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Classiques Garnier

La Grande Guerre et la constitution du social Autour d’Otto von Gierke

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Éthique, politique, religions Les transformations du concept de guerre (1910-1930)
    2016 – 2, n° 9
    . I. Limites et extension
  • Author: Jouin (Céline)
  • Abstract: As the social conflict became more and more important in the representation of war itself, since the end of the First World War, Gierke’s disciples, among which Hugo Sinzheimer, used the corporations legal theory of their master in order to construct the german social law. During the Republic of Weimar, Otto Kirchheimer proposed a conception of the relation between war and politic that stands out from the « romantic » conception of the « gierkians » Sinzheimer and Fraenkel.
  • Pages: 93 to 111
  • Journal: Ethics, Politics, Religions
  • CLIL theme: 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN: 9782406067634
  • ISBN: 978-2-406-06763-4
  • ISSN: 2271-7234
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06763-4.p.0093
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 01-13-2017
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: Social law, juridical socialism, global civil war, class struggle, Otto von Gierke
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La Grande guerre
et la constitution du social

Autour dOtto von Gierke

La Constitution de Weimar est la première constitution sociale européenne. Or, elle est un effet direct de la guerre, et en particulier, de la remise en cause de la nature même de la guerre au moment de la subversion de lordre social ancien, entre 1917 et 1920. Linscription des droits sociaux dans la constitution, qui ne se généralisera en Europe quaprès la Seconde guerre mondiale, est une suite, dans lAllemagne de 1919, de lintrusion des luttes sociales au cœur même de lÉtat, mais aussi de léconomie de guerre. En effet, après lextrême violence que lÉtat a fait subir aux masses pendant la guerre, et à cause du besoin quil a eu de leur travail pour faire tourner léconomie de guerre, celui-ci a cherché à leur apporter des compensations, pour éviter la révolution. Le système politique sest élargi jusquà embrasser les institutions qui appartenaient jusque là à la sphère du privé et du social. Lextension de la politique au social a contribué à mettre en crise le modèle de la guerre patriotique comme forme canonique. La frontière entre guerre civile et guerre extérieure, entre guerre sociale et guerre politique sest estompée. La représentation dune guerre en partie ou entièrement post-nationale a fait son chemin1.

La Première Guerre mondiale a été suivie dune « avancée considérable2 » du droit social dans la plupart des pays occidentaux. La journée de huit heures a été accordée presque partout en Europe juste après la guerre, les syndicats ont été reconnus, les systèmes dassurance maladie et chômage se sont considérablement développés. En Allemagne, les accords 94Stinnes-Legien de novembre 1918 conclus entre le patronat et les syndicats ont abouti à un programme inédit de démocratie sociale proclamé en particulier dans larticle 165 de la Constitution de Weimar, selon lequel « les ouvriers et les employés sont appelés à déterminer, en commun avec les employeurs et sur un pied dégalité, les salaires et les conditions de travail ainsi que lensemble des conditions du développement économique des forces productives ».

On cherchera ici à montrer, en se concentrant sur le cas de lAllemagne, que pour saisir la transformation du concept de guerre depuis la Première guerre mondiale et jusquà la montée du fascisme, les débats sur le droit social sont essentiels. La tentative de pacification par le droit international, dont la SDN est le symbole, sest en effet doublée dune tentative de pacification par le droit social, notamment au travers de la création, prévue par le Traité de Versailles, du Bureau international du travail (BIT). On sintéressera en particulier au juriste Otto von Gierke. Les débats qui sont nés autour de ce théoricien du droit corporatif sont indissociables de la naissance du droit du travail en Allemagne. En effet, la « constitution économique » de la Constitution de Weimar a été lœuvre pour une grande part de disciples de Gierke (en premier lieu Hugo Sinzheimer et Hugo Preuss). Ces juristes démocrates ou socialistes ont tenté de se mouvoir à lintérieur dun changement organique de la constitution et de faire porter à celle-ci toute la charge de la conflictualité sociale. Ils ont parié sur la construction dune nouvelle branche juridique, le « droit du travail », noyau du « droit social », et sur la reconnaissance du rôle des « associations » dans lÉtat (notamment à travers la convention collective), à la fois pour sauver les acquis des luttes sociales et pour prévenir leur montée aux extrêmes. Les débats autour de la notion de corporation, qui nous conduisent jusquà la formation du régime nazi, nous serviront de fil directeur. La reconnaissance du caractère corporatif de léconomie par les nazis concerne en effet à nouveau les gierkiens, qui ont été pris de court, eux qui associaient la corporation à la construction de la démocratie sociale et non à la mystique communautaire.

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Droit social, corporations,
capitalisme organisé

Lactualité de Gierke pendant la Grande guerre

La Constitution de Weimar était sans précédent non seulement parce quelle reconnaissait laspect contraignant du droit international dans son article 4 mais aussi parce quelle montrait dans sa seconde partie que cétait par les méthodes de lÉtat de droit que certains recherchaient la paix sociale et la paix « tout court ». Comme lécrit Carl Schmitt en 1930, « la constitution de Weimar peut être interprétée comme une paix entre classes (Klassenfriede)3 ». Or cest en se réclamant dOtto von Gierke (1841-1921), que certains juristes comme Hugo Preuss (en droit constitutionnel) et Hugo Sinzheimer (en droit du travail) ont défendu linscription du droit social dans la Constitution, ainsi que la reconnaissance par cette dernière des acteurs du monde du travail. Selon la méthode néocorporatiste quil prônait, lÉtat devait répondre aux effets déstabilisants des luttes sociales par la négociation avec les représentants des intérêts catégoriels4.

