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Classiques Garnier

Le perfectionnisme moral bachelardien

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Éthique, politique, religions
    2018 – 2, n° 13
    . Imaginaire et praxis. Autour de Gaston Bachelard
  • Auteur : Lamy (Julien)
  • Résumé : Cette étude propose une lecture perfectionniste de Gaston Bachelard, cherchant à articuler la « vie bonne », comprise comme « promotion d’existence », avec la pratique d’exercices permettant une transformation concrète de l’individu, dans l’horizon d’un pluralisme cohérent des modes d’existence.
  • Pages : 37 à 63
  • Revue : Éthique, politique, religions
  • Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN : 9782406091295
  • ISBN : 978-2-406-09129-5
  • ISSN : 2271-7234
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09129-5.p.0037
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 23/04/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Pluralisme, éthique, rationalisme, imaginaire, anthropologie philosophique
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Le perfectionnisme moral bachelardien

Pensée et poésie nouvelles réclament une rupture et une conversion. La vie doit vouloir la pensée. Aucune valeur nest spécifiquement humaine si elle nest pas le résultat dun renoncement et dune conversion. Une valeur spécifiquement humaine est toujours une valeur naturelle convertie.

Gaston Bachelard1

Je défendrai ici une lecture perfectionniste de léthique bachelardienne, visant à articuler la possibilité de la vie bonne, comprise comme promotion dexistence, avec la pratique dexercices de soi permettant une transformation lindividu. Il sagit dexaminer la polyéthique bachelardienne sous langle du perfectionnement de soi en reconstituant, à partir de textes collectés dans lensemble de lœuvre, la frange perfectionniste du profil éthique de Bachelard.

Jinsiste ici, afin de pointer une difficulté, sur le fait que Bachelard ne développe pas une théorie éthique générale. Les incursions quil se risque à faire dans lorbite de questions qui abordent à léthique et aux valeurs ne font pas système. Cest de manière indirecte et elliptique, par une stratégie du détour, à loccasion de ses réflexions sur la science, la poésie, la culture, les valeurs, lexistence et le temps, que Bachelard dessine les concours dune éthique possible, dont la dimension perfectionniste me semble une occasion féconde pour penser une éthique adéquate pour notre temps.

Je travaillerai ainsi à expliciter le sens, les présupposés et les implications de certaines préoccupations éthiques constantes chez Bachelard, 38revenant au fil des ouvrages, la plupart du temps implicitement, parfois explicitement, à loccasion de développements que je qualifierais dextra – ou infra-moraux. Pour caractériser ces préoccupations éthiques disséminées dans lœuvre, je propose de les subsumer sous lidée dun intérêt existentiel, au sens où Kant parlait des intérêts de la raison et de ce qui met en jeu la destination de lhomme – intérêts qui sont prégnants chez Bachelard, dans le cadre de ses spéculations sur les manières pour lhomme de déployer son existence. On pourrait aller jusquà parler dun existentialisme problématique, sous-jacent à son perfectionnisme moral, qui interroge les modes dexistence de lhomme, et principalement deux : la connaissance rationnelle et la rêverie poétique, dont Bachelard affirme quils constituent « les deux pôles de la vie2 ». Je montrerai que lélucidation de leur spécificité implique un positionnement critique vis-à-vis de lexistence commune et de la vie quotidienne. On doit ajouter ici que cet existentialisme problématique est confronté au problème de larticulation, dans le tissu temporel de la vie, des modes dexistence de lindividu, celui que Bachelard appelle l« homme de vingt-quatre heures3 ». Il y a là un problème existentiel dans la mesure où nous vivons dans des temps multiples, que Bachelard dit parfois « superposés », ce qui implique un risque de dispersion, en raison de la contingence et de loccasionnalisme de la vie quotidienne, cette « vie morcelée, morcelante hors de nous et en nous4 ». Bachelard sest très tôt intéressé à la question de savoir comment (bien) rythmer nos existences, au problème des manières dharmoniser les diversités temporelles constitutives dune vie humaine. Il y aurait ainsi à prolonger la présente enquête dans la perspective dune sagesse pratique, dune éthique incarnée, dune pratique concrète de la vie bonne, ce qui répondrait au vœu dun Montaigne délucider notre « métier dhomme ». Comme le disait en effet celui-ci au livre II des Essais, manifestant un souci de la vie concrète qui rappelle aussi bien Nietzsche, Emerson, Thoreau, Socrate, que les écoles antiques et certains penseurs contemporains comme Foucault, Hadot ou Cavell : « Mon métier et mon art, cest vivre ». Ces éléments de cadrage étant posés, il me faut maintenant, avant dentrer dans le détail des arguments, prendre le temps de déterminer précisément le problème qui 39sous-tend ma réflexion, ainsi que la méthode que je mettrai en œuvre pour déployer cette étude spectrale et régionale de la polyéthique bachelardienne, distribuée selon laxe du perfectionnement et des exercices de soi. Pour articuler mon propos, je propose de suivre trois axes, relativement à trois problèmes.

1. Le problème du perfectionnisme bachelardien. Peut-on identifier dans les œuvres de Bachelard, en marge du normativisme épistémologique et de leudémonisme poétique, des éléments pointant vers une conversion du sujet ? Si tel est le cas, sagit-il toujours des mêmes modalités de transformation de soi, ou faut-il distinguer différentes formes de transformation du sujet vers un état amélioré, au risque dune division du moi ?

2. Le problème des exercices de soi. Trouve-t-on dans lœuvre bachelardienne la codification dun ensemble de pratiques destinées à promouvoir une transformation du sujet, un dépassement de soi ? Bachelard propose-t-il des techniques pour saméliorer soi-même ? Si tel est le cas, sagit-il des mêmes exercices pour le moi rationnel et pour le moi poétique ?

3. Le problème de la disposition à bien agir. À partir du moment où lon insiste sur la pratique effective dans la compréhension de lagir, ne faut-il pas procéder à lélucidation des conditions de possibilité de lagir moral ? Quels sont les mécanismes et les ressorts de la mobilisation des énergies morales du sujet ?

Bachelard à la lumière du perfectionnisme moral

Dans la période contemporaine, la question se pose souvent de savoir sil faut distinguer la morale et léthique. Cette distinction, classique depuis Ricœur, vise à mettre en évidence que malgré lunité étymologique des deux mots, liés à lidée des mœurs :

On peut toutefois discerner une nuance, selon que lon met laccent sur ce qui est estimé bon ou sur ce qui simpose comme obligatoire5.

40

Il sagit de réserver le souci de la vie bonne pour léthique, et le respect des normes pour la morale, tout en considérant, comme le dit Ricœur, que ces deux aspects sont indissociables. Je ne suivrai pas cette distinction terminologique. Mon propos nest pas de disqualifier la distinction du souci éthique et de lobligation morale, car il sagit de deux modalités différentes de lagir. Je considère seulement quelle nest pas déterminante6, et que ce qui importe est de distinguer le souci de bien agir de la détermination des normes de laction, sans se focaliser sur une terminologie rigide. La chose importe plus que le nom. Cest pourquoi jutiliserai les termes d« éthique » et de « morale » comme équivalents. Ici, je mettrai laccent sur la recherche du bien agir et du bien vivre dans lœuvre bachelardienne, sans oublier quil faudrait prendre en considération, pour être complet, la dimension des principes et des normes, notamment dans lépistémologie, où Bachelard présente le normativisme comme lune des caractéristiques essentielles de la pensée scientifique7. Notons que cet aspect normatif de la philosophie des sciences de Bachelard a été souligné par Michel Serres, qui insiste sur la dimension moralisatrice du discours bachelardien, en sappuyant sur une lecture brillante mais partielle de La formation de lesprit scientifique. La normativité épistémique est certes une dimension centrale de lapproche bachelardienne de lactivité humaine. Néanmoins, cet aspect-là ne constitue pas le tout, ni le dernier mot, de léthique de la science chez Bachelard. Il suffit de lire lensemble du Rationalisme appliqué pour voir apparaître aussi lexaltation eudémonique des joies de la connaissance (notamment dans la conclusion), ainsi que lidée quil ne suffit pas dappliquer des normes méthodologiques pour faire de la science : remettre en question les règles et les méthodes est une condition tout aussi nécessaire du progrès des connaissances. De plus, la thèse défendue par Michel Serres est discutable dans la mesure où lon peut tout aussi bien considérer comme centrales, dans le livre en question, les analyses consacrées à la « catharsis intellectuelle et affective », qui vont dans le sens dune transformation du sujet connaissant. Il sagit dapprendre à penser autrement, et à faire un meilleur usage de 41nos facultés intellectuelles. La psychanalyse de la connaissance, loin de se réduire à un discours austère, répressif et disciplinaire, est le vecteur dune transformation de soi – Bachelard parle de conversion des intérêts immédiats en intérêts de connaissance – dont la finalité est de promouvoir la culture de soi, comprise comme augmentation de notre puissance de comprendre. Lacquisition de la connaissance scientifique donne accès à une compréhension de seconde position, dont la connaissance commune est privée. On peut en ce sens considérer quil y a une promotion du sujet dans lacte de comprendre, dont il est nécessaire de clarifier les modalités, étant donné que la connaissance objective suppose par ailleurs une désubjectivation de soi.

