Présentation
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2021 – 2, n° 10. varia - Auteurs : Laufer (Romain), Méric (Jérôme)
- Pages : 91 à 93
- Revue : Entreprise & Société
- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- EAN : 9782406126980
- ISBN : 978-2-406-12698-0
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12698-0.p.0091
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 19/01/2022
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
présentation
Romain Laufer
HEC
Jérôme Méric
CEREGE-IAE de Poitiers
Comme le Grand Angle de ce numéro d’Entreprise & Société le souligne, la force de Knight– s’il n’en devait être qu’une – est de penser l’incertitude et notre attitude à son égard comme ce qui rend l’institution pensable et désirable. Ce faisant il suggère l’impossibilité – du moins dans la durée – de situations d’équilibre. Nous faisons l’hypothèse que la seconde partie de Risk, Uncertainty and Profit (RUP) a été ignorée pour cela. C’est dans la crise que l’institution se pense, et RUP le montre, comme Knight le fait souvent, en creux.
Les réponses à l’appel à contribution pour ce dossier thématique singulier ont emprunté aux moins deux voies. L’une consistait à pleinement reconnaître l’idéaltype knightien de l’incertitude et lui rendre l’importance qu’elle mérite en cela qu’elle est à proprement parler prophétique à l’égard des développements de l’économie comportementale, du management, et des crises que nous connaissons hic et nunc. L’autre voie demeurait ancrée dans la tradition échafaudée par les disciples de Knight, tradition qui fait comme si la seconde partie de l’ouvrage de Knight sur l’incertitude n’avait jamais existé, ou encore la relit à l’aune de canons que la théorie économique à construites a posteriori dans l’ignorance totale de l’incertitude knightienne dans sa radicalité. Aux auteurs qui ont emprunté cette seconde voie, nous avons adressé une invitation à repartir du texte original et se débarrasser notamment 92du carcan utilitariste pour mieux apprécier la teneur de l’héritage que Knight nous lègue sans le malmener comme ses proches ont pu le faire.
Du processus de constitution de ce dossier émergent trois contributions – et d’autres à venir possiblement dans un numéro ultérieur – qui illustrent la richesse des approches que Risk, Uncertainty and Profit inspire. En pleine émergence de conceptions contractualistes (Coase) et utilitaristes (Von Neummann-Morgenstern, Savage) d’une économie qui se croit capable de rendre compte de tout type de décision sous la forme d’un calcul optimisateur, la force de Knight est aussi d’admettre que l’on ne sait pas, de reconnaître que l’on agit en fonction de savoirs partiels – ce que Knight appelle des opinions. Ce faisant, il légitime le jugement et l’intuition. Chacun, en contexte d’incertitude, fera le pari du raisonnable (pour cela il faut faire confiance à soi-même) en se disant que l’expérience confortera.
Le risque knightien est un idéaltype – tout comme l’incertitude – qui soit désigne des situations possiblement probabilisables, soit décrit une modalité de réduction d’une incertitude qui par nature ne l’est pas. Emmanuelle Dubocage prend à bras le corps ces heuristiques du « savoir trop tard » pour circonscrire les compétences d’un capital-risqueur, qui contrairement à sa dénomination ne vit pas au risque mais à l’incertain (Cantillon).
Jean-Luc Gaffard s’empare de la question de l’organisation en contexte incertain. C’est l’incertitude qui rend nécessaire le contrôle, et ce dernier n’a rien d’un calcul ou d’une optimisation, mais il s’assoit sur une expérience et une connaissance des processus (de la production dit Knight). La figure managériale et l’entreprise y puisent toute leur légitimité en cela qu’elles combinent une capacité à coaliser des acteurs, agencer des ressources, et mobiliser ou créer des connaissances propres à cette production.
Risk, Uncertainty and Profit dépasse, comme nous l’avons préalablement dit, la discipline économique pour fournir une théorie à teneur proprement anthropologique de l’institution. La seconde partie de l’ouvrage consacre de longues pages à ce qu’il convient de qualifier d’une théorie de la connaissance et de l’action. En examinant comment les acteurs apprennent et agissent dans les organisations en contexte d’incertitude, Knight dessine les traits d’une économie comportementale, annonçant ainsi les travaux de Simon, Cyert et March, Tversky et Kahneman. Stéphane Mottet s’attache à montrer comment cette filiation s’opère.
93Qu’elle éclaire un métier aujourd’hui en pleine expansion, qu’elle justifie autrement que par le mantra druckerien ou l’historicisme pseudo-hegelien de Chandler la fonction managériale, qu’elle interroge les prémisses de la rationalité limitée, la pensée complexe développée dans Risk, Uncertainty and Profit permet d’envisager le possible quand d’autres s’évertuent à imposer le nécessaire.