Juriste éminent qui a influencé de façon décisive la sociologie allemande (à travers Ferdinand Tönnies et Max Weber), Gierke a placé la notion de corporation au centre de son histoire du droit. Dans son monumental Deutsches Genossenschaftsrecht en 4 volumes (1868-1914), il a tenté datténuer la dichotomie classique entre les pays de civil law et les pays de common law. Au sein dun système imprégné de droit romain dans lequel sest édifiée la doctrine de la souveraineté conçue comme monopole du pouvoir, il veut revaloriser le droit commun dorigine germanique, pour lequel la production du droit, au lieu dêtre la prérogative exclusive dun État-personne, est la résultante de lautonomie et de la dynamique de diverses associations (Verbände). En voulant faire contrepoids au droit romain, qui selon Gierke a 96pour effet daccroitre lindividualisme et la verticalité du pouvoir et de limiter lautonomie des associations, par les principes « germaniques » dautolimitation de la liberté et de réciprocité des droits et des devoirs, Gierke, en réalité, reflète moins la réalité allemande quil ne veut la transformer. Élever la notion de corporation au concept aurait été inutile en Angleterre tant lautonomie des corporations y était ancrée dans la pratique5.

Force est de constater néanmoins que linfluence exercée par Gierke sur le droit est restée faible avant la Première guerre mondiale6. Cest seulement pendant la guerre et dune manière indirecte, à travers ses réactualisations par ses « élèves » et les débats quelles ont suscités que la pensée de Gierke a acquis une actualité soudaine.

Lactualité dun penseur qui construit la souveraineté à partir de la pluralité des groupes et des associations jette un éclairage pour le moins paradoxal sur la transformation de lÉtat pendant la « guerre totale ». Dans tous les pays belligérants, léconomie de guerre a vu saccroître linterpénétration de lÉtat et de léconomie. Les organes responsables de larmement sont devenus des instruments de mise au pas de lindustrie. Dans un contexte de forte concentration du capital et de montée en puissance des cartels et des trusts, tous ne misaient pas sur la bureaucratie de lÉtat pour résoudre les problèmes économiques. Nombreux étaient ceux qui espéraient que de nouveaux acteurs assumeraient la tâche. Herfried Münkler souligne que la transformation de la guerre en « guerre totale » sest en fait traduite par une perte du pouvoir direct de lÉtat en matière économique et sociale et par le transfert de nombreuses fonctions, jusque là étatiques, à des acteurs du monde du travail7 dans lesquels les disciples de Gierke ont voulu reconnaître les corporations de leur maître.

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Au faîte de ce qui semblait être sa puissance, lÉtat était en fait miné de lintérieur. Ses compétences avaient été trop étendues, ses capacités surestimées, à la suite de quoi il sétait considérablement affaibli8.

La dictature militaire de Ludendorff a eu besoin des syndicats et de la social-démocratie pour faire tourner léconomie de guerre. Ainsi, au moment même où lÉtat semblait sétendre en semparant des questions économiques et sociales, cest un ordre économique pluraliste et corporatiste qui se mettait en place. Comme les historiens Hans-Ulrich Wehler, Charles S. Maier et Herfried Münkler lont montré, le concept de « capitalisme organisé » forgé par Hilferding en 1915 décrit mieux lordre engendré par léconomie de guerre que le concept de « capitalisme monopolistique dÉtat » de Lénine. Cest en effet un ordre économique centré sur les groupes dintérêts, marqué par lentrelacement de la bureaucratie dÉtat et du secteur privé qui remplaçait léconomie concurrentielle qui tournait autour de lentrepreneur individuel.

Dans ce contexte, une représentation nouvelle a émergé. Celle dun État social qui était potentiellement un État total, mais qui nétait certainement plus un État souverain. Miné par des groupes dintérêts dont le pouvoir était en partie invisible, voilà comment lÉtat apparaissait à la sortie de la guerre. De cet État on allait bientôt dire quil était « total », mais total « par faiblesse9 ».

Avant la guerre, Gierke avait eu tendance à ne pas tirer les conclusions politiques de ses théories. Les juristes qui sinspiraient de lui étaient donc libres de le faire à sa place. Et de fait, le nom de Gierke a servi les causes politiques les plus diverses pendant la guerre.

Prenons le cas de Hugo Preuss. Celui-ci sappuie sur Gierke pour transformer lÉtat de classe (Klassenstaat) en État populaire (Volksstaat). En 1917, la tâche la plus urgente à ses yeux est dintégrer les masses dans 98lÉtat, tâche indissociable selon lui de la « parlementarisation » du régime bismarckien. Seule la démocratisation du système wilhelminien, qui est « dans lair du temps depuis le début de la guerre », et qui est impossible sans une « liquidation politique de la guerre10 », est à même à ses yeux de conférer à lÉtat lélasticité nécessaire pour absorber les chocs de la conflictualité socio-politique enclenchée par la guerre11. Ce faisant, Preuss rend caduque la représentation du social comme manque ou comme anarchie. Il accrédite lidée dune constitution du social12. Lévidence est pour lui que lÉtat est une force historique qui sinsère dans toute relation entre les individus et les groupes, et qui entre même dans la constitution de toute « individualité » comme de toute « collectivité ».

