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Classiques Garnier

Book reviews

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Entreprise & Société
    2022 – 2, n° 12
    . varia
  • Author: Pérez (Roland)
  • Pages: 251 to 258
  • Journal: Business & Society
  • CLIL theme: 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN: 9782406146537
  • ISBN: 978-2-406-14653-7
  • ISSN: 2554-9626
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14653-7.p.0251
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 03-08-2023
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
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Alain-Charles Martinet (2022), Homo Strategicus. Capitalisme liquide, destruction créatrice et mondes habitables, Caen, Éditions Management & Société, 227 p.

Recension par Roland Pérez

Cet ouvrage, paru ce printemps 2022, a été publié par les éditons Management et Société (EMS) dans une nouvelle collection, intitulée « Grands auteurs francophones », lancée en 2020. Cette initiative de cette maison dédition tient probablement au fait quune collection précédente, consacrée aux « Grands auteurs » de ce champ disciplinaire et déclinée par spécialités (finance, marketing, stratégie…), était très majoritairement axée sur des auteurs anglo-saxons, conformément à la notoriété internationale de ces auteurs et à leurs importances respectives dans les spécialités concernées. Au moment où nombre de chercheurs français/francophones rappellent que « le management nest pas une science anglo-saxonne », il est apparu opportun aux éditions EMS, devenues la référence nationale dans le domaine des sciences de gestion/management, de consacrer une série dédiée aux auteurs francophones. Cest ainsi quont été déjà publiés une demi-douzaine douvrages rédigés par des auteurs reconnus en France ou dans des pays francophones ; dautres sont en cours ou annoncés…

Alain-Charles Martinet avait, à lévidence, toute sa place dans ce cercle des « Grands auteurs francophones », cet universitaire lyonnais ayant accompli, sur plusieurs dizaines dannées, un parcours exemplaire dans le champ des sciences de gestion, depuis sa thèse de doctorat – lune des premières à être soutenues dans la nouvelle section universitaire dédiée à la gestion – jusquà aujourdhui ; parcours marqué par une quinzaine douvrages personnels ou dont il a assuré la direction éditoriale et par des responsabilités institutionnelles croissantes dans le monde français/francophone des sciences de gestion.

Compte tenu de cette notoriété, lauteur aurait pu se contenter dun texte rapide, résumant ses différentes contributions, voire les reprenant ici ou là. Au contraire, Alain-Charles Martinet a voulu produire un 252essai original, tentant à la fois de donner un témoignage sur lévolution passée et un point de vue sur les enjeux à venir. Cest peu de dire quil a réussi ce double pari : louvrage quil nous propose est de très grande qualité et apporte, à notre sens, une contribution majeure au champ disciplinaire concerné.

Louvrage est intitulé Homo Strategicus avec un sous-titre plus détaillé : Capitalisme liquide, destruction créatrice et mondes habitables. Chacun de ces termes – dont on imagine quils sont été murement réfléchis – porte sens :

Le titre principal reflète lobjet détude et le positionnement théorique de lauteur à son sujet : (i) lobjet détude est bien lacteur (individuel ou collectif) qui conçoit une stratégie et la met en œuvre ; cest bien un « homo strategicus » ; (ii) cet acteur ne se réduit pas à l« homo œconomicus » forgé par lanalyse économique néo-classique (communément appelé « École de Chicago »). Contrairement à cette conception simplificatrice, Alain-Charles Martinet, fidèle à son maitre Igor Ansoff et à des chercheurs dont il est proche comme Jean-Louis Le Moigne, considère quil convient de prendre en compte « la contextualité et lhistoricité des pratiques stratégiques et leur interdépendance avec les mutations des économies et des sociétés » (p 17).

Le sous-titre se réfère au contenu actuel de « larène stratégique » à laquelle Homo Strategicus est confronté dans la période contemporaine ; chaque composante constituant une caractéristique significative de lépoque contemporaine.

« Capitalisme liquide » : lexpression, utilisée par des économistes critiques, fait référence à la financiarisation croissante des économies capitalistes, aboutissant à des situations contre productives comme le concept de fabless (entreprise sans usines) comme le recommandait lancien PDG dAlcatel (p. 46) ou limportance prise par les dividendes et rachats dactions, dans maintes sociétés cotées, au détriment de linvestissement productif (p. 47).

