L’engagement sceptique Politique et distance
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions
2014 – 2, n° 5. Scepticismes en politique - Auteur : Giocanti (Sylvia)
- Résumé : On admet généralement que le scepticisme politique se limite soit au conformisme et au conservatisme, soit à dissimuler des idées subversives. Nous voulons, à partir des Essais de Montaigne, montrer que le scepticisme politique représente un engagement politique à part entière, et, à l’encontre de Machiavel, qu’il envisage la politique du point de vue de l’homme du commun à la recherche de la bonne distance : entre personne publique et privée, mais aussi par rapport aux circonstances.
- Pages : 31 à 48
- Revue : Éthique, politique, religions
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- EAN : 9782812433580
- ISBN : 978-2-8124-3358-0
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3358-0.p.0031
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 29/11/2014
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : scepticisme, Montaigne, Machiavel, conformisme, conservatisme, engagement, sphère privée, sphère publique
L’engagement sceptique
Politique et distance
Partons de deux idées convenues à l’égard du scepticisme dans son rapport avec la politique :
Premièrement, le sceptique, embarrassé par son absence de conviction concernant des valeurs politiques, ne permettrait de penser aucun engagement digne de ce nom, aucune action politique respectable, et inviterait finalement à se soumettre à l’ordre établi, en excluant toute réforme, y compris lorsque le régime politique en question est injuste et inacceptable. Le scepticisme politique ne serait qu’un conformisme conservateur.
Deuxièmement, en privant le pouvoir politique de tout fondement (la nature ou la raison), le sceptique discréditerait la politique et pourrait à bon droit être soupçonné de duplicité et de dissimulation. Son retrait dans la sphère privée permettrait une instrumentalisation de son discours attestée par l’usage (éventuellement subversif) de certains libertins du xviie siècle.
En nous appuyant sur les Essais de Montaigne, nous nous proposons de montrer ici que l’on peut concevoir un engagement politique de type sceptique, qui ne consiste ni à se soumettre à l’ordre établi, ni à dessiner la possibilité de son renversement, mais à entretenir à titre de personne publique – distincte mais non séparée de la personne privée – un rapport distancié et circonstancié avec la réalité politique.
Ceci requiert au préalable de prendre la mesure de l’action politique dans un monde sceptiquement considéré, ce que la confrontation avec Machiavel permettra de mieux cerner.
La prise de distance sceptique
à l’égard de la virtuosité politique machiavélienne
Contre les élucubrations théoriques des philosophes politiques, Montaigne partage avec Machiavel l’approche réaliste de la politique qui consiste à s’interroger sur ce que l’on peut faire à partir d’un donné contingent, qui est déjà configuré par l’histoire, c’est-à-dire par la fortune. Tout ordre politique est irrationnel : il se maintient de lui-même, sans que l’on sache pourquoi, alors même qu’il est précaire, instable, qu’il n’a jamais fait l’objet d’un agencement préalable concerté, et que sa régularisation s’est faite au fil du temps. De ce fait, la raison est incapable de dominer la réalité politique : si elle tente de le faire théoriquement, elle invente des hyperstructures qui n’ont aucun impact concret ; si elle tente de le faire pratiquement, sous la forme d’une anticipation de type prudentiel, elle est incapable d’engendrer un ordre qui lui soit propre et de le régenter.
Ainsi, pour Montaigne, la marge de manœuvre dont l’homme politique dispose pour instaurer un ordre nouveau est dérisoire. Alors que chez Machiavel, l’homme d’État talentueux pouvait s’adapter aux promptes variations et aux sinuosités du réel, à condition de ne jamais s’abandonner à la mollesse et au relâchement1, pour le sceptique, l’homme politique est un jouet aux mains de la fortune2. L’expérience, en raison de la dissemblance irréductible à la ressemblance qu’elle offre, n’instruit personne, pas même un prince idéalisé : par divers moyens, on arrive à pareilles fins, et par des moyens identiques, on peut échouer à obtenir les mêmes résultats, sans qu’il y ait moyen de reprendre les choses en mains.
Les contradictions de l’expérience politique empêchent l’homme d’État d’acquérir une compétence qui relèverait non seulement d’une science, mais même d’un métier au sens où Machiavel l’entendait3. Parce que nous ne sommes pas faits pour diriger, mais pour nous accommoder à
la réalité telle qu’elle s’impose à nous4, la meilleure politique consiste à accompagner ce qui se fait de soi-même, notre intervention étant presque réductible à une routine5.
