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Classiques Garnier

Les historiens français du fait religieux et la sécularisation

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Éthique, politique, religions
    2013 – 1, n° 2
    . Le sécularisme en perspectives comparées
  • Auteur : Prudhomme (Claude)
  • Résumé : Cet article fait le point sur les usages de la notion de sécularisme dans le champ de l’histoire en France. Il retrace la généalogie des idées et la mise en place d’instances scientifiques pour l’étude des processus de sécularisation, ainsi que les influences entre disciplines qui ont impacté cette thématique en histoire, malgré la résistance des historiens. L’identité du champ a d’abord été circonscrite par l’élaboration d’un vocabulaire spécifique et pose un certain nombre de problèmes à l’investigation historique, évoqués ici. Une fois acceptée la théorie de la sécularisation, la contribution des historiens a été majeure, même si une telle unanimité ouvre elle aussi à un ensemble d’autres problèmes.
  • Pages : 27 à 46
  • Revue : Éthique, politique, religions
  • Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN : 9782812412004
  • ISBN : 978-2-8124-1200-4
  • ISSN : 2271-7234
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1200-4.p.0027
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 03/07/2013
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : histoire, sécularisation, méthodes historiques, influences transdisciplinaires
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Les historiens français
du fait religieux
et la sécularisation

Impossible d’ouvrir aujourd’hui un ouvrage d’histoire qui traite des questions religieuses sans y rencontrer le terme « sécularisation1 ». Cet usage semble d’une telle évidence qu’on peine à imaginer une histoire du christianisme ou de l’islam ignorant le concept censé le plus apte à rendre compte de l’évolution de la croyance religieuse dans les sociétés qualifiées de modernes. Le ralliement à ce terme technique, venu du droit canon, et promu en ideal type par la sociologie, est pourtant récent chez les historiens. Ces derniers lui ont longtemps préféré une terminologie qui mettait en évidence le recul du christianisme dans les sociétés industrialisées tout en restant prudents, voire méfiants à l’égard de concepts qui leur semblaient trop liés à la philosophie des religions2 ou trop vagues pour ne pas devenir une facilité de langage et une auberge espagnole. Plus attentifs à repérer la spécificité des situations qu’à les faire entrer dans des modèles théoriques, les historiens ont longtemps préféré étudier les divers aspects de la laïcisation et mesurer le recul progressif de la pratique religieuse en Europe. Mais ils n’ont finalement pas échappé à l’engouement général pour le modèle de la sécularisation sans renoncer pour autant à s’interroger sur ses modalités, son contenu, son caractère jugé irréversible.

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L’adhésion progressive à la thèse
de sécularisation

Jusque dans les années 1970, les grandes synthèses françaises qui font référence en matière d’histoire religieuse ignorent le terme sécularisation dans son acception sociologique ou philosophique3. Employée dans son sens étymologique, la sécularisation désigne à l’origine un acte juridique qui concerne trois situations selon le Trésor de la Langue Française (TLF) :

– l’acte en vertu duquel un clerc passe de la condition régulière à la condition séculière, ou un non-clerc (frère, religieux) de la condition régulière à la condition laïque ;

– l’action de transférer un bien d’Église dans le domaine public, laïc ;

– l’action de soustraire une fonction, une institution sociale à la domination, à l’influence religieuse, ecclésiastique, de la mettre entre les mains des laïcs, des pouvoirs publics.

Ce sont là les trois acceptions que l’on retrouve dans les travaux historiques. Jusqu’au dernier tiers du xxe siècle, les ouvrages qui tentent de faire le point sur les nouvelles approches4 continuent à faire l’économie de la sécularisation en tant que concept, alors même qu’ils reconnaissent l’importance de l’anthropologie (Alphonse Dupront5) et de la sociologie (Dominique Julia6). Il faut, semble-t-il, attendre un ouvrage collectif consacré en 1975 aux « problèmes et méthodes7 » de l’histoire religieuse en France pour que les nouvelles interprétations du fait religieux soient explicitement prises en compte, même si l’usage du mot sécularisation y reste rare. Le dernier chapitre, rédigé par Jean Baubérot et Claude Langlois, marque néanmoins l’importance accordée aux théoriciens de la

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sociologie religieuse et surtout à ses pères fondateurs. Émile Durkheim, Max Weber et Pierre Bourdieu sont tour à tour invoqués et les auteurs s’interrogent sur le nouveau statut du discours religieux en régime de « sécularisation ». Les Églises ne peuvent plus prétendre imposer leurs normes, tandis que la théologie a cessé d’être considérée « comme un discours théorique universel8 ». Le recours à la sociologie apparaît désormais aux auteurs comme un passage nécessaire, non seulement pour interpréter les changements décrits, mais aussi pour imposer l’autonomie de l’histoire religieuse vis-à-vis des adhésions confessionnelles. Très débattue à cette époque où domine un marxisme renouvelé par Gramsci et Althusser, la question de l’autonomie du champ religieux reste prioritaire. Elle incite à prendre au sérieux les modèles élaborés par la sociologie : « Ainsi l’investigation sociologique qui avait été accusée d’avoir une conception réductrice du phénomène religieux conduit à une double approche des sociétés religieuses : l’étude de leurs rapports et de leurs correspondances avec d’autres structures sociales et l’étude de leurs agencements internes. À partir du postulat du champ religieux diversifié mais spécifié par une autonomie au moins relative, autant que par les méthodes d’hétéro-explication par lesquelles on l’analyse, des approches socio-historiques des sociétés religieuses peuvent être tentées9. »

Le basculement décisif au profit de la socio-histoire se produit dans les années qui suivent. La publication en français du livre de Peter Berger, La Religion dans la conscience moderne (1971) a lancé le débat sur la sécularisation10. Peu après la création au sein du CNRS du GRECO no 2 (Groupement de recherches coordonnées) d’histoire religieuse moderne et contemporaine11 fournit le cadre institutionnel nécessaire à une recherche collective sur l’évolution du fait religieux. L’équipe lance deux programmes ambitieux pour la collecte de données statistiques, le Répertoire des visites pastorales et les Matériaux Boulard pour l’histoire religieuse du peuple français xixe-xxe siècles12. Chargé par le CNRS de rédiger un rapport de conjoncture, Bernard Plongeron livre en 1979, puis 1982 les

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résultats d’une enquête qui dresse l’état des lieux sous le titre : Religion et société en Occident (xxe siècle). Le mot sécularisation figure dans l’index thématique, avec un seul renvoi à la sécularisation des mentalités et trois à la « civil religion ». L’entrée sociologie religieuse historique bénéficie pour sa part de dix renvois.