« Destruction créatrice » : la référence est évidemment celle de Joseph Schumpeter, reprise par François Perroux et plus récemment par Philippe Aghion et Pierre Caye montrant les excès possibles, pouvant prendre la forme dune « création destructive » (p. 159).

« Mondes habitables » : cette fois, lorigine de la référence est plus récente, au sens de la prise en compte des limites écosystèmes qui 253abritent les activités humaines ; situations appelant à « substituer au paradigme mécaniste de lâge productiviste… un paradigme bio-socio-économique » (p. 176).

Si titre et sous-titres annoncent la problématique étudiée, le lecteur peut en vérifier le bien-fondé par une lecture attentive du contenu de louvrage. Celui-ci se présente en deux parties consacrées respectivement à lévolution historique de lanalyse stratégique et aux orientations stratégiques pour le futur, avec, entre ces deux parties, quelques pages intitulées « Intermondes » dans lesquelles lauteur donne sa vision du passage « du monde dhier au monde de demain », mettant laccent sur « lhomo œconomicus confiné » et sur le « capitalisme réencastré et monétisé » (p. 131-144)

Dans la première partie, intitulée « Généalogie(s) », lauteur propose un voyage dans le corpus de la pensée stratégique sur plusieurs décennies, corpus dont Alain-Charles Martinet a été un témoin attentif et souvent – comme on le sait – un éminent contributeur. Il dresse trois constats :

La « montée du capitalisme liquide » entraine un « reflux de la stratégie » : Alain-Charles Martinet considère en effet que, pour cette dernière « 30 ans de marche triomphale » ont été suivis de « 30 ans de reflux progressif » (p. 23) ;

« Lextension mimétique du néo-libéralisme » amène des « mésusages de la stratégie » ; ainsi dans le secteur public avec le New Public Management (p. 66) ou dans le secteur de léconomie sociale et solidaire (p. 103) ;

« On ne nait pas homo œconomicus mais on le devient » ; avec dautres chercheurs lyonnais comme David Courpasson et Pierre-Yves Gomez, Alain-Charles Martinet considère que « homo œconomicus tend à vider le management de son contenu humain » (p. 116).

Dans la seconde partie, intitulée « Politique(s) et stratégie(s) », lauteur présente les sept points qui lui paraissent majeurs pour la « régénération » – quil souhaite – dhomo œconomicus :

LÉtat doit redevenir « vraiment stratège » dans le domaine régalien qui ne se confond pas avec celui de lentreprise (p. 146-150)

La Responsabilité sociale de lentreprise (RSE) est « nécessaire mais limitée » car, sil est clair que « lentreprise est en société 254et pas seulement en marché », les pratiques de RSE sont souvent « cosmétiques » (social and green washing) (p. 150-155)

La dialectique « destruction créatrice – création destructive » pose le problème du développement durable qui doit être fondé « sur des bases renouvelées » (p. 156-167).

« Maintenir et imaginer » sont les finalités de la stratégie ; elles constituent en quelque sorte sa « vocation architecturale » (p. 167-172)

« Habiter les territoires » correspond à une « visée politico-stratégique » (p. 173-179)

« Connaitre pour agir » se conjugue avec « connaitre en agissant » comme le propose Jean-Louis Le Moigne, recommandant de « tresser les trois brins dune guirlande éternelle : éthique, épistémique et pragmatisme » (p. 180-189)

In fine, « complexité, émergence guidée et dialogique généralisée » constituent les principes directeurs dune « théorie stratégique pour les temps présents » (p. 189-195)

Louvrage se conclut par des « propos détape » (p. 197-204) complétés par une abondante bibliographie, incluant les principales publications de lauteur « tramant le fil de chaine du présent texte » (p. 209-227)

Comme le lecteur pourra sen rendre compte par ce court résumé reprenant les principaux intitulés de cet ouvrage et de ses différentes composantes, nous avons affaire à une publication dexception. Les responsables de cette collection « Grands auteurs francophones », le rappellent dans leur « Préambule » (p. 7-14) : Alain-Charles Martinet a été, tout au long de ce dernier demi-siècle, un « lanceur dalerte prophétique » dans ce domaine de la pensée stratégique quil a contribué à construire.