Il en résulte qu’à la différence de Machiavel, qui vouait au mépris les princes inconstants, légers, efféminés, pusillanimes, irrésolus, Montaigne défend à titre de qualités politiques, la mollesse, le relâchement6, et la passivité consentie, l’absence de résistance à la fortune, et préconise même de « se laisser aller à corps perdu7 » entre ses bras, au petit bonheur la chance. Contre la tension virile du virtuoso, Montaigne se plaît à féminiser la politique, moins pour la discréditer, que pour en vulgariser les compétences, et achever leur désacralisation :
Qu’on regarde qui sont les plus puissans aus villes, et qui font mieux leurs besongnes : on trouvera ordinairement que ce sont les moins habiles. Il est advenu aux femmes, aux enfans et aux insensés, de commander des grands estats à l’esgal des plus suffisans Princes8.
Montaigne donne ainsi une leçon d’humilité aux hommes politiques en les regardant non pas de haut, mais d’en bas. C’est certes procéder encore comme Machiavel qui, dans sa Dédicace du Prince, se proposait de changer de perspective. Mais cette fois, c’est pour se tenir définitivement à distance du sommet du pouvoir, et faire en sorte que personne n’estime jamais avoir à entretenir ce rapport de surplomb avec les autres membres du corps politique, ce qui serait illégitime, puisque « les dignitez, les charges, se donnent necessairement plus par fortune que par merite9 ». « Nous vivons par hazard10 » et à ce titre, parce que nous sommes dans la position de recevoir ce qui nous échoit, « nous sommes tous du vulgaire11 » : quel que soit notre rang social, nous ne pouvons
éprouver qu’épisodiquement et illusoirement la jouissance de la maîtrise et de la domination comme étant proprement notre fait12. La gloire politique, comme la gloire militaire – à laquelle elle est souvent associée, puisque le prince a traditionnellement pour compétence de « conduire son peuple en paix et en guerre13 » – est toujours usurpée14. Et pour contrebalancer cette inéquité, le sceptique n’hésite pas à louer les vies glissantes, sombres, et muettes15, à défendre les tâches effectuées dans l’ombre avec loyauté, persévérance et honnêteté par des anonymes non moins méritants, en ce qu’ils ont apporté eux aussi leur pierre à la défense des intérêts d’une nation, ou tout simplement contribué au bon fonctionnement des rouages institutionnels.
Il n’y a pas donc à chercher à affermir le pouvoir politique par la reconnaissance populaire de l’héroïsme du Prince. Un homme politique, fût-il souverain, devrait pouvoir reconnaître (comme Montaigne l’a fait pour la mairie de Bordeaux16) qu’il doit bien souvent à la fortune ses succès, et ne pas chercher à tenir le peuple à distance pour instaurer et entretenir l’image factice de sa gloire. Sa virtù même est vulgaire. L’unité, l’identité, la fidélité, la fierté d’un peuple n’ont pas à être recherchées dans les politiques d’éclat. Elles se constituent d’elles-mêmes par la perpétuation des usages qui constituent le lien social, et par la confiance des sujets en la capacité de l’État à leur apporter durablement paix et protection.
Montaigne assume là donc la banalité de l’activité politique. La ramenant à une mesure commune, il remet du même coup les charges politiques sur la place publique comme pouvant être parfaitement honorées par quiconque, puisqu’elles requièrent souvent des compétences grossières :
Il se voit tous les jours que les plus simples d’entre nous mettent à fin de tresgrandes besongnes, et publiques et privées. […] Les avis les plus vulgaires et usitez sont aussi peut estre les plus seurs et les plus commodes à la pratique, sinon à la montre17.
Cette considération, non seulement rapproche le peuple de ses dirigeants, mais permet d’envisager une meilleure répartition des tâches publiques, selon les différentes aptitudes naturelles. Certains hommes sont plus ou moins souples, plus ou moins grossiers, plus ou moins scrupuleux, plus ou moins brutaux, ce qui facilite l’exécution des tâches, toujours différenciées, mais unifiées par un désir commun de tranquillité, qu’il ne faut pas avoir honte de rechercher : « Toute la gloire que je prétens de ma vie, c’est de l’avoir vescue tranquille18. »
En effet, Montaigne ne souscrit pas à la thèse machiavélienne selon laquelle les grands souhaiteraient avant tout opprimer le peuple, avant de rechercher leur propre tranquillité, alors que le peuple ne chercherait qu’à ne pas subir l’oppression. Considérant que tous les hommes aspirent à passer leur vie avec contentement, et que chacun peut apporter sa contribution aux tâches publiques, il opère un renversement de perspective à partir duquel la politique est abordée du point de vue du peuple comme devant promouvoir la paix publique et la tranquillité, sans craindre la mollesse de la paix et l’efféminement désastreux qu’elle est censée produire. Tous les hommes sans exception redoutent que l’on porte atteinte à leurs proches (femmes, enfants, amis) et à leurs biens ; et tous sont capables de participer aux activités politiques, à partir du moment où ils acceptent de répondre à l’injonction (qui sert de conclusion aux Essais) de se ranger au modèle commun :
Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rangent au modelle commun et humain, avec ordre, mais sans miracle et sans extravagance19.