À ce stade de la réflexion, je ferai trois remarques.

1. Premièrement, je souligne que linsistance de Bachelard sur la culture de soi, sur le besoin de progrès qui anime tout psychisme humain, invalide la cristallisation de son discours sur des formes de moralisme et de rigorisme normatif, en mettant au cœur de la construction du sujet épistémique la promotion dun meilleur soi, louverture sur un avenir de progrès. La personnalité culturelle doit conjuguer, selon Bachelard, la liberté de culture et la responsabilité de la surveillance, pour rendre possible lévolution vers un état de plus grande perfection, par lintériorisation des normes qui induisent cette progression8.

2. Deuxièmement, il faut rappeler que dans un passage du Rationalisme appliqué9 Bachelard suggère la possibilité dune compréhension renouvelée de la « conscience morale », sans pour autant développer son propos. Engageant un dialogue critique avec Freud sur la question de la surveillance de soi, de la censure personnelle et du surmoi culturel, Bachelard récuse linterprétation exclusivement punitive et répressive de la conscience morale, telle quelle est proposée dans la psychanalyse freudienne, qui cède selon lui à une confusion entre la « conscience-bourreau » et la « conscience-juge » :

Il a échappé à Freud que la conscience morale normale était en même temps conscience de faute et conscience de pardon. La conscience morale prise dans 42son action de culture de soi est un juge, une juge qui sait condamner mais qui a le sens du sursis10.

Il nest donc pas simplement question, avec la conscience morale, de punir et de censurer. Il sagit également, dans une dimension de la conscience morale dont Bachelard prend la peine de souligner quelle est « normale », de coupler la surveillance de soi avec une dynamique de progrès, le jugement avec lencouragement. Je ne développerai pas plus avant cette référence ponctuelle à la vertu dynamisante de la conscience morale. Je me contenterai de souligner que cette notion a été peu aperçue par les bachelardiens, y compris à loccasion du colloque de Cerisy de 2012, consacré pourtant à léthique chez Bachelard, alors quelle implique une entente particulière de léthique. Celle-ci engage dans une réflexion sur lexpérience morale personnelle, vécue en première personne, à rebours de la tendance de la philosophie morale contemporaine, qui se concentre en général sur les concepts, les principes et les intuitions qui interviennent dans nos raisonnements moraux, ou la justification morale de nos conduites. On trouve chez Bachelard une troisième voie, qui nabandonne pas la morale à la relativité des représentations subjectives, ni à limpersonnalité de la clarification conceptuelle, mais qui cherche à élucider les modalités dune dimension fondamentale de lexistence humaine, que lon pourrait désigner avec Gusdorf par le concept d« existence morale11 ». Il sagit, avec ce souci de la vie éthique concrète, cet intérêt pour une expérience morale incarnée, dun aspect trop minoré dans la pensée morale daujourdhui. Une telle perspective nest pas sans rappeler les idées développées par Hannah Arendt dans Jugement et responsabilité12, selon lesquelles la morale doit se comprendre comme une affaire personnelle, une question qui mobilise une conscience individuelle, pas seulement comme une question abstraite, appelant une clarification théorique des concepts et des principes moraux. Il sagit de deux modalités complémentaires de lélucidation philosophique de la question morale : lune qui sattache à la théorie objective de la morale (point de vue en 3e personne), et lautre soucieuse de lexpérience 43subjective de la vie morale (point de vue en 1e personne). Or je pense que les analyses bachelardiennes donnent des éléments de réflexion pertinents sur cette question de lexpérience morale comme affaire personnelle, au sens où Bouveresse utilise cette formule à propos de Wittgenstein :

Non pas un problème que chacun peut résoudre selon des normes personnelles, mais un problème posé à une personne13.

Dans cette perspective, on insiste sur lengagement du sujet éthique dans des situations concrètes, dans lesquelles il doit agir en tant que personne, personne à laquelle la conduite à tenir apparaît comme problématique.

3. Finalement, je soulignerai que Bachelard met lui-même en avant la qualification de « normale » à propos de la conscience morale. On peut y voir la volonté de maintenir un double aspect irréductible de la conscience morale, une bipolarité qui permet déviter deux options excessives, insatisfaisantes quand elles sont exclusives : la monomanie disciplinaire et répressive (rigorisme moral) ou le désir hédoniste dune liberté irresponsable (laxisme moral).

Mais quel lien peut-on faire ici entre laccent mis sur lexpérience morale, le besoin de progrès inscrit dans la nature du sujet humain, et la tradition du perfectionnisme moral ? Je chercherai à montrer que la tradition du perfectionnisme moral permet de situer Bachelard au sein des débats moraux contemporains (dimension historique), mais aussi de voir dans quelle mesure il est possible de concilier les deux aspects de la norme prescriptive et du souci de bien faire (dimension analytique), à condition de pouvoir tenir ensemble laspect régulateur de la norme, et le dynamisme de progrès impliqué par lidéal perfectionnement de soi.

Commençons par rappeler ce qui caractérise la visée de la vie bonne dans le cadre du perfectionnisme. Selon Sandra Laugier14, cette tradition de pensée, dont la filiation nest pas aussi lisible que pour le déontologisme (Kant) ou lutilitarisme (Hume, Mill), a connu une mésestime, voire une disqualification, en raison de son caractère apparemment « infra-moral », mais aussi en raison de ses formes dégradées dans la culture populaire 44contemporaine, notamment avec le « développement personnel ». Voici ce que dit notamment Sandra Laugier dans lintroduction de louvrage :

Le perfectionnisme est une philosophie morale dautant plus méconnue que chacun pense en avoir quelque idée : léthique du perfectionnement de soi, de la recherche de la vie bonne et de lexemplarité semble davantage être un arrière-plan de toute recherche morale quune philosophie donnée. [] Il ne sagit pas dune théorie morale à proprement parler, mais dune accentuation, dun recentrage de la morale sur « ce qui nous importe », sur la nécessité dune transformation de soi, avant laction dans le monde15.

On comprend ici pour quelles raisons le perfectionnisme peut donner limpression de manquer de consistance logique ou de clarté conceptuelle, au regard des traditions dominantes, qui engagent une discussion rationnelle rigoureuse, sur la base de positions déterminées. Par ailleurs, il nest pas prioritairement question de la délibération ou de la justification de nos actions avec le perfectionnisme, ce qui en fait une approche hétérodoxe au sein de la philosophie morale. Il sagit plutôt de se réaliser comme personne, de saméliorer soi-même, de veiller à se mettre dans certaines dispositions. Dune certaine façon, on peut dire que le perfectionnisme nous propose un « pas en arrière », une autre façon de poser le problème moral, en donnant la priorité à lexamen préalable de soi-même (on retrouve la figure du Socrate de lApologie), en portant une attention particulière à la manière dêtre des individus. Cest pourquoi il est difficile de le définir de manière univoque. Comme le souligne Stanley Cavell16, le perfectionnisme doit se comprendre « comme une perspective ou dimension de pensée, incarnée et développée dans une série de textes », parmi lesquels on peut compter Platon, Aristote, Montaigne, Pascal, Nietzsche, Emerson, Thoreau, et même certains textes de Kant ou de Mill ! Il faudrait voir dans le perfectionnisme une attitude plus quune doctrine, une certaine manière de se sentir concerné par nos choix et par nos conduites, qui est articulée autour de trois conditions minimales : i) la volonté de se transformer soi-même ; ii) en raison dune insatisfaction vis-à-vis de létat actuel du moi ; iii) afin datteindre à état de plus grande perfection de soi. Pour Cavell, lun 45des aspects typiques de lattitude perfectionniste est de confronter la façon dont nous sommes à la façon dont nous pourrions être, et den appeler ainsi à une conversion du sujet, qui sexprime comme processus déducation de soi.

