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Classiques Garnier

Entretiens sur la pluralité des mondes Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Entretiens sur la pluralité des Mondes
  • Pages : 3 à 9
  • Réimpression de l’édition de : 1986
  • Collection : Société des Textes Français Modernes, n° 132
  • Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN : 9782406101680
  • ISBN : 978-2-406-10168-0
  • ISSN : 2777-7715
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10168-0.p.0057
  • Éditeur : Société des Textes Français Modernes
  • Mise en ligne : 27/12/2019
  • Diffusion-distribution : Classiques Garnier
  • Langue : Français
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PRÉFACE


Je suis à peu près dans le même cas où se trouva Ciceron, lorsqu'il entreprit de mettre en sa Langue des matieres de Philosophie, qui jusques-là n'avoient été traitées qu'en Grec. Il nous apprend qu'on disoit que ses
5 Ouvrages seroient fort inutiles, parce que ceux qui aimoient la Philosophie s'étant bien donné la peine de
la chercher dans les Livres Grecs, négligeroient après
cela de la voir dans des Livres Latins, qui ne seroient pas Originaux, et que ceux qui n'avoient pas de goût ro pour la Philosophie, ne se soucioient de la voir ni en Latin, ni en Grec 1.
A cela il répond qu'il arriveroit tout le contraire, que ceux qui n'étoffent pas Philosophes seroient tentés de le
r. ~ Nam cum philosophiam viderem diligentissime Graecis litteris explicatam, existimavi, si qui de nostris eius studio teneren- tur si essent Graecis doctrines eruditi, Graeca potius quam nostra lecturos, sin a Graecorum aztibus et disciplines abhorrerent, ne
haec quidem curaturos, quae sine eruditione Graeca intellegi non
possunt. Itaque ea nolui scribere, quae nec indocti inteilegere pos- sent nec docte legere curarent b. CICERON, Academicorum Liber Primas, Cap. 2 (Ed. Teubner, r8~8, p. 5).
I1 est piquant de voir le futur auteur de la Digression sur les

Anciens et les Modernes invoquer dès la première ligne l'autorité d'un ancien. Il récidive d'ailleurs plus bas avec Virgile (ligne gz) et Ovide (1. 95) ;mais c'est toujours dans la Préface où c'est une sorte de cliché. Dans la suite les allusions aux Anciens, assez fré- quentes, sont presque toujours des railleries (cf. notamment I r46, I z6g, II 605, III 3r6, V q8g et VI soi).
58 4 ENTRETIENS SUR LA PLURALITÉ DU MONDE
devenir par la facilité de lire les Livres Latins ; et que rs ceux qui l'étoffent déja par la Lecture des Livres Grecs, seroient bien-aises de voir comment ces choses-là avoient été maniées en Latin.
Ciceron avoit raison de parler ainsi. L'excellence de son génie, et la grande réputation qu'il avoit déja acquise,
zo lui garantissoient le succès de cette nouvelle sorte d'ouvrages qu'il donnoit au Public ; mais moi, je suis bien éloigné d'avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise presque pareille à la sienne. J'ai voulu traiter la Philosophie d'une maniere qui ne fût point
zs Philosophique ; j'ai tâché de l'amener à un point, où elle ne fût ni trop seche pour les Gens du monde, ni trop badine pour les Sçavans. Mais si on me dit à peu près comme à Ciceron, qu'un pareil Ouvrage n'est propre ni aux Sçavans qui n'y peuvent rien apprendre,
3o ni aux gens du monde qui n'auront point d'envie d'y rien apprendre, je n'ai garde de répondre ce qu'il répon- dit. Il se peut bien faire qu'en cherchant un milieu où la Philosophie convînt à tout le Monde, j'en aye trouvé un où elle ne convienne à personne ; les milieux sont
3s trop difficiles à tenir, et je ne croi pas qu'il me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.
Je dois avertir ceux qui liront ce Livre 1, et qui ont quelque connoissance de la Physique, que je n'ai point
3s (86) reprenne (envie)
38 (86) S'il arrive que ce Livre soit lû, j'avertis ceux (qui ont)

