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Classiques Garnier

Préface Au lecteur

  • Publication type: Book chapter
  • Book: Essay d’une parfaite grammaire de la langue françoise (1659)
  • Pages: 105 to 107
  • Collection: Descriptions and Theories of the French Language, n° 5
  • Series: Grammaires françaises des xviie et xviiie siècles, n° 3
  • CLIL theme: 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN: 9782406104605
  • ISBN: 978-2-406-10460-5
  • ISSN: 2274-0317
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10460-5.p.0105
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 04-29-2021
  • Language: French
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PREFACE

Au lecteur

Mon Lecteur ; je ne me donne pas la vanité de vous promettre une Parfaite Grammaire : seulement je fay profession den donner un Essay1, métant étudié deviter les defauts, que jay apperceus dans les Grammairiens, qui courent par les mains2 des curieux de nostre langue. Vous navez quà comparer celle-cy avec les autres, pour en reconnoitre la difference. Je tiendray à grand honneur, que Messieurs de lAcademie y passent leur censure3 ; afin que je me dédise de ce quils auront desaprouvé. Cependant il pourroit bien arriver, que de plus sçavants que moy apprinsent icy quelque chose, quand ce ne seroit quà former les Regles du langage plus exactement & plus judicieusement. En [-/3] quoy je trouve de notables manquements parmy nos Grammairiens. Car il y en a quelques-uns qui sembroüillent, en cherchant le vray point de létendüe & des limites de la Regle quils veulent establir : & aprés sestre bien debatus, desesperant den voir le fond, ils vous renvoyent à lusage. Dautres fondent leurs preceptes sur quelque petit nombre dexemples, qui leur viennent en lesprit, sans examiner plus avant ce qui est de lusage contraire, dans le reste de la Langue : & par ce moyen ils forgent des Regles plus fausses que vrayes4. Vous en aurez de claires preuves, dans la Seconde Partie de cette Grammaire, au no. 24. de la 106septieme Section du Premier Traité ; & au no. 2. du Troisieme Traité5. Cest pourquoy jespere, à tout le moins, de gagner cela, que ceux qui écriront aprés moy sur cette matiere, y apportent plus de soing & plus dexactitude ; de peur de sexposer aux justes plaintes de [-/4] ceux qui seroint mal satisfaits de leur negligence. Quant à vous ; mon Lecteur, afin que vous entendiez quel est le profit, que vous pouvez tirer dune bonne Grammaire, je ne vous diray que cette sentence dun homme eloquent de lantiquité. Ce nest pas une grande loüange, de bien garder les Regles de la Grammaire : mais aussi nest ce pas un petit deshonneur dy manquer lourdement6. Voyla linconvenient, dont jay voulu vous preserver. Et comme il y a deux sortes de personnes7, qui liront cette Grammaire : les uns qui sçavent desja la Langue, & nont besoin que de sy perfectionner : les autres qui en veulent apprendre les Principes, tels que sont les étrangers : je conseille à ceux, qui en sçavent desja beaucoup, de la lire soigneusement dun bout à lautre, & dy remarquer seulement ce qui pourra servir à corriger leur defauts. Mais quant aux étrangers, qui nen sçavent que fort peu, ils feront mieux, pour la premiere fois, [-/5]de nétudier que les pieces les plus necessaires : par exemple, les Declinaisons des Noms & des Articles ; puis les Conjugaisons des Verbes ; sans sarrester aux Observations8, qui les accableroint de leur multitude, & leur abbatroint le courage, par lapprehension de ne pouvoir retenir tant de choses en peu de temps. Au reste, je les prie de ne se pas estonner de 107voir tant de Regles & de Preceptes. Car il ne se peut faire autrement, quand on enseigne une Langue, qui est entierement formée, & qui est parvenuë au point de sa perfection : telle quest aujourdhuy la Langue Françoise, fondée sur lusage de la Cour, sur celuy des Maistres de la Langue9, & sur celuy des bons Escrivains10. Monsieur de Vaugelas vivra dans lestime des bons esprits, tant que le monde durera, ayant obligé infiniment nostre Langue, par ses belles & curieuses Remarques, doù jay transporté en cet Oeuvre tout ce quelles contiennent [-/6] de plus beau11. Je ne suis pas pourtant tellement idolatre de ses opinions, que je nen aye dit mon iugement, quand jay creu quil sestoit mesconté : & je scay bien que si cet excellent homme, qui ma fait lhonneur de me visiter, il y a plus de trente ans12, estoit encore en vie ; sa modestie ne sen offenseroit pas. Javoüe franchement que jay beaucoup appris de ses Remarques ; & que je le choisirois volontiers pour le principal censeur & le judicieux correcteur de mes fautes, si Dieu ne lavoit desja retiré au ciel, où toutes les nations ne parleront quune Langue, animée du S. Esprit, & heureusement occupée aux louanges du Souverain Bien.[-/7]