Dans quelle mesure peut-on appliquer un tel schème de pensée à Bachelard ? Si le mot nest pas présent sous la plume bachelardienne, la chose y est pourtant identifiable, selon les axes de la connaissance et de la rêverie, où se jouent des modalités différentes de la promotion (ou majoration) dexistence.

En ce qui concerne le sujet épistémique, les textes abondent. Il suffit de lire La formation de lesprit scientifique (1937), Le nouvel esprit scientifique (1934) ou encore La philosophie du non (1940), pour saisir que Bachelard envisage lacquisition des connaissances scientifiques et la production de nouvelles connaissances comme des occasions de modification spirituelle, ce quil désigne par les termes de « mutation » ou de « révolution » de lesprit scientifique. Il faut rappeler ici lun des axiomes de lépistémologie bachelardienne, relatif à linsuffisance de lexpérience immédiate, et des intuitions premières, qui sont toujours imprégnées daffects et dintérêt pragmatiques. Dans cette perspective, loin de considérer la connaissance comme une simple acquisition dinformations, Bachelard na de cesse de souligner que le sujet doit modifier sa manière dêtre au monde, rectifier sa façon de penser. Cest la thématique de la psychanalyse de la connaissance objective, comprise comme catharsis intellectuelle et affective permettant au sujet de se détourner de lui-même, pour penser adéquatement le phénomène. Une conversion épistémique est ainsi en jeu, visant à « réaliser la conversion rationaliste du sujet17 ». Il sagit de rompre avec la connaissance commune (empirisme et réalisme = 1e position) pour accéder à une forme plus adéquate de connaissance (émergence de rationalité = 2e position). Or, si lon se réfère aux analyses de la notion de conversion proposées par Foucault18 et Hadot19, on peut identifier ici un premier sens de la conversion, renvoyant au grec metanoia, désignant une rupture avec les attitudes habituelles du moi, dans une forme de renoncent au soi immédiat. Il me semble que cet aspect-là 46est incontestablement présent dans lépistémologie bachelardienne, par la compréhension quelle propose de lesprit scientifique, étant donné que celui-ci, « sous sa forme évoluée, dans son activité vraiment assumée, est une seconde nature20 ». Bachelard souligne même ailleurs que le changement interne qui sopère dans lindividu, quand il devient un « homme studieux », est une « promotion dêtre21 ». Pour marquer des nuances avec la thématique de la conversion dans les sagesses antiques, au-delà du dénominateur commun de la rupture avec lexistence immédiate et lexpérience ordinaire, jinsiste sur le fait que chez Bachelard la conversion épistémologique ne conduit pas à une transformation intégrale ou définitive de lêtre individuel ; mais aussi quelle népuise pas lensemble des potentialités du sujet humain, dans la mesure où il faut tenir compte aussi de la conversion poétique.

Mais de quelle nature est cette conversion ? Est-elle du même type que celle engagée par la vie scientifique ? On doit souligner demblée que se joue aussi, du côté de la rêverie poétique et de lexpérience onirique, une démarcation avec lexistence commune. Cest une orientation connue de lœuvre bachelardienne, qui consiste à opposer à la fonction du réel, marquée par l« adaptation dun esprit à des valeurs sociales22 », une fonction de lirréel, qui permet de « bien rêver, de rêver en restant fidèle à lonirisme des archétypes qui sont enracinés dans linconscient humain23 ». On pourrait sans doute parler en ce sens, sans pour autant mélanger les genres, dune rupture poétique, qui serait isomorphe à la rupture épistémologique, tant Bachelard insiste sur le fait quil ny a pas solution de continuité entre ce qui est perçu dans le cadre de lexpérience immédiate et ce qui est imaginé dans le cadre de lexpérience onirique. Il sagit alors de se libérer, par la rêverie, de « toutes les préoccupations qui encombraient la vie quotidienne24 », de lensemble des soucis qui marquent lexistence ordinaire du sceau de la fonction du réel, de ladaptation au monde tel quil est, de lexpérience de la contrainte sociale, et de la dispersion de soi. Or si lon fait correspondre à cette idée la proposition selon laquelle limagination poétique implique aussi, dans son champ 47propre, que l« on doit définir un homme par lensemble des tendances qui le poussent à dépasser lhumaine condition25 », et la double thèse selon laquelle limagination est la « faculté de nous libérer des images premières26 », quelle « invente de la vie nouvelle, [] de lesprit nouveau27 », alors il ne fait aucun doute que lexpérience poétique, quand elle implique une participation active du rêveur aux images et au langage, détermine une autre ligne de transformation du sujet, comprise là encore comme promotion dexistence. Car il ne sagit pas simplement de rêver, mais surtout de bien rêver. Néanmoins, si conversion il y a ici, ce nest plus au même sens que dans lexpérience épistémique. En effet, loin de rompre avec soi, Bachelard nous invite au contraire à retrouver une sorte de fidélité à soi, qui ne paraît possible que dans le cadre de la solitude rêveuse, ou de la méditation solitaire :

La solitude est nécessaire pour nous détacher des rythmes occasionnels. En nous mettant en face de nous-mêmes, la solitude nous conduit à parler avec nous-mêmes28.

Bien que Bachelard ne se prononce pas clairement sur ce point, tout laisse à penser quil est question pour chacun de trouver son régime personnel de rêverie poétique, de bien-être onirique, dans la fidélité à un élément matériel privilégié, mais aussi aux archétypes, qui constituent le patrimoine onirique commun de lhumanité. Autrement dit, la conversion poétique est sensée permettre « de suivre, dans son plein essor, le fantôme réel de notre nature imaginaire, qui, sil dominait notre vie, nous rendrait la vérité de notre être, lénergie de notre dynamisme propre29 ». On trouve là quelque chose de tout à fait original, qui reconduit la fidélité à soi-même, non pas à un moi constitué et caché au fond de lintériorité personnelle, mais à un certain rapport du sujet avec une forme idéalisée du moi30, indépendant de la vie ordinaire, mais qui 48dynamise lexistence au-delà du réel existant. On peut voir dans cette transformation poétique la deuxième forme de conversion identifiée par Foucault et Hadot – nommée en grec epistrophè – et qui désigne un retour à soi, ici à un moi poétisé.