Si les nouvelles synthèses publiées à la fin des années 1980 marquent une entrée discrète du concept13, celles des années 1990 ont pleinement intégré la grille de lecture de la sécularisation. Le meilleur exemple en est l’Histoire religieuse de la France au Seuil qui intitule le tome IV publié en 1992 : Société sécularisée et renouveau religieux (xxe siècle). La sécularisation figure enfin comme fil directeur dans le titre de l’ouvrage que René Rémond consacre en 1996 à la religion et la société en Europe à l’époque contemporaine14. Le terme apparaît dans une soixantaine de pages… Ces publications consacrent la victoire (provisoire ?) d’une histoire étroitement associée à la sociologie religieuse à laquelle elle emprunte ses méthodes, ses concepts, ses interprétations.

Dans le même temps se dessine pourtant un déplacement du point de vue. Le recours aux statistiques, illustré par l’évolution des pratiques, s’estompe désormais dans les publications au profit d’aspects qui échappent à la quantification systématique. Dès lors que l’adhésion à la théorie de la sécularisation fait consensus, il n’est plus nécessaire d’accumuler des données chiffrées pour démontrer l’affaiblissement de l’emprise du christianisme et l’autonomisation progressive des activités humaines. Les tableaux statistiques laissent la place à l’attention aux croyances, aux rites et aux comportements qui traduisent le nouveau rapport des sociétés à la religion. Le mouvement s’amplifie dans la décennie 1980 avec divers colloques dont celui intitulé « Pratiques religieuses, mentalités et spiritualités dans l’Europe révolutionnaire » tenu à Chantilly en 198615. Une série de six répertoires bibliographiques

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régionaux consacrés à La Piété populaire en France, publiée par le GRECO 2 entre 1984 et 1990, illustre ce glissement.

C’est que depuis les années 1960 les historiens ont découvert l’importance de l’anthropologie dans le sillage des travaux de Michel de Certeau (1905-1986). Si celui-ci fait un usage très mesuré, voire exceptionnel, du mot sécularisation16, il amorce brillamment le déplacement de l’intérêt des historiens du religieux du côté de la culture et met l’accent sur la capacité des croyants à « braconner » pour inventer leurs manières de croire. Alphonse Dupront (1905-1990)17 exerce aussi une influence considérable dans cet investissement anthropologique d’autant que le CARE (Centre d’Anthropologie Religieuse Européenne), qu’il a fondé en 1972, ouvre son champ d’étude à toutes les formes de sacré sous l’impulsion de Dominique Julia et Philippe Boutry. Sans doute les perspectives dominées par l’anthropologie ne s’opposent pas à la théorie de la sécularisation, mais elles incitent à regarder de plus près les réalités du passé avant de les inscrire dans une explication préétablie. L’essor de l’histoire des mondes non européens contribue enfin à faire prendre conscience qu’il ne faut pas transférer tels quels les modèles d’explication forgés en Occident. Outre la vitalité inattendue du christianisme des jeunes Églises en Afrique subsaharienne, dans le Pacifique, parfois en Asie (Corée, Vietnam), le dynamisme de l’islam ne vient-il pas lui aussi contredire la loi d’airain de la sécularisation ?

Sur la toile de fond d’une sécularisation admise comme une évidence en Occident, soumise à examen ailleurs, on assiste durant le dernier tiers du xxe siècle à des évolutions différentes dans les emprunts faits par les historiens à la sociologie et à l’anthropologie. Les « contemporanéistes » spécialistes du religieux ne renoncent pas à une sociologie à tendance quantitativiste, qui leur permet d’exploiter les abondantes sources statistiques fournies par le catholicisme. Mais ils les intègrent dans une approche plus vaste qui met en évidence les manifestations de la

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sécularisation dans la vie quotidienne, l’observation des normes, les vocations religieuses etc. Le tournant pris par Claude Langlois dans les années 1990 est assez représentatif des nouveaux rapports noués avec les sciences sociales. Après une magistrale enquête sur le « catholicisme au féminin » qui use largement des ressources de la statistique religieuse (avec un nombre impressionnant de tableaux et de diagrammes), statistique mise au service d’une interprétation novatrice de la féminisation du catholicisme et du rôle joué par les religieuses dans l’évolution du statut des femmes, ses travaux ultérieurs sont centrés sur de tous autres objets et témoignent de l’influence exercée par de Certeau18. Il entreprend ainsi l’archéologie méthodique des écrits de Thérèse de Lisieux et explore l’expérience mystique.

D’autres historiens de cette génération ont toujours observé une certaine réserve à l’égard d’une sociohistoire éprise de chiffres. Étienne Fouilloux manifeste implicitement dès ses premiers travaux ses réticences à l’égard de la sociographie, mais il n’ignore pas la nécessité de modèles théoriques. Il reconnaît qu’il a dû se faire « sociologue de fortune » en se mettant à l’école de la sociologie allemande19. C’est elle qui l’aide à interpréter le catholicisme de l’intérieur et à attirer l’attention de la communauté scientifique, hors du cercle des croyants, sur l’importance de la théologie et des débats intellectuels entre chrétiens. Plus généralement les historiens du religieux s’inspirent de plus en plus des approches qualitatives développées par les socio-anthropologues du religieux dont ils apprivoisent peu à peu les travaux. Ce goût retrouvé des débats théoriques les tourne dans les années 1980 vers une nouvelle génération d’intellectuels, au carrefour de l’histoire, des sciences sociales et de la philosophie, et favorise de nouvelles lectures de la sécularisation.