Il est remarquable quau même moment le juriste conservateur Erich Kaufmann se réclame de Gierke pour défendre une position tout autre. Dans Bismarcks Erbe in der Reichsverfassung (1917), Kaufmann affirme que la Grande guerre est en fait une guerre des constitutions (« ein Krieg um die Verfassung13 »). Attaquée, lAllemagne laurait été par des États qui refusaient le modèle de la constitution bismarckienne. Cest cette constitution, « typiquement germanique », fédérale et basée sur la pluralité des associations, qui empêchait prétendument la transformation de lÉtat wilhelminien en régime parlementaire. Pour Kaufmann, comme pour la plupart des conservateurs, la « voie allemande » – le Sonderweg – qui soudait le peuple en une unité organique, équivalait à la démocratisation des relations sociales et politiques et la rendait par là-même inutile. Contre cette idée dun droit « allemand » surgi de la société elle-même, fondé sur la pluralité des corporations et tenant lieu de démocratie, Max Weber a eu des mots extrêmement durs : par elle des « littérateurs14 » romantiques défendaient un pseudo-constitutionnalisme (Scheinkonstitutionnalismus) et 99renforçaient, au nom du fédéralisme et de lautonomie des associations, la prééminence de la Prusse, le statu quo et la bureaucratie.

État social, État national

En Allemagne, la paix civile (Burgfrieden) du début de la guerre – ou l« esprit de 1914 » – sest vite effritée. Les populations ont manifesté un refus croissant de la guerre, en particulier les ouvriers, à partir de 1916. La communauté solidaire daoût 1914 faisant place à nouveau aux divisions. Cest dans ce contexte que la loi sur le service auxiliaire patriotique (Hilfdienstgesetz) de 1916 a reconnu pour la première fois les syndicats comme partenaires sociaux et a introduit des comités de travailleurs obligatoires dans lentreprise, préfigurant ainsi le modèle de dialogue social promu ensuite dans la Constitution de Weimar. Laccord Stinnes-Legien de novembre 1918, le décret sur le Tarifvertrag du 23 décembre 1918, la reconnaissance légale des conseils de fabrique (Betriebsräte) en 1920 ont ensuite abouti à la « constitution économique » de la Constitution de Weimar.

Cest de la Première Guerre mondiale que date la pacification de la lutte des classes par les conventions collectives, aussi fragile quelle ait été. À la fin de la Grande Guerre, la social-démocratie a misé sur le droit social et sur les syndicats pour pacifier la société, en Allemagne et un peu partout en Europe. La modération des gouvernements socio-démocrates européens a été tout autant une réaction au bolchévisme et à son programme de militarisation de la lutte des classes quun effet de leur acceptation par les anciens systèmes politiques. Refusant didentifier la lutte des classes à une guerre véritable, distinguant Kampf et Krieg, contre Lénine qui avait annoncé en 1914 la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire », les mouvements ouvriers occidentaux ont alors emprunté une voie moyenne.

Marxiste hétérodoxe, critiqué par les communistes comme Karl Korsch, le juriste Hugo Sinzheimer est une figure centrale de ce mouvement15. Celui 100quon considère comme le père du droit du travail allemand voulait mettre sur pied une « démocratie collective » dont les piliers devaient être la liberté dassociation, les conventions collectives et lois sur les conseils de fabrique (Betriebsräte). Les fonctions normatives, dobligation et dorganisation de la convention collective, devenues depuis un bien commun du système juridique européen continental, ont été le fruit de la « révolution copernicienne » quil a opérée : le droit social collectif, à travers le principe des négociations paritaires, rompait avec lordre juridique individualiste.

Sinzheimer a cessé de déduire le droit du travail du droit civil en 1916. Alors quen 1908 il soulignait encore « linnocence » du droit du travail, désignant par là sa subsomption sous le droit civil16, il change de position pendant la guerre17. Se réclamant à la fois de Marx et de Gierke pour dire que la liberté de contracter de lindividu est devenue une fiction, le juriste impose la convention collective comme source normative autonome. La subsidiarité du droit étatique et la subsomption de la volonté individuelle sous la celle du groupe en résultent. Lidée que les droits sociaux complètent les droits de lhomme, et finalement, en sont, loin pourtant dêtre abandonnée, est réaffirmée. Idée maîtresse au nom de laquelle Sinzheimer veut unifier le droit du travail et le détacher une fois pour toute du commencement bismarckien qui laissait en place les différents statuts des travailleurs et dépendait encore trop de la tradition philanthropique18.

À la doctrine dominante qui refusait que la convention collective vaille pour tous et pas seulement pour les parties contractantes, Sinzheimer a répondu par des analogies tirées de lhistoire du droit de Gierke. Il a rappelé quau Moyen Âge les traités de paix qui avaient pour fonction de limiter la faide étaient reconnus comme du droit objectif19. Citant 101Gierke, il a soutenu que « la paix sobtient par celui qui fait lui-même la paix20. » Mais pour Gierke, la fonction normative du contrat, qui brouille la grande opposition entre contrat et loi et fait des accords entre les groupes une source légitime du droit, est propre à la tradition du droit germanique. Sinzheimer considère pour sa part que ce que son maître qualifie d« allemand » concerne en fait le développement de toute société démocratique21.

Dans un texte fameux paru en 1922, Sinzheimer fait de Gierke lun des pères du droit social allemand22. Il rend hommage au combat du juriste contre lesprit individualiste de la première version du code civil. Alors que les romanistes comme Windscheid subsumaient le contrat de travail sous la catégorie de louage et lassimilait au droit des obligations, le grand apport de Gierke est davoir vu quhistoriquement le contrat de travail prenait racine dans le droit des personnes. Ainsi Gierke est-il « le premier de tous les juristes à avoir saisi lessence du contrat de travail23 ».