Les vertus étho-poïetiques de lexercitation

Certains développements bachelardiens vont bien dans le sens du perfectionnisme moral, en parlant dune élévation de lexistence vers un état supérieur du moi, après rupture avec les facteurs dinertie de lexpérience immédiate. Dans cette perspective, en suivant les axes de la conversion bachelardienne, comprise comme modification de la manière de penser et de rêver, on est conduit à envisager la question des moyens qui rendent possibles ce double mouvement démancipation et de réalisation de soi, le premier par dépassement de la vision naïve du réel, le second par réélaboration poético-onirique de lêtre personnel, par un double travail de désubjectivation/resubjectivation. La question se pose de savoir comment le sujet peut concrètement œuvrer à la transformation de lui-même, et réaliser ce que Foucault appelle un travail éthopoïétique31, défini comme travail dont la qualité principale est de transformer le mode dêtre du sujet. On touche ici à la question des « exercices de soi », qui se présentent comme les conditions nécessaires de la modification réelle de lêtre du sujet. Montaigne parlait d« exercitation », au chapitre vi du livre II des Essais, pour souligner que les discours et les raisonnements ne sont pas suffisants pour nous conduire vers laction, si nous ne nous formons pas nous-même comme sujet capable dagir, grâce à une pratique personnelle, par répétition de lexpérience. Cela suggère que le perfectionnement de soi ne dépend pas dun décret de la volonté, ou dun renversement de perspective dans les représentations. Cest lêtre même du sujet qui est mis en jeu, dans le sens dune épreuve existentielle, où le sujet sera modifié par sa participation à certaines activités. En sorte que lon est conduit à parler dune « expérience spirituelle » (au sens large, non pas au sens religieux). Foucault propose des analyses éclairantes sur 49la notion de spiritualité, qui permettent de lever la brume de mysticisme qui accompagne souvent ce mot, et son usage dans la culture populaire. Selon lui, la spiritualité « postule quil faut que le sujet se modifie, se transforme, se déplace, devienne, dans une certaine mesure et jusquà un certain point, autre que lui-même pour avoir accès à la vérité32 ». Alors que le moment cartésien de la modernité réduit la connaissance à des questions de méthode et de règles, sans lien direct avec lêtre du sujet, la spiritualité telle quon la trouve définie dans le cadre des philosophies antiques suppose un lien de dépendance entre lacte de connaître et la transformation de soi. Nest-ce pas ce que suggèrent la psychanalyse de la connaissance et lépistémologie de Bachelard ? Et ne peut-on pas percevoir aussi dans laccès du sujet rêvant à la vérité de son être une expérience spirituelle telle que lon vient de la définir ?

Rien ne semble sy opposer, à condition de préciser les conditions dapplication, à la pensée bachelardienne, des concepts de spiritualité et dexercices spirituels, ces derniers désignant les « pratiques destinées à transformer le moi et à lui faire atteindre un niveau supérieur33 ». Je commencerai par rappeler que, selon Hadot, il existe un rapport étroit entre le schème du perfectionnisme moral et la pratique des exercices de soi, de même que pour Foucault la transformation de lêtre du sujet est indissociable dun ensemble de pratiques concrètes, inscrites dans la matérialité de lexistence. En lieu et place du schème juridique, fondé sur lidée dévaluation normative en fonction dun ensemble de règles et de procédures, on aborde ici à un autre type dimaginaire moral, qui valorise le schème de lartiste, de lartisan, plus globalement du travailleur, sattachant à produire une œuvre par lapplication de ses efforts contre une matière, grâce au déploiement dune activité créatrice. Dans cette perspective, il ne faut pas se méprendre sur le sens à donner à la qualification de ces exercices comme étant « spirituels ». Ainsi que le remarque Arnold Davidson34, on peut extraire des études consacrées aux exercices spirituels trois critères permettant de comprendre ce quest un exercice spirituel en général, en dehors du contexte religieux : 1) un type dactivité déterminé ; 2) une dimension du soi sur laquelle sexerce cette 50activité, produisant des effets de rénovation du sujet ou de réorganisation de ses dispositions ; 3) le mode de transformation de soi et le but visé. Si lon se base sur ces critères, on voit que les deux modes de conversion identifiés chez Bachelard satisfont à ces conditions de définition, dans la mesure où ils visent à une transformation du sujet, en sappliquant à modifier un aspect particulier du moi, plus précisément dans le cas qui nous occupe sa capacité à (bien) raisonner et sa disposition à (bien) rêver. Il reste néanmoins à déterminer quels sont les types dactivité qui permettent la réalisation de ces modifications de lêtre du sujet, et quels sont les exercices envisagés ayant un effet performatif sur lindividu. Pour conclure sur la question du sens à donner à la dimension de spiritualité de la morale perfectionniste, je soulignerai que le refus dune telle notion au prétexte quelle connote des significations idéalistes douteuses dénote un manque de vigilance conceptuelle, au profit dune acception particulière du mot, qui nen épuise pourtant pas le sens philosophique. Ainsi que lindiquent les textes faisant de la dialectique un « exercice spirituel indispensable », Bachelard fait lui aussi usage, dune façon surprenante, du champ sémantique associé au mot « spirituel ». On en trouve bien des exemples. Je citerai deux cas : un passage du Rationalisme appliqué, où Bachelard parle dun « pragmatisme désigné comme un exercice spirituel anagogique, un pragmatisme qui chercherait des motifs de dépassement35 » ; mais aussi la fin du Nouvel esprit scientifique, où Bachelard parle des « mutations spirituelles » impliquées par la nouvelle science, et dun « élan spirituel ».

On doit ainsi comprendre lidée dexercice dans le sens dune pratique concrète de la transformation de soi, comme engagement actif du sujet dans une activité impliquant un travail finalisé vers un progrès de culture (ou une élévation du moi) ; et la qualification de « spirituels » comme désignant une valeur existentielle, qui met en jeu notre mode dêtre dans le monde, plus précisément une augmentation de notre puissance dexister. Cest en ce sens quHadot souligne quil na pas choisi le qualificatif « intellectuels » pour parler des exercices de soi, dans la mesure où il sagit de changer lêtre dans sa totalité, en mobilisant le corps, la sensibilité, limagination et lintellect, autrement dit la manière dêtre (ethos), pas seulement la manière de penser (logos).

51

Cependant, Bachelard use-t-il explicitement de la rhétorique de lexercice, de la pratique destinée à la modification de lêtre personnel ? Y a-t-il quelque chose qui relève, dans son discours, du conseil adressé aux autres, voire de lexhortation ? Pour répondre à cette question, je propose de commencer par une recension de quelques textes significatifs. Ils permettront de situer les exercices spirituels bachelardiens sur un spectre large, den dégager les champs dapplication et les modalités.

Dans une conférence présentée à la Société française de philosophie en 1950, devant un public de philosophes professionnels, Bachelard nous explique, au détour dune remarque, que sil avait des « conseils à donner à un psychisme fatigué », alors il lui suggèrerait de se mettre dans de bonnes dispositions pour dormir, en suscitant pour lui-même des « rêves aquatiques », pour « bien dormir36 ». Ailleurs, à propos du graveur Albert Flocon, il est question de comprendre son Traité du burin comme « un véritable recueil dexercices pour la volonté digitale », dont la méditation rêveuse excite la puissance de travail de la main37. En outre, dans la cadre de la catharsis intellectuelle et affective impliquée par la psychanalyse de la connaissance, Bachelard nous dit quune « sorte de psychanalyse, dautopsychanalyse, doit être pratiquée pour empêcher lesprit de sankyloser dans ses propres idées claires38 », et quil aimerait bien convaincre le lecteur de « pratiquer un exercice où [il est] passé maître : se moquer de soi-même39 ». Pour être complet, il faudrait prolonger lexamen du versant épistémologique par une analyse de la surveillance intellectuelle de soi dans Le rationalisme appliqué, car on peut y voir une conceptualisation rigoureuse de la pratique de lironie autocritique.

Voyons maintenant quelques exemples pris du côté poétique. On signalera, entre autres, lidée dun « bel exercice de la fonction dhabiter la maison rêvée40 », envisagé par Bachelard dans le cadre dune rêverie du voyage, ainsi que cette confidence explicite :

Je me suis exercé à ce renversement de lobjectivité en subjectivité [] En mexerçant à vivre personnellement, suivant la règle de lélémentaire 52phénoménologie, je découvrais que le langage poétique était une ouverture vers les hauteurs de la parole41.

On évoquera aussi, pour parfaire le tableau, lexhortation qui nous est faite dappliquer dans notre existence les vertus régénératrices et roboratives des rêveries vers lenfance :

Ce sont ces recherches morales qui doivent nous aider à reconstituer en nous lesprit denfance et surtout à appliquer dans notre vie complexe lesprit denfance. Dans cette “application”, il faut que lenfant qui subsiste en nous devienne vraiment le sujet de notre vie damour, le sujet de nos actes dobligation, de nos actes bons [] Nous avons tant besoin des leçons dune vie qui commence, dune âme qui sépanouit, dun esprit qui souvre42.