Ainsi la défiance des historiens du religieux envers la théologie et la philosophie de l’histoire, soupçonnées d’instrumentaliser les interprétations du passé, a fini par céder devant la nécessité de réfléchir dans un cadre théorique plus systématique. Parce qu’il peut jouer sur la philosophie, la théologie, l’histoire, le sociologue Émile Poulat

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exerce une influence considérable20. Son interprétation du catholicisme contemporain par le triomphe du modèle intransigeant, c’est-à-dire un catholicisme intégral (au sens d’englobant et non d’intégriste), social et romain, marque profondément les travaux de la fin du xxe siècle. Elle incite à repenser les réponses du catholicisme à la sécularisation ou à la modernité. Le Désenchantement du monde de Marcel Gauchet, paru en 1985, constitue l’autre référence incontournable de la fin du siècle. Cet ouvrage conduit les historiens à examiner de plus près les diverses théories de la sécularisation depuis Max Weber et à les confronter avec leurs travaux.

À partir des années 1980 les approches historique, sociologique et anthropologique ont débouché sur un quasi consensus. Il voit dans la sécularisation un modèle d’interprétation indispensable pour rendre compte de l’évolution des sociétés modernes. Les données fournies par les enquêtes classiques sociographiques (recul de la pratique religieuse et de la croyance en Dieu) et celles livrées par les enquêtes de type ethnographique (mutation des croyances et des modes d’adhésion) permettent de décrire de manière de plus en plus précise et fine les transformations caractéristiques de la sécularisation. L’histoire à tendance sociologique et celle attirée par l’anthropologie scellent ainsi leur union devant l’autel de la sécularisation. Mais cette conciliation ne clôt pas les débats précédemment ouverts.

Sécularisation ou laïcisation ?

Le choix des mots a constitué pour les historiens une difficulté particulière avant même que laïcisation et sécularisation ne soient promus au rang de concepts. Les sources utilisent indifféremment le terme de laïcisation ou celui de sécularisation pour qualifier le passage du statut de clerc à celui de laïc ou la sortie d’un bien du domaine d’une Église. Cette équivalence originelle sur le plan juridique a conduit plusieurs auteurs à proposer de les distinguer plus nettement comme concepts en

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réservant sécularisation aux rapports entre société et religion et laïcisation aux rapports entre politique et religion. C’est notamment la solution que préconise Jean Baubérot s’appuyant sur sa double compétence de sociologue et d’historien du religieux :

Distinguer deux concepts permet de circonscrire, de façon idéal-typique, deux processus qui peuvent s’interpénétrer mais qui n’ont pas forcément la même logique : la sécularisation désigne le processus social, culturel et symbolique au cours duquel le rôle social de la religion, en tant que cadre normatif, décline, se transforme, se décompose et se recompose. La religion peut rester pertinente pour des individus et des groupes. […] Le processus de laïcisation réaménage les rapports de l’État et des religions et, idéal-typiquement, autonomise et le pouvoir politique à l’égard de la religion et l’autorité religieuse à l’égard du politique21.

L’historien Patrick Cabanel conduit un raisonnement assez proche quand il s’efforce à son tour de définir « les mots de la laïcité22 ». Son parcours est représentatif de la génération qui effectue le basculement vers une histoire nourrie des grandes théories sociologiques et n’hésite plus à englober la République laïque dans l’étude des grands systèmes de croyance et de valeurs23. En quelques lignes, il décline à peu près tous les registres à partir desquels les historiens entreprennent de relire le processus de laïcisation ou sécularisation.

Le mot de sécularisation, qui s’est aujourd’hui imposé, renvoie à un phénomène fondamental dans l’histoire de l’Europe et du monde occidental depuis plusieurs siècles. On doit le distinguer de plusieurs faux synonymes. Déchristianisation doit sans doute être réservé au programme utopique de la Révolution Française en 1793. La laïcité, la laïcisation, qui peut être éventuellement une conséquence ou un accélérateur de la sécularisation, renvoie à des programmes politiques, des vagues de réformes juridiques ou culturelles. Verbe transitif : on laïcise une institution (l’école, par excellence), un espace, un bâtiment, alors qu’une société, des pratiques, des visions du monde se sécularisent.

À partir de cette distinction, dont il rappelle les origines chrétiennes, il donne en exemple une série d’épisodes qui correspondent à des phases

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de laïcisation, en France et hors de France (Mexique, Espagne, Turquie). Inscrits dans le temps court, par opposition au temps long de la sécularisation, ces événements appartiennent à une histoire institutionnelle, juridique et politique. Puis il évoque les différentes expressions devenues familières aux historiens pour qualifier la sécularisation : désenchantement, démagification, sortie de la religion. Il conclut en affirmant, à la suite de Danièle Hervieu-Léger et Jean-Marie Donegani, que le trait caractéristique de ce processus est la fin du rôle englobant et unifiant joué par la religion.

Sa présentation, propre à recevoir une large adhésion, suscite néanmoins la discussion sur deux points particuliers. Elle laisse entendre que l’extension du champ du profane se traduit par la privatisation de la croyance et entraîne l’effacement de la religion « des identités, des comportements, des discours publics24 ». Jean-Marie Donegani, interrogé sur les résultats d’un sondage de 2007 pour Le Monde des religions, remarque de son côté que les modèles de la séparation des domaines et celui de leur imbrication ne sont pas incompatibles. Si 7% des catholiques estiment que le catholicisme est la seule vraie religion, contre plus de 50% en 1952, et qu’ « on trouve des vérités dans différentes religions25 », « cela veut dire que l’on peut avoir une foi qui imprègne tous les aspects de sa vie, et considérer que d’autres accès à la vérité sont légitimes. C’est l’essence même de la modernité libérale que d’admettre que la vérité existe, mais qu’elle est relative à celui qui en fait l’expérience et qu’aucune autorité ne peut vous l’imposer26. » Et de préciser dans un autre article : « L’un des paradoxes de la sécularisation, Talcott Parsons l’a suggéré dès 1957, tient d’ailleurs à ce que la privatisation et la désinstitutionalisation du religieux conduisent à son exportation, sous la gouverne de l’individu, dans des domaines normalement fermés à toute logique religieuse en raison de la séparation institutionnelle27 ».