Le scepticisme politique de Montaigne contribue ainsi à introduire dans la philosophie politique le modèle de l’homme ordinaire, qui n’est ni vraiment auteur, ni même vraiment acteur de ses actions – puisque c’est la fortune qui produit l’essentiel – mais qui n’est pas pour autant dénué d’aptitude politique, puisque les tâches politiques se comprennent désormais à partir de la plus basse marche, qui est aussi la plus ferme20.
L’apprentissage sceptique de la citoyenneté :
trouver la bonne distance
entre personne publique et personne privée
Toutefois, la démystification du politique n’est pas dans le discours sceptique de Montaigne le prélude à une critique des privilèges qui tendrait à une refondation du politique sur des bases plus justes, comme c’est le cas dans le libertinage politique au xviie siècle, ou dans l’augustinisme de Pascal, qui en effet instrumentalisent le scepticisme de cette manière. La différence, pour la résumer en deux mots, est que le libertin ou l’apologète, dépasse l’irrationalité du politique que le sceptique jugeait insurmontable (le défaut de fondement légitime du pouvoir étant irrémédiable) par une rationalisation a posteriori qui se propose de le refonder sur la nature, la raison, ou la grâce, après avoir rendu raison de cet effet21.
Dans la culture libertine, l’analyse disqualifiante du politique (notamment la mise en évidence de la frivolité de ses ressorts) a bien pour but de critiquer l’ordre établi, soit dans une perspective réformiste, comme c’est le cas dans Les Discours sceptiques de Samuel Sorbière qui pastiche la politique sceptique de Montaigne pour revendiquer une pratique du pouvoir fondée sur la nature, et ainsi plus conforme aux intérêts du peuple ; soit dans une perspective non réformiste, comme c’est le cas dans le dialogue De la politique de La Mothe Le Vayer, où le scepticisme est subsumé dans le mépris voire le dégoût du politique, dont l’auteur se détourne. Et ces deux exemples ne sont pas exclusifs : chez Charron, Vanini, et Naudé, aussi différent leur usage de l’argumentation sceptique soit-il, l’approche critique du pouvoir politique ne relève pas du scepticisme en tant que tel. En effet la démystification de la politique qu’ils opèrent suppose un partage clair entre raison et déraison, c’est-à-dire d’un point de vue social entre sots et esprits forts, partage caractéristique de la tradition libertine (et unanimement reconnue par la critique
contemporaine22) qui permet à l’analyse libertine du pouvoir d’État d’être ressaisie dans un projet rationnel plus ou moins crypté. Dans tous les cas ici évoqués (Charron, Vanini, Naudé, La Mothe Le Vayer, Sorbière) ceci a pour conséquence une articulation très différente entre l’homme privé et l’homme public, ne serait-ce que parce que la dissimulation y est essentielle, qu’elle soit ou non au service de la raison d’État23.
Le sceptique, en effet, critique la politique de l’éclat ou la virtuosité politique, mais s’emploie à réfléchir aux moyens d’honorer ses obligations en tant que citoyen, sans que le devoir politique n’entre en concurrence avec le respect de soi comme personne privée. Il s’agit donc bien de trouver la bonne distance entre la personne publique et la personne privée, mais en aucun cas de prendre ses distances à l’égard de la politique. Non seulement, Montaigne est « d’avis que la plus honorable vacation est de servir au public et estre utile à beaucoup24 », mais il estime que celui qui sait exactement « ce qu’il se doibt, trouve dans son rolle qu’il doibt appliquer à soy l’usage des autres hommes et du monde, et pour ce faire contribuer à la société publique les devoirs et offices qui le touchent. » La déclaration « qui ne vit aucunement à autruy ne vit guère à soy25 », qui suit immédiatement ce passage, exclut l’interprétation de la pensée de Montaigne comme préconisant le retrait du sage dans une sphère privée où il pourrait se préserver de la contamination des compromissions vulgaires propres à la sphère publique. Cette lecture inexacte atteste de l’influence de la lecture libertine ultérieure, alors même qu’elle est incompatible avec l’injonction montanienne de se ranger au modèle commun, c’est-à-dire de savoir se mêler à la multitude en travaillant à assouplir son âme.
Il y a en effet une convergence entre plusieurs textes des Essais éloignés les uns des autres : l’analyse de la vertu assignée aux affaires du monde, comme vertu à plusieurs plis, mêlée, artificielle, et peu innocente, qui dissuade l’honnête homme de certaines tâches politiques et l’incite à les laisser à des hommes moins scrupuleux ; l’éloge de la souplesse d’« un’ame à divers estages » qui, dans les relations civiles, pourrait sans se fâcher converser avec tout le monde ; l’affirmation qu’un honnête homme n’est pas redevable du vice de son métier et ne doit pourtant en refuser l’exercice, car c’est l’usage du pays, qu’il y a du profit ; l’injonction qui en résulte à « vivre du monde et s’en prevaloir tel qu’on le trouve26 ». Montaigne recommande à chaque fois de s’adapter à la réalité politique et de se plier aux obligations communes, mais à condition de veiller à préserver une part de soi qui ne soit pas en permanence sur la place publique, ce qui le conduit à réfléchir à une manière « dépassionnée » de s’investir dans les charges publiques sans s’y perdre.
