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Classiques Garnier

La praxis des images Simondon lecteur de Bachelard

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Éthique, politique, religions
    2018 – 2, n° 13
    . Imaginaire et praxis. Autour de Gaston Bachelard
  • Auteur : Duhem (Ludovic)
  • Résumé : Existe-t-il une « praxis des images » propre à Gilbert Simondon ? Résulte-t-elle de sa lecture de Gaston Bachelard ? À partir de ces questions préjudicielles, cette étude s’attache à préciser ce que pourrait être une « praxis des images » au triple sens d’une activité, d’une éthique et d’une politique des images.
  • Pages : 123 à 146
  • Revue : Éthique, politique, religions
  • Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN : 9782406091295
  • ISBN : 978-2-406-09129-5
  • ISSN : 2271-7234
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09129-5.p.0123
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 23/04/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Gilbert Simondon, image, imagination, invention, praxis, cycle, milieu, lecture, activité, éthique, politique
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La praxis des images

Simondon lecteur de Bachelard

Que lon ne sy trompe pas, la forme affirmative du titre exprime la volonté dun questionnement plutôt que lassurance dune thèse. Car poser directement la thèse quune « praxis des images » est élaborée par Simondon à partir de sa « lecture » de Bachelard est particulièrement problématique, tant elle soulève dobjections préliminaires à toute tentative den prouver le bienfondé.

La première et sans doute la plus redoutable de ces objections préliminaires concerne lidée de « praxis des images ». En grec, « praxis » désigne le fait dagir, dêtre affairé ainsi que le résultat de laction. Le sens de praxis se comprend plus précisément par opposition à pathos (subir), à hexis (possession), à logos (parole) ; et par distinction avec la poiesis (production), la theoria (examen) et la proairesis (projet), tout en entretenant avec cette série de notions un ensemble de relations complexes formant des doctrines ou des orientations théoriques multiples dans lhistoire de la philosophie. Assurément, Aristote, Kant et Marx sont les philosophes ayant donné à la praxis un sens à chaque fois singulier répondant aux enjeux anthropologiques, éthiques et politiques de laction. Mais aucun deux na proposé une « praxis des images », au sens dune praxis propre aux images, quil sagisse des images internes au sujet ou des images externes au sujet – ainsi que du passage des unes aux autres –, car cela reviendrait à accorder une certaine séparation, une certaine vie, une certaine autonomie aux images : ce qui est proprement incompatible avec la conception traditionnelle du sujet et plus encore avec celle du sujet pratique. Car le sujet de la praxis est avant tout un sujet substantiel, identique à soi, un en ses limites, conscient de lui-même, origine des finalités visées par laction et juge de ses conséquences. Si Marx pourrait faire exception, dans la mesure où il refuse les oppositions entre theoria et praxis, poiesis et praxis, pour définir le sujet hors de toute essence, il ne va pas jusquà accorder une telle indépendance ni une telle force aux 124images, ni matériellement ni socialement. Certes, Marx nest pas avare en images dans son œuvre (notamment sous la forme de métaphores verbales, optiques, sonores, chimiques, etc.), et selon les textes, le rapport complexe de limage à la représentation et à lidéologie peut faire varier son statut et sa fonction ; mais, la plupart du temps, Marx maintient lopposition classique entre vérité et illusion selon un platonisme philosophique où limage est conçue de manière péjorative sous la forme du « reflet » et du « fétiche », ce qui la tient à une certaine distance de la praxis et plus encore dune praxis propre aux images1

La seconde objection préliminaire sattache à lattribution de la thèse dune « praxis des images » à Simondon, et que cette thèse viendrait directement de sa lecture de Bachelard. Si la notion de « praxis » désigne à la fois lactivité intrinsèque et lactivité extrinsèque des images, il existe effectivement une « praxis des images » chez Simondon et elle est élaborée dans sa théorie de limagination, dabord dans Lindividuation à la lumière des notions de forme et dinformation2 et surtout dans le cours Imagination et invention3. Mais si lon entend plus précisément par « praxis » ce qui définit des règles de conduite pour une vie bonne et ce qui vise la transformation de la réalité sociale, il est alors difficile de trouver chez Simondon une éthique des images et il est plus difficile encore de trouver une véritable politique des images. Quand bien même sagirait-il de déterminer plus généralement le rôle de limagination dans la philosophie pratique simondonienne, la tâche ne serait pas aisée non plus. Cela tient au fait que limagination nest pas une simple faculté psychique du sujet pour Simondon et que sa philosophie ne se présente pas explicitement comme une pensée éthique et politique4. Les 125réflexions quil a ainsi pu mener dans ces domaines ne sont certes pas négligeables, mais elles se présentent souvent comme des incises, des applications ou des effets nayant pas lambition de devenir une théorie explicite et unitaire. Ces réflexions peuvent toutefois savérer puissantes voire novatrices si elles sont replacées dans lensemble de lœuvre comme dimensions du sens de lencyclopédisme génétique5. Toute la difficulté résiderait alors dans les modes darticulation dune théorie éthique et politique des images dune part avec une théorie éthique et politique de lindividuation et de la technique de lautre, puisque lune comme lautre sont autant à expliciter quà construire.

Mais ce qui est certainement plus problématique en définitive, cest le rôle de la lecture de Bachelard dans lélaboration dune « praxis des images » propre à Simondon. Depuis sa redécouverte dans les années 1990, les commentateurs ont indéniablement montré que Simondon avait lu Bachelard, son anti-substantialisme ontologique6, son épistémologie relationnelle7, sa pensée de la technique positive et irréductible à la science comme à lutilité8, en serait lhéritage direct et manifeste, malgré labsence de référence explicite dans ses deux ouvrages principaux9. Quen est-il pour Imagination et invention ? À linstar des deux ouvrages précédents, aucune référence explicite à Bachelard nest faite par 126Simondon dans lexposé de sa théorie du cycle de limage. Le seul indice attestant dune connaissance de la poétique bachelardienne par Simondon et de son usage pour ce cours se trouve dans la bibliographie, où sont présentés des « conseils de lecture » aux étudiants. Ainsi, en dehors du Nouvel Esprit scientifique figurant en tête de liste, on peut effectivement y trouver tous les ouvrages de poétique publiés par Bachelard de La psychanalyse du feu de 1938 (rejeté en fin de liste et distingué des autres par un « Particulièrement ») à La flamme dune chandelle de 1961. Au vu de cette bibliographie10, comment expliquer une telle absence de toute référence à Bachelard dans le texte de Simondon ?

