Du meurtre et de la vie fraternelle Bergson et le problème politique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions
2015 – 2, n° 7. Sociétés fermées et sociétés ouvertes, de Bergson à nos jours - Auteur : Kisukidi (Nadia Yala)
- Résumé : L’émergence du problème politique, chez Bergson, repose sur une nouvelle intelligibilité du rapport de l’homme à la mort, qui se déploie dans Les Deux Sources. Le sens de la distinction du clos et de l’ouvert, au centre de la question politique, requiert non plus l’analyse cosmologique du fait vital, mais un saut dans l’anthropologie.
- Pages : 57 à 76
- Revue : Éthique, politique, religions
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- EAN : 9782406057826
- ISBN : 978-2-406-05782-6
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05782-6.p.0057
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/04/2016
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Mort, fraternité, politique, Bergson, anthropologie
Du meurtre
et de la vie fraternelle
Bergson et le problème politique
Comment spécifier, strictement, le problème politique tel qu’il se manifeste dans l’ensemble des Deux Sources de la morale et de la religion (1932) de Bergson, et plus particulièrement dans son dernier chapitre, les « Remarques finales » ? Quelles sont les réponses – sur le plan conceptuel et de la théorie de l’action – proposées par Bergson pour résoudre ce problème ?
Au-delà des difficultés posées non seulement par les usages de la notion de « politique » dans le texte bergsonien, mais aussi par la réception parfois sévère1 de ce texte au moment de sa publication, il faut ressaisir, sous la question centrale des sources de la morale et de la religion, le déploiement d’une double réflexion sur la genèse du monde sociopolitique humain et de son organisation sur un plan juridico-institutionnel. Le quatrième chapitre du livre de 1932 offre un point d’entrée précis pour aborder et cerner le problème politique, à travers une interrogation qui déplace le statut du discours à l’intérieur d’un jeu singulier de traduction : « Maintenant, la distinction entre le clos et l’ouvert, nécessaire pour résoudre ou supprimer les problèmes théoriques, peut-elle nous servir pratiquement2 ? ». Traduire des concepts forgés pour la théorie sociale et morale en outils d’action et, peut-être, de lutte dans le champ pratique. Si cette traduction apparaît nécessaire,
c’est que le problème politique se conçoit sous les traits d’une menace pour la vie humaine, qui révèle un certain apparentement, constitutif, du politique avec la mort.
Comprendre le problème politique chez Bergson, c’est identifier la nature d’un tel apparentement. Mais c’est aussi déceler l’ensemble des stratégies pratiques permettant de reformuler la théorisation du politique dans une relation ténue avec la vie créatrice. De telles stratégies invitent à penser, à nouveaux frais, l’articulation de la vie et de la mort au cœur de l’anthropologie bergsonienne des Deux Sources – question difficile tant Bergson semble n’assigner que peu de place à la mort dans la double détermination biologique et métaphysique du fait vital au sein de L’Évolution créatrice3.
Il s’agira, dès lors, de montrer, dans cet article, comment le problème politique se formule et se pose au sein de l’écart4 entre la métaphysique de la vie créatrice de L’Évolution créatrice et la philosophie sociale du livre de 1932.
La société close et ses ennemis :
mort, religion et politique
Dans Les Deux Sources de la morale et de la religion, la mort n’apparaît pas exclusivement sous la double forme d’un périr sur le plan biologique, ou d’une angoisse existentielle liée à la conscience de ma propre finitude ou de celle de mes proches. Une autre forme de la mort, non naturelle et donc évitable, se présente dans le texte sous les traits de la mort qui se donne, à travers un acte, un événement,
un instinct, une figure : le meurtre5, la guerre6, l’instinct politique originel7, l’ennemi8.
Cette présence de la mort, sous les traits d’une mort qui se donne, habite les lieux du politique, du monde humain des valeurs et de l’action. Elle marque un point d’inflexion entre la fin du troisième chapitre de L’Évolution créatrice et Les Deux Sources de la morale et de la religion. Si dans les dernières lignes du troisième chapitre du livre de 19079, la question de l’individualité vivante est appréhendée au cœur d’« une chevauchée folle vers l’immortalité10 », pour reprendre les termes de Michel Foucault, Les Deux Sources, dès les premières pages11, inscrit dans la vie de l’espèce humaine – produit d’une retombée de l’élan vital – les réalités du meurtre et de la violence comme des réalités constitutives de la naturalité de l’homme. Cette présence de la mort ouvre un espace au problème politique ; il prend corps à l’intérieur d’une théorie sociale et morale12 élaborée dès les premiers chapitres de l’ouvrage, et d’une réflexion sur le type d’institution ou de régime souhaitable pour l’humanité en vertu de sa nature.
Si l’on se situe dans l’écart entre L’Évolution créatrice et Les Deux Sources, faudra-t-il dire que la pensée de Bergson est marquée par une certaine désillusion, après L’Évolution créatrice et, sur le plan historique, après l’événement de la Première Guerre Mondiale, qui engage à préciser et à reprendre la question du rapport spécifique de l’humanité avec la
mort ? Ghislain Waterlot le rappelle : « entre 1907 et 1932 », le « succès obtenu par la vie à travers l’humanité » apparaît fragile et précaire, et « il n’est pas exclu qu’il soit annulé par ceux-là mêmes en qui il s’est d’abord manifesté13 ». L’écart entre la métaphysique de la vie créatrice de L’Évolution créatrice et l’anthropologie sociale et politique des Deux Sources est marqué par un changement de plan et de lignes problématiques, qui soulignent une certaine modification du rapport de l’espèce humaine à la vie créatrice dans la pensée bergsonienne.
