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Classiques Garnier

Recensions d'ouvrages

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Entreprise & Société
    2022 – 1, n° 11
    . varia
  • Auteurs : Pérez (Roland), Carn (Clément), Burlaud (Alain)
  • Pages : 157 à 175
  • Revue : Entreprise & Société
  • Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
  • EAN : 9782406138006
  • ISBN : 978-2-406-13800-6
  • ISSN : 2554-9626
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13800-6.p.0157
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 20/07/2022
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Alain Burlaud (2022), Comptabilités : Lempire des nombres, Caen, Éditions Management & Société (collection : les grands auteurs francophones), 180 p.

Recension par Roland Pérez

Le secteur éducatif intitulé, selon les contextes et les périodes, administration des affaires, gestion de lentreprise, management… est devenu, depuis plusieurs décennies en France et dans maints pays, le plus large, tant en termes de nombre délèves et étudiants concernés que de spécialités enseignées. Sétant positionnée sur ce marché porteur, dès sa création en 1997, la maison dédition normande Management & société (EMS) est devenue, au fil des ans, un acteur majeur dans le monde francophone de lédition consacrée à ce champ disciplinaire alliant savoirs académiques et technologies dédiées être mises en œuvre. Pour répondre à la diversité des publics et des objets détudes, cet éditeur a été amené à multiplier les types douvrages et de supports, en les rassemblant en une trentaine de collections couvrant un très large spectre ditems. Lune de ces collections, intitulée « Les grands auteurs francophones », a été lancée récemment, permettant déquilibrer (au moins partiellement – lomniprésence des auteurs anglo-saxons dans une autre collection – « les grands auteurs » – présentant les principales contributions aux différentes disciplines et spécialités de ce champ éditorial. À ce jour, plusieurs auteurs francophones ont été ainsi mis en relief1.

La présence dAlain Burlaud allait de soi dans ce panel, sa double formation et son statut denseignant-chercheur en gestion dune part, dexpert-comptable et commissaire aux comptes dautre part, exprimant bien cette vocation affichée par les éditions EMS « apprendre aujourdhui pour pratiquer demain ». Les nombreux travaux effectués par lintéressé – de la comptabilité dinflation au management public – les responsabilités successives quil a assumées, en France et à linternational, tant dans son domaine de spécialisation que plus largement au service de 158la communauté scientifiques des gestiologues/managérialistes2, le désignaient pour finaliser cette réflexion globale que constitue le présent essai sur « Comptabilités : Lempire des nombres ».

Car, cest bien un essai « distancié » que nous livre ici Alain Burlaud. Il ne cherche pas à ajouter un manuel du plus à ceux quil a déjà publiés, ni à proposer un traité collectif comme celui quil vient de coordonner chez le même éditeur3, mais à apporter « une contribution à une réflexion à laquelle lauteur souhaite associer le lecteur » (op. cité, p 14). Nous avons qualifié cet essai de « distancié » car il nous a semblé que lauteur, tout en sappuyant sur limportant corpus académique relatif aux thèmes abordés, notamment ses propres contributions4, a souhaité prendre de la distance et élever le débat en le situant en termes sociétaux accessibles à tout citoyen et pas seulement réservés aux spécialistes, même si ces derniers sont invités à y participer.

Pour y parvenir, Alain Burlaud a opté pour un style clair, parfois enjoué, évitant le jargon professionnel qui parfois isole la portée de certains textes en les réservant aux seuls initiés. Le plan choisi pour structurer louvrage relève de la même volonté pédagogique ; lauteur sest volontairement « limité à six tableaux qui illustrent une réflexion sur la comptabilité en tant que mode de management par les nombres » (op. cité, p 15). Ces six tableaux, dont chacun fait lobjet dun chapitre, abordent successivement les points suivants : la comptabilité comme outil au service de lautorité (i) et comme application de la métrologie (ii) ; le concept de valeur (iii) et celui de limage fidèle vs utile (iv) ; le contrôle de gestion (v) et linformation extra-financière (vi).

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Ces différents chapitres peuvent être regroupés deux à deux, constituant les trois temps du mouvement de réflexion que sest imposé Alain Burlaud et auquel il nous convie.

A- Les deux premiers chapitres – « Comptabilité et autorité » (10 p.) et « Comptabilité et métrologie » (20 p.) – sont de nature ontologique, permettant de définir le statut de la démarche comptable dans les activités humaines.

La démarche comptable sinscrit clairement dans un contexte de société organisée et concerne les relations entre les personnes. Elle doit pouvoir sexercer dans un climat de confiance et donc se situer sous laile protectrice dune autorité assurant la paix civile et pouvant, en cas de litige, procéder aux arbitrages souhaitables ; cette présence des fonctions régaliennes est donc indispensable à toute comptabilité. Si on ajoute que cette dernière permet de définir les assiettes fiscales (sur les flux de production et/ou sur les patrimoines) nécessaires aux autorités régaliennes, on peut dire que comptabilité et autorité sont bien liées, chacune ayant besoin de lautre, ceci depuis des milliers dannées, comme latteste le code dAmmourabi.

