[Introduction de la deuxième partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: Essai sur l’invention de soi dans l’œuvre de Patrick Modiano. La vérité du rêve
- Pages: 85 to 86
- Collection: Studies in Twentieth and Twenty-First-Century Literature, n° 97
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN: 9782406112747
- ISBN: 978-2-406-11274-7
- ISSN: 2260-7498
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-11274-7.p.0085
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-15-2021
- Language: French
Le lecteur qui aborde pour la première fois un roman de Patrick Modiano se trouve face à deux interrogations. La première est celle de l’identité du Je-narrateur, la seconde celle du genre des récits.
Les héros-narrateurs des romans de Patrick Modiano, qu’ils s’appellent Raphaël Schlemilovitch dans La Place de l’Étoile, Victor Chmara dans Villa triste ou Ambrose Guise dans Quartier perdu, s’expriment à la première personne du singulier en ayant recours à ce qu’il est convenu d’appeler un Je-narrateur. Font exception à cette règle Louis Memling dans Une Jeunesse, Jean Bosmans dans L’Horizon et Jean Daragane dans Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. Jean Eyben dans Encre sympathique a un statut à part puisqu’il s’exprime à la fois par un Je-narrateur dans les cent premières pages du récit pour basculer ensuite dans le Il diégétique. La question du Je-narrateur est au centre de la réflexion concernant l’œuvre de Patrick Modiano :
On pourrait […] dire du narrateur de tous mes livres, cette voix incertaine qui dit « Je1 ».
La seconde question, celle du genre des récits, revêt d’autant plus d’importance que selon le genre retenu, ceux-ci sont purement imaginaires, partiellement imaginaires, partiellement réels ou au contraire des récits de soi. Or la critique semble divisée et le cas de Livret de famille est à cet égard exemplaire. Publié en 1978, ce récit se situe dans un présent intemporel. Il y est question du mariage de l’auteur, de la naissance de sa fille, de son retour sur des lieux d’enfance. Le récit mêle des aspects autobiographiques à des récits fictionnels. Selon son éditeur Gallimard, Livret de famille est constitué de quatorze récits, le nombre de récits est en fait de quinze. Livret de famille a été qualifié de manières très diverses par la critique. Pour Antoine Compagnon, c’est une autobiographie2 ; selon Jacques Lecarme, ce serait une autofiction à visée autobiographique3 ; 86pour Colin W. Nettelbeck et Penelope A. Hueston, ce serait un roman4, tandis que pour Olivier Barrot, c’est plutôt un recueil de nouvelles à caractère éminemment personnel5.
Dans ces conditions, aborder la question du genre des récits de Patrick Modiano nécessite de répondre à quelques questions préalables. Comment l’auteur manipule-t-il les concepts de temps, d’espace et de mise en intrigue ? Ses personnages sont-ils réels ou fictionnels ? Ses récits sont-ils des autobiographies, des autofictions ou des fictions ? Enfin Patrick Modiano rédige-t-il toujours le même livre ou au contraire élabore-t-il une œuvre ? C’est à ces différentes questions qu’il faut tenter d’apporter une réponse.
1 Patrick Modiano, in Jean-Louis Ezine, Les Écrivains sur la sellette, Paris, Le Seuil, 1981, p. 24.
2 Antoine Compagnon, « L’Épuisement de la littérature », in J.-Y. Tadié (dir.), La Littérature française : dynamique et histoire tome II, op. cit., p. 792.
3 Jacques Lecarme, « Patrick Modiano : l’Orient perdu ou les variations sur une origine », op. cit., p. 195.
4 Colin W Nettelbeck, Penelope A. Hueston, Patrick Modiano, pièces d’identité : écrire l’entretemps, op. cit., p. 80.
5 Olivier Barrot, Pages pour Modiano, Monaco, Éditions du Rocher, 1999, p. 29.