Cette modification du rapport de l’espèce humaine à la vie créatrice fait écho14, de manière singulière, aux analyses de Freud sur la guerre dans les textes de 1915 et de 1933 : « Actuelles sur la guerre et sur la mort » et « Pourquoi la guerre ? », ce dernier étant constitué d’une correspondance avec Albert Einstein. Dans ces deux textes, Freud montre comment la guerre a entraîné une « modification de notre attitude à l’égard de la mort15 », à partir d’une analyse des forces animiques qui forment le psychisme de l’« homme originaire » toujours actif chez l’« homme de culture ». Une confrontation des analyses freudiennes sur la guerre avec le texte bergsonien de 1932 apparaît féconde pour appréhender le problème politique tel qu’il se déploie dans Les Deux Sources. Certes, la dualité vitale bergsonienne entre la vie créatrice et la vie comme conservation16 dans L’Évolution créatrice ne recouvre aucunement la dualité pulsionnelle freudienne entre la pulsion de mort et la pulsion de vie thématisée dans Au-delà du principe de plaisir (1920). Toutefois, Les Deux Sources ouvre un espace net, même s’il apparaît parfois souterrain, pour penser non plus seulement une
« humanité créatrice17 », mais bel et bien aussi une humanité meurtrière. Il s’agit, pour Bergson, en 1932, de comprendre à partir de la réalité de la guerre, le fait social et politique comme fait originaire – l’analyse de la vie sociale humaine impliquant un changement de perspectives dans le traitement de l’articulation de la vie et de la mort, déplaçant tout en les reconfigurant les orientations de la métaphysique positive du livre de 1907.
À ce titre, dans un mouvement analogue aux analyses freudiennes de 1915 et de 1933, mais en restant toutefois éloigné de toute caractérisation du comportement humain à partir de l’analyse de motifs pulsionnels, Bergson interroge la persistance de la violence dans le monde humain malgré le progrès de la civilisation à partir d’une réflexion sur l’intrication de la vie avec son autre, la mort. Cette intrication n’est pas appréhendée sur le plan strictement biologique des phénomènes ontogénétiques d’individuation, mais sur le plan anthropologique des phénomènes sociopolitiques et moraux.
Deux rapports à la mort, qui semblent contradictoires, se déploient ainsi dans Les Deux Sources ; ils tracent, ensemble, une généalogie (remonter à la source de telle actualisation de la vie) du religieux et de la formation des communautés sociales humaines. Cette généalogie permet la caractérisation de la société close, naturelle.
Un premier rapport à la mort est au cœur de la construction de ce que Bergson appelle le fait religieux statique. Comme le montre le philosophe dans un passage fameux, la religion statique est réaction de la nature contre le pouvoir dissolvant d’une intelligence18 qui conseillera plutôt l’égoïsme que le sacrifice à la communauté19. Mais surtout, contre les effets déprimants de cette même intelligence accrochée à l’idée de la finitude, la religion « est une réaction défensive contre la représentation, par l’intelligence, de l’inévitabilité de la mort20 ». Il s’agit, dans le fait religieux statique, grâce à un ensemble de procédés fabulatoires, de permettre à l’homme de vivre dans une certaine inconscience de sa propre mort. La production de récits d’une possible immortalité, mobilisant
des thématiques aussi variées que la séparation du corps et de l’esprit21, la survivance spectrale, fantomatique22 etc., alimente et fortifie une telle inconscience, nécessitée, en un sens, par des états morbides.
Le religieux statique doit ainsi « combler, chez des êtres doués de réflexion, un déficit éventuel de l’attachement à la vie23 ». Ce déficit, résultat d’une intelligence signant le triomphe de la vie créatrice avec l’apparition de l’humanité dans L’Évolution créatrice24, est le risque, non pas accidentel mais essentiel, que porte avec elle la poussée vitale une fois actualisée au sein du monde spécifique humain, tel que l’étudie Les Deux Sources.
Cet attachement religieux à la vie est, par ailleurs, solidaire de processus d’identification et d’appartenance à une communauté, qui permettent de spécifier un second rapport de l’homme à la mort, dans l’ouvrage de 1932. Citons un peu longuement :
Mais ce qui lie les uns aux autres les membres d’une société déterminée, c’est la tradition, le besoin, la volonté de défendre ce groupe contre d’autres groupes, et de le mettre au-dessus de tout. À conserver, à resserrer ce lien vise incontestablement la religion que nous avons trouvée naturelle : elle est commune aux membres d’un groupe, elle les associe intimement dans des rites et des cérémonies, elle distingue le groupe des autres groupes, elle garantit le succès de l’entreprise commune et assure contre le danger commun. Que la religion, telle qu’elle sort des mains de la nature, ait accompli à la fois – pour employer notre langage actuel – les deux fonctions morale et nationale, cela ne nous paraît pas douteux25 …
Le fait religieux statique trace les contours d’une sphère du propre, institue les lignes de partages et de défense entre tel groupe et tel autre. Ce qui lie les hommes est le produit de stratégies d’identification et de distinction voulues par la vie elle-même, pour contrer les effets morbides de l’intelligence sur le plan psychosocial. Ces processus d’identification et d’appartenance reposent sur des phénomènes d’exclusion et de désignation qui font de tout étranger un ennemi virtuel26. Ils sont toujours accompagnés d’un affect : celui de la haine. Cette ligne de partage
entre le propre et l’étranger, et l’identification, même virtuelle, entre la figure de l’étranger et celle de l’ennemi, portent avec elles un certain « consentement au meurtre27 » de l’autre homme. Désigner l’étranger comme ennemi, c’est consentir – même virtuellement – à la possibilité de lui supprimer la vie.
Dans la société naturelle, telle que la conçoit Bergson, se déploient deux rapports à la mort : le premier, religieux, abolit la représentation de la possibilité de ma propre mort ; le second, social et politique, participe à la formation du « consentement meurtrier ». Dans les deux cas, on aboutit à une certaine négation de la réalité de la mort, qui reste cependant disymétrique. Parce qu’elle est tout, du fait de la représentation intellectuelle de son inévitabilité, il faut pouvoir fabuler l’immortalité28. Parce qu’elle n’est rien en dehors de ma communauté, il est permis de tuer l’étranger.