Faisons le vœu que non seulement cet ouvrage soit largement diffusé et médité dans les milieux académiques français/francophones, mais rapidement traduit et commenté pour toucher un plus large public et le faire bénéficier des constats lucides et des recommandations précieuses que nous offre Alain-Charles Martinet.

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Nicolas Aubert et Xavier Hollandts (2022), La réforme de lentreprise : un modèle français de codétermination, Aix-en-Provence, Presses universitaires dAix-Marseille, 168 p.

Recension par Roland Pérez

Les réflexions autour de lentreprise, de son statut, de son mode de fonctionnement et de son insertion dans la société civile sont récurrentes. Elles se sont particulièrement développées ces dernières décennies avec, dune part lessor de la mondialisation et de la financiarisation des économies et des stratégies des stratégies des entreprises et, dautre part, la prise de conscience croissante des contraintes écologiques et des incidences sociétales liées au fonctionnement non régulé des économies contemporaines. Le débat sest particulièrement centré sur le régime de gouvernance des entreprises concernées, opposant classiquement une approche privilégiant les intérêts des actionnaires (Shareholders oriented Corporate Governance) et une autre, plus attentive aux autres « parties prenantes » (Stakeholders oriented Corporate Governance) ; celles-ci étant internes (salariés) ou externes (fournisseurs, consommateurs, citoyens attentifs aux questions écologiques et sociétales, …).

Louvrage que nous proposent Nicolas Aubert et Xavier Hollandts, lun et lautre enseignants-chercheurs dans la région dAix-Marseille, sinscrit dans ce débat sur lévolution du statut de lentreprise et de son régime de gouvernance. Il lui apporte une contribution spécifique, dune part en se centrant sur le cas français, dautre part en prenant un point de vue historique. Cette spécificité a été soulignée par Olivier Favereau, dont la préface quil a accordée commence par ces lignes « Lhistoire des projets de réforme de lentreprise depuis 1945 nexistait pas. Nicolas Aubert et Xavier Hollandts linventent avec ce livre pionnier » (p. 9).

La structure et le contenu de louvrage reflètent cette orientation. Les trois premiers chapitres retracent lhistoire des réformes – ou des tentatives de réformes – qui ont concerné lentreprise en France :

Le chapitre 1 (p. 29-64), intitulé « Les sources de la Réforme de lentreprise », fait référence à plusieurs courants de pensée ayant contribué à proposer des éléments de réforme depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Ces courants sont très divers, allant du 256patronat chrétien aux cercles autogestionnaires, en passant par les accords liés au Conseil national de la Résistance. Des grandes figures de précurseurs sont évoquées : Paul Bacon, Georges Lasserre, François Bloch-Lainé, Marcel Loichot1

Le chapitre 2 (p. 65-82) est centré sur le Rapport Sudreau de 1975, issu du comité éponyme, animé par Pierre Sudreau et avec lequel « la réforme de lentreprise devient une affaire dÉtat ». Les auteurs considèrent que ce rapport « constitue un point de référence incontournable » avec ses 69 propositions dont lune était relative à « la mise en place dune codétermination à la française ».

Le chapitre 3 (p. 83-100) aborde « la période contemporaine de la Réforme de lentreprise » allant des lois Auroux de 1982 à la récente loi PACTE de 2019.

Le chapitre 4 (p. 101-126) est particulier dans la mesure où il est consacré à des entretiens que les auteurs ont menés avec des témoins majeurs : Jean-Claude Guibal et Jean Auroux : « nous avons souhaité rencontrer des acteurs ayant vécu ou participé directement à certaines des réformes les plus importantes des dernières décennies : le rapport Sudreau et les lois Auroux ».

Enfin dans le chapitre 5 (p. 127-152), les auteurs vont au-delà de la reconstitution historique pour présenter les « enjeux » et les « voies possibles » de « la réforme de lentreprise au xxie siècle » : « À lissue de ce travail de recension et danalyse, nous ouvrons deux perspectives. La première est celle dun bilan … Une seconde est plus prospective. La Réforme de lentreprise est-elle encore nécessaire ? ».