De fait, on ne peut nier que Gierke ait pris au sérieux la question sociale. Dès les années 1860, il a montré que la grande entreprise capitaliste était un groupement fondé sur la domination (« Herrschaftsverband24 »). Il na pas hésité à dire que lentreprise capitaliste menaçait lexistence du peuple et que les inégalités étaient sans doute plus grandes dans lAllemagne de son temps que dans le système indien des castes25. Il a mis en garde contre le risque datomisation sociale, comptant sur lauto-administration (Selbstverwaltung) des associations pour le contrer. Gierke est en outre lun des premiers juristes à avoir reconnu les associations de travailleurs nées en Angleterre au début du xixe siècle, dont les juristes ne soccupaient guère à lépoque, comme des organes de lautodétermination économique. Celles-ci représentaient pour lui une réaction salutaire à lindividualisme et à la liberté de marché26.

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Faire de Gierke le père du droit du travail allemand est néanmoins problématique. En effet, Gierke na appliqué le principe dauto-administration (Selbstverwaltung) des associations quaux seules institutions « bourgeoises » du Kaiserreich, les chambres de commerce et dindustrie (Handelskammer), les tribunaux arbitraux (Schiedsgerichte), les ordres davocats (Anwaltskammer). Il ne la jamais appliqué aux objets nouveaux de la politique, partis politiques, syndicats, trusts et cartels. Bien plus, quand Sinzheimer a vu dans les syndicats des corps auxquels appliquer le principe dautodétermination, Gierke a critiqué ce geste27. Défenseur du primat de la politique extérieure comme la plupart des conservateurs de son temps, ce dernier avait une vision du peuple allemand trop marquée par lorganicisme pour accorder à lidée de « guerre » sociale la valeur qui était la sienne.

On la dit, Gierke avait peu dégagé les conséquences politiques de ses théories avant la guerre. Et quand la guerre la conduit à le faire, les positions de ce défenseur du fédéralisme et du pluralisme des associations ont été classiquement nationalistes et étatistes28. On ne sétonnera donc pas outre mesure quil ait refusé avec véhémence lidée de « droit social » (soziales Recht) avancée par Sinzheimer29. Il ne pouvait être question pour lui de constituer un nouveau domaine du droit relevant du droit public. Que les relations de travail soient réglées par le droit commercial et la catégorie romaine de louage de services nétait pas normal à ses yeux. Mais le droit social étatisé que construisait Sinzheimer ne valait pas beaucoup mieux : il reposait selon Gierke sur lidentification erronée de lopposition entre le droit privé et le droit public et celle entre le droit individuel et le droit social. Le droit privé individualiste dont parlait Sinzheimer navait jamais existé en Allemagne, où le droit romain avait certes introduit le principe « antisocial » de lindividu souverain, mais 103où ce dernier avait été modéré par « lidée germanique du droit » et son principe corporatif. Finalement, pour Gierke, le prétendu « droit social » ne peut donc être que le droit civil en tant quil inclut une fonction sociale. Lopposition entre individualisme et socialisme doit se déployer uniquement sur le terrain du droit privé pour celui qui dit ne souhaiter introduire quune « goutte de socialisme » dans le droit privé30.

Suivant cette perspective, la constitutionnalisation du droit social nest pas une solution. Elle fait entrer la conflictualité de la société trop au cœur de lÉtat de droit et menace finalement de le détruire :

Il y a peu de chance que la convention collective réduise la méfiance vis-à-vis de lÉtat et neutralise le conflit de classe. Et cest à lÉtat quon reprochera léchec de la loi qui linstitue et léchec de la pacification sociale31.

En somme, le droit social risque pour Gierke de détruire le fondement historique de lÉtat par un collectivisme autoritaire qui nest quun individualisme à lenvers.

Dans une conférence de 1919 sur « Lidée germanique de lÉtat » (Der germanische Staatsgedanke) Gierke durcit encore ses analyses. Il affirme que la tradition romaine court du principe du Princeps legibus solutus jusquà lÉtat policier (Polizeistaat) du xviiie siècle. Elle est présente dans lÉtat éducateur (Erziehungsstaat) du xixe siècle, dans lÉtat providence (Wohlfartsstaat) et dans sa transformation en État paternaliste32 (Bevormundungsstaat). La réconciliation de cette tradition avec la tradition germanique, corporative et fédérale se fait dans la monarchie constitutionnelle :

La tendance de la monarchie absolue vers la monarchie constitutionnelle réconcilie lautorité (Obrigkeit) telle quelle a été héritée de lhistoire avec son fondement corporatif (genossenschaftlich)33.

Lidéal dun droit construit à partir dune pluralité dassociations auto-administrées naboutit donc nullement chez Gierke à la relativisation de la souveraineté, comme ce sera le cas pour ses lecteurs anglais. Pas plus 104quelle naboutit à une défense des conventions collectives au sein de lÉtat social, en dépit de ce que ses élèves allemands lui faisaient dire. La Genossenschaft a été hypostasiée en Nation, contre le droit social en train de se faire – qui instille le conflit. « Notre État doit être et rester national ! Il doit être social, mais pas socialiste ! », sexclame le vieux Gierke à la fin de sa conférence34. Si la théorie allemande de lÉtat a su naguère défaire lillusion individualiste du contrat social, si elle a su « dissiper les nuées des songes cosmopolitiques35 », il considère quil lui faut encore, pour rester à la pointe de la science juridique européenne et échapper à la « barbarie36 », résister au socialisme et à son programme détatisation du social.