r. En 1686 Fontenelle écrivait modestement : ~~ S'il arrive que ce livre soit lû n et plus bas (53) il faisait allusion à ceux qui lui feraient . le plaisir de lire son livre .. Dès x687 le succès des Entretiens était tel que ces formules de modestie devinrent inutiles.
59 PRÉFACE f
4o du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir en leur présentant d'une maniere un peu plus agréable et plus égayée, ce qu'ils sçavent déja plus solidement ; et j'avertis ceux à qui ces Matieres sont nouvelles, que j'ai crû pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble.
as Les premiers iront contre mon intention, s'ils cherchent ici de l'utilité ; et les seconds, s'ils n'y cherchent que de l'agrément.
Je ne m'amuserai point à dire que j'ai choisi dans toute la Philosophie la matiere la plus capable de piquer
90 la curiosité. Il semble que rien ne devroit nous interesser davantage, que de sçavoir comment est fait ce Monde que nous habitons, s'il y a d'autres Mondes semblables, et qui soient habités aussi ; mais après tout, s'inquiéte de tout cela qui veut. Ceux qui ont des pensées à perdre,
55 les peuvent perdre sur ces sortes de sujets ;mais tout le monde n'est pas en état de faire cette dépense inutile.
J'ai mis dans ces Entretiens une Femme que l'on instruit, et qui n'a jamais oüi parler de ces choses-là. J'ai crû que cette fiction me serviroit et à rendre l'Ou-
6o vrage plus susceptible d'agrément, et à encourager les Dames par l'exemple d'une Femme, qui ne sortant jamais des bornes d'une personne qui n'a nulle teinture de Science, ne laisse pas d'entendre ce qu'on lui dit, et de ranger dans sa tête sans confusion les Tourbillons
44 (86-03) les pouvoir
52-53 (86) (que) l'on habite, (s'il y a d'autres Mondes) qui luy
soient (semblables, et qui soient habitez aussi —) bien que luy.

53 (86) et je suis bien asseuré qu'on ne s'en inquiétera pas, pour
me faire le plaisir de lire mon Livre.
ss (86-03) (ces sortes) d'objets
6r (86) (qui) n'ayant point du tout un caractère surnaturel, et
(ne sortant)
60 G ENTRETIENS SUR LA PLURALITÉ DES MONDES
69 et les Mondes. Pourquoi des Femmes cederoient-elles à cette Marquise imaginaire, qui ne conçoit que ce qu'elle ne peut se dispenser de concevoir ?
A la vérité elle s'applique un peu, mais qu'est-ce ici que s'appliquer ? Ce n'est pas pénétrer à force de médi-
7o tation une chose obscure d'elle-même, ou expliquée obscurément, c'est seulement ne point lire sans se repré- senter nettement ce qu'on lit. Je ne demande aux Dames pour tout ce Sistême de Philosophie, que la même application qu'il faut donner à la Princesse de
rys Cléves, si on veut en suivre bien l'intrigue, et en con- noître toute la beauté i. Il est vrai que les idées de ce Livre-ci sont moins familieres à la plûpart des Femmes que celles de la Princesse de Cleves, mais elles n'en sont pas plus obscures, et je suis sûr qu'a une seconde lecture
so tout au plus, il ne leur en sera rien échapé.
Comme je n'ai pas prétendu faire un Sistême en l'air, et qui n'eût aucun fondement, j'ai employé de vrais raisonnemens de Physique, et j'en ai employé autant qu'il a été nécessaire. Mais il se trouve heureusement
65 (86-r4) y auroit-il des Femmes qui cedassent
68 (86) cette Marquise (s'applique)
ryr (86) (se representer) en mesure temps ce qu'on lit, et s'en faire

une image, qui sera sans doute tres-claire.
77 (8fi) L-ci7
ry9-So (86) (obscures.) On ne peut penser deux fois tout au plus,

et ne les prendre pas tres-juste.
r. Le roman de Mme de Lafayette, dont la première édition date de r6ry8, pouvait encore passer en r686 pour un ouvrage d'actualité. Fontenelle lui avait consacré un article dans le Mercure de mai r6ry8. Il s'est mëme trouvé un critique pour prétendre que Fontenelle était l'auteur du roman. Marcel LwxcLois. Quel est l'auteur de la princesse de Clèves ? (in Mercure de France du is novembre 1939) réfuté par MolçissErz$ (in Modern Language Notes, avril r946, PP. z6q-7o)•.
61 PRÉFACE 7
85 dans ce sujet que les idées de Physique y sont riantes d'elles-mêmes, et que dans le même tems qu'elles con- tentent la raison, elles donnent à l'imagination un spectacle qui lui plaît autant que s'il étoit fait exprès pour elle.
go Quand j'ai trouvé quelques morceaux qui n'étoffent
pas tout à fait de cette espece, je leur ai donné des orne-
mens étrangers. Virgile en a usé ainsi dans ses Geor-
giques, où il sauve le fond de sa matière, qui est tout à
fait seche, par des digressions fréquentes et souvent

95 fort agréables. Ovide même en a fait autant dans l'Art d'aimer, quoique le fond de sa matiere fût infiniment plus agréable que tout ce qu'il y pouvoit mêler. Appa- remment il a crû qu'il étoit ennuyeux de parler toujours d'une même chose, fût-ce de préceptes de galanterie.
roo Pour moi qui avois plus de besoin que lui du secours des digressions, je ne m'en suis pourtant servi qu'avec assés de ménagement. Je les ai autorisées par la liberté naturelle de la Conversation ; je ne les ai placées que dans des endroits où j'ai crû qu'on seroit bien-aise de les trou-
ros ver ;j'en ai mis la plus grande partie dans les commence- mens de l'Ouvrage, parce qu'alors l'esprit n'est pas encore assés accoutumé aux idées principales que je lui offre ; enfin je les ai prises dans mon sujet même, ou assés proche de mon sujet.
rro Je n'ai rien voulu imaginer sur les Habitans des
Mondes, qui fût entierement impossible et chimerique.
J'ai tâché de dire tout ce qu'on en pouvoit penser
raisonnablement, et les visions même que j'ai ajoutées
à cela, ont quelque fondement réel. Le vrai et le faux