Deux rapports à la mort traversent l’anthropologie sociale et politique de Bergson, et façonnent ainsi la naturalité humaine : une certaine évacuation de la représentation de ma propre mort, une légitimation du meurtre de l’étranger, considéré comme un ennemi virtuel. Ce double rapport à la mort rend raison, par exemple, de « l’exaltation des peuples au commencement d’une guerre29 » : les mécanismes naturels d’oubli de la souffrance30 accompagnent les exaltations héroïques, qui sont tout autant des expressions de « stimulation automatique des courages31 » que la manifestation d’un désir d’aventure indifférent à la représentation de ma propre mort ou de celle des êtres aimés, échauffé par l’appel au meurtre de l’étranger.
La logique meurtrière inscrite au cœur de la binarité ennemi/étranger n’est pas le produit de motifs pulsionnels. Elle se conçoit, chez Bergson, en remontant à sa source métaphysique : elle est le résultat d’un certain processus d’inversion, par lequel la vie, une fois actualisée dans l’espèce humaine, peut paradoxalement se déployer, à l’intérieur
de processus identificatoires mais aussi vitaux d’attachement, comme force de mort.
« Force de mort » – l’expression apparaît provocante et risquée, rapportée au corpus bergsonien qui considère la poussée vitale comme optimiste32. Par ailleurs, la dualité vitale bergsonienne, caractérisée par les métaphores de la montée et de la descente dans L’Évolution créatrice, n’est jamais appréhendée à partir du modèle d’une lutte de l’élan vital contre la mort. Toutefois, l’espace politique se construit symboliquement à partir des tentatives mises en œuvre par la nature pour combler un déficit d’attachement à la vie. En comblant ce déficit, grâce à des processus fabulatoires qui alimentent tout autant le fait religieux statique que les logiques d’identification et d’appartenance propres aux communautés humaines, la nature déplace et transforme la charge mortifère des états morbides provoqués par l’intelligence sur le plan horizontal des relations interhumaines. Ce déplacement est à l’origine des phénomènes de clôture du politique, que la simple analyse du fait de l’obligation dans la morale sociale ne peut, en elle-même, entièrement expliquer : la structuration même du politique autour de la figure de l’ennemi apparente ainsi l’espace de la société close à un lieu mortifère où la mort surgit sous les traits du meurtre effectif ou souhaité de l’étranger, considéré comme menace vitale pour la communauté. Les expressions de la souveraineté politique sont ainsi, de manière quasi nécessaire, des expressions meurtrières : « […] le meurtre est trop souvent resté la ratio ultima, quand ce n’est pas prima, de la politique33 ».
L’organisation politique humaine close est naturellement construite autour d’un double rapport à la mort. Toutefois, ce double rapport à la mort ne renvoie pas à une disposition archaïque de l’humanité qui aurait été éradiquée par la civilisation, la culture. Cette analyse de Bergson constitue un point de rapprochement notable avec les textes de Freud sur la guerre. La naturalité humaine bergsonienne, l’inconscient de l’homme originaire freudien persistent dans l’homme de culture. La nature humaine ne se chasse pas, nous rappelle Bergson – tel est le sens de la critique de la thèse lamarckienne de l’hérédité des caractères acquis34. À ce titre, et ce point est crucial pour saisir le sens de la pensée
politique bergsonienne : les sociétés civilisées – aussi éloignées soient-elles de la société « à laquelle nous étions directement destinés par la nature » en raison de l’accumulation des « acquisitions matérielles et spirituelles », sont « elles aussi, des sociétés closes35 ». C’est-à-dire des sociétés qui ont « pour essence de comprendre à chaque moment un certain nombre d’individus, d’exclure les autres36 ».
Suivant des voies différentes et souvent antagonistes37, les diagnostics de Freud et de Bergson sur la civilisation se rejoignent : il y a une naturalité de la guerre contre laquelle les dispositifs civilisationnels ne peuvent pas tout, et dont les expressions meurtrières sont parfois portées à leur paroxysme par certains de ces dispositifs eux-mêmes (notamment le progrès technique)38. Par ailleurs, Freud comme Bergson envisagent des stratégies de résistance à cette naturalité agressive, guerrière ; mais, sur ce dernier point, les orientations de Bergson et de Freud divergent nettement, en raison de la nature de leurs projets théoriques et scientifiques respectifs.
Dans le texte de 1915 « Actuelles sur la guerre et la mort », Freud caractérise d’une triple manière cet inconscient originaire qui travaille le psychisme de l’homme de culture : il est « inaccessible à la représentation de la mort-propre » ; il est « plein de plaisir-désir de meurtre à l’égard de l’étranger » ; il est « scindé (ambivalent) à l’égard de la personne aimée39 ». Une double résistance aux effets destructeurs des manifestations de la pulsion de mort, dans le cas de la guerre, est esquissée par Freud
dans sa réponse à Albert Einstein en 1933 : 1/ « instaurer des liaisons de sentiments parmi les hommes40 », soit invoquer contre la pulsion de destruction, une pulsion antagoniste : éros ; 2/ consacrer du soin à l’éducation des meneurs – l’humanité étant « dimorphique41 » pour le dire avec les termes de Bergson, divisée en « meneurs et en sujets dépendants » (Freud)42 – permettant de soumettre leur vie pulsionnelle « à la dictature de la raison43 ». Freud réitère sa confiance, malgré la « désillusion44 » civilisationnelle qui marque les écrits de 1915, dans les ressources de la culture, de l’éducation, de la raison humaine.
Les solutions bergsoniennes, ancrées dans les perspectives ouvertes par la philosophie de la vie créatrice élaborée en 1907, diffèrent. Si Bergson ne laisse pas de côté les promesses portées par l’intelligence et la culture, il n’interroge pas, comme Freud, l’ambivalence affective du sujet, à partir de laquelle sont produites, au sein même des relations amicales ou familiales, des formes d’inimitié, d’étrangèreté. Par ailleurs, l’identification étranger/ennemi, thématisée à partir du « plaisir-désir de meurtre » chez Freud, est comprise, chez Bergson, à partir d’une approche vitaliste (non déterministe) des modalités d’adaptation et de conservation de la vie dans les sociétés humaines ; elle participe à ces mécanismes naturels d’oblitération de la souffrance45, dont la conséquence directe est d’attiser le désir de guerre malgré les maux qu’il cause et qu’il porte.