La première raison possible est que Bachelard était connu des étudiants par un autre cours sur Limagination donné lannée précédente par un autre professeur de psychologie, Juliette Favez-Boutonnier11, et qui contenait un chapitre sur Bachelard. Simondon naurait donc pas jugé nécessaire de reprendre un développement spécifique afin déviter de produire un doublon, ce qui expliquerait quil nhésite pas à renvoyer directement à ce cours et à deux reprises12. Mais ce même cours comportait aussi des analyses des théories de limagination de psychologues et de philosophes que Simondon reprend et quil interprète à son tour pour établir sa propre théorie, tels Bergson, Sartre, Husserl, Freud, Jung, Lacan, Ribot, Taine ou Piaget. Largument ne semble donc pas satisfaisant et lidée quil naurait finalement pas lu Bachelard est insoutenable, aussi bien pour son référencement bibliographique que pour la convergence de leurs pensées respectives. La seconde raison, quelque peu conjecturale, serait que Simondon avait si bien intégré la poétique de Bachelard quil se lest appropriée, ne pouvant dès lors envisager une exposition détachée de celle-ci sans devoir démonter sa propre théorie pièce par pièce pour 127en manifester les réelles différences. Dans son héritage philosophique, Simondon agirait ainsi avec Bachelard comme il lavait fait avec Merleau-Ponty, en ce sens quil ne cherche nulle part à sen différencier, alors quil ne cesse dexposer les intérêts et les limites de la pensée de Bergson dont il est aussi un grand héritier. Si un tel argument est recevable, lenjeu serait donc de parvenir à montrer quelles sont la nature, lextension et surtout les conséquences de cet héritage bachelardien non revendiqué.

À la suite de ces objections préliminaires, il convient de présenter létude qui va suivre comme un ensemble de questionnements autour de ce qui nest pas une thèse mais plutôt une hypothèse ou une proposition à mettre en discussion, à savoir que Simondon proposerait non seulement une théorie de limagination pouvant prendre le sens dune « praxis des images », mais dont une source importante, restée implicite, serait la poétique bachelardienne. Cest en quelque sorte une lecture de la lecture de Bachelard par Simondon qui est proposée ici, elle sattachera prudemment à en relever les traces si ce nest les emprunts réels, à travers les différents sens possibles de la praxis. Or, ce pluralisme sémantique propre à la praxis (actif, éthique et politique) est en même temps un pluralisme pratique, dans la mesure où les sens de la praxis sont autant de champs problématiques où plusieurs modalités pratiques peuvent coexister sans quil sagisse pour autant de postuler leur compatibilité ni leur cohérence a priori, surtout pour deux philosophes dont les préoccupations éthiques et politiques sont récurrentes et parfois explicites, mais ne font jamais réellement système et évoluent au cours de lœuvre. Chaque sens de la praxis des images, à savoir lactivité de limage pour elle-même (I) et sa relation à linvention (II), limage pratique au sens éthique (III) et limage pratique au sens politique (IV), sera examiné moins selon un principe comparatif strict quà la manière dune lecture possible en vue de la construction dune praxis des images pour notre temps.

Activité de limage

Dans son premier sens, une « praxis des images » suppose laffirmation principielle que limage est non seulement positive mais active. Elle nest 128pas uniquement le résultat dune activité, celle de la perception, mais activité en elle-même.

La poétique bachelardienne présente limagination non pas comme une simple faculté psychique parmi dautres, mais comme « la force même de la production psychique13 ». Limagination nest pas linstance qui présente et qui reproduit le donné empirique issu de la perception mais ce qui produit psychiquement la vie du sujet en dépassant la réalité vécue :

Limagination est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité14.

Autrement dit, limagination est « foncièrement créatrice » pour Bachelard, elle ne peut être le résultat dune simple combinaison de « fragments du réel perçu » ou des « souvenirs du réel vécu », comme le pensent le « philosophe réaliste » et le « commun des psychologues15. » En ce sens, limagination non seulement se distingue de la perception mais sy oppose dans une certaine mesure, du moins « limagination créatrice a de toutes autres fonctions que celles de limagination reproductrice16 » au point de la faire apparaître comme ayant une autre nature. La fonction principale de limagination est davoir une « action imaginante », cest-à-dire non pas seulement de former des images mais de les « déformer », de les « changer », de produire une « explosion dimages ». À la fonction de réel doit ainsi correspondre pour léquilibrer une « fonction dirréel ». Selon Lair et les songes, cette fonction dirréel nest pas le symétrique absolu de la fonction de réel, puisquil y a « immanence de limaginaire au réel » selon un « trajet continu du réel à limaginaire » qui fait que la fonction dirréel recrute ou incorpore un aspect du réel sous la forme des quatre éléments (feu, eau, air, terre). Dans La terre et les rêveries de la volonté, Bachelard affirme que cette fonction dirréel est en jeu dès la perception :

Quand le réel est là, dans toute sa force, dans toute sa matière terrestre, on peut croire facilement que la fonction de réel écarte la fonction dirréel. On oublie alors les pulsions inconscientes, les forces oniriques qui sépanchent sans cesse dans la vie consciente17.

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À la suite de Jung, Bachelard pense ainsi quil existe non seulement une force propre aux images transformées par limagination, mais cette force exprime en réalité une véritable « primitivité » des images sur la perception ; cette primitivité nétant pas une simple esquisse que la perception enrichirait et que la raison déterminerait, cest une prospection qui anticipe le perçu, les images informant toujours déjà la perception.

Pour comprendre comment les images agissent, la psychologie scientifique ne sera donc pas dune aide précieuse pour Bachelard, il étudiera plutôt la rêverie, là où limagination est imaginante plutôt quimageante, cest-à-dire là où les images sont à leur état inchoatif, dans toute lintensité de leur force, poussées à la fois par les pulsions inconscientes de lAnimus et de lAnima, et par les « hormones de limagination » que sont les substances matérielles (feu, terre, air et eau). Or, cette vie propre des images nest pas dépourvue de lois, – il existe une véritable physique onirique pour Bachelard, et ces lois sont aussi contraignantes que les lois physiques et elle peuvent être formalisées. Au cours de ses études empiriques, Bachelard a ainsi dégagé des invariants dynamogéniques, lesquels mettent à la fois en évidence des « complexes » dimages du rêveur, limportance décisive des quatre éléments pour la signification de la rêverie (au point de leur donner un ancrage physiologique), et lambivalence systématique qui sexprime dans la combinaison de ces éléments. Cette recherche de formalisation naura pas pour conséquence de réduire le dynamisme des images, de les priver de toute vie et de toute résonnance poétique, elle visera au contraire à mieux les comprendre hors des habitudes de la pensée scientifique et philosophique.

Dès lintroduction dImagination et invention, Simondon critique la pensée dominante de limagination et formule une hypothèse sur la primitivité de limage qui rappelle directement les positions et les thèses bachelardiennes :

Le mot d« imagination » renvoie à la « psychologie des facultés » ; cependant, il est précieux, car il suppose que les images mentales procèdent dun certain pouvoir, expriment une activité qui les forme, et suppose peut-être une fonction qui les emploie. Par contre, le terme « imagination » peut induire en erreur, car il rattache les images au sujet qui les produit, et tend à exclure lhypothèse dune extériorité primitive des images par rapport au sujet18.

