinas à penser une responsabilité illimitée sans la modérer par des considérations pratiques devrait aussi le conduire à intégrer la jouissance à la structure fondamentale du sujet, peu importe limmoralité concrète possible du conatus. La position la plus libre de préjugés est peut-être dadmettre que lhomme est pris demblée entre deux commandements inconciliables. De dire, dans le style dune antithèse héraclitéenne62, que nous sommes infiniment responsables et nous ne le sommes pas.

Naturellement, concevoir léthique fondamentale comme essentiellement contradictoire nempêche pas de dire quune éthique pratique des vertus peut, elle, chercher la cohérence, en faisant les nécessaires compromis entre les injonctions du conatus et de la responsabilité. Signifierait-elle un affadissement de la responsabilité infinie, une trahison de ses exigences ? Certainement, mais on peut trouver chez Levinas lui-même 74les modalités de cette nécessaire trahison, lui qui a admis la possibilité de « comparer lincomparable63 » pour répondre à lexigence de justice. En décrivant lirruption du tiers, Levinas a déjà ouvert la porte à un calcul qui mautorise à priver autrui de ce qui lui reviendrait de plein droit (en loccurrence un sacrifice total de ma part). La trahison de ma responsabilité illimitée pour une personne ne se fait bien sûr ici quau nom de ma responsabilité illimitée pour dautres personnes. Le calcul ne remet pas en cause le sacrifice de moi-même, il ne fait que préciser la manière dont ce sacrifice doit avoir lieu. Mais il doit être aussi possible, au plan dune éthique pratique, dintégrer à ce calcul laspiration individuelle à la joie dêtre.

Léthique levinassienne propose donc au soignant une alternative au principe dautonomie. Cest une éthique hétéronome : elle met en évidence la passivité du malade confronté à la souffrance et la passivité du soignant face à lexigence éthique. Pour Levinas, lacte véritablement éthique nest pas le résultat dune libre décision, encore moins dun contrat, il est la réponse à un appel, lobéissance à un commandement. À condition dêtre rempli dattention, comme le dit Simone Weil, le soignant se dépouille de sa propre volonté : il nagit pas pour un but mais par la force de la situation éthique, presque « malgré lui ». En cela, on peut dire quil se fait esclave ou otage dautrui. Il est toutefois dangereux daffirmer que léthique se borne à constater cette responsabilité infinie et cette abdication de la liberté. La tâche de léthique semble bien plutôt de concilier lattention à autrui et lattention à soi-même, darticuler la responsabilité pour autrui au conatus individuel. La philosophie de Levinas ne peut donc pas être importée dans le milieu médical sans discernement. Léthique des soins doit à tout prix éviter dexiger lautosacrifice du soignant et valoriser lattention à ses propres besoins et limites.

Pierre-Yves Meyer

Université de Fribourg (Suisse)

1 Emmanuel Levinas, Totalité et infini. Essai sur lextériorité (1961), La Haye, Martinus Nijhoff, 1965, p. 57.

2 Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, Paris, Plon, 1948, p. 53.

3 Emmanuel Levinas, « La souffrance inutile », Entre nous : essais sur le penser-à-lautre, Paris, Grasset, 1991, p. 107-119, ici p. 109-110.

4 Emmanuel Levinas, « Préface » à Hors Sujet, Montpellier, Fata Morgana, 1987, p. 9-12, p. 12.

5 Corine Pelluchon, LAutonomie brisée. Bioéthique et philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, p. 172.

6 Ibid.

7 Emmanuel Levinas, Totalité et infini, op. cit., p. 56.

8 Emmanuel Levinas, Autrement quêtre ou au-delà de lessence, La Haye, Martinus Nijhoff, 1974, p. 12-13.

9 Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince (1943)Paris, Gallimard, Pléiade, 1959, p. 476 : « Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose… – Je suis responsable de ma rose… répéta le petit prince, afin de se souvenir. »

10 Alain Renaut, « Levinas et Kant », dans Jean-Luc Marion (éd.), Emmanuel Levinas, Positivité et transcendance, suivi de Levinas et la phénoménologie, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, p. 89-104, p. 103.

11 « [Le principe dautonomie] diminuera inévitablement le sentiment dobligation que les autres peuvent nourrir à notre égard, et atténuera notre sentiment dobligation à légard des autres. », Daniel Callahan, « Autonomy : A Moral Good, Not a Moral Obsession », The Hastings Center Report, 1984 (14), nr. 5, p. 40-42, ici p. 41 [« [The principle of autonomy] will inevitably diminish the sense of obligation that others may feel toward us, and shrivel our sense of obligation toward others. »].