Ces points notent une différence qui permet de saisir le problème politique bergsonien. Les voies de résistance aux expressions politiques d’une humanité qui se dévoile meurtrière sont inscrites au cœur des perspectives ouvertes par la philosophie de la vie créatrice de 1907. Le problème politique, chez Bergson, naît du rapport que le monde du politique instaure naturellement avec la mort qui se donne, avec le meurtre. La solution à ce problème, quant à elle, consiste à identifier des lieux (juridiques, institutionnels …) qui permettent de construire le politique
indépendamment de processus haineux d’exclusion, d’identification et d’appartenance, où les effets de la synonymie « étranger/ennemi » sont perturbés, voire supprimés.
Résoudre le problème politique implique d’interroger, à nouveaux frais, les modes d’articulation du politique avec l’élan vital créateur, la vie créatrice, et dans un même mouvement, de nuancer une lecture interprétant le point d’inflexion entre 1907 et 1932 comme le résultat, chez Bergson, d’une possible désillusion, quant à ce qu’on peut attendre de la culture.
De la vie fraternelle : lecture bergsonienne
de la modernité politique européenne
C’est à partir du double rapport de l’espèce humaine à la mort décelé dans Les Deux Sources qu’on peut tracer la manière dont le problème politique se pose chez Bergson. Le changement de tonalité avec les développements de L’Évolution créatrice, qui ne laisse que peu de place à la question de la mort, ne pointe ni une inconséquence fautive ni un oubli. La perspective du livre de 1907 est celle de l’évolution de la « vie en général », du rapport des réalités individuées à l’espèce, et des espèces à l’élan vital. Dans le monde de la vie organisée, la mort de l’individualité vivante ne signe pas la fin de la « vie en général », mais « l’abandon, par la vie, d’un de ses projets, en tant qu’elle en a épuisé toutes les virtualités créatrices46 ». La mort de l’individu semble acceptée par la vie, car elle empêche un entêtement infructueux, qui détournerait d’autres créations (naissances de nouvelles individualités vivantes, ou d’autres espèces)47. Ces analyses rapportées aux Deux Sources, faudra-t-il dire, de manière brutale et sur le ton de la bravade, que le fait du
« meurtre » participe à la même économie de l’évolution : minimiser les dépenses non rentables pour laisser la place à d’autres investissements, plus prometteurs ? Faudra-t-il aller plus avant et dire, même, que le fait de la guerre doit être compris au cœur d’une philosophie évolutionniste de la chute et de la renaissance des peuples, ou encore comme un accroissement de la vie dont une figure comme celle du « lansquenet » de Jünger48 serait l’exemplification la plus haute ?
Les perspectives des Deux Sources relativement à la question de la mort ouvrent d’autres orientations que celles de L’Évolution créatrice ; il ne s’agit plus d’appréhender la question de l’évolution de la « vie en général », mais bel et bien la manière dont l’élan vital persiste à se frayer un passage au sein d’une espèce dans laquelle il s’est actualisé : l’espèce humaine. Toutefois, ce changement de perspective, en 1932, n’invalide pas les réflexions sur la mort qui apparaissent dans L’Évolution créatrice ; il ouvre bien plutôt de nouveaux problèmes, politiques et moraux, cette fois, qui ne mobilisent pas directement le référentiel cosmologique. Au cœur de ces problèmes, se joue le rapport de l’espèce humaine à la vie créatrice – la mort qui se donne (le meurtre, la guerre) signalant le pouvoir de destruction49 de l’espèce.
La résistance à la clôture se conçoit ainsi au cœur d’une reprise, qui frappe par sa symétrie, de la question de l’attachement à la vie. Prendre la mesure de la dualité vitale, c’est montrer que, par-delà des processus de conservation, la vie est aussi création. L’attachement à la vie ne peut consister, exclusivement, à fabuler d’autres modalités du vivre, plus ou moins fantasmagoriques ; il prend véritablement sens quand il emprunte une autre voie, celle qui renoue avec l’élan de la vie créatrice. Cette reprise de la question de l’attachement à la vie a d’emblée une double signification sur le plan religieux et politique. La religion dynamique, mysticisme, ne s’élabore pas à l’intérieur du cercle de l’espèce où l’élan s’est actualisé en rencontrant la matière, mais à partir d’un mouvement rejoignant « la direction d’où l’élan était venu50 » : les grands mystiques effectuent ce mouvement de « remontée », capable de renouer avec l’origine même
de la vie comme création, un Dieu qui est amour. Ce mouvement, dont la compréhension suppose toute la métaphysique de la vie créatrice, a une signification morale : « à travers Dieu, par Dieu, [le mystique] aime l’humanité d’un divin amour51 ». L’humanité n’est pas un concept, mais bel et bien cette réalité nouvelle qui s’atteste dans l’amour du mystique pour elle. Cet amour perturbe et déstabilise les logiques d’exclusion qui structurent l’espace clos humain. De fait, il a un impact profond, réel, pour les collectivités humaines, sur le plan politique : il invite à vivre fraternellement avec celui que la nature, en un sens, nous a commandé de désigner comme un ennemi.
Ce rapport surhumain et suprapolitique à la vie créatrice, en la personne du mystique, a des effets sur le monde politique. Il permet de repenser l’espace sociopolitique commun non plus comme un espace de séparation, reposant sur l’exclusion de l’étranger comme ennemi, mais comme le lieu d’une possible vie fraternelle où les logiques d’identification et d’appartenance sont neutralisées. Cette vie fraternelle a connu plusieurs traductions historiques pour Bergson : celle de la vie chrétienne monastique au Moyen-Age52 et, sur un plan plus nettement politique que religieux, celle de l’idéal politique porté par la déclaration universelle des droits de l’homme et de la démocratie au xviiie siècle53. En développant une approche du monde sociopolitique humain où l’apparentement de la vie avec la mort est défait, Bergson ne propose rien de moins qu’une certaine relecture philosophique de la modernité politique européenne, rapportée à sa source religieuse, vitale.