Si la démarche comptable amène à constater, évaluer, enregistrer…, il est nécessaire quelle se traduise par quelque chose de précis, concrètement une mesure. En conséquence, si la métrologie est « la science de la mesure », les comptabilités sont « une branche de la métrologie » (p. 29). Ces mesures sexpriment par des nombres, la comptabilité participe à cette « gouvernance par les nombres » dépeinte par Alain Supiot dans son cours au Collège de France (2012-2014). Alain Burlaud rappelle que « les nombres, du fait de leur performativité, exercent un pouvoir sur le réel quil faut encadrer », via trois catégories dacteurs : « normalisateurs (pouvoir législatif), opérateurs (pouvoir exécutif), contrôleurs (pouvoir judiciaire) » (p. 46)

B- Les deux chapitres qui suivent – « Comptabilité et valeur » (41 p.) et « Image fidèle ou image utile ? » (22 p.) – nous font entrer au cœur du réacteur, i.e. dans le processus de production des nombres comptables, pour tenter den appréhender les secrets de fabrication et les redoutables dilemmes quils révèlent.

Si la démarche comptable se traduit par lélaboration de nombres exprimant les mesures des items concernés, encore faut-il saccorder sur les montants relatifs aux dites mesures et, tout dabord, sur lunité de 160calcul. Ces dernières sont généralement monétaires, même si certaines comptabilités peuvent être exprimées en éléments non monétaires (en tonnages ici, en calories là…). Le problème de lévaluation est dune toute autre ampleur. Si la plupart des opérations à comptabiliser ne posent pas de problèmes majeurs (ex : une transaction réglée au comptant), il en va autrement pour certaines dentre elles, notamment lorsquune des composantes est située dans le futur, avec une marge dappréciation impliquant le point de vue de lévaluateur. Par exemple, si la transaction a été effectuée à crédit et que la créance concernée se révèle « douteuse » – i.e. incertaine quant à son recouvrement – il est souhaitable/nécessaire de provisionner la perte escomptée, mais de combien ? Cest là que la démarche comptable se voit confrontée entre des principes largement contradictoires : soit celui de prudence qui permet de sécuriser les créanciers, soit celui dune évaluation la plus proche de celle que donnerait le marché (si litem concerné faisait effectivement lobjet dune opération en ce sens).

Ces deux principes ont du mal à coexister ; le premier a longtemps dominé la démarche comptable, notamment en France ; le second, plus récent, sest peu à peu devenu majeur, porté par la financiarisation des économies. Sous des vocables de faire value, voire full faire value, il sest progressivement imposé, notamment pour les grandes sociétés cotées sur les marchés financiers. Alain Burlaud, bien au fait de ces évolutions et des débats doctrinaux qui ont eu lieu, en France et au niveau international, sur le conceptual framework de la démarche comptable, restitue avec finesse ces questions ; pour lui « la neutralité au sens des IFRS (International Financial Reporting Standards) nest pas compatible avec la prudence au sens du PCG (Plan comptable général) » (p. 99)

C- Les deux derniers chapitres, portant respectivement sur « le contrôle de gestion » (46 p.) et sur « Linformation non financière » (16 p.), élargissent le référentiel du champ étudié, au-delà de la comptabilité classique, dite « générale » ou « financière », justifiant le pluriel donné au titre « comptabilités » de louvrage.

Le contrôle de gestion est devenu une nouvelle composante de cette « gouvernance par les nombres » évoquée supra ; peut-être même la plus significative, dans la mesure où elle pose, explicitement, lobjectif de contrôle des activités des acteurs via les mesures de leurs actions et/des effets produits. Pour Alain Burlaud, le contrôle de gestion exprime 161« la mise sous tension des organisations » (p. 113) ; il est « linstrument permettant dopérationnaliser une culture du résultat » (p. 136), mais présente aussi un certain nombre de biais et de limites qui amènent lauteur à considérer que « une vision critique des outils est essentielle pour en faire un bon usage » (p. 158)

Linformation non financière correspond à une démarche plus récente et lauteur la qualifie comme « les nouvelles frontières de la comptabilité » (p 159). En effet, si la comptabilité classique ne sintéressait quaux opérations directement liées au statut juridique de lopération effectuée et de lentité concernée (personne physique ou personne morale), elle ne pouvait pas faire autrement, étant tenue par les réglementations en usage. Par définition, les « externalités, quelles soient positives ou négatives sont hors du champ de la comptabilité classique, sauf si une décision explicite ly oblige (par exemple, un jugement dun tribunal la condamnant à verser des dommages et intérêts à un tiers, voire, en amont, une menace de procès lamenant à provisionner une somme adéquate) ». De nos jours, cette démarche minimaliste ne parait plus suffisante et de nombreuses voix – y compris au niveau des investissements dits « socialement responsables » (ISR) – réclament que les acteurs économiques assurent une plus grande prise en compte des éléments au-delà des seuls affectant les résultats financiers. Cette nouvelle démarche, dite de lanalyse extra-financière a fait lobjet de maintes propositions, dont les principales sordonnent autour des indicateurs dits ESG (Environnementaux-Sociétaux-Gouvernance), de la TBL (Triple Bottom Line) de John Elkington (1994) ou de lapproche CARE (Comptabilité adaptée au renouvellement de lenvironnement) proposée par Jacques Richard (p 171-172).

