Avant-propos
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Érudition et fiction. Troisième rencontre internationale Paul-Zumthor, Montréal, 13-15 octobre 2011
- Auteurs : Gingras (Francis), Méchoulan (Éric), Nardout-Lafarge (Élisabeth), Ollier (Marie-Louise)
- Pages : 7 à 8
- Collection : Fonds Paul-Zumthor, n° 1
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782812417979
- ISBN : 978-2-8124-1797-9
- ISSN : 2425-9799
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1797-9.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 29/11/2014
- Langue : Français
Avant-propos
Les Rencontres Paul Zumthor permettent de réunir tous les trois ans, tantôt à Montréal tantôt à Genève, des universitaires et des écrivains autour de sujets qui sont dans le prolongement ou dans l’esprit des travaux de Paul Zumthor. La variété des objets d’étude, des modes d’écriture et des manières de penser de Paul Zumthor fait que les invités proviennent d’horizons divers. Le partage habituel entre savants et écrivains ne saurait même tenir, car Paul Zumthor non seulement a été poète et romancier aussi bien que médiéviste et poéticien, mais a surtout su donner à ses travaux les plus érudits la saveur et la profondeur de pensée d’une écriture et a su faire de ses gestes artistiques des éléments de son incessante curiosité pour le monde, que ce monde relève du lointain passé ou de l’extrême contemporain.
Notre Rencontre de Montréal en octobre 2011 a porté sur un sujet qui eût certainement inspiré Paul Zumthor : « Erudition et fiction ». Il semble, en effet, que le statut de la fiction change au Moyen-Âge, en particulier à partir du xiie siècle avec l’émergence en Europe d’une littérature en roman, qui enlève de sa pertinence à l’opposition traditionnelle entre fabula (entendue comme fiction) et historia (entendue comme manifestation de l’érudition). On voit dès lors cette opposition être renégociée tout au long de l’histoire, soit que prévale l’articulation des deux termes, soit que s’affirment leurs différences. L’établissement objectif des faits et des documents semble exactement contraire à l’investissement subjectif de
toute mise en scène fictionnelle. La collection des détails et des faits, dans sa discontinuité, prend le contre-pied de la continuité de la forme (la plupart du temps narrative) que permet la fiction. Pourtant, on peut douter d’une séparation aussi radicale entre les deux notions et la Rencontre de Montréal a permis de questionner leurs recoupements et leurs oppositions.
En effet, la fiction trouve ses ressources potentielles dans l’érudition. D’un autre côté, l’érudition n’est jamais neutre. Paul Zumthor le rappelle avec force : « l’événement et le langage dont on le dit se définissent réciproquement. Ensemble, ils constituent une pratique, processus et travail, élaboration d’un savoir, comportant un saut qualitatif qui fait passer d’un stade relativement passif (l’enquête : ce que le grec ancien nommait historia), à une opération dramatique, dont l’aboutissement ne peut être que de nous faire entendre une voix1. » C’est pourquoi il faut penser de concert érudition factuelle et dramaturgie du sens.
Pour Paul Zumthor, « en vertu de son caractère analogique et donc fictionnel, le discours poétique de l’historien, par nature, est récit […] (tout gorgé qu’il puisse être d’éléments scientifiques)2 ». Ce sont ces interférences et ces distorsions du discours de savoir et de l’« imagination critique » qui ont fait l’objet de cette Rencontre, en suivant les pistes ouvertes par Paul Zumthor, jusque dans la liberté intellectuelle dont il a donné un des meilleurs exemples.
Francis Gingras, Éric Méchoulan,
Élisabeth Nardout-Lafarge et Marie-Louise Ollier