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Simondon adresse cette critique à la psychologie des facultés parce quelle crée ce quil appelle un « barrage conceptuel », notamment en définissant les facultés daprès les « tâches dominantes » que sont « anticiper », « percevoir » et « se rappeler », ce qui oblige de limiter limage à une activité locale endogène. Quant à la proposition dune « extériorité primitive » de limage, Simondon ne lattribue pas à Bachelard, sans doute parce quelle fait un pas de plus dans la vie des images en les rendant plus indépendantes encore du sujet que chez Bachelard et en lenracinant surtout dans la relation de lorganisme au milieu – donc dans lensemble du vivant – plutôt que dans les seules racines inconscientes. Ainsi, loin dêtre confinée dans les limites de la conscience, limage « résiste au libre arbitre, refuse de se laisser diriger par la volonté du sujet, et se présente delle-même selon ses formes propres19 ». Pour Simondon, limage se comporte donc à la manière dun « quasi-organisme » doté dune vie propre, cest-à-dire comme un parasite « habitant le sujet et se développant en lui avec une relative indépendance par rapport à lactivité unifiée et consciente20 ». Dans un geste plutôt bachelardien, Simondon va dailleurs relever que cette extériorité primitive des images et leur pouvoir sur le sujet avaient « frappé les anciens », par exemple à travers le songe de Nausicaa raconté par Homère au Livre VI de lOdyssée, lorsque la déesse « Athéna apparaît à la jeune princesse pour linciter à aller laver les vêtements sur le rivage où Ulysse aborde en naufragé ». Il faut alors comprendre que :

Le songe, avec les figures de rêve qui laniment, nest pas seulement ce que nous nommerions un événement subjectif ; il manifeste un pouvoir, une intention, une réalité qui na pas sa source dans le sujet mais qui, au contraire, vient à lui et le cherche. Limage qui envahit le sujet est une apparition ; elle peut être plus forte que lui et changer sa destinée par un avertissement ou une interdiction. Elle nest pas non plus que réel vulgaire et quotidien, mais a une charge de présage ; elle révèle, manifeste, déclare, au-dessus de lordre des réalités quotidiennes ; elle est du « numineux », à mi-chemin entre lobjectif et le subjectif21.

Simondon convoquera également les rituels dévocation des morts où les disparus sont représentés par des images considérées comme vivantes, ou encore et plus étonnamment la théorie des simulacres de Lucrèce qui 131tout en dénonçant lerreur dattribuer aux rêves un vie réelle ne conteste pas lextériorité ni le pouvoir des images.

Limage « nest donc pas une réalité sans forces, sans efficacité ni conséquences », mais elle est une réalité relative. Cest important de le souligner, Simondon naccorde pas à limage une vie totalement indépendante du sujet, si elle est un « quasi-organisme », elle nest pas un organisme autonome dont lexistence serait purement objective. Dans un esprit à la fois bergsonien et bachelardien, limage est pensée comme une réalité intermédiaire qui se situe entre le sujet et lobjet, entre le concret et labstrait, entre le passé et lavenir. On ne peut donc ni lui assigner un régime ontologique exclusif ni lattacher à une catégorie épistémologique définitivement stable. Elle est en fait un mixte, une « tierce réalité » qui participe et du sujet et de lobjet, et de labstrait et du concret, et du passé et de lavenir, sans que cette double participation ne réalise une synthèse totale et définitive. Cest justement ce caractère paradoxal qui confère à limage son pouvoir de traverser les limites ontologiques et dinfluencer la conduite des individus et des groupes. À cet égard, laffirmation de lindépendance relative de limage, sa vie paradoxale, est en fait une critique fondamentale adressée à Sartre et à sa conception de la « conscience imageante », laquelle est doublement réductrice : contrairement à ce que pense Sartre, la conscience imageante est une situation exceptionnelle dans la vie psychique et non pas sa condition unique et constante ; et loin dêtre « illusoire », lextériorité est la condition ontologiquement positive des images. Sartre serait en cela, si lon peut dire, lennemi commun de Bachelard et de Simondon ou de Simondon à travers Bachelard.

Mais la différence majeure avec Bachelard tient sans doute à la théorie du cycle de limage en elle-même, en ce sens quelle propose une formalisation du dynamisme de limagination qui nest pas sans résonance avec la conception bachelardienne mais qui saffirme comme un véritable geste dinvention de la part de Simondon. Fondée sur un paradigme physique et sur une analogie biologique, la théorie simondonienne de limagination cherche en effet une généralité plus large et une systématicité plus rigoureuse que la poétique bachelardienne de la rêverie, même si cette dernière concerne la vie psychique nocturne de tout sujet ou du moins telle quelle devrait lêtre à lexemple des poètes. Le paradigme physique définit le cycle de limage comme un système de 132phases où chaque aspect de limage nest pas un moment temporel qui sabolit dans le suivant mais le résultat dun déphasage. Par un processus de différenciation et de réorganisation, le système complet des phases se modifie en transformant le rapport déquilibre interne des tensions qui le traversent. Cest le système actuel de toutes les phases qui est la réalité complète de limagination, qui la définit comme un processus de genèse des images. Cette genèse sopère de phase en phase, chaque phase servant de support structurel et de condition de développement à la suivante, leur enchaînement nobéissant à aucune nécessité téléologique. Cest pourquoi Simondon refuse non seulement dopposer perception et imagination, puisque la perception est une phase de limagination (expérience de lobjet), mais il refuse également dopposer imagination et invention, linvention étant préparée et parfois suscitée par les phases antérieures de limagination qui matérialisent alors limage en dehors du sujet sous forme dobjet, de technique, de doctrine ou dinstitution.

Quant à lanalogie biologique, elle nest pas une simple image, une comparaison utile à la présentation de la théorie, cest un parallélisme opératoire effectué par Simondon entre le processus de croissance de lorganisme et le processus dimagination :

Ne peut-on supposer, dans ces conditions, que les images mentales sont comme des sous-ensembles structuraux et fonctionnels de cette activité organisée quest lactivité psychique ? Ces sous-ensembles pourraient ainsi posséder un dynamisme génétique analogue à celui dun organe ou dun système dorganes en voie de croissance22.

Simondon propose alors un enchaînement non dialectique23 de trois phases distinctes (anticipation, expérience, systématisation) mises en rapport avec trois niveaux dorganisation de limage (biologique, psychique, symbolique). La première phase est :

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Celle de la croissance pure et spontanée, antérieure à lexpérience de lobjet à laquelle lactivité fonctionnelle se préadapte ; ce serait, dans limage, léquivalent des étapes embryonnaires de la croissance organique ; chaque image, embryon dactivité motrice et perceptive, se développe ici pour elle-même, comme une anticipation non contrôlée par la référence externe à lexpérience du milieu, et à létat libre, cest-à-dire sans corrélation étroite avec les autres sous-ensembles de lorganisation psychique. Elle montre les pré-adaptations mais non des adaptations24.

Limage dans cette première phase est essentiellement pré-perceptive (image a priori) et relève avant tout de lanticipation (ce qui correspondrait au caractère prospectif chez Bachelard) sous la forme motrice au niveau primaire ou biologique de la relation de lorganisme au milieu, puis sous la forme de la crainte et de lattente au niveau secondaire ou psychique, et enfin sous la forme des conduites, des motivations et des expressions, voire des doctrines philosophiques et éthiques au niveau symbolique. Anticiper, cest donc produire une image embryonnaire qui se conserve de la motricité spontanée de lorganisme jusquà la réflexion la plus abstraite de lesprit.