Cet essai que nous livre A.B. est à mettre dans de nombreuses mains :

En priorité, dans celles du « public populaire délite » dont parlait Ionesco, cité par lauteur, visant « un large public, qui peut ne pas être spécialiste de comptabilité, mais être curieux et prêt à reconsidérer les clichés associés à cette discipline » (p. 13). Le principal cliché est celui dune discipline comptable proche des sciences dites « dures » ou « exactes », alors quA.B. montre bien quelle « accompagne les évolutions de la société et que, de ce fait, elle est une question politique » (ib.), se situant donc dans le champ des SHS.

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En second lieu, aux étudiants abordant cette discipline, pour justement dissiper déventuels clichés comme ceux mentionnés supra et les inciter à combiner, à linstar de lauteur, rigueur et ouverture desprit.

Last but not least, aux spécialistes de cette discipline, quils soient enseignants, chercheurs ou praticiens, pour leur permettre dapprécier/discuter largumentaire présenté dans cet essai « afin que chacun puisse lapprofondir en suivant sa propre voie » (ib.)

Il serait même souhaitable que les promoteurs de cette collection des « grands auteurs francophones » dans le secteur des sciences de gestion et les éditions EMS qui ont accueilli cette heureuse initiative, la prolonge et la valorise en la faisant connaitre dans le monde dautres champs socio-culturels et linguistiques, notamment le monde anglo-saxon. Notre sentiment est que la « French Theory » pourrait avoir, dans le domaine des disciplines de gestion, notamment la comptabilité, un impact comparable à celui quont eu dautres composantes des SHS. Cest ce que nous souhaitons pour le présent essai.

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Alexandre Rambaud et Jacques Richard (2021), Philosophie dune écologie anticapitaliste : pour un nouveau modèle de gestion écologique, collection PUL/Sciences de ladministration, Paris, Hermann, 302 p.

Recension par Clément Carn

Affirmer que nous atteignons un stade critique concernant la crise écologique devient un lieu commun dautant plus insupportable que rares sont les propositions concrètes pour sortir de notre impuissance. Pourtant la littérature se montre particulièrement prolixe sur le sujet, entre les ouvrages invitant à développer une autre éthique du vivant5 ; 163ceux laissant le poids de la transition écologique à la volonté individuelle6 ; ou encore ceux visant à panser le capitalisme sans le penser7. Mais louvrage Philosophie dune écologie anticapitaliste nest pas une éthique environnementale de plus, et encore moins une critique des déviances de notre société occidentale. Comme son sous-titre – pour un modèle de gestion écologique – le laisse entendre, il sagit de sintéresser concrètement aux modes de gestion des organisations ou comme le disent les auteurs : « mettre les mains dans le cambouis ». Et la manière par laquelle les auteurs abordent cette question tient parfaitement la ligne de crête entre dun côté la volonté de faire une proposition pragmatique, sans en faire un simple aménagement des pratiques managériales. Et de lautre, la critique du système capitaliste, sans tomber dans la dénonciation dune structure indépassable. À ce titre, Alexandre Rambaud et Jacques Richard ouvrent une nouvelle voie pour penser la crise écologique et sortir du capitalisme à partir des modèles de gestion.

Pour tenir cette voie, la thèse des auteurs est que le cœur du capitalisme se trouve dans une technique totalement ignorée de la plupart des critiques de notre modèle socio-économique : la comptabilité en partie double. À la manière dArchimède, les auteurs semblent pouvoir renverser le capitalisme avec le concept de capital comme point fixe et la comptabilité comme levier. En proposant une lecture à la fois historique, anthropologique, juridique et économique de la comptabilité, les auteurs mettent en lumière limportance de cette technique dans la gestion des organisations, mais aussi et surtout dans la reproduction de notre système économique reposant sur lexploitation des ressources naturelles et humaines. Largumentaire des auteurs tient dans le fait que la comptabilité en partie double est une invention des capitalistes modernes qui lont conçue selon leur représentation du monde, cest-à-dire dun côté des sujets indépendants et conquérants (eux-mêmes) et de lautre les objets passifs à exploiter (tout le reste et en particulier les travailleurs et les ressources naturelles). Cest cette partition du monde qui est à lorigine de la crise écologique et sociale et qui est protégée par la comptabilité moderne. Il ne 164sagit donc pas pour les auteurs de proposer une éthique environnementale déconnectée des pratiques gestionnaires, mais au contraire de formuler un modèle comptable alternatif destiné à permettre une véritable cogestion des entreprises en reconnaissant lensemble des ressources (naturelles, humaines et financière) nécessaires à la production et devant être préservées.

Les auteurs font preuve dune certaine érudition, que ce soit concernant la comptabilité ou le courant écologiste, mais le lecteur nest jamais perdu pour autant grâce à une architecture claire et une approche analytique accessible. Quatre grandes parties (et seize chapitres) forment louvrage : Histoire de la modernité et du capitalisme (partie 1) ; Pourquoi les civilisations avant la fin du Moyen Âge nont-elles pas été modernes ? (partie 2) ; Les solutions des économistes et des philosophes face à la dynamique capitaliste de destruction de la nature (partie 3) ; Lapproche écologique relationnelle et sa traduction comptable : vers une philosophie écologique anticapitaliste (partie 4).