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La sécularisation au défi de la complexité
historique

Parfois mal à l’aise dans la domestication des concepts, surtout quand ils sont issus d’un vocabulaire ancien (sécularisation) et risquent de conduire à des simplifications abusives, les historiens préfèrent se placer sur le terrain des faits et s’attachent en priorité à reconstituer leur enchaînement dans la longue durée.

Ils ont donc beaucoup débattu pour savoir quand commence le processus de sécularisation en Europe. Les partisans d’un temps très long voient dans le triomphe du christianisme antique une première forme de laïcisation ou sécularisation avec la distinction entre clercs et laïcs. Un colloque récent de l’École Française de Rome a même proposé de reconsidérer « les frontières du profane dans l’Antiquité tardive ». Sous ce titre les contributeurs montrent que « l’émergence de l’Église chrétienne dans l’Empire s’est accompagnée d’une forme de sécularisation qui a modifié les contours, voire la nature du profane » et débouché sur des formes inédites de coexistence, voire de collaboration entre les groupes religieux28.

De leur côté les médiévistes ne cessent de souligner que le Moyen-Âge chrétien est dominé par la lutte du Sacerdoce et de l’Empire qui s’achève par l’affirmation de l’indépendance de l’État. Sylvain Gouguenheim, coutumier des essais historiques provocateurs, n’hésite pas à intituler un ouvrage paru en 2010 : La Réforme grégorienne. De la lutte pour le sacré à la sécularisation du monde29.

Mais le pouvoir du monarque continue à se fonder sur l’affirmation d’un droit divin de la souveraineté civile. C’est pourquoi d’autres considèrent qu’il faut attendre les Réformes du xvie siècle pour qu’on puisse vraiment parler de sécularisation de l’État (avec des modes de désacralisation du pouvoir) ou des sociétés (par émancipation des autorités religieuses). Les contemporanéistes ont tendance à proposer un temps court et à faire

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correspondre la sécularisation avec la Révolution française, voire les luttes de la fin du xixe siècle en faveur de la laïcisation. La Déclaration des droits de l’Homme de 1789 apparaît dans cette perspective un moment fondateur quand, à l’article 10, elle range la croyance religieuse parmi les opinions et émancipe la Loi de la légitimation divine : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ».

Simple querelle de spécialistes qui interprètent l’histoire à travers la période dont ils sont spécialistes et veulent à tout prix y situer le point de départ d’un processus associé à la modernité ? Sans doute mais aussi débat de fond qui soulève d’importantes questions, et notamment celle du rôle du christianisme dans un désenchantement du monde qui prépare le chemin de la laïcisation et de la sécularisation. Une manière pour les historiens de s’approprier le grand débat philosophique illustré par Carl Schmitt et Hans Blumemberg, et réexaminé par Charles Taylor30.

Cette manière de procéder à un examen minutieux de chaque situation incite à multiplier les études de cas. L’historien est alors conduit à distinguer, relativiser, nuancer, là où d’autres cherchent d’abord à dégager la logique qui domine. À partir des éléments puisés dans les archives, comme pour les pièces d’un puzzle, l’historien s’efforce ensuite de reconstruire des ensembles homogènes tout en respectant la diversité des rythmes et des espaces. En somme il s’inscrit contre l’idée d’une sécularisation uniforme, générale et continue.

Les enquêtes systématiques de pratique religieuse menées sur les territoires dans la deuxième moitié du xxe siècle illustrent cette volonté de mesurer afin de comparer pour mieux distinguer. La France a bénéficié dès 1947 d’une couverture cartographique de la pratique religieuse des catholiques grâce aux enquêtes souhaitées en 1931 par le chanoine Fernand Boulard31, bien avant qu’il ne devienne avec le professeur de droit Gabriel Le Bras le promoteur de la sociologie religieuse dans les années 195032. On a reproché à cette entreprise d’avoir été subordonnée

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à des motivations confessionnelles (connaître le terrain pour définir les priorités de l’action pastorale de l’Église catholique) et de recourir à des critères qui sont réducteurs et ne sont pas transposables dans d’autres confessions. On lui a beaucoup fait grief de s’en tenir à des aspects quantitatifs qui évaluent la conformité des fidèles aux normes d’une Église mais laissent de côté le lien intime avec la croyance. Le respect de l’obligation dominicale de la messe et l’attachement à la sacramentalisation des grandes étapes de la vie ne disent effectivement pas grand-chose des convictions individuelles. Pour discutable qu’elle soit, cette géographie de la pratique menée dans les années 1950-1960 a cependant eu le mérite de mettre en évidence l’existence de grands ensembles régionaux caractérisés par des taux de pratique voisins. Elle a aussi conduit à mettre le comportement religieux en relation avec le genre, la catégorie socio-professionnelle ou le niveau culturel, afin de dégager des permanences et des ruptures.

La volonté d’inscrire la sécularisation dans son environnement régional et de la suivre sur le temps long a donné naissance à des travaux qui ont fait date. L’historien américain T. Tackett a ainsi distingué en France sept grandes régions et établi que la carte de l’attitude du clergé face au serment de fidélité à la Constitution civile du clergé en 1791 peut être souvent superposée à celle de la pratique religieuse vers 196033. C’est notamment le cas de l’Ouest et du Sud-Est. Si la démonstration ne fonctionne plus quand il s’agit du Languedoc ou du Midi toulousain, elle oblige désormais à connecter le registre de la pratique avec d’autres champs, ici celui du comportement électoral. La porosité entre les différents domaines de l’existence s’imposait désormais comme une évidence tout en laissant possibles de multiples configurations dans le temps et dans l’espace.

Les critiques adressées par les sociologues Henri Desroches, Jean Séguy ou Émile Poulat à l’encontre du concept de « déchristianisation » et des méthodes employées pour les enquêtes sociographiques ont fini par avoir raison de la domination exercée par une sociologie religieuse quantitativiste et centrée sur le catholicisme. On peut se demander rétrospectivement s’il ne manqua pas en fait à ces travaux le cadre

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conceptuel qu’auraient pu leur fournir les théories de la sécularisation, les obligeant à élargir leur horizon, à ouvrir leurs questions et à dépasser leur point de vue confessionnel.