La vie fraternelle entrevue et vécue par le mystique permet d’opposer au double rapport à la mort qui organise la société naturelle close, un double rapport à la vie créatrice, religieux et politique : aux panthéons des Dieux vengeurs et communautaires est opposée une religion personnelle de l’amour universel (le christianisme) ; à la clôture de sociétés humaines reposant sur le charisme du chef et l’instinct de guerre sont opposés l’ouverture des sociétés démocratiques et un certain idéal cosmopolitique de paix entre les peuples et les États54.
La modernité politique européenne, dont l’expression philosophique est portée par les Lumières au xviiie siècle, fut le résultat d’une rencontre et d’une coopération fructueuses entre deux tendances : celle du progrès technique (avec les débuts du machinisme) et d’un élan mystique, appelant à la vie fraternelle, qui put se diffuser largement grâce à la première. Tel est le sens de cette remarque de Bergson qui lie les premières aspirations à la démocratie au progrès technique – liaison qui devient pleinement visible au xviiie siècle, d’après l’auteur :
Or, il n’est pas douteux que les premiers linéaments de ce qui devait être plus tard le machinisme se soient dessinés en même temps que les premières aspirations à la démocratie. La parenté entre les deux tendances devient pleinement visible au xviiie siècle. Elle est frappante chez les encyclopédistes. Ne devons-nous pas supposer alors que ce fut un souffle démocratique qui poussa en avant l’esprit d’invention, aussi vieux que l’humanité, mais insuffisamment actif tant qu’on ne lui fit pas assez de place55 ?
La modernité, chez Bergson, qualifie un temps historique (du xvie siècle à la seconde révolution industrielle) et un espace géographique (l’Europe, l’Occident) où deux tendances, la mécanique (l’invention technique) et la mystique, se rendent actives l’une l’autre, permettant un certain progrès – à la fois matériel et moral – favorisant la satisfaction des besoins sociaux. Le modèle politique démocratique qu’elle promeut est, par ailleurs, le « plus [éloigné] de la nature56 » et « transcende […] les conditions de la “société close57” » : à l’obéissance au chef reposant sur le dimorphisme psychique humain qui donne naissance aux régimes de type oligarchique, la démocratie propose un modèle de souveraineté brisant cette structure psychique et permettant à chaque homme d’être citoyen, c’est-à-dire, selon les mots de Kant repris par Bergson, d’être idéalement « législateur et sujet58 ». La modernité politique se constitue ainsi, dans le texte bergsonien, comme événement moral et anthropologique : il s’agit de tracer les contours d’un moment historique inédit où les sociétés closes humaines se sont ouvertes, c’est-à-dire où les hommes ont brisé largement, sur le plan collectif et non pas seulement personnel, le cercle dans lequel les tenait leur vie spécifique.
Toutefois, à travers cette lecture de la modernité, il ne s’agit pas pour Bergson, dans Les Deux Sources, de tenter de réactiver l’idéal des Lumières philosophiques pour le temps qui est le sien, mais bel et bien de décrire une crise de la modernité à partir de laquelle doit s’opérer une certaine « dislocation » (Derrida) du politique sur le plan pratique et philosophique. La description de cette crise constitue l’enjeu du quatrième chapitre des Deux Sources, qui s’arme, pour ce faire, d’une nouvelle création conceptuelle : les lois de dichotomie et de double frénésie. Ces lois décrivent le déséquilibre des tendances qui favorisent le progrès ou conduisent à la catastrophe. Elles expliquent ainsi, dans le texte bergsonien, les formes d’organisation économiques et sociopolitiques qu’a pris la vie humaine dans l’histoire de l’Occident – d’une manière qui peut paraître surprenante tant elle semble peu attentive à la variété et à la complexité de ces formes d’organisation.
La crise que décrit Bergson, en 1932, est celle de la société occidentale qui a connu sa deuxième révolution industrielle et dont les avancées techniques ne visent plus la satisfaction des besoins sociaux humains mais soutiennent des désirs matériels de jouissance personnelle, de domination et de conquête. Ces désirs ravivent les tendances à la clôture en reconnectant le lieu du politique à sa raison première et ultime : le meurtre. Le spectre de la guerre qui hante l’écriture des Deux Sources – spectre des guerres passées et à venir – ouvre un double champ de réflexion questionnant les conditions de transformations du politique. Sur un premier plan, l’ouverture des sociétés humaines implique de disloquer le politique, c’est-à-dire de changer les lieux de problématisation philosophique et d’effectuation concrète (juridique, institutionnelle …) du politique : à une spatialité organisée autour d’un principe d’exclusion, il faut substituer une réflexion sur les modalités effectives et concrètes de déploiement de la vie fraternelle dans tel contexte donné. Sur un second plan, lié à la situation de crise de la modernité décrite par Bergson dans le quatrième chapitre des Deux Sources, il s’agira de saisir comment briser le nouvel apparentement du politique avec la mort qui laisse déjà entrevoir les catastrophes portées par cette crise et qui requiert une inversion du jeu des tendances, un contrôle de la mécanique par la mystique59. Cette brisure n’implique pas de rompre avec l’appel
à la vie fraternelle qui caractérise la modernité politique et qui s’est incarné sur le plan juridico-institutionnel dans les droits de l’homme et la démocratie, mais de créer les conditions nouvelles60 de sa réactualisation. Bergson offre dès lors une esquisse de réflexion dans Les Deux Sources, tirée de l’expérience de la création de la Société des Nations, de son projet mais aussi de ses échecs. À partir d’elle, il dessine des voies de réactualisation d’un modèle d’ouverture sociopolitique capable de résister aux nouveaux mouvements de clôture portés par cette crise de la modernité et de proposer un réaménagement des lieux du politique favorables à l’expression de la vie créatrice humaine.