1 Les premières lignes de la préface reprennent les principaux termes du titre. Lintitulé des éditions parisiennes « Nouvelle et parfaite grammaire » entre donc en contradiction avec lesprit dans lequel louvrage a été initialement conçu et avec la préface qui reste quant à elle inchangée.

2 Ce nest pas seulement une image : Chiflet conçoit un outil qui doit pouvoir être manipulé et tenu en main (voir supra, introduction).

3 En appeler à lAcadémie française indique le statut que Chiflet donne à son livre, il le met au rang des plus grands, susceptibles de supplanter les autres grammaires et dintéresser les savants.

4 Chiflet expose en creux sa propre méthode : une approche empirique, fondée sur les données, et la conscience de limportance des inventaires et de leur exactitude pour élaborer ensuite une règle.

5 Chiflet renvoie le lecteur aux Traités sur la place des adjectifs et sur le genre des noms. Ce faisant il attire aussi lattention sur la manière dont sorganise son ouvrage et les outils de circulation mis à la disposition du lecteur.

6 Qui est cet homme éloquent ? Nous navons pas retrouvé la source exacte de cette phrase, présentée en italique, comme une citation. La teneur est proche de ce que dit Irson dans la préface de sa grammaire, en invoquant Quintilien : « Si lon mobjecte que cest trop sabaisser que dapprendre les Préceptes de la grammaire, je repondray que cest encore plus sabaisser que de tomber tous les jours dans mille fautes qui font passer pour ridicules ceux qui nen ont pas la connoissance, & que selon le sentiment de Quintilien, cet Art na rien de bas ny de méprisable ; & quil est à légard de lEloquence & des Sciences les plus plus sublimes, ce que le fondement est à légard dun superbe édifice » (1656, Préface).

7 Chiflet envisage un lectorat complexe. En sadressant aussi au lecteur novice, voire étranger, il se distingue de Vaugelas qui sadressait à ceux qui voulaient perfectionner leur style. Il distingue toutefois ces deux niveaux de lecture en suggérant deux parcours.

8 Ces sections sont celles qui contiennent le plus de références à Vaugelas. Leur matière est explicitement un emprunt aux Remarques, et parfois une relance de la discussion sur les cas douteux. Il réserve donc bien la lecture de Vaugelas au lectorat que ce dernier envisageait.

9 À comparer avec la célèbre définition du bon usage selon Vaugelas : « Cest la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon descrire de la plus saine partie des Autheurs du temps » (1647, Préface). Chiflet parle de « Maistres de la langue », quil distingue des bons écrivains, tout comme Vaugelas dailleurs : « lUsage qui se forme de la Cour et des Autheurs, et que lors quil sera douteux ou inconnu, il en faudra croire les maistres de la langue, et les meilleurs Escrivains » (1647, Préface). On peut penser à lAcadémie et aux savants qui la composent. La référence à la Cour est problématique également. Prendre la Cour de France, et donc lentourage du roi de France comme référence peut être une position difficile à soutenir dans le contexte de tensions diplomatiques entre la France et lEspagne (dont relève Chiflet).

10 Dans loriginal : « Ecrivains ». Nous rétablissons la graphie escrivain, conformément à lusage observé par Chiflet dans le reste de la grammaire.

11 A rapprocher de la déclaration de Macé : « Je nay donc fait que cueillir ces belles, et judicieuses Remarques. Je nay fait que les développer des raisonnemans et des exemples, qui en déroboient souvant la veuë et le profit. Si jay aiousté quelque chose, ça esté seulement de les reduire en ordre Alphabetique : pour lutilité de tous ceux qui sont curieus daprandre à bien parler, et à bien escrire une Langue si achevée comme est maintenant la nostre » (1651, Préface au lecteur).

12 Sur cette rencontre, voir supra, introduction.