Il a donc fallu abandonner l’hypothèse selon laquelle la sécularisation se traduisait essentiellement par l’affaiblissement du religieux et sa privatisation. Depuis une trentaine d’années, les recherches historiques ont remis en cause l’image d’une sécularisation assimilée à un affrontement binaire entre esprits religieux et antireligieux qui tourne à l’avantage des seconds. L’opposition entre cléricaux et anticléricaux dans le domaine politique, spontanément associée à une opposition entre partisans et adversaires de l’autonomie du politique vis-à-vis des religions, avait masqué le fait que la sécularisation était aussi à l’œuvre au sein des partis ou des syndicats d’inspiration chrétienne qui inventent une nouvelle forme de rapport entre politique et religion. Ce déplacement des frontières entre Dieu et César, sans rompre pour autant tous les ponts, ne concerne pas seulement les rapports entre État et religion. Il se manifeste aussi dans les débats qui ont surgi autour de la science économique et de sa connexion avec les croyances religieuses. Si le catholicisme va le plus loin dans la volonté de refuser des lois économiques autosuffisantes et imagine une économie conforme à ses principes et ses valeurs (doctrine sociale catholique), il n’a pas l’exclusivité des efforts qui tendent à conjuguer l’autonomie d’une science et les exigences d’une foi religieuse. On pourrait penser qu’il s’agit là de combats d’arrière-garde si des crises financières successives n’avaient pas relancé les interrogations sur l’existence de lois économiques universelles fondées sur la seule raison. Mais le catholicisme n’est pas le seul à faire de la résistance. Nous pensons particulièrement à l’islam des penseurs réformateurs qui tente aussi de trouver une conciliation entre l’économie moderne et les principes tirés de l’islam34.

La grille de lecture de la sécularisation a finalement permis à l’histoire du fait religieux de faire entrer dans son champ de recherche l’évolution des mentalités, devenue aujourd’hui histoire culturelle. Elle est attentive depuis les années 1970 aux changements qui interviennent dans les valeurs morales aussi bien que les comportements face à la vie, de la naissance

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à la mort35. Les ouvrages fondateurs qui jalonnent l’exploration de ces nouveaux objets ignoraient le concept de sécularisation36. Ils en vérifiaient pourtant la pertinence tout en obligeant là aussi à sortir d’oppositions simplificatrices dont on découvre les limites. Au lieu d’appréhender la sécularisation sous la forme d’une confrontation entre monde ancien et nouveau monde, les historiens ont par la suite abondamment établi que le processus d’autonomisation des individus ne passe pas nécessairement par la disparition de la croyance, encore moins du sacré, mais les transforme.

Les thèses soutenues depuis une vingtaine d’années confirment l’inflexion des recherches. Les travaux récents s’efforcent, sur le modèle de l’enquête ethnographique, de pénétrer au cœur du religieux ou de l’incroyance. Ils ne craignent plus d’explorer « le silence des moines » pour observer la transformation de l’homme religieux37. De l’histoire de la messe comme théâtre divin38 à celle du culte des reliques39, du rapport au monde terrestre40 au rapport à l’au-delà à travers la croyance catholique au purgatoire41, des travaux qui examinent les nouvelles formes de religiosité au sein du christianisme protestant (pentecôtisme), catholique (renouveau charismatique), aux études qui enquêtent sur les autres croyances (islam, religions orientales, nouveaux mouvements religieux), le point commun est bien de partir du postulat que la sécularisation emprunte des chemins variés et parfois inattendus.

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Ainsi que l’observait dès 1976 François-André Isambert, il existe donc une sécularisation interne au christianisme42, et on peut étendre l’observation aux autres religions. Cette perspective s’applique particulièrement à l’islam au sein duquel on commence à étudier les modes de négociation avec la sécularisation, que ce soit par la fondation de mouvements politiques comparables à la démocratie chrétienne, l’émergence d’une version musulmane de la « théologie de la prospérité43 » ou les ressources des confréries musulmanes44. Travaux d’histoire, de sociologie ou d’anthropologie ? La distinction paraît de plus en plus artificielle pour les travaux qui explorent l’histoire du temps présent45.

Les historiens et les théories
de la sécularisation

Les historiens ne se sont pas contentés de collecter dans le passé des informations qui mettent en évidence la multiplicité de configurations et d’évolutions qui caractérisent la sécularisation. Ils ont aussi apporté leur contribution à trois grands débats.

Le premier concerne ce que Jean Baubérot a proposé d’appeler « les seuils de laïcisation46 ». Sa distinction de trois seuils, fondée sur l’histoire européenne, spécialement française, mérite d’être mise en débat. Sans doute elle court le risque d’être récupérée et intégrée à une vision comtienne de l’histoire qui assimilerait ces seuils à des étapes nécessaires avant d’aboutir à une laïcisation ultime, terme de l’histoire de la sécularisation, dont la France serait le précurseur. Mais cette distinction aide à repérer, au-delà de modalités différentes, des processus semblables.

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Le second porte sur les recompositions du religieux qui accompagnent la sécularisation. Parce qu’ils observent dans le passé le surgissement d’événements inattendus, non programmés, qui viennent changer le cours de l’histoire et réhabilitent le rôle des acteurs, les historiens ont peut-être plus de dispositions que d’autres à penser ensemble des réalités apparemment contradictoires, et à admettre que le principe d’identité n’est pas toujours vérifié, dans les individus comme dans les sociétés. Il suffit d’observer l’histoire post-révolutionnaire pour comprendre que le désenchantement du monde s’accompagne à l’époque contemporaine d’un réenchantement permanent. Et que l’extension du domaine profane n’empêche pas les « recharges sacrales » (Philippe Boutry) ou les réveils religieux, improprement qualifiés de retour du religieux

Le troisième débat qui a alimenté les controverses historiques concerne l’affirmation de la modernité. Les historiens modernistes ont évidemment réfléchi sur les traits qui caractérisent l’émergence de la modernité au xvie siècle, en particulier la relation entre la naissance de l’État moderne et la sécularisation. La polémique a été vive en Allemagne où elle a opposé partisans d’une lecture par la sécularisation et promoteurs de l’interprétation par la confessionnalisation.