99 (86-08) [de préceptes]
iri (86) (entierement) fabuleuz.
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ENTRETIENS SUR LA PLURALITÉ DES MONDES

rrs sont mêlés ici, mais ils y sont toujours aises à distinguer. Je n'entreprens point de justifier un composé si bizarre, c'est-là le point le plus important de cet Ouvrage, et c'est cela justement dont je ne puis rendre raison.
Il ne me reste plus dans cette Préface qu'à parler à
rzo une sorte de personnes, mais ce seront peut-être les plus difficiles à contenter, non que l'on n'ait à leur donner de fort bonnes raisons, mais parce qu'ils ont le privilege de ne se payer pas, s'ils ne veulent, de toutes les raisons qui sont bonnes. Ce sont les Gens scrupuleux, qui pour-
zzs ront s'imaginer qu'il y a du danger par rapport à la Religion, à mettre des Habitans ailleurs que sur la Terre. Je respecte jusqu'aux délicatesses excessives que l'on a sur le fait de la Religion, et celle-la même je l'aurois respecté au point de ne la vouloir pas choquer dans cet
rio Ouvrage, si elle étoit contraire à mon sentiment ; mais ce qui va peut-être vous paroître surprenant, elle ne regarde pas seulement ce Sistême, où je remplis d'Ha- bitans une infinité de Mondes. Il ne faut que démêler une petite erreur d'imagination. Quand on vous dit
r35 que la Lune est habitée, vous vous y représentés aussi-tôt des Hommes faits comme nous, et puis, si vous êtes un peu Théologien, vous voilà plein de difficultés. La postérité d'Adam n'a pas pû s'étendre jusques dans la Lune, ni envoyer des Colonies en ce Pays-là. Les Hommes
r4o qui sont dans la Lune ne sont donc pas Fils d'Adam. Or il seroit embarrassant dans la Théologie, qu'il y eût
rr8 (86) Le Public m'apprendra ce que je doy croire du dessein

que j'ay eu.
rz3 (86-03) parce qu'il semble qu'ils ne se payent pas

rio (86) dans un Ouvrage public,
rio (86-03) (contraire à) l'opinion que j'ay prise,
raz (86) seulement pas
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PRÉFACE

des Hommes qui ne descendissent pas de lui. Il n'est pas besoin d'en dire davantage, toutes les difficultés imaginables se réduisent à cela, et les termes qu'il fau-
z4g droit employer dans une plus longue explication sont

trop dignes de respect pour être mis dans un livre aussi peu grave que celui-ci. L'objection roule donc tout entiere sur les Hommes de la Lune, mais ce sont ceux qui la font, à qui il plaît de mettre des Hommes dans la
zso Lune ;moi, je n'y en mets point. J'y mets des Habitans qui ne sont point du tout des Hommes ; que sont-ils donc ? je ne les ai point vûs, ce n'est pas pour les avoir vûs que j'en parle. Et ne soupçonnés pas que ce soit une défaite dont je me serve pour éluder votre objection,
z55 que de dire qu'il n'y a point d'Hommes dans la Lune, vous verrés qu'il est impossible qu'il y en ait selon l'idée que j'ai de la diversité infinie que la Nature doit avoir mise dans ses Ouvrages. Cette idée regne dans tout le Livre, et elle ne peut être contestée d'aucun
z6o Philosophe. Ainsi je croi que je n'entendrai faire cette objection qu'à ceux qui parleront de ces Entretiens sans les avoir lûs. Mais est-ce un sujet de me rassurer ?Non, c'en est un au contraire très-légitime de craindre que l'objection ne me soit faite de bien des endroits 1.
rqq-i48 (86) Peut-estre répondrois-je assez solidement à vostre

objection si je l'entreprenois ; mais ce qu'il y a de certain, c'est
que je n'ay pas besoin d'y répondre. Elle roule (toute entiere) r48-r4g (86) (mais) c'est vous qui mettez (des hommes) (Sy-r4) (mais ce sont ceux qui la font) qui mettent
z. De r687 ~ r7o3 la Préface ajoute
On trouvera dans cette nouvelle Édition, outre quelques augmen- tations semées dans le Corps du Livre, un nouvel Entretien, o>Y j'ay ramassé des raisonnemens, que je n'avois pas employez dans les
autres Entretiens, et les dernières Découvertes qui ont esté faites