On peut ainsi parler d’un apprentissage sceptique de la citoyenneté sur le modèle du commun, à bien distinguer de la manière libertine d’être à soi et aux autres qui repose sur le mépris du commun, une distance prise à partir une position de supériorité.
On attribue en effet à tort à Montaigne la théorie d’une scission entre sphère privée et sphère publique fondée sur son scepticisme : il faudrait se soumettre aux lois et coutumes par respect de façade et se réserver la liberté de penser et vivre à sa guise dans son arrière-boutique27, loin de la foule, auprès de ses amis fidèles, qui eux aussi savent que l’ordre politique est arbitraire et que le respect qu’on lui doit est de pure forme.
La politique sceptique exclut pourtant une morale de façade servant à dissimuler une éthique secrète cautionnant le mépris du peuple et critiquant la superstition à partir d’un point de vue élitiste réservé à ceux qui, « déniaisés du sot », ou « esprits forts », savent faire usage de leur raison naturelle, distincte d’une raison seulement humaine car inconstante, selon une distinction que l’on trouve par exemple dans le Théophrastus Redivivus28. Montaigne n’estime pas que l’avis partagé par un grand nombre de gens, parce qu’il est inconstant et certes davantage fondé sur l’imagination que la raison, est médiocre, banal, et sans valeur. Il chercherait plutôt à reculer vers une position plus basse et sans lustre29, en raison de son scepticisme que, sur ce point précis, l’on peut décliner ainsi : Montaigne estime des superstitions qu’il ne faut certes pas y souscrire sans examen, mais que les « songes d’une vieille » méritent au moins qu’on les écoute30. Incapable de savoir où se trouvent les limites du possible31, il considère qu’il ne peut s’exprimer que par des opinions qui n’ont pas plus d’autorité que celles du peuple, et ne prétend pas en conséquence avoir l’autorité d’en être cru32. Il estime par conséquent iniques les réformistes qui soumettent les constitutions et observances publiques à l’instabilité d’une raison privée, présupposant à tort une connaissance de la vérité que le peuple ignorerait33. De ce fait, il ne peut souscrire à une articulation entre le privé et le public qui réserverait au sceptique une place de choix, en dehors du champ politique où s’ébattrait la sotte multitude dominée par la « doxa ».
Cette conception clivée de la politique est en effet incompatible avec le scepticisme de Montaigne. Non seulement Montaigne ne méprise pas le peuple, mais encore il en a besoin pour se constituer lui-même comme personne privée, à partir de la relation sociale. Le moi, en raison de son inconstance et de son inconsistance ontologique34, n’a pas d’existence individuelle qui précèderait son existence sociale. Le commerce ou différentes relations qu’il noue avec les autres précède la constitution
de son individualité, qui se façonne à l’usage35. Et l’un des passages les plus longs des Essais où Montaigne se penche sur le rapport entre d’une part l’obligation privée, très contraignante parce qu’elle engage la conscience, et d’autre part l’obligation publique, dont on s’acquitte avec plus d’aisance par des actions adaptées aux charges qui nous sont confiées, se solde par une déclaration qui interdit de se défaire totalement de l’obligation à l’égard d’autrui. Car même lorsqu’on a des avantages sociaux qui confèrent une autonomie, la possession du moi est en partie manque et empruntée36. Cela signifie que le personnage que l’on joue sur la place publique a son rôle à jouer dans la constitution de l’essence réelle.
Il y a donc bien chez Montaigne un entraînement du sujet à ne pas serrer excessivement les liens avec autrui, de telle sorte qu’il n’ait pas trop à souffrir s’ils se relâchent. Et c’est bien la fonction de l’arrière-boutique, d’entraîner à assouplir et distendre les liens par un exercice mental de mise à distance37 qui consiste aussi à faire la part des choses, à démêler l’étranger du propre, le masque de l’apparence, la chemise de la peau38.
Mais s’il y a bien une réflexion circonspecte sur l’engagement politique39 qui vise à préserver la vie privée, il ne s’agit jamais de dissocier les deux pour se désengager du monde. Il s’agit plutôt de ménager sa volonté, de ne « l’hypothéquer » qu’avec discernement, « aux occasions justes », de réfléchir sur la manière dont la personne privée se donne publiquement sans prendre trop à cœur une affaire qui aura été d’autant mieux traitée qu’on ne l’aura pas incorporée40, qu’on l’aura mise à distance pour la juger d’une manière moins partiale, en changeant de point de vue, avec recul, d’une manière qui préserve la clairvoyance du jugement. Le sceptique, en luttant contre la tendance sociale à se jeter à corps perdu dans l’affairement, cherche à s’adonner plus efficacement et plus loyalement aux tâches publiques, quitte parfois à ne rien faire, s’il juge que l’abstinence de faire est plus adaptée que le faire 41, sans se
déresponsabiliser, puisqu’il ne prétendra pas avoir fait ce qu’il n’a pas fait, ni ne pas avoir fait ce qu’il a fait, avec les conséquences que cela implique.