L’école de la confessionnalisation, active autour des historiens Wolfgang Reinhard et Heinz Schilling, a mis au point un modèle explicatif qui voit dans la concurrence des confessions (catholique, luthérienne, réformée) une cause accélératrice dans la formation des États modernes. L’accent est mis notamment sur la mobilisation d’appareils ecclésiastiques nouveaux, qui furent étroitement associés aux pouvoirs civils pour faire émerger, selon des modalités similaires d’une confession à l’autre, des types inédits de contrôle social (confessions de foi, disciplines ecclésiastiques, consistoires). La formation de l’État moderne, plutôt qu’une étape vers la sécularisation, aurait alors constitué un moment d’incandescence dans la politisation de la religion47.

L’opposition initiale s’est progressivement atténuée au profit d’une explication qui intègre les deux phénomènes. Mais cette controverse illustre la répugnance des historiens à appliquer trop rapidement un modèle d’interprétation qui masque d’autres logiques tout aussi décisives dans la construction de la modernité. On retrouve cet attachement à refuser une explication unique quand il s’agit d’interpréter

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plus généralement la place de la religion. Refusant de choisir entre Max Weber et Bernard Groethuysen, au nom d’une « approche très prosaïque », Yves Krumenacker invite à assumer cette complexification des interprétations48.

Débats ouverts

La pertinence du modèle de la sécularisation est donc devenue objet d’une apparente unanimité. Il permet de combiner l’observation du recul de l’emprise de la religion comme institution avec la capacité du religieux à se maintenir sous de nouvelles formes. La sociologie quantitative reste indispensable, à condition de ne pas se contenter de mesurer le recul des pratiques prescrites mais d’examiner aussi les nouvelles manières de croire. L’évolution des questions posées dans les enquêtes, nationales ou européennes, témoigne du chemin parcouru depuis les années 1950 où l’on comptait d’abord les catholiques « messalisants » ou « pascalisants ». La confiance dans les institutions religieuses est devenue plus importante que le fait d’être baptisé et de fréquenter un lieu de culte. La représentation de l’au-delà, la croyance dans le paradis ou l’enfer, les représentations de la vie après la mort s’avèrent plus significatives que le choix de funérailles religieuses. Et si l’adhésion aux dogmes continue à être prise en compte, c’est surtout pour mesurer l’écart qui se creuse avec une religion personnelle de plus en plus auto-définie49.

Il ne serait pas difficile de montrer que l’élargissement des questions proposées par les enquêtes d’opinion correspond bien souvent à celui des

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questions posées à leurs sources par les historiens. Grâce aux théories de la sécularisation, les historiens s’efforcent désormais de pénétrer au cœur des comportements et des croyances parce que « l’exculturation » du christianisme dans nos sociétés n’est pas forcément celle du religieux50. Les changements qui affectent l’islam contemporain semblent confirmer la nécessaire dissociation entre sécularisation et dépérissement de la religion51. L’objectif est aujourd’hui du comprendre comment la relation entre le croyant et la religion s’est transformée, tant dans la quête de la vérité, supplantée par la recherche de l’authenticité, que dans la place accordée à la raison, devenue seconde par rapport à l’expérience. De ces lentes évolutions, les historiens tentent de rendre compte en montrant que le réel ne se laisse pas facilement enfermer dans un modèle unique, et ils témoignent de l’irréductible singularité des individus et des sociétés. Les études qui se sont multipliées en France à l’occasion de l’anniversaire de la Séparation résument parfaitement leur préférence pour l’étude des faits et celle des idées traduites en actes52.

Les travaux récents consacrés à l’étude du champ religieux en Afrique, en Asie ou dans le Pacifique confirment sur un autre point la nécessité de ce retour permanent aux faits observables. Le modèle de la sécularisation est tellement associé à l’histoire de la culture occidentale que la possibilité d’une sécularisation dans une autre aire culturelle, à partir de facteurs internes et pas seulement par introduction de l’extérieur, n’a guère était prise au sérieux jusqu’ici. Or plusieurs recherches montrent qu’il a existé des formes de sécularisation dans d’autres cultures, y compris par rejet de toute religion et par négation de la croyance en Dieu. Un numéro spécial (2002) de la revue Extrême-Orient, Extrême-Occident53 illustre l’intérêt de mettre à l’épreuve d’autres lectures, comme celle d’un anticléricalisme chinois, et fournit plusieurs exemples de formes

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précoces de sécularisation (médecine54) et de modernité religieuse. Des sociologues ont symétriquement interrogé le postulat d’une Afrique subsaharienne nécessairement religieuse et immergée dans la croyance55. Quant au succès des formes modernes de religiosité liées à la sécularisation, et habituellement considérées comme des importations, en particulier les mouvements de type pentecôtiste ou renouveau charismatique, il peut s’expliquer aussi par leur capacité à s’inscrire dans une continuité et une réactivation de dispositifs culturels endogènes56.

Trop de sécularisation tue-t-il la sécularisation ?

L’adhésion des historiens au schème de la sécularisation, leur usage (leurs abus ?) de toute la panoplie des formules employées pour qualifier celle-ci, n’est pas pour autant renoncement à s’interroger sur un tel modèle. Dans l’introduction de La crise catholique, Denis Pelletier observe que depuis 1971 les travaux historiques ont été marqués par trois grands débats57. Le premier, inauguré par Peter Berger et repris par Marcel Gauchet, a surtout cherché à caractériser la sécularisation, familiarisé les historiens avec le désenchantement du monde, posé la question du christianisme comme religion de la sortie de la religion. Puis l’attention

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s’est déplacée vers les recompositions du champ religieux. Aujourd’hui, globalisation oblige, l’intérêt se porte sur l’émergence d’une religion en réseaux. Que peut dire d’original dans un tel contexte l’historien sans répéter le sociologue ou piller le philosophe ? D’abord, comme le note Denis Pelletier, inscrire les phénomènes observés dans la très longue durée. Et, ajouterons-nous, soumettre à une critique méthodique les ouvrages philosophiques qui proposent des synthèses stimulantes de l’histoire mondiale mais dont le caractère systématique peut masquer des simplifications abusives et occulter d’autres interprétations. Ensuite rappeler la nécessité d’études de cas rigoureuses qui permettent de repérer les situations et les moments les mieux à même de nous faire comprendre ce qui change, ce qui résiste ou se transforme dans le rapport des individus et des sociétés à la religion. Enfin l’historien peut contribuer à amplifier les comparaisons avec les sociétés et les cultures hors du monde qualifié d’occidental. Les historiens de la Chine ont depuis longtemps souligné la difficulté de transférer la catégorie de religion et de l’appliquer au confucianisme. Penser autrement la sécularisation est aussi une manière de repenser la catégorie de religion.