La première partie est la pierre fondamentale sur laquelle se construit le reste de louvrage. Destinée à prouver que la comptabilité est au cœur de la modernité capitaliste, cette première partie souvre avec une description de la modernité et de ses concepts (chapitre 1). Les auteurs mettent notamment en avant la distinction sujet-objet qui place une barrière étanche entre le domaine des hommes et celui de la nature. Cette distinction se traduit par des individus nouveaux, animés par la perspective dune connaissance infinie et lambition (voire la prétention) à la maîtrise du monde par la rationalité. Dès lors, reprenant les thèses de Descola ou de Latour, ce premier chapitre fait le lien entre une nature, conçue comme simple objet, et la dégradation systématique de celle-ci. Autrement dit, la modernité marque le début de lanthropocène. Mais la modernité marque également les débuts du capitalisme, les auteurs précisent alors que la modernité nest pas un changement homogène et total au sein de la société, elle est en fait le résultat des capitalistes. Seule cette petite partie de la société est véritablement moderne et va considérer la nature, mais également les autres humains comme des objets à exploiter. Cela permet aux auteurs daffirmer quil est plus juste de parler de capitalocène, plutôt que danthropocène.

À partir de là, les auteurs sintéressent à ce qui représente pour eux linnovation majeure du capitalisme au xive siècle : la comptabilité en partie double (chapitre 2). Ils mettent en lumière le fait que cette nouvelle technique comptable traduit le clivage sujet-objet de la modernité. 165En effet, elle permet la séparation entre dun côté les sujets – qui sont mis au passif et doù émerge les questions déthique et de droits – et de lautre les objets pouvant être exploités – placés à lactif et où se pose des questions techniques et defficacité. Les auteurs remarquent également que cette technique fait preuve dune forme de dédoublement de la personnalité du capitaliste, en sextériorisant de sa propre entreprise par le constat dune dette à soi-même au travers de la notion de capital financier. Et ce dédoublement est fondamental, car il qui permet la préservation systématique du patrimoine des capitalistes. Les auteurs affirment alors : « Le concept de capitalisme moderne ne doit donc pas être confondu avec un type dactivité : son innovation majeure, la partie double, et ses conséquences économiques et sociales concernent déjà à sa naissance, au haut moyen-âge, tous les types dactivités ».

Le capitalisme, conçu comme une accumulation de capital, est donc rendu possible dès le début par un droit comptable spécifique, qui permet en premier lieu la préservation systématique du patrimoine des capitalistes. Les auteurs formulent alors le constat réciproque : aucun autre capital nest préservé, en particulier ni lhumain ni la nature.

Mais pour les auteurs, la modernité ne se traduit pas exclusivement par le capitalisme « classique » (chapitres 3 et 4). Ils sintéressent également au modèle soviétique et montrent que la comptabilité na pas fait de changements substantiels vis-à-vis de la comptabilité moderne. En ne se souciant que de la propriété, le communisme est simplement passé dun capital dun sujet privé à un capital dun sujet public, passant symboliquement du terme « capital » au terme « fonds statutaire ». Cette expérience montre que la propriété des outils de production nest donc pas le point le plus fondamental du capitalisme. Au contraire, en reproduisant les travers du capitalisme moderne, lURSS a montré que la propriété publique naltère en rien la dichotomie sujet/objet propre à la logique moderne. Finalement au sein de la modernité, le passage dune propriété privée à une propriété publique marque simplement le passe dun capitalisme privé à un capitalisme dÉtat.

La deuxième partie de louvrage cherche à montrer en quoi les civilisations précédant la fin du moyen-âge ne peuvent être qualifiées de modernes. Cette histoire souvre par une analyse des notions dintérêts et de capital (chapitre 5). Les auteurs sintéressent aux civilisations antiques mésopotamienne, grecque ou romaine et montrent que les 166taux dintérêt sont stables et que leurs rares variations sexpliquent par des changements institutionnels. À cela, il faut ajouter que lusure est strictement prohibée, car la morale réprouve le fait de gagner de largent sur le dos dautrui et récompense au contraire la solidarité.

À la suite de cette première analyse, les auteurs sintéressent aux philosophes grecques (chapitre 6) puis à la gestion romaine (chapitre 7) pour y déceler déventuelles formes de modernité. Mais dans un cas comme dans lautre la conclusion est la même : il nest pas possible de conclure sur une modernité latente dans lantiquité. Si le chapitre sur la philosophie grecque peut laisser le lecteur un peu perplexe en raison de la difficulté à tenir la démonstration en dix pages, lanalyse de la gestion romaine est particulièrement utile pour mettre en relief la gestion moderne et la thèse défendue par les auteurs. En effet, les Romains font apparaître un certain nombre de concepts de la gestion moderne, tels que lusufruit ou le résultat net, mais ils ne disposent pas de la comptabilité en partie double. Il ny a donc pas de séparation entre le patrimoine (à exploiter) et le capital (à préserver). Ainsi, dans le cas où il y a une dégradation du patrimoine (les auteurs prennent lexemple dun bâtiment), il est nécessaire de réinvestir et ces dépenses nintègrent pas le calcul du revenu net. En fait, labsence de la comptabilité en partie double rend impossible le concept de lamortissement qui est pourtant fondamental pour la préservation du capital. Les romains nont donc jamais eu une gestion capitaliste de leurs entreprises, thèse appuyée par lanalyse du cadre juridique de la société romaine (la Societas Omnium Bonorum).