C’est en effet la parole par laquelle on reconnaît ce que l’on a fait ou que l’on n’a pas fait, qui engage le sceptique au premier chef. Les hommes ne se tiennent les uns aux autres que par la parole42, si bien que faire mauvais usage de ce truchement est trahir la société publique :
S’il nous faut, nous ne nous tenons plus, nous ne nous entreconnaissons plus. S’il nous trompe, il rompt tout nostre commerce et dissoult toutes les liaisons de nostre police43.
La vie politique, telle qu’elle est partagée par les citoyens, repose sur la parole, parole qui oblige à une certaine transparence, à se montrer jusqu’au-dedans44, y compris dans les affaires publiques. Ceci requiert un certain courage, comme lorsque même dans la négociation avec les princes, on ose faire preuve d’une liberté sans dissimulation qui n’épargne rien à dire pour pesant et cuisant qu’il fut45. Et si parfois on ne peut pas tout dire, il faut toujours s’efforcer que ce qu’on dit soit tel qu’on le pense46, afin que l’intérieur ne soit totalement en porte-à-faux par rapport à l’extérieur, que le personnage public ne soit pas un pur masque.
Cet impératif est autant politique que moral, dans la mesure où l’individu advient à lui-même à partir de son existence sociale et des engagements publics qu’il prend. C’est précisément parce qu’on est obligé un minimum de se farder47, qu’il est requis de s’engager auprès des autres sur la base d’un dire vrai, afin de pouvoir advenir à soi d’une manière réglée, présentable48. Si le fait même de rechercher à se dire avec des mots sincères et à enregistrer ses pensées est conçu comme une « mise en rôle » au triple sens d’enregistrer (tenir registre), de contrôler et de mettre en scène sur le théâtre de l’imagination49, il est d’autant plus impératif de préserver un lien avec autrui pour, en s’accréditant
par son dire à ses propres yeux comme aux yeux des autres, trouver des repères en soi, tenir sa route, se discipliner socialement et politiquement. Ceci revient à jouer son rôle au-dedans, non par ostentation, mais pour s’authentifier :
Ce n’est pas pour la montre que nostre ame doit jouer son rolle, c’est chez nous, au dedans, où nuls yeux ne donnent que les nostres50.
Et ce rôle n’est pas séparable du rôle social dans lequel chacun doit chercher ce qu’il doit aux autres hommes et au monde51. Notre condition est « singeresse et imitatrice52 », homogène aux occupations publiques, qui sont « farcesques » et donc relève de la théâtralité sociale. Il n’y pas de dehors et de dedans dans cet apprentissage sceptique de la citoyenneté, mais un échange de paroles qui circulent, paroles que l’on donne et que l’on reçoit, d’une manière active, puisque c’est grâce à cette interaction dans la conversation – la « conférence » auquel Montaigne consacre un chapitre de Essais – que nous nous formons les uns les autres.
Ceci requiert une certaine adresse dans la réception de la parole, sur fond si ce n’est d’adversité, du moins de rivalité, comme l’évoque la métaphore du jeu de paume. Chacun cherche à placer la balle mieux que l’autre, comme le dira Pascal, pour signifier qu’il ne doit rien à Montaigne, alors même qu’il paraît se conformer aux dires et aux métaphores des Essais53. L’innovation est concevable, même à partir de paroles qui peuvent sembler convenues et sont échangées entre des personnes qui, vivant dans un même pays, sont soumises aux mêmes lois et aux coutumes. Il suffit de les disposer mieux pour introduire de la nouveauté.
Précisons en quoi l’action sceptique n’exclut pas l’innovation, alors que la politique dans laquelle elle s’inscrit interdit de s’en prendre directement aux normes sociales pour les refonder sur d’autres bases.
Le mode d’intervention politique sceptique :
un engagement circonstancié et distancié
À partir du moment où les lois et les coutumes désignent une donnée culturelle fortuite et arbitraire admettant des variations au fil des siècles, et non un ordre établi qui ferait droit au nom de la raison, s’y soumettre n’implique pas de renoncer à toute action nouvelle, mais de s’appuyer sur des usages constitutifs de notre ordinaire qui ne sont pas érigés en normes universelles et absolues, et qui présentent l’inestimable avantage de configurer notre vie de manière commune et ainsi, en la délimitant, de lui donner des limites socio-politiques.