La deuxième phase est celle où :

Limage devient un mode daccueil des informations venant du milieu et une source de schèmes de réponse à ses stimulations ; dans lexpérience perceptivo-motrice, les images deviennent effectivement et directement fonctionnelles ; elles sorganisent et se stabilisent en groupements intérieurement corrélés selon les dimensions du rapport entre lorganisme et le milieu25.

Limage est intra-perceptive dans cette phase (image a praesenti), elle est indissociable de lexpérience bien quelle soit une anticipation à court terme de lobjet rencontré à travers la relation au milieu. Une certaine synthèse des images a priori a lieu qui permet une prise dinformation dans le milieu lors des situations intenses de vie (recherche de nourriture, lutte avec un rival, danger immédiat) au niveau primaire. Au niveau secondaire, la prise dinformation nécessite de devenir identification et différenciation, linformation de limage intra-perceptive est alors comparée au modèle de limage infra-perceptive en vue dune action déterminée qui nécessite la constance de lobjet pour obtenir précision 134et efficacité. Au niveau supérieur, limage intra-perceptive change de fonction et intervient comme une amplification, un complément, une perturbation, de la perception de lobjet, et plus précisément des formes géométriques (ce qui peut rappeler la fonction imaginante et la déformation quelle opère sur les images chez Bachelard).

La troisième phase :

Après cette étape dinteraction avec le milieu correspondant à un apprentissage, le retentissement affectivo-émotif achève lorganisation des images selon un mode systématique de liaisons, dévocations et de communications ; il se fait un véritable monde mental où se trouvent des régions, des domaines, des points-clés qualitatifs par lesquels le sujet possède un analogue du milieu extérieur, ayant lui aussi ses contraintes, sa topologie, ses modes daccès complexes26.

Limage est supra-perceptive dans cette dernière phase (image a posteriori), ce nest plus le contenu moteur ni le contenu cognitif qui prévaut mais le contenu affectivo-émotif qui prend la forme dune systématisation des images antérieures. La formalisation se manifeste au niveau primaire par les conditionnements élémentaires, comme les imprégnations comportementales (Prägung) chez les animaux ou dans le rôle décisif joué par les images précoces dans le développement de la personnalité humaine. Au niveau intermédiaire, les images immédiates, secondaires et éidétiques décrites par la psychologie expérimentale préparent et orientent la relation symbolique au monde. Les images éidétiques sont dailleurs dune importance particulière parce que leur « force sauvage », en sintégrant au symbolisme intellectuel, permettent la création artistique et la formalisation abstraite. Limage se matérialise et devient un véritable symbole au niveau supérieur, et cest là quelle affirme aussi son extériorité, qui nest donc plus primitive mais consécutive à la perception. En se formalisant, limage se détache en effet du sujet comme du milieu, pour devenir le fond universel de la culture et se matérialiser en objets-symboles porteurs de significations plus riches que leurs propriétés perceptives.

Le cycle de limage nest pas pour autant achevé dans la culture. En ramassant sa théorie, Simondon précise que le cycle de limage est bien un cycle à travers lequel les images supra-perceptives de la troisième phase produisent en se systématisant les conditions dapparition des images infra-perceptives de la première phase :

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Autrement dit, les images subiraient des mutations successives qui modifieraient leurs relations mutuelles en les faisant passer dun statut de primitive indépendance mutuelle à une phase dinterdépendance au moment de la rencontre de lobjet, puis à un état final de liaison systématique et nécessissante où les énergies primitivement cinétiques sont devenues des tensions dun système. Linvention pourrait alors être considérée comme un changement dorganisation du système des images adultes ramenant, par un changement de niveau, lactivité mentale à un nouvel état dimages libres permettant de recommencer une genèse27.

Quen est-il dès lors de linvention dans son rapport à limagination ?

Imagination et invention

Dans son deuxième sens, une « praxis des images » ne peut se limiter à laffirmation que limagination est une activité positive et quil existe une activité propre aux images. Dune certaine manière, lactivité de limage est aussi une condition de laction, elle rend possible la sortie des limites du sujet, cest-à-dire sa matérialisation comme nouveauté irréductible.

Si limagination est dynamique pour Bachelard, elle est aussi foncièrement créatrice. On pourrait croire quelle ne fait quagir sur un matériau donné, puisquelle consiste à « déformer les images fournies par la perception et que laction imaginante opère avant tout une association entre des images présentes et des images absentes quelle ne produit pas. Au contraire, limagination nest véritablement action imaginante que si elle est essentiellement ouverte, cest-à-dire quelle est lexpérience même de la nouveauté28. » Mais cette nouveauté pourrait rester une réalité – ou plutôt une surréalité – uniquement mentale et ne susciter aucune matérialisation, aucun passage à lacte fonctionnel et symbolique. Il en va pourtant tout autrement puisque la « vie des images » est en quelque sorte ce qui pousse à vivre plus intensément, à franchir les limites de la vie ordinaire, puisque cette vie des images surcharge la perception 136dattente et de valorisation, et permet surtout d« éprouver la volonté de conduire » selon une « induction matérielle et dynamique » capable de « soulever notre être intime29 ». Linduction dont il sagit est alors bien autre chose que le raisonnement empiriste ; il sagit de linférence dune force à partir dune image, les effets induits pour le sujet étant ce qui prépare, si ce nest appelle, une création par un « surénergétisme », celui que Bachelard voyait particulièrement dans le surréalisme30. La vie des images est, en dautres termes, ce qui déborde la vie du sujet, ce qui lui donne une énergie supérieure quon ne saurait contenir dans les strictes limites du psychisme dès lors quelle est une image profonde. Limagination ne soppose donc pas à la volonté et elle ne lui donne pas un matériau disponible. Elle est au contraire lexpression fondamentale dun vouloir-vivre et plus encore dune volonté de puissance. Cette volonté de puissance toute nietzschéenne nest pas une volonté de dominer limage, mais une volonté créatrice qui refuse de sadapter au réel, qui pousse le sujet par des forces profondes à déformer et à transformer le réel jusquà devenir « lêtre de son image31 » selon une sublimation absolue.

Mais comment sopère concrètement le passage à lacte de la matérialisation ? Il sopère en abandonnant la prudence excessive et les enseignements transmis par la société qui inhibent le franchissement des limites du sujet et des limites de la matière. Il sagit de satisfaire la tendance spontanée de tout être humain à la recherche dun « plus-être » et de désobéir aux objections instituées, cest-à-dire à vivre pleinement ce que Bachelard appelle le « complexe de Prométhée32 ». Plus précisément, le complexe de Prométhée prend tout son sens dans une 137transgression constructrice qui sopère par le couplage dynamique de la volonté créatrice et de la résistance de la matière. Dans un tel élan transgressif, ni limagination ni la matière nont proprement linitiative, mais la résistance matérielle du monde sert d« accélérateur » au psychisme et « pose le sujet dans un ordre nouveau, dans lémergence de son existence dynamisée33 ». Par ce « dualisme énergétique » qui dépasse le dualisme classique du sujet et de lobjet, des moyens et des fins, des forces se couplent et sentretiennent mutuellement pour aboutir à ce que Bachelard appelle une « souplesse de la plénitude », véritable jouissance matérielle et technique dextériorisation transformatrice. Cette jouissance qui séprouve par exemple dans le couplage de la main et de la matière ne produit pas seulement un objet mais aussi le sujet puisque la conscience dêtre un sujet pensant passe par la conscience dune activité : « Je pétris donc je suis », dit ainsi Bachelard.