En d’autres termes il ne faudrait pas que l’arbre de la sécularisation cache la forêt des transformations qui affectent la place du religieux dans le monde. Il ne faudrait pas non plus qu’il dispense d’examiner le contenu réel des transformations en plaquant une grille de lecture a priori universelle, au sens d’uniforme, de la sécularisation. Doit-on pour autant penser avec Jean Baubérot et Micheline Milot58 que le paradigme de la sécularisation est devenu trop flou et englobant pour ne pas être contre-productif ? En tout cas, leur appel à revenir toujours au terrain des faits et aux configurations concrètes (« les laïcités et les laïcisations ») rejoint une conviction partagée par tous les historiens.

Claude Prudhomme

Université Lyon 2 / LARHRA

1 Lorsque la revue Vingtième siècle consacre en 2005 un numéro spécial à la séparation de 1905, elle l’intitule « Laïcité, séparation, sécularisation, 1905-2005 ».

2 Giacomo Marramao, Ciel et terre. Généalogie de la sécularisation. Paris, Bayard, 2006 présente de manière pédagogique l’histoire de la sécularisation, ses enjeux philosophiques et la question de l’articulation entre théologie et politique.

3 Adrien Dansette, Histoire religieuse de la France contemporaine, Paris, Flammarion, 1965

4 Jacques le Goff et Pierre Nora, Faire de l’histoire, t. 2, Nouvelles approches, Paris, Gallimard, 1974.

5 Ibid. « Anthropologie religieuse », p. 104-136.

6 Ibid., « Histoire religieuse » p. 137-167.

7 Jean-Marie Mayeur (dir.), L’Histoire religieuse de la France xixe-xxe siècle. Problèmes et méthodes, Paris, Beauchesne, 1975.

8 Ibid., p. 214-215.

9 Ibid., p. 222

10 Peter Berger, æ, Paris, Éditions du centurion, 1971.

11 Le GRECO 2 a été remplacé dans les années 1990 par le GDR 1095 dans le cadre d’une nouvelle configuration des équipes de recherche.

12 Les trois premiers volumes ont été publiés en 1982, 1987 et 1992 conjointement par les éditions de l’EHESS et les éditions du CNRS. Le quatrième et dernier volume a été publié au début de 2011 dans la collection « Chrétiens et sociétés. Documents et mémoires », hors série no 1, éditée par UMR 5190-LARHRA (équipe RESEA) à Lyon.

13 L’usage de sécularisation avec son sens technique continue à l’emporter dans Gérard Cholvy et Yves-Marie-Hilaire, Histoire religieuse de la France contemporaine, Paris, Payot, 3 vol., 1986-1988.

14 Religion et société en Europe aux xixe et xxe siècles. Essai sur la sécularisation, Paris, Le Seuil, 1996.

15 Pratiques religieuses, mentalités et spiritualités dans l’Europe révolutionnaire, 1770-1820. Actes du colloque, Chantilly, 27-29 novembre 1986 ; [organisé par le groupement de recherches coordonnées no 2 du centre national de la recherche scientifique] ; textes réunis par Paule Lerou et Raymond Dartevelle, sous la dir. de Bernard Plongeron, Paris, Brepols, 1988.

16 La Possession de Loudun : textes choisis et présentés par M. de Certeau, Paris, Julliard, 1978, a nourri toute une génération d’historiens. Le terme sécularisation y figure à 3 reprises. Il apparaît aussi dans La Faiblesse de croire, Paris : Le Seuil, 1987, par 4 fois dont 3 entre guillemets.

17 Longtemps invoqué sans être toujours lu, parce que la majorité de ses ouvrages majeurs est publiée à la fin de sa vie ou après sa mort, Dupront démontre la possibilité d’explorer l’idée de croisade, sa persistance comme mythe, ou les mutations de sacré notamment à travers les pèlerinages.

18 Claude Langlois, Le Catholicisme au féminin. Les congrégations féminines à supérieure générale au xixe siècle, Paris, Le Cerf, 1984.

19 Cf. le recueil d’articles publié sous le titre Au cœur du vingtième siècle religieux, Paris, Éd. Ouvrières, 1993, p. 190.

20 Le Catholicisme sous observation, entretiens avec Guy Lafon, Paris, Le Centurion, 1983, collection « Les interviews ».

21 Jean Baubérot, Sécularisation et laïcisation (<http://jeanbauberotlaicite.blogspirit.com>).

22 Titre d’un petit mais précieux ouvrage de vulgarisation intelligente publié à Toulouse aux Presses Universitaires du Mirail en 2004.

23 Patrick Cabanel, Le Dieu de la république (1860-1900), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003.

24 Patrick Cabanel, Les Mots de la laïcité, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2004.

25 Le même pourcentage que les non-pratiquants

26 Le Monde, 20 janvier 2007.

27 Jean-Marie Donegani, « Religions dans une Europe sécularisée. la sécularisation et ses paradoxes », CERAS – revue Projet no 306, septembre 2008 (<http://www.ceras-projet.com/index.php ?id=3279>).

28 Les Frontières du profane dans l’antiquité tardive, études réunies par Éric Rebillard et Claire Sotine, Collection de l’École Française de Rome, 2010, no 428.

29 Sylvain Gouguenheim, La Réforme grégorienne. de la lutte pour le sacré à la sécularisation du monde, Paris, Éditions Temps Présent, Collection « Ruptures et Racines », 2010.

30 A Secular Age, Belknap, Harvard University Press, 2007, trad. française : L’Âge séculier, Paris, Le Seuil, 2011.

31 Fernand Boulard, « Introduction à l’enquête sur la pratique et la vitalité religieuse du catholicisme en France », Revue d’Histoire de l’Église de France, 1931

32 Études de sociologie religieuse, 2 vol., Paris, PUF, « Bibliothèque de sociologie contemporaine », 1955 et 1956.