12 Voir Michel Delbrouck, Le Burn-out du soignant. Le syndrome dépuisement professionnel, Bruxelles, De Boeck, 2003, p. 48.

13 Emmanuel Levinas, Éthique et infini, Paris, Fayard, 1982, p. 95-96.

14 Raphaël Lellouche, Difficile Levinas : peut-on ne pas être levinassien ?, Paris, Éditions de lÉclat, 2006, p. 95.

15 Cest en ce sens quon peut parler à juste titre chez Levinas dun « transcendantalisme éthique ». Voir à ce sujet Michel Vanni LImpatience des réponses : léthique dEmmanuel Levinas au risque de son inscription pratique, Paris, Édition CNRS, 2004, p. 78-81.

16 « Cest un “Après vous, Monsieur !” originel que jai essayé de décrire. » (Emmanuel Levinas, Éthique et infini, op. cit., p. 94).

17 Emmanuel Levinas, Autrement quêtre, op. cit., p. 150.

18 Emmanuel Levinas, De Dieu qui vient à lidée, Paris, Vrin, 1992, p. 135.

19 Emmanuel Levinas, Éthique et infini, op. cit., p. 101.

20 Ibid., p. 101-103.

21 Martin Heidegger, Être et temps (1927), traduit par Emmanuel Martineau, Paris, Éditions Authentica, 1985, p. 111 [Sein und Zeit, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 2006, 19e édition, p. 121]. Voir à ce sujet Jean-Luc Marion, « La substitution et la sollicitude. Comment Levinas reprit Heidegger », dans Revue Pardès, numéro édité par Shmuel Trigano et Danielle Cohen-Levinas, Emmanuel Levinas et les théologies, 2007 (42), nr. 1, p. 123-141, p. 127.

22 Edmund Husserl, La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1952), traduit par Gérard Granel, Paris, Gallimard, 1976, note 1, p. 189 : « La première percée de cet a priori corrélationnel universel de lobjet dexpérience et de ses modes de donnée [] me frappa si profondément que depuis le travail de toute ma vie a été dominé par cette tâche délaboration de la priori corrélationnel. » [Die Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendantale Phänomenologie, Den Haag, Nijhoff, 1952, § 48].

23 Martin Buber, Je et Tu (1923), traduit par Geneviève Bianquis, Paris, Aubier, 1992.

24 Voir à ce sujet Agata Zielinski, Levinas : la responsabilité est sans pourquoi, Paris, Presses Universitaires de France, 2004, p. 31-39.

25 Emmanuel Levinas, Le Temps et lautre (1948), Paris, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 2011, 10e édition, p. 47-48.

26 Baruch Spinoza, Éthique (1677), III, Proposition 6, traduit par Armand Guérinot, Paris, Ivrea, 1993, p. 213.

27 Emmanuel Levinas, « La conscience non-intentionnelle », dans Id., Entre nous, op. cit., p. 148 : « Dans la passivité du non-intentionnel [] se met en question la justice même de la position dans lêtre qui saffirme avec la pensée intentionnelle [] : être comme mauvaise conscience ; être en question, mais aussi à la question, avoir à répondre [], avoir à répondre de son droit à lêtre. »

28 Emmanuel Levinas, Totalité et infini, op. cit., p. 12.

29 Emmanuel Levinas, Autrement quêtre, op. cit., p. 109.

30 Voir Alain Renaut, « Levinas et Kant », op. cit., p. 103.

31 Emmanuel Levinas, « Philosophie, Justice et Amour », Entre nous, op. cit., p. 132 : « Il est évident quil y a dans lhomme la possibilité de ne pas séveiller à lautre ; il y a la possibilité du mal. » Voir aussi Éthique et infini, op. cit., p. 103 : « Le lien avec autrui ne se noue que comme responsabilité, que celle-ci, dailleurs, soit acceptée ou refusée, que lon sache ou non comment lassumer, que lon puisse ou non faire quelque chose de concret pour autrui. »

32 Emmanuel Levinas, Autrement quêtre op. cit., p. 12-13.

33 Nathalie Maillard, La Vulnérabilité : une nouvelle catégorie morale ?, Genève, Labor et Fides, 2011, p. 341.

34 Emmanuel Levinas, « Simone Weil contre la Bible », dans Id., Difficile Liberté : essais sur le judaïsme (1976), Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, 1984, p. 189-200, p. 189-190.

35 Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, Op. cit., p. 51.