La guerre dans lÉtat

Le schème de ladjonction de lÉtat social à lÉtat de droit, des droits sociaux aux droits fondamentaux, du paritarisme à létatisme nétaient pas une idée creuse pendant la guerre et dans limmédiat après-guerre en Allemagne. Ce schème a été au cœur du « compromis de Weimar » et de la réponse que le mouvement ouvrier allemand a faite à la fois aux conservateurs et aux bolcheviques. La constitutionnalisation du social heurtait les premiers comme les seconds.

Les juristes gierkiens qui ont contribué à la codification du droit social lont fait en pensant rajeunir le principe corporatif de Gierke. Le libéralisme initial de leur maître les aidait à concilier défense des libertés individuelles et « démocratie collective ». Sur leur lancée, le tournant conservateur de Gierke pendant la guerre ne les a pas retenus. Sinzheimer na pu croire au sérieux du désaccord entre lui et son maître à propos du droit social, désaccord quil a minimisé jusquau bout.

Sinzheimer attribuait un noyau éthique neutre à lÉtat social. LÉtat non-interventionniste du xixe siècle devait simplement acquérir une fonction supplémentaire, celle de la redistribution. LÉtat-nation devait 105se développer en État social. Sous la plume du juriste, tout se passait comme si le conflit historique du socialisme et du nationalisme navait jamais eu lieu.

La deuxième génération des gierkiens allemand le lui reprochera. Nétait-ce pas sous-estimer la guerre que ces deux forces allaient bientôt se faire dans lÉtat ?

Il est frappant de constater que Sinzheimer a continué à promouvoir le principe corporatif jusquau bout, en dépit de la récupération que sétaient mis à en faire le fascisme mussolinien puis le nazisme. Il a continué à critiquer le libéralisme et lindividualisme du xixe siècle de manière inchangée de 1916 à 1933, bien quentre temps les nazis aient entonné la même critique. Il maintenait en 1933 que la faiblesse du droit du travail était due à une conception erronée de la liberté37.

Convaincu jusque dans les années 1930 que le danger venait de la « fixation » du droit et de son immobilisation, au moment où les nazis se faisaient eux-mêmes les partisans du « mouvement », sa crainte a été jusquau bout que lélévation de droits sociaux au rang de droit fondamentaux, en « figeant » un état du droit matériel sous forme du droit formel, ait un effet négatif38. Convaincu que seul un droit « libéré des entraves » dun ordre normatif trop strict mettrait fin à la crise politique, il na pas hésité à employer un argument devenu celui des nazis.

Les juristes socio-démocrates de la génération suivante comme Franz Neumann, Otto Kahn-Freund et Ernst Fraenkel ont été influencés par Gierke, comme Sinzheimer. Ils nont pas manqué de remarquer que les synthèses inédites du national et du social, du corporatif et de létatique qui avaient été inscrites dans la Constitution de Weimar étaient celles-là même que reprenait le fascisme depuis Mussolini39 et que le père du droit du travail restait désarmé face à la récupération que les nazis faisaient de la « corporation ». Ernst Fraenkel pointe le problème dans Kollektive Demokratie (1929) :

Une analyse de lÉtat qui part du principe que les associations économiques vont jouer un rôle croissant au sein de lactivité étatique et qui pose que la 106démocratie collective va compléter la démocratie individuelle doit se demander si ce développement ne conduit pas au fascisme40.

Il considère néanmoins que :

Cest faire injure à la démocratie collective que de la penser comme un double de la dictature mussolinienne qui essaie de se dissimuler en attribuant des pouvoirs apparents à des organisations41.

La participation croissante des associations (Verbände) à la vie de lÉtat est pour lui une tendance réelle, démocratique, en dépit de léchec de larticle 165, impossible à ignorer depuis les années 1920 :

Ladjonction de la démocratie collective à la démocratie individuelle simpose de plus en plus. Si cela napparaît pas dans la législation, cest à cause de larticle 165 []. Ironie de lhistoire, on a tellement ancré les conseils (Räte) dans la constitution, que dans une situation économique transformée, on na plus été capable de mettre à leau le bateau de la constitution économique42.

Contre ce diagnostic et les présupposés théoriques des « Genossenschaftstheorien en tout genre43 », Otto Kirchheimer est sans doute le juriste qui a critiqué avec le plus déclat et de profondeur ceux qui plaçaient leur espoir dans la démocratie sociale pour pacifier lEurope.

Dans un texte fameux, « Weimar und was dann ? » (1930), ce juriste, schmittien de gauche et figure importante de lÉcole de Francfort, répond à loptimisme dont fait preuve Fraenkel dans Kollektive Demokratie. Léchec de la République de Weimar et du « compromis » voulu par les socio-démocrates allemands ne fait pas de doute à ses yeux. Face à la polycratie et à lanarchie de la guerre économique, la constitutionnalisation des puissances sociale ne peut rien selon lui, contrairement à ce que pensaient les « gierkiens » démocrates.

Otto Kirchheimer considère que la guerre est maintenant « dans lÉtat ». La reprise des formes constitutionnelles du xixe siècle est 107inadaptée à lÉtat de classes du xxe siècle. Les socio-démocrates attendent donc trop de la Constitution malgré son étonnante reconnaissance des droits sociaux fondamentaux (soziale Grundrechte). Au lieu dun programme daction, cest latermoiement dun tel programme quelle contient à ses yeux. Non le compromis, « mais la reconnaissance étrange et jusque-là inédite dune juxtaposition de différents systèmes de valeur » fait delle une « constitution sans décision44 ».