Cette deuxième partie se termine par lanalyse de lémergence à la fin du moyen-âge de nouveaux concepts de capital et dintérêts (chapitre 8). Avec le changement de perception concernant le travail, la propriété et encore plus fondamentalement lémergence du sujet, de nouvelles réflexions économiques légitiment lusure et permettent de considérer le capital, non plus comme de largent à rembourser, mais comme de largent productif. Associé aux développements du calcul probabiliste et en particulier le calcul actuariel, cela se traduit dès louvrage majeur de Luca Pacioli à considérer le capital comme un fonds productif tel que le proposent les IFRS aujourdhui.

Dans la troisième partie, les auteurs sintéressent aux réactions des économistes (chapitre 9) et des philosophes (chapitre 10) aux conséquences du capitalisme sur la nature. Dans les deux cas, ils dénoncent le maintien 167de la cosmologie moderne reproduisant la dichotomie sujet-objet. Chez les économistes (et en particulier néoclassiques), ils dénoncent la volonté de promouvoir une gestion rationnelle visant des rendements soutenables, maintenant lidée que notre environnement naturel nest quune ressource à exploiter. Le concept dexternalité supposé permettre cette gestion rationnelle illustre parfaitement cette situation, puisquelle efface totalement la question écologique au profit de la seule notion dutilité des humains. La dégradation nest pas prise en tant que telle, mais seulement en tant que dommage économique. Les auteurs poursuivent leur démonstration en sintéressant à la notion de valeur dexistence, mais dans tous les cas les économistes néoclassiques conservent la dichotomie sujet/objet.

Du côté des philosophes, les auteurs étudient le courant de léthique environnementale. Conçue comme une réponse à la défaillance de notre système de valeur, léthique environnementale est supposée permettre la prise en compte des entités non-humaines pour elle-même. En reprenant les quatre grandes éthiques existantes (lanthropocentrisme non conséquentialiste, le pathocentrisme, le biocentrisme et lécocentrisme) et en étudiant leur intégration comptable, les auteurs en concluent que ces éthiques reproduisent la dichotomie sujet/objet et ne font quétendre plus ou moins la notion de sujet à de nouvelles entités non-humains.

Pour sortir de cette représentation du monde, les auteurs mobilisent lécologie relationnelle comme fondement au modèle comptable CARE présenté au cours de la quatrième partie. Cette dernière partie souvre logiquement sur une présentation de lécologie relationnelle (chapitres 11 et 12). Selon cette perspective, les relations précèdent lessence dune chose, autrement dit une chose peut être comprise comme un nœud de relations. En acceptant le relationnisme et en conservant de la modernité la réflexivité, les auteurs appellent à la constitution de pratiques politiques permettant de définir à plusieurs la « réalité relationnelle commune ».

À partir de ce ferment théorique, les auteurs présentent le modèle CARE (chapitre 13). Quatre principes centraux sen dégagent :

1. Lhumain nest pas un sujet dominant, mais un élément de lécosphère avec laquelle il doit composer ;

2. CARE ne sappuie pas sur une seule faculté humaine (la raison ou la compassion) mais sur lensemble de ses facultés (avec toutefois une attention particulière à la compréhension) ;

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3. CARE sappuie sur le concept Capital-dette absent de la littérature en éthique de lenvironnement ;

4. CARE vise la transformation du système économique et politique capitaliste ;

Lidée est très claire : cest parce que la comptabilité moderne capitaliste vise la seule préservation du capital financier que la crise écologique et sociale existe. Il faut donc étendre la notion de capital-dette aux autres capitaux et permettre une véritable cogestion des organisations. Dans cette perspective, les auteurs proposent de définir les capitaux par un processus démocratique (inspiré du parlement des choses de Bruno Latour) devant permettre didentifier comment les entreprises peuvent maintenir leurs capitaux. De cette manière, la valeur des choses à préserver est collectivement instituée. Cette nuance est fondamentale, car cest sur ce point que les auteurs divergent théoriquement et pratiquement de léthique environnementale classique. Ils se refusent à donner une valeur a priori des entités, contrairement par exemple au biocentrisme ou à lécocentrisme. Cest par ce biais quils échappent aux questions existentielles sur lesquelles achoppent les éthiques environnementales quand ils doivent décider dune hiérarchie entre les entités. Comme laffirment les auteurs, cette approche évite les abstractions déconnectées de la réalité.

Par lintégration des capitaux extra-financiers, CARE permet le calcul dun nouveau coût complet écologique. Ce faisant, les auteurs proposent donc une réappropriation des institutions économiques. En effet, les auteurs prennent le parti – à contre-courant dune grande partie de la littérature critique – de conserver le vocabulaire de léconomie, et en particulier le terme de profit. Sils reconnaissent que le capitalisme a « pollué » ce vocabulaire, ils proposent de les conserver en les réintégrant dans la logique de préservation systématique de lensemble des capitaux. À titre dexemple (provocateur) même le productivisme semble être acceptable, car il peut se révéler bénéfique à la condition quil respecte les trois capitaux.