Cette activité nest pas le rapport dun sujet donné à un objet donné, mais dun sujet en devenir à un objet en devenir, saffirmant réciproquement dans leur couplage énergétique et rythmique, tantôt lun contre lautre, tantôt lun avec lautre. Au cours de lopération matérielle, la résistance adverse devient ainsi potentielle trouvaille puis structure dappui et finalement œuvre durable ; au cours dun tel processus, la volonté se renforce, sintensifie à mesure quelle surmonte limpuissance, devient promesse de joie et finalement plénitude de la réalisation de soi.

Cela étant dit, il sagit là plutôt de linvention au sens de la création littéraire et artistique plutôt que de linvention au sens de la technique et de la science. Si lesprit est unifié chez Bachelard par une conception dynamique de la raison comme de limagination, ce sont toutefois des forces opposées. La raison du scientifique cherche le progrès de la connaissance en résistant à la tendance imaginante du langage pour élaborer rigoureusement des concepts ; alors que limagination du poète doit éviter toute adhésion à la structure logique du langage pour produire des images sous la forme de métaphores inédites. La raison scientifique et limagination poétique ont cependant en commun de dynamiser lesprit, de saffranchir des évidences et des habitudes du sens commun. Mais quel est le rôle spécifique de limagination dans linvention technique34 138et la découverte scientifique ? Pour Bachelard, limpératif de clarté et de séparation de lopinion, autrement dit dinduction rationnelle, nexclut pourtant pas limagination. En effet, il existe un travail de limagination au cœur de la pensée abstraite et rationnelle, sous la forme dun désir prométhéen de savoir plus, de savoir mieux ; mais ce travail imaginant prend forme dans des « métaphores axiomatiques » qui sont une force dappel et une direction virtuelle, et non pas des obstacles épistémologiques faisant divaguer la raison. Ainsi :

De toutes les métaphores, les métaphores de la hauteur, de lélévation, de la profondeur, de labaissement, de la chute sont par excellence des métaphores axiomatiques35.

Cest pourquoi :

La pensée scientifique est entraînée (par les mathématiques) vers des “constructions” plus métaphoriques que réelles, vers des espaces de “configuration” dont lespace sensible nest après tout quun pauvre exemple36.

Comme la suggéré Jean-Jacques Wunenburger :

La métaphore, loin dêtre une forme particulière du poétique, pourrait dès lors servir demblème pour légitimer une pensée heuristique qui articule, sans les confondre, les contraires, concept et image37.

Ce qui oblige à abandonner « lévaluation disjonctive » du tout ou rien (soit cest scientifique, soit cest métaphorique).

Pour sa part, Simondon a consacré lensemble de son ouvrage Imagination et invention à interroger leur relation. Si imagination et perception ne sopposent pas dans la théorie du cycle de limage, imagination et invention non plus. Pourtant, linvention nest pas à proprement parler une phase du cycle de limage. Linvention en son sens le plus général est autant un prolongement quune relance de la genèse des images. Linvention est en fait le point de basculement dun cycle à un autre, elle 139constitue le suivant en achevant le précédent. Mais cet aspect temporel nest pas le seul, puisquen vérité linvention est moins un « moment » du cycle quune opération concrète et complexe qui relance le cycle de genèse des images. Comme chez Bachelard, linvention pour Simondon est indissociable de limagination, elle est préparée, stimulée, élancée par les forces internes du sujet dans sa relation aux forces et configurations du monde.

Bien quelle soit une apparition de nouveauté, linvention est un processus conditionné : anticipation et adaptation du côté externe, systématisation et symbolisation du côté interne, font accomplir au système être vivant-milieu un changement de niveau, cest-à-dire un véritable saut quantique qui engendre un nouveau départ du cycle des images. Il sagit de comprendre que linvention nest pas lavènement absolu dun objet :

Lapparition de linvention dans lactivité humaine nest pas une nouveauté absolue et brusque ; elle se fait de manière progressive par le recours à des objets qui, simples adjuvants au début, prennent de plus en plus de relief et dindépendance en se concrétisant, condensant et organisant en système de compatibilité une pluralité de fonctions simultanées et successives38.

Autrement dit :

Un objet créé nest pas une image matérialisée et posée arbitrairement dans le monde comme un objet parmi des objets, pour surcharger la nature dun supplément dartifice ; il est, par son origine, et reste, par sa fonction, un système de couplage entre le vivant et son milieu, un point double en lequel le monde subjectif et le monde objectif communiquent39.

Lobjet est à la fois support et matériau de laction, linvention ne pouvant advenir sans le réseau des objets existants, qui constituent le milieu associé de linventeur. Ils servent précisément dintermédiaire, cest-à-dire de tierce réalité qui amplifie et potentialise laction préparée auparavant dans les niveaux inférieurs de limage. Il nexiste donc pas dinvention sans un milieu dobjets, ces objets étant comme la mémoire, la dimension historique active à partir de laquelle un objet nouveau est possible.

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Or, pour saisir la nature véritable de linvention, il est nécessaire de sinterroger sur la situation à laquelle correspond la réorganisation du système des images dont parle Simondon. Toute invention est une résolution de problème. Cest lapparition dune dualité initiale à lintérieur dune même action ou entre une action et une situation qui provoque le problème à résoudre à la manière dun obstacle ou dune résistance à un but (ce qui peut rapprocher Simondon de Bachelard). Linvention, en tant que processus de résolution de problème, est donc la recherche de compatibilité entre deux réalités disparates, que Simondon appelle aussi « ordres de grandeur » dun système en état de sursaturation. La résolution nest pas labolition du problème, mais une réorganisation de ses composantes. Toutefois, il ne faudrait pas entendre par là une réorganisation matérielle de termes donnés, car la réorganisation dont il sagit est une restitution de continuité sans laquelle aucune action ne serait plus possible. Le processus complet de linvention part donc de laction pour aboutir à laction, le problème étant le moment critique où laction, pour se poursuivre, doit trouver une voie nouvelle.

Dans sa forme la plus simple, Simondon appelle cette voie un « détour ». Faire un détour, ce nest pas éviter daffronter une situation problématique, cest au contraire lui trouver une solution originale – « une trouvaille » dirait Bachelard –, qui relance en totalité le devenir du sujet inséré dans la situation. En ce sens, la démarche inventive est tout autre chose pour Simondon que la réalisation dune image mentale produite par limagination selon des conditions données, cest une compatibilisation réalisée au sein dun système formé par le problème présent, le résultat anticipé et les relations cognitives, affectives et émotives du sujet à la situation. Selon la complexité du système complet, la compatibilisation sera un détour sans médiation (évitement, reconfiguration positionnelle, décalage temporel), un détour instrumental (recrutement dun objet existant) ou linvention dun objet (structure cohérente et fonctionnelle, détachable du corps propre et applicable à la situation).