Le quatrième chapitre des Deux Sources tente ainsi de circonscrire l’ensemble des médiations humaines permettant non seulement à l’homme de réorienter le sens de sa vie personnelle (pour ne plus la soumettre au désir d’appropriation matérielle61 mais l’engager sur le chemin d’une vie plus spirituelle, c’est-à-dire créatrice), mais aussi celui de la vie collective, qu’il faut défaire des crispations identitaires et nationales, faisant à nouveau surgir le spectre de la guerre. Cette réflexion sur les médiations apparaît d’autant plus décisive que la venue d’un nouveau mystique, capable de réinsuffler un élan de vie à une humanité hypnotisée par les délires de la séparation, la frénésie du luxe et de l’appropriation, ne semble que peu probable62 pour l’auteur. Elle conduit, dès lors, à une analyse rapide mais significative des politiques institutionnelles à mener pour empêcher les résurgences meurtrières de l’instinct politique originel et permettre l’entente mutuelle entre les peuples. Bergson, partant d’une réflexion sur la tâche de tout organisme international, ébauche une nouvelle problématisation du politique qui maltraite les concepts de souveraineté, d’État-nation et, de manière indirecte, d’ennemi – en tant que la figure de l’ennemi est rattachée à l’exercice de la souveraineté :
Éliminer ces causes ou en atténuer l’effet, voilà la tâche par excellence d’un organisme international qui vise à l’abolition de la guerre. […] C’est une
erreur dangereuse que de croire qu’un organisme international obtiendra la paix définitive sans intervenir, d’autorité, dans la législation des divers payset peut-être même dans leur administration. Qu’on maintienne le principe de la souveraineté de l’État, si l’on veut : il fléchira nécessairement dans son application aux cas particuliers. Encore une fois, aucune de ces difficultés n’est insurmontable si une portion suffisante de l’humanité est décidée à les surmonter. Mais il faut les regarder en face, et savoir à quoi l’on consent quand on demande la suppression des guerres63.
Cette ouverture à une approche post-nationale de la problématisation du politique, articulée de façon assez surprenante, dans Les Deux Sources, à une réflexion sur la nécessité du contrôle des naissances par un État pour freiner les problèmes engendrés par la surpopulation sur son territoire national, n’est que peu développée par Bergson. Toutefois, en problématisant la question politique, en son double sens juridico-institutionnel et social, à l’intérieur des cadres d’une philosophie de la vie dont le paradigme est celui de la création, Bergson invite à mettre en question les concepts classiques de la pensée politique, ou mieux à en interroger la pertinence effective en vue d’une véritable transformation de l’ordre social constitué.
Les figures de l’étranger désigné comme ennemi, et du frère, qui n’est ni duplication du soi, ni cet être qu’on domine ou qu’on nie, offrent deux trames, dans le texte bergsonien, à partir desquelles penser la clôture ou l’ouverture du politique et tenter de pratiquer la seconde. On pourra toujours déplorer l’absence d’une problématisation plus soutenue du problème politique, engageant, peut-être, une philosophie plus développée de la vie démocratique sur le plan institutionnel et éthique, de la justice internationale et de sa mise en tension avec le modèle de l’État-nation. Mais l’objet premier de la réflexion politique de Bergson est de tenter de dévoiler les expressions mortifères, dans le monde social humain, d’une vie qui en s’actualisant est devenue conservatrice – cette tâche impliquant de reprendre nouvellement la question du rapport de l’humanité à la mort, restée en suspens après L’Évolution créatrice.
Conclusion
L’enjeu de la pensée politique bergsonienne est de déjouer, de défaire l’apparentement constitutif du politique avec la mort, avec la mort qui se donne. Apparentement qui définit la clôture politique. Le défaire, c’est ressaisir la manière dont le politique peut s’articuler nouvellement avec l’élan de la vie créatrice. Cette ré-articulation produit les conditions concrètes d’ouverture de l’espace socio-politique humain.
Cette compréhension du problème politique, chez Bergson, mobilise une anthropologie philosophique, qui s’origine dans la métaphysique de la création déployée dans L’Évolution créatrice. Elle repose, également, sur une certaine attention à l’histoire, d’une manière générale, et à un événement. Dans ses écrits politiques, Bergson procède à une herméneutique de la modernité européenne. Cette herméneutique suit un fil : exhiber un moment historique caractérisé par l’éclatement de l’apparentement du politique avec la mort. La modernité européenne, à travers les Lumières philosophiques, l’essor de l’inventivité technique, l’émergence de la démocratie, apparaît comme ce moment où la poussée créatrice de la vie se fraye à nouveau un passage dans le monde sociopolitique de l’animalité humaine. Nouveau frayage qui brise les phénomènes de clôture, et leurs logiques d’identification meurtrières, où l’étranger est appréhendé comme un ennemi virtuel.
Cette herméneutique de la modernité européenne est également liée, dans l’analyse bergsonienne, à une réflexion ayant pour centre un événement, celui de la Première Guerre Mondiale. Cette guerre a mis en crise ce qui avait été ouvert par la modernité, à savoir l’articulation de la politique avec la vie créatrice. Les analyses de Bergson sur la violence et la guerre rejoignent très précisément celles de Freud : le fait de la guerre invite bel et bien à ressaisir le rapport que l’espèce humaine entretient avec la mort ; et la Première Guerre Mondiale, en tant que telle, montre comment l’espèce a renoué avec ses virtualités meurtrières, clôturant ce que la modernité avait ouvert. Il s’agit, pour Bergson comme pour Freud, d’opposer aux logiques destructrices et belligènes, non pas seulement la culture, le savoir, les promesses de l’éducation mais aussi
des forces antagonistes : éros, pour l’un ; l’élan vital métamorphosé en élan d’amour, pour l’autre64.