Il est instructif de comparer les récits que Sinzheimer (ou Fraenkel) dun côté, Kirchheimer de lautre, donnent de la genèse de « constitution sociale ». Les premiers développent une conception quasi téléologique de la démocratisation : sous leur plume lÉtat libéral devient conforme à son concept quand il devient État social. Kirchheimer souligne au contraire ce que cette transformation a eu de contingent et ce quelle doit à la guerre. Cest la guerre en effet qui pour ce dernier a contraint lÉtat à élargir ses sphères dintervention pour se faire lagent dune nouvelle « gouvernementalité ». La transformation de lÉtat politique en État social est un phénomène entièrement politique. Non seulement parce que la guerre a eu un rôle daccélérateur dans lavènement de lÉtat social, mais surtout parce que celui-ci a été le fruit dun rapport de force : linstitution de la citoyenneté sociale à la fin de la guerre sest « servi » de la nécessité où se trouvait lÉtat nation de créer par-delà les différences de classes une « appartenance » nationale commune. Et inversement, lÉtat national sest « servi » de la politique sociale et du déplacement des conflits sociaux pour se présenter comme instance commune représentative dintérêts supérieurs menacés.

Lancien doctorant de Schmitt le souligne : larticle 165, qui recourt à lÉtat pour régler la question sociale, ne correspond pas au programme socialiste originel. Cet article résulte bien plutôt de la nécessité dans laquelle se sont trouvés les travailleurs, en 1918, daccomplir une « tâche extrêmement difficile », celle de « liquider une guerre perdue45 ». Laccord Stinnes-Legien de novembre 1918 a décidé du « destin de la constitution46 » en engageant la « lutte acharnée47 » entre patronat et travailleurs dont la constitution a ensuite été théâtre.

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Ainsi, pour Kirchheimer, dans la mesure où, après la guerre, la citoyenneté sociale a été incorporée à la légitimité de lÉtat, celui-ci est devenu un État national et social. Les stigmates de cette naissance demeureront. Aucune harmonie préétablie ne règlera le rapport du national et du social. Les obstacles auxquels se heurtent lÉtat social tel quil a été construit après la guerre viennent pour le juriste dune dialectique interne qui le rend problématique (qui allait resurgir dans le national-socialisme) et non simplement de forces externes qui laffaiblissent.

Il nous reste à souligner que pour Kirchheimer, les « Genossenschafttheorien, en tout genre », aussi critiquables quelles soient, demeurent un point de départ incontournable. Le juriste souligne en 1944 que les théories de Gierke et ses descendants allemands, celles des pluralistes Figgis et Cole en Angleterre, ont renouvelé de manière décisive les théories libérales du xixe siècle, « lesquelles ont lair dactions apologétiques darrière-garde en comparaison48 » :

La théorie ne peut rien faire dautre que prendre connaissance du fait que les institutions quon appelait au xixe siècle « les institutions libres » suffoquent sous leffet des transformations de la société industrielle. Ce quil en reste est utilisé comme instrument de propagande aussi bien par les amis que par les ennemis. Lécart croissant entre lomnipotent sujet de la domination et son objet impuissant donne lieu à des interprétations diverses, à la théorie du totalitarisme mais aussi, dans différents camps politiques, à ceux qui se demandent si le terme d« État » est un bon point de départ pour enquêter sur les rapports de force des différences puissances sociales dans la société contemporaine49

Dès lors, la tendance pluraliste et corporatiste du système politique, accusée par le rapprochement des instances étatiques et des cartels capitalistes qua scellé léconomie de guerre, nest pas un épiphénomène par rapport à un antagonisme plus essentiel. Il est lun des traits constitutifs de la conflictualité au xxe siècle. Cest pourquoi, tout marxiste quil est, Kirchheimer ne peut maintenir telle quelle la notion de « lutte des classes ». Est-ce-à-dire alors quil adopte la position pluraliste ou néocorporatiste ? Quil attribue le potentiel régulateur qui émanait de lÉtat aux grands groupements, organisations syndicales, patronales et 109autres ? La réponse est négative : pour lui la politique ne peut se dissoudre entièrement dans la logique de la représentation des intérêts. De plus en plus conscient de la proximité entre ordre et désordre politique, il observe que :

… les fascistes partent de lidée que les différentes économies nationales ont désormais un caractère corporatif et les juristes des pays libéraux essaient de réconcilier ce fait avec les principes individualistes des différentes constitutions. Mais entre limage créée par les Genossenschaftstheorien en tout genre et la réalité des groupes dans la société industrielle lécart est grand. Le concept de vie commune indépendante de lintérêt égoïste de ses membres échoue à saisir les liens qui unissent lindividu au groupe50.

La vision quont les Genossenschafttheorien des rapports entre lindividu et le groupe et entre les groupes dans la société industrielle pêche par romantisme aux yeux de Kirchheimer. Les gierkiens allemands affirment la convergence des associations et de lÉtat démocratisé. Les gierkiens anglais découvrent à la place de lÉtat souverain une multitude dorganisations variées quelles chapeautent dune sorte de « super-association coopérative » chargée de régler leurs conflits. Tout va bien tant que lhomogénéité des intérêts fait de cette régulation une simple question technique. Mais que se passe-t-il, demande le juriste, si le conflit entre les groupes devient trop intense ? Et sil y a divergence fondamentale dintérêts ?