Lobjet est en ce sens la forme la plus complète de compatibilisation, en tant quelle est moins une simple médiation (niveau élémentaire de linvention), ou un symbole (niveau intermédiaire), quun support pour une « participation cumulative ». Pour Simondon, le processus dinvention « se formalise le plus parfaitement quand il produit un objet détachable ou une œuvre indépendante du sujet », dans la mesure où 141il devient ainsi « transmissible », constituant, par sa mise en commun, « le support dune relation de participation cumulative40 ». Cest donc moins la teneur objective de lobjet inventé que Simondon met au premier plan que son potentiel de réticulation dune réalité plus vaste que lui. Lobjet inventé est toujours au-delà de lui-même, toujours autre que son objectivité pure ; et que lon parle dun objet technique, dun objet sacré ou dun objet artistique, la véritable teneur de lobjet inventé, cest dêtre porteur dune réserve de potentiels, à la fois physiques, psychiques, cognitifs et symboliques. Lobjet inventé ne fait donc pas signe, il ne renvoie pas abstraitement à ses conditions matérielles et subjectives dont il serait la formule, car il est un symbole au sens fort, qui donne accès à la complémentarité réciproque opérée par linvention entre ce qui vient de la situation et ce qui vient du sujet, dont il est lunité synergétique.

Cest pourquoi la véritable invention est relativement étrangère à la question de lutilité, quelle soit technique, économique ou sociale :

La continuité du créé, avec sa double dimension duniversalité spatiale et déternité temporelle, napparaît nettement que si lon fait abstraction de la destination dutilité []41.

Chaque invention est en effet une formalisation sensible et une organisation opératoire en réponse à un problème dont les conditions sont intrinsèques au système problématique et dont les effets débordent toute finalité programmée. La compatibilisation réalisée par linvention nest pas une adéquation matérielle et fonctionnelle à des fins, mais la formalisation amplifiante et réticulaire dun ensemble dimages ayant sens pour lhomme, elle est un « plus quêtre » au sens de Bachelard.

Imagination et éthique

Dans son troisième sens, une « praxis des images » qui dépasse les limites du sujet et se matérialise suppose un engagement imaginal et produit des effets qui retentissent sur les autres sujets comme sur le 142monde. Cette matérialisation fait de limage un symbole au sens fort, cest-à-dire quelle institue une complémentarité réciproque entre le sujet et lobjet, entre le sujet et autrui, entre la communauté des sujets et le monde, et pose le problème des normes et des valeurs instaurées à travers les images. Par sa nature proliférante, explosive, sauvage, par son irréductibilité à la conscience, à la perception, à linvention, par son immanence, ses effets multiples, son ambivalence, limagination semble rétive à toute tentative de produire une éthique. Que lon opte pour une éthique des vertus, pour une éthique des devoirs, pour une déontologie, à chaque fois une praxis des images paraît se situer à la fois en-deçà et au-delà, sans indiquer immédiatement quelque chose de lordre de règles pour conduire son action en vue de la vie bonne.

Cette question est dautant plus redoutable lorsquelle est adressée à la poétique bachelardienne qui, la plupart des commentateurs lont souligné avec force42, ne comporte pas de théorie éthique. Il existe toutefois de nombreuses réflexions montrant une « préoccupation éthique » constante dans la poétique comme dans lépistémologie bachelardiennes, sans quelles puissent être systématisées ni pour la face diurne ni pour la face nocturne de son œuvre. Ce défaut de systématisation ou de formalisation explicite nest pas un obstacle absolu, il est possible, comme la montré Julien Lamy43, de considérer que Bachelard propose une « polyéthique » cohérente avec son « pluralisme philosophique ». Une telle polyéthique correspond non seulement aux deux faces de lexistence humaine, rationnelle et rêveuse, mais aussi à la rythmique des situations de la vie quotidienne. Elle peut également aussi bien sentendre comme une « éthique de la verticalité », une « éthique du perfectionnisme de soi », une « éthique de la rencontre », une « éthique de la désobéissance », une « éthique de louverture », une « éthique du travail », etc. Il ne peut donc être question de rechercher des principes universels ni détablir une éthique normative, la normativité étant davantage dans les « images-actes » ou les « actes-images » que dans des règles générales de limagination à retrouver à travers les images.

143

Pourtant, sans proposer de doctrine, Bachelard pense toujours limagination en relation avec une attitude, qui est une exigence du « bien rêver44 ». On ne rêve bien que si lon sait rester « fidèle à lonirisme », cest-à-dire si lon laisse coexister la fonction de lirréel avec la fonction de réel, en se défaisant de toutes les « préoccupations qui encombraient la vie quotidienne45 » qui viennent des conventions sociales et des nécessités pratiques ; en ce sens quelles barrent laccès aux profondeurs de lesprit rêveur et empêchent la stimulation des éléments matériels. Il sagit alors de se « libérer des images premières46 », de ne pas céder aux images faciles, convenues, imposées par la société, surtout depuis que cette société est entrée dans le « siècle des images ». Seule la solitude de la rêverie profonde peut réaliser cette exigence en laissant venir à soi ce qui est au plus profond et qui nest pas autre que soi :

La solitude est nécessaire pour nous détacher des rythmes occasionnels. En nous mettant en face de nous-mêmes, la solitude nous conduit à parler avec nous-mêmes47.

Mais ce retour à soi par la confrontation à soi-même nest pas un isolement. Rompre avec les sollicitations sociales est une nécessité pour sortir des relations instrumentales. Sans cette séparation des fins intermédiaires et des rôles imposés, il est impossible dêtre à soi-même et donc de pouvoir rencontrer réellement lautre en tant quautre sujet pensant et rêvant. Cette rencontre sopère plus précisément au point déquilibre entre lélément matériel privilégié par la tonalité dexistence dun sujet singulier et par les archétypes inconscients communs à lhumanité entière. Autrement dit, la solitude comme exigence poétique au sens de Bachelard est la condition de lêtre ensemble, si lon peut dire de la sympathie des rêveurs qui font un monde humain. Cest également en ce sens quil faut comprendre le « complexe de Prométhée », lequel ne vise pas la domination dautrui par le savoir ni le travail, cest-à-dire par la maîtrise jalouse, mais lassomption de soi dans la rêverie cosmique, la conspiration vertueuse de tous dans le progrès de la connaissance. Cest ainsi que le sujet est en « syntonie » avec le monde, selon une 144« poïéthique48 » où volonté et imagination lui confèrent liberté et responsabilité.