Afin dêtre complet, il importe de renvoyer encore aux recommandations, audacieuses bien quénigmatiques, que Bachelard nous propose sur le temps, quand il nous suggère dessayer des techniques dharmonisation des temporalités psychiques qui constituent le « tissu temporel de lâme », afin de nous libérer des durées mal faites, et des désorganisations multiples de notre rythme. Bachelard dit par exemple quil sest « exercé, par la méditation, à vider le temps vécu de son trop-plein, à sérier les divers plans des phénomènes temporels43 » ; ou encore, de façon plus explicite, à propos « de ces séances de rythmanalyse [dont il sortait] rasséréné44 », que « ces applications détaillées, dont [il a] personnellement constaté lefficacité, demandent un assez long exercice45 ». Cest dans le contexte de ces pages consacrées à la rythmanalyse dans La dialectique de la durée que nous voyons Bachelard évoquer des techniques temporelles, dont il laisse entendre quil les a personnellement testées, et qui permettent dagir sur le rythme personnel en le modifiant, par un travail associé de la respiration et de la marche, ou de se rendre endurant, dans un style proche de la fermeté dâme stoïcienne ou cynique, à la douleur physique provoquée par « un mal de dent », ou bien encore de faire un bon usage des plaisirs, par un « épicurisme profond » susceptible notamment de régler la consommation de « lambroisie » et des « divins alcools ». Sur 53le point particulier de la temporalité, il faut souligner lintérêt que Bachelard accorde à la question de lusage personnel du temps, qui donne lieu à différentes chrono-techniques, dont lobjectif est de modifier le rapport du sujet au temps, quil sagisse du temps vécu, pensé ou rêvé. Si lon se reporte au deuxième chapitre du Rationalisme appliqué, on voit que Bachelard envisage la possibilité dune « chronotechnique », censée permettre au sujet datteindre un « temps suspendu », « de se retirer du temps vécu, pour enchaîner ses pensées dans un ordre dune nouvelle temporalité46 », le temps logique de la démonstration, de lenchaînement des raisons. Il sagit de rompre avec l« auto-hypnotisme » de la vie ordinaire, pour consacrer lénergie du moi rationnel à leffort de pensée, suivre la volonté de culture et dintellectualité, ne serait-ce que le temps dune heure studieuse, car cest un moyen « de détemporaliser le travail de la pensée pour le retemporaliser et obtenir les fulgurances de la pensée rationnelle47 ». Or, bien que Bachelard ne donne pas plus de précisions sur ce point, nest-ce pas en lisant et en faisant des exercices que lon peut suspendre momentanément les contingences du cours habituel des jours, et profiter du temps suspendu de la pensée ? Toujours est-il que la notion de temps suspendu permet détablir un pont inattendu avec le champ poétique, dans la mesure où là aussi on peut identifier des techniques de « détemporalisation », revendiquées explicitement par Bachelard. Un premier exemple se trouve dans larticle consacré à la Bible de Chagall, où Bachelard nous invite à un exercice de méditation temporelle sur les images du peintre :

Gardez [le livre] ouvert à [] une page qui “vous parle”. Et vous allez être pris par une des grandes rêveries de la temporalité, vous allez connaître la rêverie des millénaires. [] Je rêve tant devant certaines planches de Chagall que je ne sais plus guère dans quel pays je suis, dans quelle profondeur des temps je me trouve enseveli. Ah ! que mimporte lhistoire puisque le passé est présent, puisquun passé qui nest pas le mien vient senraciner en mon âme et de me donner des rêves sans fin. Le passé de la Bible est une épopée de moralité. La profondeur des temps est redoublée en une profondeur des valeurs morales. [] Tous les visages réunis dans le livre de Chagall sont des caractères. En les contemplant on est pris dans une grande rêverie de moralité. À entrer dans ces rêveries de moralité, nous dépassons lhistoire, nous dépassons la psychologie. Les êtres présentés par Chagall sont des êtres 54moraux, des exemplaires de vie morale. Le destin moral de lhomme trouve ici ses grands promoteurs. Près deux, nous devons prendre une leçon dénergie destinale, avec eux nous pouvons plus courageusement accepter notre destin. Ainsi une rêverie immémoriale nous donne des impressions de permanence. Ces ancêtres de la moralité, ils demeurent en nous-mêmes. Le temps ne les a pas usés. Ils sont immobilisés par leur grandeur. Les petites vagues de la temporalité sapaisent autour du souvenir de tels ancêtres de la vie morale48.

On reviendra sur lidée d« exemplaires de vie morale », sur la perspective ouverte par la « rêverie de moralité ». Pour linstant, retenons que la rêverie provoquée par la méditation des images rend possible une expérience de « détemporalisation », de suspension du temps. Cest une idée-force que répétera Bachelard : la rêverie poétique permet dabolir les limitations de notre existence réelle, située hinc et nunc, en nous emportant vers un ailleurs, en nous plongeant vers un jadis, au-delà ou en deçà des contingences de notre histoire. Les analyses consacrées aux rêveries vers lenfance en donnent une illustration exemplaire, dans la mesure où Bachelard explique que nous pouvons, en les pratiquant personnellement, activement et sincèrement, « profiter de la détemporalisation des états de grande rêverie49 ». Là encore, il est question de rompre avec les contraintes habituelles de lexistence, car « ces grandes heures de non-vie dominent la vie, approfondissent le passé dun être en le détachant, par la solitude, des contingences étrangères à son être50 ». Dans cette perspective, on dispose de différentes manières de transformer notre être par une modification de lorganisation temporelle de notre existence, y compris avec de simples rêveries sur les images, étant donné qu« il suffit de changer dimages pour changer de temps51 ». Lexercitation temporelle se présente comme un vecteur privilégié, chez Bachelard, de la transformation et de la (re)création continuée de soi, selon les divers plans temporels de lexistence, dont lharmonisation constitue une tâche inachevée, sans cesse à reprendre. Mais on peut y travailler, en sexerçant à sérier les diverses temporalités, en apprenant à « vivre sur notre rythme propre, en retrouvant, à notre gré, à la moindre fatigue, au moindre désespoir, limpulsion de nos origines52 ». Comment y parvenir ? Bachelard propose-t-il un exercice général 55de chrono-technie permettant de nous libérer du temps contingent de la vie quotidienne et atteindre, ne serait-ce quen de rares instants, notre être intime ? Sans prétendre clore le débat, je citerai un texte suggestif, qui se présente comme une sorte de protocole de méditation rythmanalytique. Il sagit dun bref passage, dans lequel Bachelard nous invite à suivre une méthode qui pourrait rappeler certains exercices du zen ou du yoga, ayant pour finalité dintroduire une rupture dans lordre des activités de la vie quotidienne, et du flux des pensées. Voilà ce que dit Bachelard :

Voici alors les trois ordres dexpériences successives qui doivent délier lêtre enchaîné dans le temps horizontal : 1o) shabituer à ne pas référer son temps propre au temps des autres – briser les cadres sociaux de la durée ; 2o) shabituer à ne pas référer son temps au temps des choses – briser les cadres phénoménaux de la durée ; 3o) shabituer – dur exercice – à ne pas référer son temps propre au temps de la vie, ne plus savoir si le cœur bat, si la joie pousse – briser les cadres vitaux de la durée. Alors seulement on atteint la référence autosynchrone, au centre de soi-même, sans vie périphérique53.

Ce protocole obéit à la logique dune triple rupture. Il sagit dabord de sabsenter des relations sociales pour sisoler, entrer dans la solitude (épochè sociale), puis de rompre avec le monde environnant, probablement en fermant les yeux (épochè phénoménale), pour enfin prendre de la distance avec son corps propre et les sensations physiques qui lui sont associées (épochè physiologique). On parviendrait ainsi à vider le temps du trop-plein qui vient des activités externes, à atteindre le temps pur dont Bachelard dit ailleurs, dans sa conférence sur la multiplicité temporelle, quil est mal connu :

Le temps pur est bien mal connu ; il est, je crois, dautant plus mal connu quil est plus vidé ; moins actif, privé des relations qui permettent de le mesurer. Dès quon est débarrassé des repères objectifs, on mesure le temps à la besogne que lon fait plutôt que de mesurer la besogne au temps quelle réclame. On sen apercevrait plus clairement si lon sinterdisait la référence à un autre temps, au temps des horloges et des montres54.