In fine, nous avons affaire à un travail qui a peu déquivalent à notre sens. Cette singularité est accentuée par les caractéristiques formelles de louvrage ; celui-ci a été édité par les Presses universitaires dAix-Marseille (PUAM) dans une nouvelle collection intitulée « Cursus ». Après un premier livre dans le domaine juridique (sur le droit musulman), le présent livre ouvre la série relative à la discipline « gestion ». Le lecteur 257pourrait sattendre à un manuel pédagogique, comme il en existe tant dans ce champ disciplinaire. Louvrage en présente plusieurs caractéristiques usuelles : format relativement léger (140 x 210), idem pour le volume (167 pages) ; plan bien structuré en chapitres, sections et paragraphes ; fiche de synthèse intitulée « Lessentiel à retenir » à la fin de chacun des cinq chapitres (p. 63, 82, 99, 125, 151) ; bibliographie très documentée (une centaine de références) privilégiant les documents en langue française les plus accessibles et complétée par la liste des textes de loi (une vingtaine) concernant le thème. Par ailleurs, la rédaction est dans un style non alambiqué, recourant à des formules du type « Qui est X (Prénom) Y (Nom) ? » pour présenter les principaux contributeurs étudiés et les situer dans leurs contextes respectifs.

Pour autant, ces qualités pédagogiques – dont on aimerait que maints ouvrages de recherche sinspirent – ne ramènent pas ce livre au rang dun simple manuel – même si cette qualification nest pas péjorative à mes yeux – car les auteurs ne se sont pas contentés de sappuyer sur une documentation existante, pour la rassembler, la normaliser et la présenter à des non spécialistes, mais ont apporté une contribution personnelle à lélaboration du corpus concerné. Ils lont ainsi fait en interviewant des acteurs majeurs dans le champ concerné (cf. chap. 4), dans une démarche classique de chercheurs approfondissant un sujet donné. Par ailleurs, ils sont allés au-delà de la reconstitution historique pour présenter les enjeux actuels et les voies futures pour cette quête de réforme (cf. chap. 5), donnant, à cet égard, à leur ouvrage les caractéristiques dun essai.

La préface dOlivier Favereau est elle-même duale. Cette autorité – sil en est – en matière de réflexion sur la place de lentreprise dans la société, a signé sa préface à la fois comme universitaire (Paris-Nanterre) et comme ancien animateur du Collège des Bernardins. Cette institution, via notamment son département « Économie et société », a – comme on le sait – joué un rôle actif dans les réflexions collectives contemporaines sur lentreprise ; réflexions qui ont participé – via la commission Notat-Senard et le concours du CGS de lÉcole des Mines – à lélaboration de la loi PACTE et tout particulièrement au concept dentreprise à mission. Olivier Favereau a pu ainsi, au-delà des propos classiques dun préfacier, apporter son propre témoignage sur la réforme de lentreprise. Il porte un regard lucide sur « lensemble des faits qui font partie de cette réforme : 258le fait quelle na pas eu lieu, le fait quelle aurait pu avoir lieu, le fait quelle aurait dû avoir lieu, et le fait enfin que tous ces possibles non actualisés ne se sont pas évaporés et quils demeurent présents » (p. 10). Les différentes parties de louvrage lui paraissent apporter des réponses « intelligibles » à ce type de questionnement.

Ainsi, les auteurs comme le préfacier, saccordent pour considérer que « la voie offerte par la Réforme de lentreprise restera une perspective majeure pour les années à venir » (p. 150). Le lecteur comme le citoyen ne peuvent que les encourager à persévérer dans cette voie en leur suggérant de lélargir à lespace européen qui parait le cadre le plus adapté dans cette période dincertitude radicale que cette région du monde connait actuellement…

1 Les auteurs auraient pu ajouter quelques autres personnages majeurs comme Antoine Riboud, dont le discours de Marseille devant les assises du CNPF en 1972 fait référence en matière de « double projet économique et social » – cf. le récent hommage que lui a rendu E. Faber (Président de lISSB et ancien PDG de Danone) – Les Échos,25/10/2022 https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-danone-50-ans-apres-1872662