36 Ibid.

37 Ibid.

38 Ibid., p. 52.

39 Ibid., p. 51.

40 Ibid., p. 51-52.

41 Ibid., p. 50. Je souligne.

42 Ibid., p. 50 : « Il y a des cas où une chose est nécessaire du seul fait quelle est possible. Ainsi manger quand on a faim, donner à boire à un blessé mourant de soif, leau étant tout près. Ni un bandit ne sen abstiendrait ni un saint. Par analogie, discerner les cas où, bien que cela napparaisse pas aussi clairement à première vue, la possibilité implique une nécessité. Agir dans ces cas et non dans les autres. »

43 Joan Tronto, Un monde vulnérable : pour une politique du care, traduit par Hervé Maury, Paris, La Découverte, 2013, p. 147-148.

44 Viktor Von Gebsattel, « The meaning of medical practice », Theoretical Medicine, 1996 (16), nr. 1, p. 41-72, p. 67.

45 Selon loccasionalisme de Malebranche, la véritable cause efficiente de toute action humaine est Dieu, à qui lhomme ne fournit, par sa volonté, que loccasion dagir. Cette thèse permet notamment à Malebranche dexpliquer linteraction entre lâme immatérielle et les mouvements du corps. Nicolas Malebranche, XVe Eclaircissement sur la Recherche de la Vérité, dans Œuvres I, édité par Geneviève Rodis-Lewis, Paris, Gallimard, Pléiade, 1979, p. 969-1014.

46 Levinas est plus prudent à ce sujet : à la question de Philippe Nemo, « Irez-vous jusquà dire que vous navez pas le droit de vivre ? », il répond : « Je ne veux nullement enseigner que le suicide découle de lamour du prochain et de la vie vraiment humaine. Je veux dire quune vie vraiment humaine ne peut rester vie satisfaite dans son égalité à lêtre, vie de quiétude, quelle séveille à lautre [] que lêtre nest jamais sa propre raison dêtre, que le fameux conatus essendi nest pas la source de tout droit et de tout sens. », Éthique et infini, Op. cit., p. 131-132.

47 Voir Tanya Loughead, « Two Slices from the Same Loaf ? Weil and Levinas on the Demand of Social Justice », Ethical Perspectives : Journal of the European Ethics Network, 2007 (14), nr. 2, p. 117-138, ici p. 118.

48 Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, op. cit., p. 29.

49 Ibid. p. 36.

50 Friedrich Nietzsche, Humain trop humain : un livre pour les esprits libres (1878), traduit par Robert Rovini, vol. 1 des Œuvres philosophiques complètes, Giorgio Colli et Mazzino Montinari (éd.), Paris, Gallimard, 1968, p. 108.

51 Emmanuel Levinas, Autrement quêtre, Op. cit., p. 93.

52 Emmanuel Levinas, Du sacré au saint. Cinq nouvelles lectures talmudiques, Paris, Minuit, 1977, p. 41-42. Levinas écrit encore : « Le café nest pas un lieu, cest un non-lieu pour une non-société, pour une société sans solidarité, sans lendemain, sans engagement, sans intérêts communs, société du jeu. »

53 Catherine Chalier, La Persévérance du mal, Paris, Cerf, 1987, p. 69.

54 Emmanuel Levinas, Éthique et infini, Op. cit., p. 112 : « À aucun moment, personne ne peut dire : jai fait tout mon devoir. Sauf lhypocrite… »

55 Voir Corine Pelluchon, « Levinas et léthique médicale », Cahiers dÉtudes Levinassiennes, 2010 (9), p. 239-256, p. 254.

56 Raphaël Lellouche, Difficile Levinas, Op. cit., p. 83.

57 Emmanuel Carrère, Il est avantageux davoir où aller, Paris, P.O.L., 2016, p. 426-427.

58 Emmanuel Levinas, Le Temps et lautre, Op. cit., p. 45 : « Ce qui semble avoir échappé à Heidegger – sil est vrai toutefois que quelque chose ait pu échapper à Heidegger en ces matières – cest quavant dêtre un système doutils, le monde est un ensemble de nourritures ».

59 Ibid., p. 45-46.

60 Emmanuel Levinas, Le Temps et lautre, Op. cit., p. 46.

61 Emmanuel Levinas, Autrement quêtre, Pp. cit., p. 93.

62 Héraclite, fragment 32 (numérotation Diels-Kranz), traduit par Marcel Conche, Paris, Presses Universitaires de France, 1986, p. 243 : « LUn, le Sage, ne veut pas et veut être appelé seulement du nom de Zeus. ». Fragment 49a (Diels-Kranz), ibid., p. 455 : « Nous entrons et nous nentrons pas dans les mêmes fleuves ; nous sommes et nous ne sommes pas ».

63 Emmanuel Levinas, Éthique et infini, op. cit., p. 95.