Toujours est-il quon peut voir là, dans linvitation à travailler le rapport intime au temps, le désir de mieux habiter le temps, de sy sentir chez 56soi, de sy sentir bien, à la façon dont la rêverie cosmologisante permet de se sentir bien dans le monde. Cest là un exemple significatif de proposition concrète, par Bachelard, dun exercice ayant pour objectif de rendre possible une transformation du sujet, en modifiant le rapport intime au temps par la reconfiguration du temps propre (expérience subjective) par rapport à celui des autres (réalité sociale), des choses (monde objectif), de la vie organique (sensations du corps). Un tel exercice de chrono-technie est loin de conduire à une conversion radicale de lexistence, étant donné « que la vie, par ailleurs, se déroule et ramène ses nécessités, [ce qui] est sans doute une fatalité corporelle55 ».

La mobilisation des énergies morales

À ce stade de lenquête, le problème resté en suspens est celui du passage à la pratique réelle, au-delà de la pratique théorisée dans un « beau discours ». Personne ne peut contester que le problème majeur de la vie morale, est lagir en tant que tel, dans sa dimension effective, qui suppose pour devenir réalité autant fermeté dâme que courage, une « vertu de force56 ». Descartes, pourtant si confiant dans la puissance de la raison, de la volonté et de la résolution dagir en fonction de ce que nous pensons être le mieux, ne reconnaissait-il pas lui-même humblement « que ce nest pas tant la théorie, que la pratique, qui est difficile57 » ? Ne bute-t-on pas ici sur les phénomènes bien connus de la faiblesse de la volonté (lacrasia), de la procrastination, du découragement ? Paradoxalement, ces défaillances ne constituent pas des objections dans le cadre du perfectionnisme moral, compte-tenu que celui-ci a pour vocation de disposer à agir en mobilisant les ressources de toutes nos facultés. Descartes admettait pour sa part qu« une longue et fréquente méditation » est nécessaire en matière de vie morale, et que les vertus ne sont pas réellement efficientes si elles ne sactualisent pas dans lexistence 57concrète. Or si le perfectionnisme est une morale en situation, qui suppose de déployer « une force de vie58 », on saperçoit que les textes de Bachelard regorgent de suggestions concernant la mobilisation et laugmentation de notre puissance dagir, conditions sans lesquelles la pratique éthique demeure le vœu dune « belle âme », ou dun « philosophe de salon ». Ici, il faut suivre la piste du lien supposé entre imagination et volonté. Car il ne faut pas oublier la perspective, thématisée dans La terre et les rêveries de la volonté, de la mobilisation concrète de la volonté par limagination. Loin de sen remettre aux seules ressources de lintellect et de la raison, qui permettent de bien juger, Bachelard adopte une option philosophique originale, en parlant dimagination morale et de rêveries de la volonté. On comprend, à lire ces pages, que pour lui la rêverie permet de tonifier la volonté, dengager pleinement nos énergies dans laction, particulièrement face aux obstacles qui nous résistent (coefficient dadversité). Par un processus de valorisation affective et imaginaire, on pourrait induire en nous des illusions utiles, qui nous poussent à travailler et à agir. Et si « lexemple, cest la causalité même en morale59 », alors cest en se référant à des modèles concrets, « à notre portée », que lon peut apprendre à sorienter dans lexistence. Ainsi, dans loptique de lauto-« éducation des adultes60 », je considère que les voies de limagination morale explorées par Bachelard, avec ses divers personnages et ses folles images, donnent du « grain à moudre » à la philosophie morale.

Car Bachelard sest montré attentif, dans les réflexions quil a développées sur laction, à la dynamisation de la volonté dagir par lusage de limagination, qui devient une sorte de condition de possibilité de lagir moral. Cet aspect original de la pensée bachelardienne a été explicité et prolongé par Jean-Philippe Pierron, qui explique notamment :

Bachelard nest pas lhomme du règlement et des vies enrégimentées dans la discipline des mœurs, lui qui est pourtant dune grande rigueur lorsquil sagit de lascèse scientifique. Par contre, il envisage la philosophie morale en se rendant témoin attentif et scrupuleux de tous ces matériaux imagés qui constituent une assise pour le déploiement de lagir et du souci de bien agir. Sur ce dernier point, il sera alors question dune véritable enquête sur le 58régime des images qui habitent et investissent lagir humain, qui lhabillent et lhabilitent. [] Toutefois, une précaution simpose. La reconnaissance de limportance de limagination morale nest pas un discrédit lancé à légard des morales rationnelles, ni un rejet de la raison pratique. Il sagit plutôt denrichir la compréhension que lon se fait de cette dernière, afin de prendre ses distances avec une lecture pauvre des mobiles de laction, cantonnée à la seule dimension du rationalisable. Cette dernière ne voit pas que limage donne à lidée morale son profil ; quune volonté dagir trouve dans limage une adéquate et mobilisatrice expression61.

On comprend ici quil est question darticuler une explication psychologique de laction, prenant en considération le rôle central des puissances affectives dans la projection des conduites et la réalisation des actes, avec une enquête sur la valeur dynamisante des « images imaginées », qui permettent de tonifier la volonté62. Il sagit de coupler la réflexion sur la nature de laction, sans la réduire au modèle de laction rationnelle, avec une réflexion sur les moyens qui permettent de moduler laction, en intervenant sur les dispositions psychiques et les forces motrices qui la sous-tendent : laction doit sappuyer sur les énergies physiques et psychiques disponibles chez le sujet vivant.

Cest ce que montre la thématique du tonus, de la tonalisation du sujet, qui apparaît dans les textes consacrés à la science et à la poésie. Cest la perspective du « tonus rationaliste », qui fait dire à Bachelard que lhomme rationaliste, loin dêtre désincarné, sans vie, « reconnaît, au contraire, toutes les forces de son corps, toutes les forces vigoureuses, toute la vigueur de sa pensée63 ». Dans ce contexte, si lon se fie à Bachelard, on peut penser que la mobilisation du sujet pensant, en prise avec un problème difficile, dépend du couplage entre la résistance du problème et la joie du dépassement, selon un schéma aux accents nietzschéens. Cest ce que semble suggérer la dernière page du Rationalisme appliqué, où lon peut lire que le sujet qui parvient à comprendre le problème qui occupe ses pensées et mobilise ses efforts, est pour ainsi dire récompensé par « la joie de comprendre [qui] paie de toutes les peines64 » endurées pendant le long travail denquête. Cependant, cette structure 59psycho-affective imbriquée, qui sous-tend la vie du sujet et donne ses valeurs psychologiques à laction, fait lobjet dune étude plus approfondie avec lonirisme du travail, que ce soit dans La terre et les rêveries de la volonté ou « Le cosmos du fer65 » et « Introductions à la dynamique du paysage66 », textes où Bachelard souligne le lien intime de la volonté dagir avec les puissances de limagination. On peut y lire que la mise en œuvre du travail créateur nécessite une force de motivation, qui prend source dans les affects et les images. Pour commencer, qui est « le privilège insigne de la volonté67 », le sujet doit se sentir sollicité par la matière sur laquelle il travaille, laquelle stimule laction par sa résistance, en activant « la fougue de la volonté68 ». Il faut comprendre que la stimulation (ou excitation) du sujet se fait au moyen de limagination, qui donne au monde ou aux objets une figure dinterlocuteur (ami ou ennemi), au point quil devient un « tu » contre lequel agit le « je », pour reprendre les formules de Buber, que Bachelard affectionne. Ainsi, le « goût de travailler », « les joies musculaires », « leffort créateur69 » ont besoin dêtre soutenus par un intérêt passionné, sollicité par les images de la résistance du non-moi, contre lequel le sujet peut agir par son esprit (projet rationnel), sa main (réalisation concrète) et sa parole (récit de soi). En sorte que limagination et la volonté semblent nécessaires à un engagement réel dans laction.