Cest ici que le lecteur prendra la mesure véritable de lambition des auteurs, qui justifie dailleurs le titre de louvrage. Tel que présenté par les auteurs, CARE nest pas quun modèle de comptabilité ou même de gestion, cest un paradigme anticapitaliste cherchant à reconceptualiser les relations entre humains et non-humains dans une approche 169pragmatique. La proposition dAlexandre Rambaud et Jacques Richard est un cadre général pour penser et encadrer laction organisée. À ce titre, ils ouvrent la voie à un courant de pensée qui place au cœur de sa critique non pas la notion de propriété, pas plus que celle de technique, ou encore déthique, mais le concept de capital. En sintéressant à la reproduction du capitalisme non pas de manière distante et théorique, mais au contraire en prise avec la pratique la plus triviale du capitalisme, les auteurs créent les fondements conceptuels à un mode de production écologique en rupture radicale avec le projet mainstream de rendements durables. Dans les chapitres restants (chapitres 14, 15 et 16), les auteurs situent ce courant de pensée par rapport à dautres travaux critiques, notamment la théorie des biens communs ou léconomie du don.

Comme souligné en introduction, cet ouvrage est loin dêtre un simple manuel de comptabilité socio-environnementale. Il sera bien sûr utile à tous les chercheurs et étudiants en comptabilité qui souhaitent approfondir la compréhension des fondements théoriques au modèle CARE, mais il aura aussi bien vocation à intéresser les philosophes, les juristes, les historiens (et peut-être même les économistes) souhaitant comprendre comment la comptabilité participe à la structuration du monde et comment elle peut contribuer à répondre aux enjeux écologiques.

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François Gibert et Claude Simon (2021), Lécologie contre le capitalisme. Ce quil faut sauver, ce quil faut stopper, Éditions TempsPrésent, 110 p.

Recension par Alain Burlaud

Louvrage de François Gibert et Claude Simon (2021), Lécologie contre le capitalisme. Ce quil faut sauver, ce quil faut stopper, est à la fois engagé, stimulant et très accessible. Engagé car les deux auteurs se présentent comme militants dEurope Écologie Les Verts. Toutefois, ce nest pas la parole officielle du parti. Stimulant parce quils sont engagés dans une 170posture peu commune : critiquer pour proposer, sans angélisme, des pistes de solutions réalistes. Cela suppose une vision large des questions écologiques, mêlant économie, gestion, sciences politiques et sociologie mais en même temps une expérience du terrain et le sens des responsabilités, qualités dont nos deux auteurs, lun chef dentreprise et lautre professeur et expert-comptable, ne manquent pas. Enfin, laccessibilité à un large public est voulue et nécessaire à linstruction dun débat démocratique. Cet ouvrage est également original en ce sens quil se situe entre un essai et un long policy paper.

Les auteurs partent dun constat alarmant et peu contesté qui peut se résumer à ceci : le jour de lannée où lhumanité na pas consommé plus que ce que la terre et la mer peuvent nous apporter, le « jour du dépassement », est passé du 29 décembre en 1970 au 29 juillet en 2019 ! Autrement dit, nous vivons aujourdhui cinq mois par an « à crédit », avec un crédit qui augmente chaque année.

Ce triste constat est le résultat dune évolution de la société à léchelle mondiale. Il ny a ni « bons », ni « mauvais » mais des mécanismes qui, isolément, ont pu apporter de bonnes solutions et qui, combinés, conduisent à une situation globale catastrophique.

Nos deux auteurs, du fait de leur propre expérience, se sont surtout intéressés aux dimensions économiques de lévolution de nos sociétés. Sils soulignent les responsabilités dun certain capitalisme et notamment du capitalisme financier, ils nen oublient pas pour autant les apports.

Cependant, les critiques sont nombreuses. Le marché ignore les externalités. La réglementation et la taxation de ces externalités conduisent souvent à simplement les « exporter », cest-à-dire les déplacer vers des pays pratiquant le dumping environnemental et, en général, aussi social. Le raisonnement, tant du législateur national que de la Commission européenne, part souvent dun marché idéalisé quil faudrait recréer en démantelant de véritables services publics tel le transport ferroviaire ou la production et la distribution délectricité. Contrairement à ce que dit le dogme libéral, la libre concurrence na jamais réussi à limiter la concentration du capital. Leffet de levier, expliqué de façon remarquablement pédagogique pour les non-spécialistes, permet de réduire le coût de la prise de contrôle dune entreprise et facilite donc les opérations de fusion. La publicité qui, en France en 2018 représente 33 milliards deuros de chiffre daffaires ; soit 60 % du budget de 171lÉducation nationale, ne fait quaccroître le sentiment de frustration des plus pauvres et encourage la consommation ostentatoire. Si un parti politique au pouvoir dépensait une telle somme dans un pays de la taille de la France pour sa propagande8, on parlerait de dictature et de lavage de cerveaux ! Enfin, léconomie de marché conjuguée au capitalisme a conduit, dans tous les pays du monde, à une explosion des inégalités comme la démontré Thomas Piketty. Ainsi, les 10 % les plus riches de la population possèdent 70 % des actifs et sont responsables de 50 % des émissions de gaz à effet de serre. Outre les risques sociaux et politiques considérables dès lors quil ny a plus de croissance pour « acheter » la paix sociale, ces inégalités ne servent pas la cause de lécologie.