La pensée politique bergsonienne, qui fait l’objet de développements trop courts dans l’économie même de l’œuvre, se construit et s’élabore à partir d’une compréhension « biologique », et non pas psychique, de ce qui constitue une crise de la modernité européenne, ou plutôt, du fait d’un jeu singulier de tendances, son achèvement inéluctable en catastrophe. Cette crise est le produit d’un basculement, voire d’une interruption : celui où le frayage de l’élan vital dans le monde sociopolitique humain, qui caractérise le moment moderne, s’interrompt laissant la voie libre à de nouveaux apparentements du politique avec la mort.
Nadia Yala Kisukidi
Université de Genève
Bibliographie
Bergson, Henri, Les Deux Sources de la morale et de la religion, édition critique établie par Ghislain Waterlot et Frédéric Keck, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2008.
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Freud, Sigmund, « Actuelles sur la guerre et la mort » (1915), dans Actuelles sur la guerre et sur la mort, et autres textes, tr. fr. P. Cotet, A. Bourguignon, A. Cherki, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2012.
Freud, Sigmund, « Pourquoi la guerre ? » (1933), dans Actuelles sur la guerre et sur la mort, et autres textes, tr. fr. P. Cotet, A. Bourguignon, A. Cherki, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2012.
Friedmann, Georges, dans « La prudence de M. Bergson, ou Philosophie et caractère », Commune, 3, no 30, 1936, p. 721-736 (on retrouvera une reproduction d’extraits de cet article dans le dossier critique de Les Deux Sources de la morale et de la religion, établi par Ghislain Waterlot et Frédéric Keck (Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2008, p. 663-667).
Jünger, Ernst, La Guerre comme expérience intérieure, tr. fr. François Poncet, préface André Glucksmann, Paris, Christian Bourgois, coll. « Titres », 1997.
Kisukidi, Nadia Yala, Bergson ou l’humanité créatrice, Paris, CNRS, 2013.
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Waterlot, Ghislain, « Doutes sur l’humanité : du “succès unique, exceptionnel” de la vie dans L’Évolution créatrice au “succès […] si incomplet et si précaire” dans Les Deux Sources », dans Annales bergsoniennes, t. IV, Anne Fagot-Largeault et Frédéric Worms (dir.), Paris, PUF, coll. « épiméthée », 2008.
Worms, Frédéric, « Bergson et Freud : une dualité vitale », dans Bergson et Freud, Brigitte Sitbon (dir.), Paris, PUF, coll. « Philosophie française contemporaine », 2014, p. 237-241.
1 On pense particulièrement aux critiques du jeune intellectuel marxiste, Georges Friedmann, dans « La prudence de M. Bergson, ou Philosophie et caractère », Commune, 3, no 30, 1936, p. 721-736 (on retrouvera une reproduction d’extraits de cet article dans le dossier critique de Les Deux Sources de la morale et de la religion, établi par Ghislain Waterlot et Frédéric Keck (Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2008, p. 663-667).
2 Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, édition critique établie par Ghislain Waterlot et Frédéric Keck, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2008, p. 288 (désormais sous l’abréviation DS).
3 Il n’y a pratiquement pas d’occurrences de la mort dans L’Évolution créatrice, sauf dans le chapitre iii, dans la section « Genèse idéale de la matière » sous la forme d’une note de bas de page, et dans la conclusion même du chapitre.
4 Penser la question politique, de la vie sociale et du pouvoir, dans l’écart entre L’Évolution créatrice et Les Deux Sources, constitue précisément l’option de l’article suivant de Ghislain Waterlot : « Doutes sur l’humanité : du “succès unique, exceptionnel” de la vie dans L’Évolution créatrice au “succès […] si incomplet et si précaire” dans Les Deux Sources », dans Annales bergsoniennes, t. IV, Anne Fagot-Largeault et Frédéric Worms (dir.), Paris, PUF, coll. « épiméthée », 2008, p. 379-395.
5 DS, p. 297.
6 DS, p. 26, 302-306 : on pourra préciser que la logique guerrière est une logique d’extermination – tel est le sens de la distinction entre guerre accidentelle et guerre essentielle dans l’ouvrage.
7 DS, p. 298.
8 Ibid., p. 304-306.
9 Henri Bergson, L’Évolution créatrice, édition critique établie par Arnaud François, Paris, PUF, coll. « quadrige », 2009, p. 271 : « L’animal prend son point d’appui sur la plante, l’homme chevauche sur l’animalité, et l’humanité entière, dans l’espace et dans le temps, est une immense armée qui galope à côté de chacun de nous, en avant et en arrière de nous, dans une charge entraînante capable de culbuter toutes les résistances et de franchir bien des obstacles, même peut-être la mort. » (désormais sous l’abréviation EC).
10 Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2005, 7e édition, p. 175.
11 DS, p. 26.
12 Philippe Soulez, Bergson politique, Paris, PUF, coll. « Philosophie d’aujourd’hui », 1989, p. 269 : « On pourrait d’ailleurs ajouter morale close, politique et religion ne font qu’un, puisque la religion (close) ne fait que compenser par la fabulation ce que la justice humaine peut avoir d’imparfait aux yeux de la société close elle-même ».
13 Ghislain Waterlot, Op. cit., p. 394.
14 Dans l’article intitulé « Bergson et Freud : une dualité vitale », qui forme l’épilogue de l’ouvrage collectif Bergson et Freud (Brigitte Sitbon dir., Paris, PUF, coll. « Philosophie française contemporaine », 2014), Frédéric Worms signale les proximités des deux penseurs sur la question de la violence et de la guerre : « L’un et l’autre théorisent après la guerre la persistance d’un instinct de guerre et de destruction qu’une force opposée qui n’est pas seulement la connaissance, quoique celle-ci en effet s’y oppose déjà, mais le désir ou l’amour (ce qui certes n’est pas la même chose) peut seule surmonter » (Frédéric Worms, « Bergson et Freud : une dualité vitale », op. cit., p. 239).