Le problème de la causalité morale

Sur quoi se fondent en dernière instance les conditions concrètes de lagir, qui sont à la fois psychologiques, affectives et motrices, et dont leffectivité rend possible un engagement dans laction, au point de constituer une condition pré-morale du bien agir ? Est-il question dune mécanique réfléchie et contrôlable, ou dune détermination plus ou moins inconsciente du comportement humain, étant donné que 60laction des puissances affectives échappe dans une certaine mesure aux pouvoirs de la conscience rationnelle ? Dans quelle mesure le sujet peut-il intervenir lui-même sur sa volonté et ses dispositions psychoaffectives, dans le but daugmenter sa puissance dagir ? Quels sont les ressorts de la causalité intellectuelle et morale qui préside aux conduites humaines selon Bachelard, qui permet lexplication du trajet menant du projet à la décision, puis à laction ?

Si on devait situer Bachelard dans le tableau des thèses en matière dexplication de laction, on serait bien embarrassé, car il ne se positionne pas explicitement, notamment sur la question du libre-arbitre et du déterminisme. Néanmoins, bien que Bachelard ne thématise pas clairement sa conception de la liberté, les analyses que lon vient de consacrer à la détermination de la volonté par les puissances affectives et imaginantes nous orientent vers une forme singulière de déterminisme. On bute alors sur une difficulté, car si Bachelard affirme que la volonté est sollicitée par limagination, et dépend également, pour la mise en œuvre de laction, de facteurs infra-rationnels, il nen demeure pas moins que son analyse de laction défend par ailleurs farouchement la liberté de lesprit. Doit-on y voir une contradiction ? Bachelard défend une forme de compatibilisme, conjuguant déterminisme et liberté. Sa psychologie non-cartésienne, déployée dans lépistémologie et dans la poétique, semble se répercuter dans sa conception de la volonté, de laction, et de lagir moral. Loin de penser la liberté comme pouvoir de choisir indifféremment parmi des possibles, Bachelard met en œuvre une conception dynamique et processuelle de la liberté, comme mouvement de libération. On peut le voir notamment dans Lair et les songes :

La métaphysique de la liberté [] ne peut se satisfaire dun destin linéaire où lêtre, à la croisée des chemins, simagine libre de choisir entre la gauche et la droite. À peine le choix est-il fait que tout le chemin révèle son unité. Penser sur une telle image, cest faire, au lieu de la psychologie de la liberté, la psychologie de lhésitation. Là encore, il faut dépasser létude descriptive et cinématique du mouvement libre pour atteindre une dynamique de libération70.

Dans cette perspective, la conception bachelardienne de laction ne dissocie pas la volonté du monde dans lequel lhomme doit agir. Il semble que la volonté, pour Bachelard, ne soit pas en position de 61spectatrice dégagée des situations dans lesquelles le sujet individuel est inséré. Agir implique un engagement au contact des choses et des êtres, et laction possède toujours un espace-temps particulier. Or, si lon se réfère aux analyses de La dialectique de la durée, on constate que Bachelard décline le rôle de la volonté selon deux possibilités de conduite : « 1) soit commencer (volonté qui déclenche) ; 2) soit continuer (volonté qui continue)71 » . La puissance de synthèse de la volonté consiste alors à déterminer une convergence des efforts, en vue de produire une conduite qui aura une certaine durée, une stabilité, une régularité. Mais on constate aussi que Bachelard insiste sur le schème du déclic, donc sur la décision, en soulignant que « lesprit est peut-être essentiellement un facteur de commencement72 ». Quelle est donc lopération de lesprit qui intervient pour briser lenchaînement causal des actions ? Pour saisir la position de Bachelard, qui paraît à première vue ambigüe, il faut se reporter à sa conception probabiliste de la causalité, quil reprend en partie de la philosophie pluraliste dEugène Dupréel. Décrite et prolongée dans La Dialectique de la durée, elle consiste en une double thèse : congédier la nécessité, défendre l« intervalle73 ». Celui-ci représente la distance logique et temporelle qui sintercale entre la cause et leffet. Il se présente comme loccasion de rompre la chaîne causale. En sorte que le développement dune chaîne causale, que ce soit dans lordre des choses ou alors dans lordre de lesprit, est nécessairement accompagné de la possibilité dévénements perturbateurs imprévus, qui constituent des déviations ou des arrêts.

On peut en déduire que la conception bachelardienne de laction affirme, à lencontre dun libre-arbitre dégagé de lenchaînement temporel des instants et des actes, la possibilité pour la personne de se libérer de son expérience psychologique contingente, à condition dintroduire une rupture dans lordre successif du vécu. On retrouve la thématique du couplage de lhabitude et du progrès de LIntuition de linstant, qui stipule que si le sujet est constitué initialement par un faisceau dhabitudes plus ou moins contingent, il peut néanmoins en changer, mais aussi les soutenir et les consolider. Or ces deux points peuvent constituer le soubassement de lagir moral. Car Bachelard envisage lidée dune « causalité 62morale74 », dont le ressort est lexemple, quil soit pris chez les hommes ou dans la nature, comme on le voit dans les pages où il est question de lhéroïsme de larbre ou de la montagne. De ce point de vue, il faudrait approfondir lanalyse de cette causalité morale en examinant de près les images de la vie éthique concrète que Bachelard nous donne à rêver, à méditer, et à actualiser en nous. Celles-ci ne manquent pas, et parmi les cas qui paraissent instancier les vertus morales valorisées par Bachelard, on peut évoquer : 1) lhomme studieux, qui incarne le courage intellectuel et lopiniâtreté de lhomme qui cherche à comprendre ; 2) le travailleur, qui exprime la vertu dengagement dans une tâche sociale, ainsi que la conformité à des normes impersonnelles 3) le graveur, qui exemplifie la vertu de force de la volonté de construire, et constitue une figure typique de lengagement dans la création ; 4) lalchimiste, symbolisant la volonté de purification et la vertu de transformation, pris dans le jeu ambivalent des valeurs et antivaleurs, ambivalence qui se trouve une expression fondamentale dans la dialectique du bien et du mal ; 5) ou encore lenfant, archétype de la vie qui commence, qui instancie la vertu démerveillement face à un réel qui devient « un monde qui a souvent la fraîcheur de lenfance dun monde75 », alors même que « la vie use vite les premiers étonnements76 » ; enfant idéalisé dont la spontanéité révèle un mode dêtre-au-monde toujours possible, au moins dans le temps suspendu dune rêverie. Il y a là autant de figures ordinaires auxquelles on peut sidentifier, dont on peut sinspirer en lisant les poètes et les romanciers77, ou même en allant au cinéma78 !

Aussi, on a bien des raisons de penser que Bachelard est un tenant du perfectionnisme moral, dans la mesure où il donne à expérimenter en imagination, au moyen de personnages conceptuels et dimages poétiques, les valeurs humaines et les vertus morales, ainsi que les drames éthiques de lhomme réel, engagé dans la vie au contact dun monde résistant. Je conclurai cette étude en soulignant limportance que Bachelard accorde à lhumanisation des puissances qui dynamisent lexistence, sans céder à la tentation de soumettre les forces imaginantes 63aux tendances qui aliment la volonté de puissance, ou inviter à reproduire de façon mimétique ce que les exemples de vie morale donnent à voir. La vie morale, comme laction, est pour Bachelard appelée à créer des formes nouvelles, de nouvelles modalités de lagir. Cest ce que suggère ce passage extrait du Lautréamont :

Cest dans le rêve daction que résident les joies vraiment humaines de laction. Faire agir sans agir, quitter le temps lié pour le temps libre, le temps de lexécution pour le temps de la décision, le temps lourdement continu des fonctions pour le temps miroitant dinstants des projets, remplacer la philosophie de laction, qui est trop souvent une philosophie de lagitation, par une philosophie du repos, puis par une philosophie de la conscience de repos, de la conscience de solitude, de la conscience de la force en réserve, telles sont les tâches préliminaires pour une pédagogie de limagination. Il faut ensuite partir de ce repos de limagination pour retrouver des motifs de pensée sûrement désanimalisée, libre de tout entraînement, retranchée de lhypnotisme des images, nettement détachée des catégories de lentendement qui sont des concrétions de prudence spirituelle, « des états fossiles du refoulement intellectuel ». On aura ainsi rendu limagination à sa fonction dessai, de risque, dimprudence, de création79.