Loin de conclure, comme Ernst Fraenkel, que les acteurs économiques, qui tendent à jouer un rôle de plus en plus important, démocratisent lÉtat, Kirchheimer est convaincu au contraire que limbrication croissante de léconomie capitaliste et de la vie de lÉtat risque de faire des normes de lÉtat de droit une simple façade51. Son diagnostic est clair : lépoque de la séparation entre État et société a pris fin. Le régime nazi ny change rien. Il na pas aboli le capitalisme monopolistique (Monopolkapitalismus) ni réduit limportance des cartels et des trusts52.

De même que son ami Franz Neumann dans Béhémoth, Kirchheimer ne pense pas, comme Horkheimer et Adorno, que la dédifférenciation du social et du politique sous le IIIe Reich est due à la soumission de 110léconomique au politique. Nul primat du politique sous le nazisme à ses yeux : la classe dominante a certes été élaguée par la discrimination politique et « raciale », mais les mesures politiques du régime nazi ont en fait consisté à faire perdurer le procès de concentration capitaliste déjà accéléré par la guerre.

Alors que Horkheimer et Adorno pensent lÉtat nazi comme un pouvoir vertical qui opprime et évince la société civile, Kirchheimer pense au contraire, comme Neumann, que lÉtat nazi provient de lintégration réciproque de lÉtat et de la société. Composé de blocs de pouvoir en conflit devenus eux-mêmes des puissances politiques, lÉtat total est pour lui un État monstrueux qui est en même temps un non-État (ein Unstaat). Il est donc daccord avec Carl Schmitt pour dire que lÉtat total a quelque chose à voir avec la faiblesse de lÉtat et avec le retour en scène du pluralisme conflictuel des potestates indirectae que la souveraineté moderne avait neutralisée depuis la paix de Westphalie. Si lÉtat est total « par faiblesse », alors la guerre se mène autant en lui quen dehors de lui.

Céline Jouin

Université de Caen Normandie / Identité et subjectivité (EA 2129)

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Bibliographie

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Kaufmann, Erich, Gesammelte Schriften, Göttingen, Otto Schwartz & Co., 1960.

1 Hobsbawm, Eric, LÀge des extrêmes. Histoire du court xxe siècle, Paris, André Versaille, 2008.

2 Stourzh, Gerald, « Zur Institutionsgeschichte der Arbeitsbeziehungen und der Sozialen Sicherung. Eine Einfürhung », in Stourzh, Gerald, Grandner, Margarete (dir.), Historische Wurzeln der Sozialpartnerschaft, Munich, Oldenbourg, 1986, p. 23.

3 Schmitt, Carl, Hugo Preuss : sein Staatsbegriff und seine Stellung in der deutschen Staatsrechtslehre, Tübingen Mohr, 1930, p. 19.

4 Cependant, si Gierke a été le père du droit du droit du travail à lallemande, comme le dit Alain Supiot, droit qui est centré non sur légalité devant la loi mais sur la négociation collective, on verra que cest de manière seulement indirecte. Voir Supiot, Alain, Critique du droit du travail, Paris, PUF, 200, p. 134 sq.

5 LAngleterre na pas eu besoin dun Gierke pour remettre la corporation au centre de lhistoire du droit, elle y était déjà. Gierke, selon Maitland, décrit avec génie la réalité du droit anglais. Voir la présentation de Maitland à Gierke, Otto von Political theories of the middle age, Cambridge University Press, 1927 ainsi que Maitland, Frederic William, State, trust and corporation, Cambridge University Press, 2003.

6 Gierke na pas directement influencé le droit public ni le droit du travail allemands. Cest Hugo Preuss qui a appliqué la pensée de Gierke à lÉtat, en partie contre son maître, et cest Sinzheimer qui a construit la convention collective (le Tarifvertrag). Avant la guerre, il a influencé le droit civil, à travers sa critique de la première version du code civil allemand (le BGB) dont il a revalorisé laspect social.

7 Münkler, Herfried, Der Große Krieg : die Welt 1914 bis 1918, Berlin, Rowohlt, 2013.

8 Ibid., p. 574. Nous traduisons.

9 L« État total » désignait chez Schmitt lÉtat social et non lÉtat totalitaire ou la dictature dun parti unique. Le juriste interprète lÉtat social non comme une solution mais comme un dépeçage de lÉtat-nation par les forces indirectes du marché. Pour Schmitt, paradoxalement, la guerre totale est la guerre à lère de la fin de lÉtat. Alors que les théoriciens du totalitarisme mettent en lumière les analogies entre monopartismes fascistes et communistes et la toute puissance de lÉtat tentaculaire, ce que Schmitt entend par État total depuis la fin des années 1920 est la conquête du système légal par le pluralisme des « puissances sociales ». Voir Jouin, Céline, Le Retour de la guerre juste : droit international, épistémologie et idéologie chez Carl Schmitt, Paris, Vrin, 2013.

10 Frankfurter Zeitung du 22 avril 1917.

11 Preuss, Hugo, Das deutsche Volk und die Politik, Jena Diederichs, 1915, p. 175. Friedrich Naumann défend une position proche de celle de Preuss. À partir du printemps 1917, létat-major allemand lui-même a commencé à se demander à quel point la capacité de résistance militaire du peuple allemand pourrait être accrue par une réforme de la constitution. Voir Mezzadra, Sandro, La costituzione del sociale sociapensiero politico e giuridico di Hugo Preuss, Bologne, Il Mulino, 1999, n. 171, p. 266.