15 Sigmund Freud, « Actuelles sur la guerre et la mort » (1915), dans Actuelles sur la guerre et sur la mort, et autres textes, tr. fr. P. Cotet, A. Bourguignon, A. Cherki, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2012, p. 4.
16 Sur ce point, on se rapportera à l’article d’Arnaud François « La division de la vie : création, conservation et pulsion de mort chez Bergson et Freud », dans Bergson et Freud, Brigitte Sitbon dir., Op. cit., p. 121-139.
17 « L’humanité créatrice » est précisément le titre de notre ouvrage consacré à l’anthropologie de Bergson (Nadia Yala Kisukidi, Bergson ou l’humanité créatrice, Paris, CNRS, 2013).
18 DS, p. 127.
19 DS, p. 126.
20 DS, p. 137.
21 DS, p. 138.
22 DS, p. 139.
23 DS, p. 223.
24 EC, p. 265-271.
25 DS, p. 218.
26 DS, p. 304.
27 On se rapportera, ici, aux analyses de Marc Crépon dans son livre Le Consentement meurtrier, Paris, Les éditions du Cerf, coll. « passages », 2012.
28 DS, p. 144 : « Ainsi la poussée vitale ignore la mort. Que l’intelligence jaillisse sous sa pression, l’idée de l’inévitabilité de la mort apparaît : pour rendre à la vie son élan, une représentation antagoniste se dressera ; et de là sortiront les croyances primitives au sujet de la mort. »
29 DS, p. 303.
30 DS, p. 304.
31 DS, p. 303.
32 DS, p. 146. Et voir supra note 6 p. 19.
33 DS, p. 297.
34 DS, p. 24-25, 289 ; EC, p. 77-85.
35 DS, p. 25.
36 DS, p. 25.
37 Sur ce point, on se rapportera à l’avant-propos de Brigitte Sitbon introduisant le livre collectif Bergson et Freud, Brigitte Sitbon-Peillon (dir.), Paris, PUF, coll. « Philosophie française contemporaine », 2014, p. 1-42.
38 On soulignera, au passage, ces analyses de Freud et de Bergson, appartenant à deux textes quasiment contemporains, qui expriment les mêmes craintes quant aux effets du progrès technique sur les manières de faire la guerre : « … dans sa configuration présente, la guerre ne donne plus l’occasion de réaliser le vieil idéal héroïque, et […] une guerre future, par suite du perfectionnement des moyens de destruction, signifierait l’extermination de l’un ou peut-être des deux adversaires » (Sigmund Freud, « Pourquoi la guerre ? », op. cit., p. 74) ; « … on se bat avec les armes forgées par notre civilisation, et les massacres sont d’une horreur que les anciens n’auraient même pas imaginée. Au train dont va la science, le jour approche où l’un des adversaires, possesseur d’un secret qu’il tenait en réserve, aura le moyen de supprimer l’autre. Il ne restera peut-être plus trace du vaincu sur la terre. » (DS, p. 305).
39 Sigmund Freud, « Actuelles sur la guerre et la mort », Op. cit., p. 46.
40 Sigmund Freud, « Pourquoi la guerre ? », Op. cit., p. 72 : Freud indique, par ailleurs, que l’instauration de ces liaisons de sentiment peut être de deux espèces : 1/ « des relations comme celles avec un objet d’amour, quoique sans buts sexuels » ; 2/ « la liaison par identification », soit « tout ce qui instaure parmi les hommes des intérêts communs significatifs [suscitant] de tels sentiments communautaires ».
41 DS, p. 296.
42 Sigmund Freud, « Pourquoi la guerre ? », Op. cit., p. 73.
43 Sigmund Freud, « Pourquoi la guerre ? », Op. cit., p. 73.
44 Sigmund Freud, « Actuelles sur la guerre et la mort », Op. cit., p. 3-9.
45 DS, p. 304.
46 Nadia Yala Kisukidi, Bergson ou l’humanité créatrice, Op. cit., p. 43.
47 EC, p. 247-248 : « À côté des mondes qui meurent, il y a sans doute des mondes qui naissent. D’autre part, dans le monde organisé, la mort des individus n’apparaît pas du tout comme une diminution de la “vie en général”, ou comme une nécessité que celle-ci subirait à regret. Comme on l’a remarqué plus d’une fois, la vie n’a jamais fait effort pour prolonger indéfiniment l’existence de l’individu, alors que sur tant d’autres points elle a fait tant d’efforts heureux. »
48 Ernst Jünger, La Guerre comme expérience intérieure, tr. fr. François Poncet, préface André Glucksmann, Paris, Christian Bourgois, coll. « Titres », 1997, p. 95-106.
49 DS, p. 305.
50 DS, p. 224 : « Pourquoi l’homme ne retrouverait-il pas la confiance qui lui manque, ou que la réflexion a pu ébranler, en remontant, pour reprendre de l’élan, dans la direction d’où l’élan était venu ? »
51 DS, p. 247.
52 DS, p. 250-251.
53 L’expression politique du fraternel, chez Bergson, prend corps dans la devise républicaine française (cf. DS, p. 300).
54 DS, p. 308-309.
55 DS, p. 328.
56 DS, p. 299.
57 DS, p. 299.
58 DS, p. 300.
59 DS., p. 330.
60 DS, p. 300-301.
61 DS, p. 323 : « Le besoin toujours croissant de bien-être, la soif d’amusement, le goût effréné du luxe, tout ce qui nous inspire une si grande inquiétude pour l’avenir de l’humanité parce qu’elle a l’air d’y trouver des satisfactions solides, tout cela apparaîtra comme un ballon qu’on remplit furieusement d’air et qui se dégonflera aussi tout d’un coup. »
62 DS, p. 333 : « Mais ne comptons pas trop sur l’apparition d’une grande âme privilégiée. À défaut d’elle, d’autres influences pourraient détourner notre attention des hochets qui nous amusent et des mirages autour desquels nous nous battons ».
63 DS, p. 310.
64 Cf. Frédéric Worms que nous reprenons ici, supra note 3 p. 17.