Le problème réside certes dans le fait que la coutume peut devenir tyrannique, parce qu’elle crée des automatismes (des habitudes) qui font que nous perdons toute capacité d’analyse sur le sens de ce que nous faisons.
Mais la formation par les lois et les coutumes a été rendue possible par la force de l’accoutumance, « qui peut duire non seulement à telle forme qui luy plaist […] mais au changement et à la variation, qui est le plus noble et le plus utile de ses apprentissages54 ». Cela signifie que la coutume comme force plastique réserve la possibilité de passer d’une forme à une autre à partir d’une forme originelle, en s’éloignant peu à peu des usages convenus des rapports sociaux. Présidant à l’organisation de notre vie, elle est la condition de toute formation ultérieure, et donc aussi de tout affranchissement ultérieur. Elle est ce sans quoi paradoxalement nous ne pourrions pas apprendre à être libres, car l’apprentissage repose sur la culture d’une âme flexible, à plusieurs étages, que le sceptique cherche à promouvoir et à entretenir :
Notre principalle suffisance, c’est sçavoir s’appliquer à divers usages. C’est estre, mais ce n’est ne pas vivre, que se tenir attaché et obligé par nécessité à un seul train. Les plus belles ames sont celles qui ont plus de variété et de soupplesse55.
Non seulement le sceptique n’est pas conformiste, mais il considère qu’il ne faut juger bonne aucune activité dont nous ne pourrions nous déprendre, et y travaille. Le conformisme social n’est pas la condition de
la liberté privée, comme c’est le cas chez le libertin. C’est au contraire l’effort pour contrer ce qui dans les coutumes pourrait rigidifier nos actions et pour ressaisir cette force formatrice qui a présidé à notre instruction et est la condition de l’autonomisation de l’action, dans une perpétuelle lutte contre la dépossession de soi qu’entraîne peu à peu la répétition à l’identique.
L’introduction de nouveautés est donc possible, mais de l’intérieur des normes, sur la base de leur acceptation première, et non de leur contestation, comme c’est le cas dans le libertinage. L’assujettissement et attachement à des normes, ou si l’on préfère leur assimilation (ou intériorisation) par la répétition d’actes déterminés, assurent une aisance sans laquelle l’inventivité ne pourrait pas s’exercer, puisqu’elle s’exerce sur la base de ce qui nous est donné, que nous n’avons pas choisi, et au sein duquel les marges de manœuvre sont possibles mais limitées par un certain nombre de conditions (notre âge, notre sexe, notre situation sociale, notre état de santé, la vivacité de notre intellect, etc.). Introduire de la nouveauté ne consiste donc pas à instituer de nouvelles normes (plus justes, plus rationnelles, plus naturelles), ni à consacrer ce qui existe (conformisme social), mais à inventer de nouvelles manières de s’accommoder à ces normes, sachant que la vie n’est pas affranchissement des normes, mais vie par les normes.
Au niveau privé, le moi se fabrique donc d’après ces normes sociales, s’invente une liberté par la discipline. Au niveau politique, la variation ne trouve pas sa légitimité dans une opinion privée qui se mettrait au-dessus de toutes les autres, mais dans l’analyse de la situation et des circonstances. C’est le cas par exemple lorsqu’il faut adapter les lois, afin qu’elles permettent de répondre à la situation, que la nécessité publique le requiert, ce qui revient à « faire vouloir aux lois ce qu’elles peuvent, puisqu’elles ne peuvent ce qu’elles veulent56 ». Dans ce cas, l’introduction d’une nouveauté législative est la réponse adaptée. Par pragmatisme politique, par conséquent, non seulement le sceptique peut agir politiquement sans être embarrassé, mais il le fait d’autant mieux que son action est conçue comme réaction, sans exiger une adhésion préalable à une doctrine ou des valeurs posées comme universelles et fondatrices de son choix, ni même sans se sentir obligé de faire croire
qu’il a une certitude absolue sur ce qu’il faut faire, puisqu’il lui suffit de le justifier en fonction des circonstances. La valeur d’une décision selon lui ne dépend pas de la détermination rationnelle de ce qu’il aurait dû faire, du moins pas au sens où ce choix aurait dû faire l’objet d’un accord unanime potentiel57. En entretenant une certaine distance entre lui et son action, en la réévaluant sans cesse par un doute qui se réserve la possibilité d’en empêcher la reconduction, le sceptique préserve une plasticité de l’action qui permet de la moduler, de la renouveler sans la répéter à l’identique, de rejouer autrement ce que nous faisions, afin de réviser le rapport à la norme qui régissait notre action, à la recherche d’une autre manière de s’y soumettre.
Finalement, le sceptique est sceptique en politique, non pas en ce qu’il refuse de prendre des décisions et s’en remet aux lois et aux coutumes de son pays, mais en ce qu’il n’a pas le même mode d’adhésion aux raisons d’agir que les autres, et que son engagement se trouve de ce fait distancié.