Néanmoins, nos auteurs reconnaissent à léconomie de marché des qualités. Ainsi, le marché est un outil darbitrage de décisions économiques décentralisées. Conjugué à la liberté dentreprendre, il contribue au bien-être et à une certaine forme defficacité. La recherche du profit nest pas condamnable en soi car plus souvent quon ne le croit, cest un moyen de recherche dindépendance de lentrepreneur vis-à-vis des tiers et notamment des banques. Mais, afin dêtre compatible avec une écologie humaniste, le marché doit être régulé plus quil ne lest aujourdhui. Ainsi, les « monopoles de fait » tels les géants du numérique ou les sociétés dautoroute doivent faire lobjet dune régulation spécifique et de mesures de lutte contre lévasion fiscale. La propriété devrait également être mieux encadrée par une modification de larticle 544 du code civil, précisant que ce droit ne doit pas contrevenir à lintérêt général (par ailleurs, bien difficile à définir) et à la préservation de lenvironnement, du climat et de la biodiversité. La régulation du marché devrait aller plus loin en excluant du marché ce que les auteurs appellent des « biens communs ou collectifs » (autoroutes, aéroports, transports collectifs, eau, déchets, etc.) dont la gestion devrait relever de mécanismes démocratiques et non capitalistiques. Ils incluent également dans cette catégorie la monnaie. Notons que les auteurs nadoptent pas la définition devenue classique des « biens communs » dE. et V. Ostrom.

Louvrage fait une place importante au marché des capitaux, sujet particulièrement complexe mais présenté dune façon admirablement 172claire. Le contrôle des banques, dont le pouvoir de négociation permet de réaliser des profits énormes en temps normal, mais qui nhésitent pas à faire appel à lÉtat en période de crise (le renflouement des banques américaines en 2008 a coûté 700 milliards de dollars), est appelé de tous les vœux des auteurs. Les flux de capitaux doivent être tracés pour lutter contre lévasion fiscale et la taxation majorée des plus-values à court terme ainsi que la taxe sur les transactions financières (taxe Tobin) doivent limiter les mouvements spéculatifs.

Les liens entre entreprise, économie et société sont tels que lon ne peut envisager lévolution des uns sans penser lévolution des autres dans une démarche écologique. Par ailleurs, les changements de comportements que la crise écologique à venir rendra nécessaires ne peuvent se concevoir sans une réflexion globale. Cest ce à quoi louvrage nous invite.

Tout dabord, la réduction de la pression des activités humaines sur les équilibres de notre planète, exploitation des ressources non renouvelables, émissions de gaz à effet de serre, réduction de la biodiversité, pollutions diverses, suppose une réduction de la consommation. Les auteurs ne traitent pas de la démographie qui détermine une partie de la consommation alors que la croissance a été énorme : de 3 milliards dhabitants en 1960 à près de 8 milliards en 2020 ! Mais la question est si importante et complexe quelle devrait faire lobjet dun autre ouvrage. Quoi quil en soit, les hommes devront apprendre la sobriété. La croissance actuelle du niveau de consommation dénergie, quelle quen soit lorigine, est incompatible avec les équilibres écologiques. Et pourtant, les milliards dhommes vivant actuellement dans la pauvreté ne rêvent que de consommer plus, ce que les nantis ne peuvent leur reprocher. Louvrage ne prône dailleurs pas la décroissance pour les moins bien lotis. Cependant, des efforts de réduction de la consommation sont inévitables.

Si la solution peut être partiellement du côté de la consommation, quantitative et qualitative, elle peut aussi être du côté de la production. La division internationale du travail, léclatement géographique des chaînes de valeur, le dumping social et environnemental, sont source de dommages écologiques. Pensons aux dizaines de milliers de kilomètres parcourus par les moindres objets manufacturés qui finissent rapidement en déchets souvent non recyclés par incapacité de les réparer ou par obsolescence programmée. La complexité de ces objets, même le plus 173usuels, dépasse les connaissances des usagers ; ils en maîtrisent plus ou moins lusage sans en connaître le fonctionnement.

Nous pourrions aussi réduire lempreinte écologique en développant lachat local et le partage. Cela commence dailleurs à se faire grâce notamment aux plateformes numériques. Les auteurs sous-estiment peut-être le changement de comportement des usagers que cela implique. Par exemple, la durée de vie dune trottinette électrique en libre-service serait de moins dun mois (sic !) contre 3 à 5 ans pour celle appartenant à un particulier. Lusage partagé peut donc être aussi source dun incroyable gaspillage.

La révolution des transports et la réduction du gaspillage ostentatoire relèvent autant du changement de société que de solutions techniques. Est-ce possible par la seule persuasion et lappel à la raison ? Personnellement, jen doute sans avoir la solution au problème posé.

Si je devais résumer ce quapporte louvrage de François Gibert et Claude Simon, je dirais quau-delà de la description et de lexplication dune crise écologique mondiale qui se profile, ils ont le courage de faire des propositions. Cest dans ces dernières que se trouve la pomme de discorde suscitant lexpression la plus agressive de défense des intérêts particuliers. Chacun rendra lautre responsable de tous les maux et voudra lui faire payer les réparations ou les sacrifices nécessaires. Le discours politique recherche, par nature, un minimum de consensus grâce à lambiguïté, ce qui nest pas le cas ici.