Du point de vue éthique, Simondon est dans une situation relativement analogue à celle de Bachelard. Ces réflexions sont éparses, développées à loccasion de propos nayant pas de rapport immédiat avec les enjeux éthiques ou relativement implicites. Deux exceptions sont toutefois à mentionner. La première concerne l« éthique transductive » proposée dans la Conclusion de Lindividuation à la lumière des notions de forme et dinformation comme une troisième voie au-delà de lopposition entre « éthique substantialiste » qui cherche l« immuabilité de lêtre » à travers des modèles hors de la société et de la vie courante du plus grand nombre, et « éthique pratique » qui cherche une adaptation permanente au devenir des situations et des domaines selon les directions de laction. La seconde exception est relative à la technique, elle se distribue tout dabord dans lexigence de reconnaissance des normes et valeurs propres au monde des objets techniques contre le ressentiment culturel dominant dans Du mode dexistence des objets techniques49 ; ensuite dans la critique de la vénalité, de lobsolescence, de lutilitarisme et dans lexigence douverture de « Psycho-sociologie de la technicité » et de « Mentalité technique » ; enfin dans la recherche dune « dialectique de la récupération » écologique par lapprofondissement de la rationalité technique dans « Trois perspectives pour une éthique des techniques50 ».

Quant à limagination, Simondon propose un court développement au sujet de léthique. Lors de létude de la dernière phase du cycle de limage, la formalisation est soit objective et elle donne linvention technique, soit subjective et elle donne une invention artistique et une invention normative de type morale, religieuse, juridique ou politique51. Le type de normativité simpose alternativement selon « le problème dominant de lépoque » à travers des « systèmes symboliques de compatibilité » entre les actions et les valeurs. Simondon apporte ensuite une précision concernant le « domaine axiologique » pour lequel « inventer une morale » consiste à « trouver un système des unités fondamentales assez simple, assez près du sujet pour quil soit antérieur à tout cas complexe soumis 145à décision normative []52. » Cest ainsi que la morale stoïcienne va rendre compatible des morales qui ne létaient pas en se fondant sur une « image primordiale », celle de la persona pouvant convenir au rôle du soldat comme de lempereur, et contenant par ailleurs une « normativité intrinsèque comme rôle (jouer jusquau bout, bien jouer) ». Il en sera de même pour la considération des esclaves à travers la relation parents-enfants plutôt quutilitaire ou économique, ou encore de la morale chrétienne où la fraternité est limage universelle gouvernant toute relation à autrui selon lattitude de charité. Autrement dit, la formalisation donne ainsi :

Une valeur axiologique exemplaire à un acte de plus en plus purement inchoatif, ce qui revient à augmenter la sensibilité et en même temps luniversalité de la formalisation, grâce à la structure interne damplification53.

Cela étant dit, tout comme chez Bachelard, cest une lecture du potentiel éthique de lensemble de la théorie du cycle de limage quil faudrait mener. Ainsi, lanalyse des anticipations, des phobies et exagérations, la victimologie, les conditionnements élémentaires, etc., nest pas seulement une analyse scientifique des éléments qui relèveraient de la psychologie, et serait donc en cela loin des enjeux de lexercice spirituel, de la recherche de la vie bonne, des règles de conduite nécessaire au vivre ensemble. Pourtant, leur inscription dans une théorie du cycle de limage implique en vérité une responsabilité décisive puisque, pour Simondon :

Cest une tâche philosophique, psychologique, sociale [il faudrait ajouter ici « éthique »], de sauver les phénomènes en les réinstallant dans le devenir, en les remettant en invention, par lapprofondissement de limage quils recèlent54.

Imagination et politique

À lissue de cette lecture, le questionnement le plus vif est celui du quatrième sens de la « praxis des images », à savoir le sens politique. Plus encore que léthique, les enjeux du vivre-ensemble pour le bien 146commun sont problématiques pour les pensées de limagination de Bachelard et de Simondon ; elles nécessitent dêtre réinterrogées autant sur le potentiel politique quelles recèlent, sur la méthode danalyse critique de limaginaire politique quelles rendent possible que sur la politique des images quelles suscitent. Car à lépoque de la mondialisation iconique dans laquelle nous vivons, cest-à-dire celle du devenir monde de limage et du devenir image du monde par les technologies numériques – qui prolonge, intensifie, généralise « pour le bien et pour le mal », ce « siècle de limage » dont parlait déjà Bachelard en 194855 –, le risque majeur est en effet celui dune insensibilisation généralisée et dun appauvrissement irréversible de limaginaire. Pour affronter un tel risque éthico-politique, une « praxis des images » à la fois profonde et subversive, utopique et opératoire, est désormais plus que nécessaire pour sauver la rêverie et donc lavenir humain. Et pour y parvenir autrement que par la fuite irrationnelle et technophobe dans une nuit infinie ou par ladhésion inconditionnelle à la profusion continue des images, lire Simondon et Bachelard, lire Simondon lisant Bachelard, savère une pratique existentielle décisive, à condition quelle soit conduite selon une exigence douverture et dinvention qui ne peut se passer de la raison.

Ludovic Duhem

École Supérieur dArt et de Design (ESAD) – Orléans, Valenciennes

1 Au sujet de ce difficile problème des images chez Marx, voir Sarah Kofman, Camera oscura. De lidéologie, Paris, Galilée, 1973 ; Paul Ricœur, LIdéologie et lutopie, Paris, Seuil, 1997 ; Isabelle Garo, Marx. Une critique de la philosophie, Paris, Seuil, 2000.

2 Gilbert Simondon, Lindividuation à la lumière des notions de forme et dinformation, Grenoble, Millon, 2012.

3 Id., Imagination et invention (1965-1966), Paris, PUF, 2014.

4 Sur léthique chez Simondon, voir Gilbert Hottois, « Léthique chez Simondon », in Gilles Châtelet (dir.), Gilbert Simondon. Une pensée de lindividuation et de la technique, Paris, Albin Michel, 1994, p. 69-90 ; Jean-Hugues Barthélémy « Simondon et la question de léthique », in J.-H. Barthélémy (dir.), Cahiers Simondon no 1, Paris, LHarmattan, 2009, p. 135-148 ; Vincent Bontems, « Léthique de la technique chez Simondon et chez Gonseth », in Eric Emery & Benaroyo Lazare (dir.), LÉthique en prise avec la « réalité » et le pragmatisme de Ferdinand Gonseth, Lausanne, Digilex, 2011, p. 53-66. – Sur la politique chez Simondon, voir la revue Multitudes, no 18 : « Politiques de lindividuation : penser avec Simondon », Paris, 2004 ; Bernard Stiegler, « Chute et élévation. Lapolitique de Simondon », in Revue philosophique de la France et de létranger, no 3 spécial Gilbert Simondon, dir. J.-H. Barthélémy, Paris, PUF, 2006 ; Vincent Bontems, « Esclaves et machines, même combat ! Laliénation selon Marx et Simondon », in J-H. Barthélémy, Cahiers Simondon, no 5, Paris, LHarmattan, 2013, p. 9-24 ; Andrea Bardin, Epistemologica e politica in Gilbert Simondon, Fuori Registro, 2010 ; Andrea Bardin « La société, “machine autant que vie”. Régulation et invention politique entre Wiener, Canguilhem et Simondon » in Vincent Bontems, Gilbert Simondon ou linvention du futur, Paris, Klincksieck, 2016, p. 33-44.