C’est une attitude saine en ce qu’elle met à couvert du fanatisme politique ou religieux qui procède d’une adhésion totale à la cause de son action, adhésion qui rend impossible la remise en cause de sa position, les circonstances étant méprisées comme secondaires par rapport à la cause défendue.
Elle met aussi à couvert de l’indifférence : le sceptique, en raison de la conscience aiguë de son conditionnement, de l’endroit où il se tient et de son implication, est soucieux de ne pas mettre les autres en danger, et de les protéger contre les dangers auxquels exposent les certitudes les plus fortes, notamment celles qui concernent la valeur de l’engagement. Et à ce titre, il s’autorise à condamner certaines pratiques immodérées et cruelles qui reposent souvent sur une confiance excessive en son jugement privé, et sur une incapacité à octroyer à autrui le bénéfice du doute.
Le sceptique n’est pas davantage suspect d’irresponsabilité aggravée, puisqu’ayant pleine conscience de la précarité de sa position, il sait le risque qu’il prend et qu’il est susceptible de faire encourir à autrui, et se voit enclin par cela même à préférer les solutions modérées, les plus douces, les moins violentes, à éviter la souffrance, la cruauté infligées à autrui, le sacrifice des hommes, tout ce qui va à l’encontre d’un général
devoir d’humanité et d’obligation mutuelle, qui va au-delà de la parole donnée et reçue, puisque que Montaigne l’étend jusqu’aux bêtes et aux arbres mêmes58.
Nous pouvons ainsi conclure que le sceptique n’est pas ce dont il faudrait se protéger pour penser le politique, puisqu’il constitue plutôt un précieux adjuvant pour penser l’activité politique et la participation citoyenne sur le mode de « la réalité effective de la chose ». Mais c’est d’une manière à la fois distincte de Machiavel et de la tradition libertine : Cette réalité n’est jamais appréhendée de haut, mais avec un recul qui démultiplie les points de vue, sans jamais conduire le philosophe à se désengager, ni à se mettre à l’écart de la multitude. L’exigence de se ranger au modèle commun et de vivre le monde tel qu’on le trouve résume donc bien la position distante et circonspecte, mais nullement désenchantée, du sceptique en politique.
Sylvia Giocanti
Université Toulouse – Jean-Jaurès
CERPHI (UMR 5037)
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1 Machiavel, Le Prince, chap. xxiv, Paris, PUF, 2000, traduction J. L. Fournel et J. C. Zancarini, p. 197 : « Que nos princes, qui possédaient leur principat depuis maintes années, n’accusent donc pas, s’ils l’ont perdu ensuite, la fortune, mais leur mollesse. »
2 Montaigne, Essais, III, 8, éd. Villey, Paris, PUF, Quadrige, 1992, p. 934 : « L’heur et le mal’heur sont à mon gré deux souveraines puissances. C’est imprudence d’estimer que l’humaine prudence puisse remplir le rolle de la fortune. »
3 Voir Lettre à Vettori du 10 déc. 1513 in Le Prince, op. cit., Annexe 2, p. 533.
4 Essais, II, 12, p. 506 : « Nous en valons bien mieux nous laisser manier sans inquisition à l’ordre général du monde. »
5 Essais, III, 8, p. 933.
6 Essais, III, 9, p. 949 : « Ma principale profession en cette vie est de la vivre mollement et plutôt lâchement qu’affaireusement. » Voir Le Prince, chap. xix (4), p. 155.
7 Essais, III, 12, p. 1061.
8 Essais, III, 8, p. 934. Cf. III, 10, p. 1018 où Montaigne écrit que les décisions politiques les plus importantes au sommet de l’État dépendent « en toute souveraineté des devis du cabinet des dames et inclination de quelque fammelette ».
9 Essais, III, 8, p. 932.
10 Essais, II, 1, p. 337.
11 Essais, II, 12, p. 570.
12 Essais, II, 17, p. 634 : « Si je rencontre louablement en une besongne, je la donne plus à ma fortune qu’à ma force ».
13 Essais, I, 40, p. 250.
14 Essais, II, 16, p. 622 et III, 8, p. 934.
15 Essais, III, 10, p. 1021.
16 Voir Essais, III, 10, p. 1024.
17 III, 8, p. 933. Cf. III, 3, p. 820 : « Les âmes basses et vulgaires sont souvent aussi reglées que les plus desliées. »
18 Essais, II, 16, p. 622.
19 Essais, III, 13, p. 1116.
20 Voir Essais, II, 17, p. 645 et I, 54, p. 313.
21 A. McKenna souligne que la position d’un apologète tel que Pascal en matière de politique peut être très proche de celle des libertins, notamment de Sorbière, tous deux utilisateurs des arguments sceptiques de Montaigne. Voir A. McKenna « La politique libertine à la lumière des Pensées » dans Libertinage et politique au temps de la monarche absolue, Littérature classique, n. 55, été 2005, p. 77-91.