Louvrage traitant du conflit entre écologie et un certain capitalisme, les principaux changements souhaités sont économiques :

Une fiscalité plus juste par la lutte contre lévasion fiscale, contre la spéculation notamment sur les opérations à court terme et contre laccroissement des inégalités de patrimoine et les rémunérations excessives ;

Une régulation des marchés par labolition des « monopoles de fait » et lintroduction dune prise en compte des externalités dans les coûts ;

Une régulation de la finance en recloisonnant les activités bancaires comme le fit le Glass-Steagall Act de 1933 aux États-Unis ayant séparé la banque de dépôt de la banque dinvestissement. Il fut abrogé en 1999 puis partiellement réintroduit en 2010. En France, la loi de séparation bancaire de 2013 nest pas allée assez loin.

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Mais louvrage montre aussi que les réformes économiques doivent accompagner des changements de société :

Développer léchange local et aménager le territoire pour réduire lempreinte écologique du transport ;

Repenser les mobilités en développant les transports « doux » et les transports collectifs ;

Encourager le commerce et la production locale grâce à lusage de monnaies locales non spéculatives et sous contrôle démocratique comme il en existe déjà ;

Lutter contre le gaspillage ostentatoire notamment par la taxation de la publicité qui permettrait de soutenir la presse ;

Réduire les inégalités de revenu et de patrimoine par la fiscalité ;

Redonner à lÉtat son rôle de garant de lintérêt général et des arbitrages sur le long terme avec la recréation dun Commissariat au plan.

Plus généralement, valoriser la sobriété et un mode de vie plus frugal en en changeant limage. Lécologie nest pas punitive mais responsable.

On ne peut quêtre favorable à des solutions raisonnables lorsquon a pris conscience des menaces pesant sur les années à venir, un avenir à court terme. Mais lHomme est-il capable de raison ? La question nest pas abordée car elle va au-delà dune réflexion sur le conflit entre écologie et capitalisme ou, plus exactement, capitalisme financier. Mais lhistoire du 20e siècle nous a montré que les tentatives de création dun homme nouveau, que ce soit en Allemagne, en URSS ou en Chine, se sont terminées dans un bain de sang. Le libéralisme ou plutôt darwinisme économique du 19e siècle a conduit à la misère ouvrière, à des révoltes et à la crise de 1929. Les conquêtes religieuses des siècles précédents ont également été le prétexte des pires atrocités. Est-ce quaujourdhui, lappel à la raison a plus de chances dêtre entendu ? Ce nest pas certain. De nombreuses frustrations se traduisent par des violences : terrorisme islamiste, regain des nationalismes et notamment du nationalisme chinois, recul des régimes démocratiques, développement des communautarismes divers, etc. En France, la violence est aujourdhui essentiellement verbale avec notamment les Gilets jaunes ou les Anti-vax mais va plus loin dans les zones de non-droit que sont devenus certains quartiers. Ces mouvements expriment un refus de lautorité (les « élites », le « système », etc.), quil 175sagisse des institutions (police, école, etc.) ou de la science (refus de vaccination, etc.). Louvrage de François Gibert et Claude Simon ne traite pas de ces questions mais il conduit à se les poser.

Le grand mérite de cet ouvrage est aussi de prendre le risque de faire des propositions pour gérer la contrainte écologique, donc de prêter le flanc à la critique en ouvrant un débat politique qui doit être instruit, documenté, et admettre que ce changement ne se décrète pas mais se construit pas à pas, si possible démocratiquement.

1 Ainsi, depuis 2020, Michelle Bergadaa, Romain Laufer, Michel Marchesnay et, en janvier 2022, Alain Bienaymé, Yvon Pesqueux ; dautres sont annoncés…

2 Citons, dans son champ de spécialisation : lINTEC-CNAM, le jury du diplôme dexpertise comptable, lIAAER (International Association for Accounting Education & Research) ; plus largement pour les sciences de gestion : le CNU 06, le Ministère de lenseignement supérieur, lIFSAM (International Federation of Scholarly Associations of Management).

3 A. Burlaud & F. Bournois (Dir.), Lenseignement de la gestion en France – Identité, défis et enjeux, Caen EMS, 2021, 452 p (cf recension de cet ouvrage, par E. Walliser dans ENSO, 2021-2, no 10, p 183-189). À signaler également les « Grands auteurs du Management public », traité collectif auquel il a participé avec S. Chatelain-Ponroy, P. Gibert et M. Rival ; également publié par EMS en 2021.

4 Une trentaine dentre elles – échelonnées de 1979 à 2021 – sont référencées dans la bibliographie de louvrage (p 175-180)

5 Nous pensons notamment aux ouvrages parus dans la collection Monde sauvage chez Actes Sud dont une critique virulente a été faite par Frédéric Lordon dans son article Pleurnicher le vivant.

6 Avec en particulier le mouvement colibri représenté principalement par Cyril Dion depuis le décès de Pierre Rabhi.

7 Nous pensons ici à toute la littérature managériale traditionnelle intégrant le développement durable – au travers de la RSE – comme supplément dâme sans chercher la transformation des pratiques productives.

8 Notons que pour la promotion didées portées par un parti on parle de propagande, avec une connotation négative, alors que pour celle dun produit ou service on parle de publicité, terme beaucoup plus neutre.