12 Mezzadra Sandro, La costituzione del sociale : il pensiero politico e giuridico di Hugo Preuss, Bologne, Il Mulino, 1999.

13 Kaufmann, Erich, Gesammelte Schriften, Göttingen, Otto Schwartz & Co., 1960, p. 14.

14 Voir Kauffmann, Elisabeth, in Weber, Max, Écrits politiques, Paris, Albin Michel, 2004, p. 24.

15 Alain Supiot fait de Gierke le père du droit du travail allemand. En réalité, les choses sont plus complexes. Pour construire les grandes lignes du droit du travail, Hugo Sinzheimer sest certes réclamé de Gierke, mais Gierke a refusé cette paternité. Cet épisode significatif est lun des moments clés du débat sur le droit social et du conflit historique entre nationalisme et socialisme.

16 Sinzheimer, Hugo, Der korporative Arbeitsnormenvertrag, Leipzig, Duncker & Humblot, 1907.

17 Sinzheimer, Hugo, Ein Arbeitstarifgesetz, 2e éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1977.

18 Lunification des sources du droit du travail réalisée à la suite des événements de 1918-1919 est commentée par Sinzheimer dans « Die Neuordnung des Arbeitsrecht », 1919, in Sinzheimer, Hugo, Arbeitsrecht und Soziologie. Gesammelte Aufsätze und Reden, Francfort, Cologne, Europäische Verlagsanstalt, 1976, vol. 1, p. 62 sq.

19 Sinzheimer renvoie au premier volume du Deutschen Genossenschaftsrecht de Gierke (Berlin, Weidmann, 1868) dans Der korporative Arbeitsnormenvertrag (op. cit.) ainsi que dans Ein Arbeitstarifgesetz (op. cit., p. 40 sq.).

20 Gierke, Otto von, Das deutsche Genossenschaftsrecht, op. cit., p. 501.

21 Sinzheimer, Hugo, « Otto von Gierkes Bedeutung für das Arbeitsrecht », Arbeitsrecht, Zeitschrift für das gesamte Dienstrecht der Arbeiter, Angestelleten und Beamten, no 1, janvier 1922, p. 2.

22 Ibidem.

23 Ibid., p. 2.

24 Gierke, Otto von, Das deutsche Genossenschaftsrecht, op. cit., p. 1035 sq.

25 Gierke, Otto von, Das deutsche Genossenschaftsrecht, op. cit., p. 1038.

26 Ibid., p. 152.

27 Gierke, Otto von, « Die Zukunft des Tarifvertragsrechts », Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, no 42, Tübingen, Mohr, p. 815-841, 1916-1917. Gierke exprime sa réticence vis-à-vis de lautonomie du Tarifvertrag, réticence que Sinzheimer a ensuite minimisée dans un texte sur Jacobi en 1929. Gierke nétait pas le seul : un grand nombre de juristes refusaient alors le concept de droit social de Sinzheimer. Voir Jacobi, Erwin, Grundlehren des Arbeitsrechts, Leizig, Deichert, 1927, p. 389 sq., p. 392.

28 Voir Gierke, Otto von, Der germanische Staatsgedanke : Vortrag, gehalten am 4. Mai 1919, Berlin, Weidmann, 1919.

29 Voir Gierke, Otto von, « Die Zukunft des Tarifvertragsrechts » (op. cit.) qui est la recension de Gierke sur le fameux livre de Sinzheimer sur le Tarifvertrag (Ein Arbeitstarifgesetz, op. cit.).

30 Gierke, Otto von, Die soziale Aufgabe des Privatrechts, Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 1948, p. 10.

31 Gierke, Otto von, « Die Zukunft des Tarifvertragsrechts », Op. cit., p. 838.

32 Gierke, Otto von, Der germanische Staatsgedanke, Op. cit., p. 18.

33 Ibid., p. 22.

34 Ibid., p. 25.

35 Ibidem.

36 Ibid., p. 26.

37 Blanke, Sandro, Op. cit., p. 97.

38 Ibid., p. 77-78.

39 Voir Blanke, Sandro, Soziales Recht oder kollektive Privatautonomie ? : Hugo Sinzheimer im Kontext nach 1900, Tübingen, Mohr Siebeck, 2005, p. 5 sq.

40 Fraenkel Ernst, Kollektive Demokratie, 1929, in Ramm Thilo, Arbeitsrecht und Politik, Berlin, Luchterhand, 1966, p. 92.

41 Ibid., p. 93.

42 Fraenkel Ernst, Kollektive Demokratie, 1929, in Ramm Thilo, Arbeitsrecht und Politik, Berlin, Luchterhand, 1966, p. 89.

43 Kirchheimer Otto, « In quest of Sovreignty », in Politics, law, and social change : selected essays, New York, Columbia Univ. Press, 1969, p. 165.

44 Kirchheimer Otto, « Weimar – und was dann ? », 1930, in Politik und Verfassung, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1964, p. 52.

45 Ibid., p. 38.

46 Ibid., p. 13.

47 Ibidem.

48 Kirchheimer Otto, « In quest of Sovreignty », in Politics, law, and social change : selected essays, New York, Columbia Univ. Press, 1969, p. 161.

49 Ibidem. Nous traduisons.

50 Ibid., p. 165.

51 Voir Neumann Franz, Béhémoth, Paris, Payot, 1987.

52 Kirchheimer Otto, « Staatsgefüge und Recht des dritten Reiches », in id., Von der Weimarer Republik zum Faschismus : die Auflösung der demokratischen Rechtsordnung, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main, 1976, p. 178.