22 Voir à titre d’exemple ce que T. Gregory entend par sagesse « sceptique » de Charron dans la Genèse de la raison classique de Charron à Descartes, PUF, 2000, p. 137-155. La critique de l’irrationalité (notamment des superstitions) permet de se déporter vers un au-delà des paradoxes sceptiques. A cet égard, Bayle pourrait être ajouté aux libertins pré-cités dans sa distinction avec les vrais sceptiques. Voir J. Israël, « Pierre Bayle’s political thought », in Pierre Bayle dans la République des Lettres, dir. A. McKenna et G. Paganini, Champion,2004, p. 349-379.
23 Sur les rapports entre usage du discours sceptique et la prudence politique caractéristique des libertins Naudé, Sorbière, La Mothe Le Vayer et Charron, on se rapportera avec profit aux analyses de S. Gouverneur dans Prudence et subversion libertines, Partie II, Champion, 2005, p. 225-335.
24 Essais, III, 9, p. 952.
25 Essais, III, 10, p. 1007.
26 Voir respectivement Essais, III, 9, p. 991, III, 3, p. 821, III, 10, p. 1012.
27 Cette lecture, très répandue, a peut-être pour origine le Montaigne d’H. Friedrich, A. Francke Verlag, 1949. Voir dans la traduction française, Paris, Gallimard, 1968, p. 195. On la retrouve par exemple chez L. Bianchi « Absolutism and despotism in Samuel Sorbière : Notes on Skepticism and Politics » dans Skepticism in the modern age, Leiden, Boston, éd. Brill, 2009, p. 205-206 ou encore chez D. Taranto dans Libertinage au xviie siècle, 3- Le Public et le privé, « La métamorphose du privé. Réflexions sur l’histoire de la catégorie et sur son usage par Le Vayer », Publications de l’Université de Saint-Etienne, p. 54. Elle se fonde souvent sur une lecture rétrospective de certains textes des Essais, dont I, 39, p. 241 (« Il faut se reserver une arriereboutique toute nostre, toute franche, en laquelle nous establissons nostre vraye liberté et principale retraicte et solitude. En cette-cy faut-il prendre nostre ordinaire entretien de nous à nous mesmes, et si privé que nulle acointance ou communication estrangiere y trouve place. »). Voir aussi I, 23, p. 118 : « Le sage doit au dedans retirer son ame de la presse, et la tenir en liberté et puissance de juger librement des choses ; mais, quant au dehors, il doit suivre entierement les façons et formes receues. »
28 Theophrastus Redivivus, La Nuova Italie Editrice, éd. Gianni Paganini, Firenze, 1982, p. 16.
29 Voir Essais, I, 54, p. 313 et III, 2, p. 805 : « Je propose une vie basse et sans lustre. »
30 Essais, III, 8, p. 933.
31 Voir le chapitre i, 27 intitulé « C’est folie de rapporter le vray et le faux à nostre suffisance ».
32 Voir Essais, I, 28, p. 148 et III, 11, p. 1033.
33 Essais, I, 23, p. 121.
34 Essais, II, 16, p. 618 : « Nous sommes tous creux et vuides. »
35 Essais, III, 10, p. 1009 : « Appelons encore nature l’usage et condition de chacun de nous. »
36 Essais, III, 9, p. 968.
37 Essais, I, 39, p. 242.
38 Voir ces distinctions en Essais, III, 10, p. 1011.
39 Essais, III, 10, p. 1003 : « Je m’engage difficilement. »
40 Essais, III, 10, p. 1004 : « Si quelquefois on m’a poussé au maniement d’affaires estrangieres, j’ay promis de les prendre en main, non pas au poulmon et au foye ; de m’en charger, non de les incorporer ; de m’en soigner ouy, de m’en passionner nullement. »
41 Essais, III, 10, p. 1023.
42 Essais, I, 9, p. 36.
43 Essais, II, 18, p. 667.
44 Essais, II, 17, p. 647.
45 Essais, III, 1, p. 792.
46 Essais, II, 17, p. 648.
47 Essais, II, 17, p. 638.
48 Essais, III, 9, p. 980.
49 Voir Essais, II, 18, p. 665, I, 8, p. 33.
50 Essais, II, 16, p. 623.
51 Essais, III, 10, p. 1006.
52 Essais, III, 5, p. 875.
53 Voir Montaigne, Essais, III, 13, p. 1088 et Pascal, Pensées, frag. 590 Le Guern (Lafuma 696).
54 Essais, III, 13, p. 1082-1083.
55 Essais, III, 3, p. 818.
56 Essais, I, 23, p. 122.
57 Nous ne suivons donc pas la conclusion du chapitre 11 « Les règles de la raison » des Voix de la raison de S. Cavell, Paris, Seuil, 1996, p. 452.
58 Voir Essais, II, 11, p. 435.