5 Ludovic Duhem, « Le sens de lavenir. Exigences et apories du politique chez Simondon », conférence issue du colloque « Simondon politique ? » (Université de Poitiers, Mars 2014) et disponible en accès libre sur la plateforme en ligne academia.edu.

6 Vincent Bontems, Bachelard, Paris, Belles Lettres, 2010, p. 51-53.

7 Jean-Hugues Barthelemy, Simondon ou lencyclopédisme génétique, Paris, PUF, 2008, p. 9-13. Jean-Hugues Barthélémy, « Dune rencontre fertile de Bergson et Bachelard : lontologie génétique de Simondon », in Frédéric Worms & Jean-Jacques Wunenburger (dir.), Bergson et Bachelard. Continuité et discontinuité, Paris, PUF, 2008, p. 223-238 et Vincent Bontems, Bachelard, Op. cit., p. 106-108.

8 Xavier Guchet, Pour un humanisme technologique. Culture, technique et société dans la philosophie de Gilbert Simondon, Paris, PUF, 2010. On y trouve un rapprochement récurrent de la pensée Simondon à celle Bachelard.

9 Dans Lindividuation à la lumière des notions de forme et dinformation (Op. cit., désormais noté ILFI) comme dans Du mode dexistence des objets techniques (Paris, Aubier, (1958), 2012), peu de sources sont citées et lorsque des références explicites apparaissent dans le texte ou dans les éléments bibliographiques, le nom de Bachelard napparaît pas une seule fois.

10 Létonnement du lecteur est sans doute encore plus grand si lon se reporte à lIndex des noms qui comporte presque deux cents entrées sans aucune occurrence du nom de Bachelard.

11 On peut signaler ici que le cours de Juliette Favez-Boutonnier a circulé parmi les étudiants sous la forme dun tapuscrit. Le chapitre sur Bachelard se trouve aux pages 69 à 83. Favez-Boutonnier termine également son cours sur le problème de limagination selon une perspective toute bachelardienne : « Cest un problème constant, un des problèmes dont il faut se dire quon cherche toujours à les résoudre, sans peut-être y arriver jamais complètement, le problème de respecter, pour que la personne humaine se développe, ses capacités dimagination en même temps que ses capacités de rationaliser. » (p. 119)

12 G. Simondon, Imagination et invention, Op. cit., p. 127 et p. 130.

13 G. Bachelard, La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, (1949), 2008, p. 187.

14 Id., Leau et les rêves. Essai sur limagination de la matière, Paris, Corti, (1942), 1997, p. 23.

15 Id., La Terre et les rêveries de la volonté, Op. cit., p. 9.

16 Ibid.

17 Ibid., p. 9-10.

18 G. Simondon, Imagination et invention (1965-1966), op. cit., p. 7.

19 Ibid., p. 3.

20 Ibid., p. 3.

21 Ibid., p. 7-8.

22 Ibid., p. 18.

23 Comme lexplique Simondon : « laspect dialectique des rapports de lorganisme et du milieu nest quun aspect partiel du processus de genèse » dans la mesure où « la phase thétique, antérieure à lexpérience, traduit la spontanéité de lorganisme et la préexistence dune activité danticipation se déployant avant lexpérience » ; quant à la « phase antithétique », elle correspond à lexpérience qui est « la relation la plus serrée entre lorganisme et le milieu » (Ibid., p. 21). Simondon souligne. Cest la dialectique hégélienne qui est critiquée ici et non pas la dialectique bachelardienne dont Simondon se saisira à plusieurs reprises dans dautres textes.

24 Ibid., p. 14.

25 Ibid., p. 19.

26 Ibid.

27 Ibid., p. 19. Simondon souligne.

28 G. Bachelard, Lair et les songes, Op. cit., p. 7.

29 Ibid., p. 15.

30 Ainsi, Bachelard souligne dans La terre et les rêveries de la volonté : « Un véritable surréalisme qui accepte limage dans toutes ses fonctions, aussi bien dans son essor profond que dans son allure primesautière, se double nécessairement dun surénergétisme. Le surréalisme – ou limagination en acte — va à limage neuve en vertu dune poussée de rénovation. Mais dans une récurrence vers les primitivités du langage, le surréalisme donne à toute image neuve une énergie psychique insigne. » (Op. cit., p. 71. Bachelard souligne)

31 Id., La poétique de lespace, Paris, PUF, (1957), 1998, p. 160.

32 Bachelard le présente ainsi dans La psychanalyse du feu : « Il y a en lhomme une véritable volonté dintellectualité. On sous-estime le besoin de comprendre quand on le met, comme lont fait le pragmatisme et le bergsonisme, sous la dépendance absolue du principe dutilité. Nous proposons donc de ranger sous le nom de complexe de Prométhée toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres. » Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu, Op. cit., p. 30. Bachelard souligne.

33 Id., La terre et les rêveries de la volonté, op. cit., p. 30. Bachelard souligne.

34 Sauf erreur, linvention technique nest pas traitée comme telle par Bachelard, la technique étant généralement pensée sous trois formes indissociables de la recherche de la connaissance selon la démarche scientifique : 1) construction du réel par les instruments dobservation et de mesure (phénoménotechnique) ; 2) dispositif expérimental de validation dune hypothèse ; 3) application pratique dune science.

35 Id., Lair et les songes, Op. cit., p. 18.

36 Id., La formation de lesprit scientifique, Paris, Vrin, 1938, rééd. 2004, p. 5.

37 Jean-Jacques Wunenburger, Gaston Bachelard, poétique des images, Milan, Mimésis, 2014, p. 112.

38 G. Simondon, Imagination et invention (1965-1966), op. cit., p. 41.

39 Ibid., p. 164.

40 Ibid.

41 Ibid., p. 165.

42 Voir J.-J. Wunenburger, Gaston Bachelard, Science et éthique, une nouvelle éthique ?, Paris, Hermann, 2013.

43 Julien Lamy, « Bachelard et la tradition des “exercices spirituels” », in J.-J. Wunenburger, Gaston Bachelard. Science et poétique, une nouvelle éthique ?, Op. cit., p. 337-350.

44 G. Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, op. cit., p. 9.

45 Id., La poétique de la rêverie, Paris, PUF, (1960), 2016, p. 148.

46 Id., Lair et les songes, Op. cit., p. 7.

47 Id., Le droit de rêver, Paris, PUF, (1970), 2013, p. 244.

48 Voir J.-J. Wunenburger, Gaston Bachelard, poétique des images, Op. cit., p. 230.

49 G. Simondon, Du mode dexistence des objets techniques, Op. cit.

50 Tous ces textes se trouvent dans G. Simondon, Sur la technique, Paris, PUF, 2014.

51 Id., Imagination et invention (1965-1966), Op. cit., p. 160.

52 G. Simondon, Imagination et invention (1965-1966), op. cit., p. 161.

53 Id., Imagination et invention (1965-1966), op. cit., p. 162.

54 Ibid., p. 14.

55 Ainsi « nous sommes dans un siècle de limage. Pour le bien comme pour le mal, nous subissons plus que jamais laction de limage. » (G. Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté. Essai sur limagination de la matière, Op. cit., p. 12).