Je vois là les lignes de force dune conception ouverte et plurielle de laction, sefforçant de conjuguer toutes les puissances et toutes les ressources de lêtre de lhomme, mais qui ne peut se développer et sactualiser que par un processus de transformation de soi engagé dans le temps et dans le monde.

Julien Lamy

Université de Lyon – IRPhiL

1 Gaston Bachelard, Lautréamont, Op. cit., p. 155-156.

2 Id., in Gaston Bachelard, Erwin Schrödinger, Pierre Auger, et alii., LHomme devant la science, Neuchâtel (Suisse), Éditions La Baconnière, 1952, p. 190.

3 Cf. Id., LEngagement rationaliste, Paris, PUF, coll. « Bibliothèque de Philosophie contemporaine », 1972, p. 45-88.

4 Id., La poétique de la rêverie [1960], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1999, p. 140.

5 Paul Ricœur, « Éthique et morale », in Lectures 1, Éditions du Seuil, collection « Points Essais », 1999, p. 258-270.

6 Sur cette question, on consultera notamment M. Canto-Sperber, Linquiétude morale et la vie humaine, Paris, PUF, 2001, p. 24-28, ainsi que R. Ogien, Léthique aujourdhui. Maximalistes et minimalistes, Éditions Gallimard, Folio Essais, 2007, p. 16-17.

7 Sur ce point, cf. G. Bachelard, Le Rationalisme appliqué [1949], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1998, p. 146.

8 G. Bachelard, Le Rationalisme appliqué, Op. cit., p. 72-73.

9 Ibid., p. 69-71.

10 Ibid., p. 70.

11 Nous empruntons cette expression au titre de louvrage de Georges Gusdorf, Traité de lexistence morale, Paris, Librairie Armand Colin, 1949.

12 Hannah Arendt, « Questions de philosophie morale », in Responsabilité et jugement, Éditions Payot et Rivages, Petite Bibliothèque Payot, 2009, p. 94-198.

13 Jacques Bouveresse, Wittgenstein, la rime et la raison, Éditions de Minuit, 1973, p. 143.

14 Sandra Laugier, (s. dir.), La voix et la vertu. Variétés du perfectionnisme moral, Paris, PUF, 2010.

15 Id., « Présentation. Lautre voie de la philosophie morale », in La voix et la vertu, Op. cit., p. 1-2.

16 Stanley Cavell, « Conditions nobles et ignobles », in Quest-ce que la philosophie américaine ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2009.

17 G. Bachelard, Le rationalisme appliqué, Op. cit., p. 127.

18 Cf. Michel Foucault, Lherméneutique du sujet, Paris, Seuil-Gallimard, 2001, p. 15-20, 197-200.

19 Cf. Pierre Hadot, « Conversion », in Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Éditions Albin Michel, 2002, p. 223-235.

20 G. Bachelard, Lengagement rationaliste, Op. cit., p. 92.

21 Id., Lengagement rationaliste, Op. cit., p. 36.

22 Id., La terre et les rêveries de la volonté : essai sur limagination des forces [1948], Paris, José Corti, coll. « Les Massicotés », 2003, p. 9.

23 Id., La terre et les rêveries de la volonté, Op. cit., p. 9.

24 Id., La poétique de la rêverie, Op. cit., p. 148.

25 Id., Leau et les rêves : essai sur limagination de la matière [1942], Paris, José Corti, 1986, p. 23.

26 Id., Lair et les songes : essai sur limagination du mouvement [1943], Paris, José Corti, 1994, p. 7.

27 Ibid., p. 24.

28 G. Bachelard, Le droit de rêver [1970], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2001, p. 244.

29 Id., Leau et les rêves, Op. cit., p. 249.

30 Sur le thème de la « psychologie idéalisante », cf. G. Bachelard, La poétique de la rêverie, Op. cit., chapitre ii.

31 Sur la notion déthopoïétique, Cf. M. Foucault, Lherméneutique du sujet, Op. cit., p. 227-228.

32 Michel Foucault, Lherméneutique du sujet, Op. cit., p. 17.

33 Pierre Hadot, « Quest-ce que léthique ? », in Exercices spirituels et philosophie antique, Op. cit., p. 380.

34 Cf. Donald Davidson, « Foucault, le perfectionnisme et la tradition des exercices spirituels », in S. Laugier (s. dir. de), La voix et la vertu, Op. cit., p. 452-453.

35 G. Bachelard, Le rationalisme appliqué, Op. cit., p. 80.

36 Id., Lengagement rationaliste, Op. cit., p. 76.

37 Id., Le droit de rêver, op. cit., p. 94.

38 Id., Lengagement rationaliste, Op. cit., p. 98.

39 Id., La psychanalyse du feu [1938], Paris, Éditions Gallimard, coll. « Folio Essais », 1949, p. 18.

40 Id., La poétique de lespace [1957], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2001, p. 69.

41 Id., Fragments dune poétique du Feu, Établissement du texte, avant-propos et notes par Suzanne Bachelard, Paris, PUF, 1988, p. 48-49.

42 Id., La poétique de la rêverie, Op. cit., p. 113-114.

43 Id., La dialectique de la durée [1936], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2001, p. vi.

44 Ibid., p. 9.

45 Ibid., p. 146.

46 Id., Le rationalisme appliqué, Op. cit., p. 26.

47 Ibid., p. 27.

48 Id., Le droit de rêver, Op. cit., p. 19-20.

49 Id., La poétique de la rêverie, Op. cit., p. 95.

50 Ibid., p. 103.

51 Id., Fragments dune poétique du feu, Op. cit., p. 47-48.

52 Id., La dialectique de la durée, Op. cit., p. ix.

53 Id., Le droit de rêver, Op. cit., p. 226-227.

54 Id., « La continuité et la multiplicité temporelles », Bulletin de la Société française de philosophie (Séance du 13 mars 1937), Paris, 1937, no 2, p. 18.

55 Id., Le rationalisme appliqué, Op. cit., p. 26.

56 Sur cette notion, on consultera le petit livre de Georges Gusdorf intitulé La vertu de force, Paris, PUF, 1967.

57 Cf. René Descartes, Correspondance avec Élisabeth et autres lettres, Flammarion, 1989, p. 102.

58 Sandra Laugier, in La voix et la vertu, Op. cit., p. 28.

59 G. Bachelard, Lair et les songes, Op. cit., p. 130.

60 Stanley Cavell, Les voix de la raison, trad. S. Laugier et N. Balso, Éditions du Seuil, 1996, p. 199.

61 Jean-Philippe Pierron, Les puissances de limagination, Paris, Éditions du Cerf, 2012, p. 69.

62 Bachelard envisage même une « hygiène » par les images, qui tonifie lêtre entier. Cf. G. Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Op. cit., p. 338-339.

63 G. Bachelard, Lengagement rationaliste, Op. cit., p. 48.

64 Id., Le rationalisme appliqué, Op. cit., p. 215.

65 Id., Le droit de rêver, Op. cit., p. 54-59.

66 Ibid., p. 70-93.

67 Ibid., p. 74.

68 Ibid., p. 71.

69 Id., La terre et les rêveries de la volonté, Op. cit., p. 7-8.

70 Id., Lair et les songes, Op. cit., p. 300.

71 Id., La dialectique de la durée, Op. cit., p. 40.

72 Ibid., p. 41.

73 Ibid., p. 86.

74 Id., Lair et les songes, Op. cit., p. 130.

75 Id., Préface à J. Boutonnier, Les dessins denfants, Paris, Éditions du Scarabée, 1953, p. 6.

76 Id., La poétique de lespace, op. cit., p. 107.

77 Cf. Jacques Bouveresse, La connaissance de lécrivain. Sur la littérature, la vérité et la vie, Marseille, Éditions Agone, coll. « Banc dessais », 2008, notamment les §§ 19-20.

78 Cf. S. Cavell, Le cinéma nous rend-t-ils meilleurs ?, Bayard Jeunesse, 2010.

79 G. Bachelard, Lautréamont, Op. cit., p. 154-155.