33 Timothy Tackett, La Révolution, l’Église, la France, traduit de l’américain par Alain Spiess, Paris, Le Cerf, 1986.

34 La notion d’économie islamique, à condition de la clarifier au préalable pour en définir les frontières, pourrait être comparée avec la doctrine sociale catholique.

35 La contribution des historiens a été décisive dans l’étude de la mort en occident avec les ouvrages fondateurs de Philippe Ariès (1975), François Lebrun (1971) et Michel Vovelle (1970 et 1974).

36 Il semble absent des ouvrages de Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en occident du moyen-âge à nos jours, Paris, Le Seuil, 1975 et L’Homme devant la mort : la mort ensauvagée, Paris, Le Seuil, 1977. Même constatation pour François Lebrun, Les Hommes et la mort en Anjou aux xviie et xviiie siècles : essai de démographie et de psychologie historiques, Paris, Flammarion, 1975 ou pour Michel Vovelle, Mourir autrefois : attitudes collectives devant la mort aux xviie et xviiie siècles, Paris, Gallimard, 1990.

37 Bernard Delpal, Le Silence des moines. Les trappistes au xixe siècle France – Algérie – Syrie, Paris, Beauchesne, 1998.

38 Philippe Martin, Le Théâtre divin : une histoire de la messe, xvie-xxe siècles, Paris, CNRS, 2010.

39 Philippe Boutry, Dominique Julia, Pierre-Antoine Fabre (éd.), Reliques modernes. Cultes et usages chrétiens des corps saints des réformes aux révolutions, 2 vol., Paris, EHESS, 2009 et 2011

40 Michel Lagrée, La Bénédiction de Prométhée. Religion et technologie, xixe-xxe siècles, Paris, Fayard, 1999.

41 Guillaume Cuchet, Le Crépuscule du purgatoire, Paris, Armand Colin, 2005.

42 François-André Isambert, « La sécularisation interne du christianisme », Revue française de sociologie, 1976, no 4, p. 573-589.

43 Patrick Haenni, L’Islam de marché, l’autre révolution conservatrice, Paris, Le Seuil, 2005.

44 Alexandre Popovic et Gilles Veinstein (Ss la dir. de), Les Voies d’Allah. Les ordres mystiques dans le monde musulman des origines à aujourd’hui, Paris, Fayard, 1996.

45 Dans quel casier ranger les travaux de Jean-Paul Willaime, Yannick Fer, Sébastien Fath, et bien d’autres ?

46 Jean Baubérot, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison, Paris, Le Seuil, 2004.

47 CNRS Them@, <http://www2.cnrs.fr/presse/thema/492.htm>

48 Yves Krumenacker, « Autour de Groethuysen et de Weber. Religion et esprit moderne », Cahiers du Centre de recherche historique, no 312, 2003 (<http://ccrh.revues.org/index269.html>). L’ensemble du cahier, issu d’une journée d’études qui réunissait Catherine Maire, Bernard Hours, Louis Châtelier, Philippe Boutry, Marcel Gauchet, Alain Guéry, Dominique Julia et Stéphane Baciocchi, constitue un excellent exemple des approches et des méthodes privilégiées par les historiens. On y vérifie que la sécularisation y est devenue une toile de fond insuffisante pour rendre compte des réalités analysées (<http://ccrh.revues.org/index261.html>).

49 À titre d’exemple, l’enquête CSA pour La Vie et Le Monde en 2003, regroupe les questions en cinq chapitres : 1. les croyances 2. le rapport à la religion 3. la morale 4. la croyance aux dogmes 5. l’autodéfinition et la pratique religieuse.

50 Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003.

51 De nombreux travaux récents tentent ainsi de penser ensemble (ré)islamisation et sécularisation.

52 En témoignent par exemple Jacqueline Lalouette, La Libre Pensée en France, 1848-1940, Paris, Albin Michel 1997, et Christian Sorrel, La République contre les congrégations. histoire d’une passion française (1899-1914), Paris, Le Cerf, 2003.

53 Extrême-Orient, extrême-Occident, no 24, 2002. Lire en particulier l’introduction du numéro par Vincent Grossaert et Valentine Zuber, « La Chine a-t-elle connu l’anticléricalisme ? », p. 5-16. À lire en parallèle avec Social Compass, 2009 (3), sur « La théorie de la sécularisation revisitée à travers la Chine contemporaine ».

54 Ibid., p. 9. développé dans l’article de Fang Ling, « Les médecins laïques contre l’exorcisme sous les ming : la disparition de l’enseignement de la thérapeutique rituelle dans le cursus de l’institut impérial de médecine », p. 31-45.

55 Eloi Messi Metogo, Dieu peut-il mourir en Afrique ? Essai sur l’indifférence religieuse et l’incroyance en Afrique noire, Paris, Karthala, 1997. L’auteur, théologien, s’interroge notamment sur les effets de l’éloignement de dieu dans plusieurs traditions religieuses qui font « l’homme libre et responsable ».

56 Une série de thèses soutenues en 2010-2011, rattachées à différentes disciplines (anthropologie, histoire, sociologie, théologie) convergent dans cette direction et relativisent la rupture avec la tradition, par exemple : Valérie Perretant-Aubourg, L’Église à l’épreuve du pentecôtisme. L’expérience religieuse à l’île de la Réunion, sous la direction de Bernard Champion, Université de la Réunion, 2011, Véronique Gauthier, L’Église catholique péruvienne face au défi des groupes évangéliques. Lima, sous la direction d’Alexandre Faivre, Université de Strasbourg, 2011 Seth Andriamanalina Rasolondraibe, Le Ministère de « berger » dans les Églises protestantes de Madagascar (de la fin du xixe siècle à nos jours). Tensions et compromis entre mouvements de réveil, institutions protestantes et religions traditionnelles, sous la direction de Jean-Paul Willaime, EPHE, 2010

57 Denis Pelletier, La crise catholique, religion, société, politique, Paris, Payot, 2002.

58 Laïcités sans frontières, Paris, Le Seuil, 2011.