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Classiques Garnier

Préface

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Préface

Louvrage dAline Martinet est la version remaniée de sa thèse de doctorat en histoire contemporaine, soutenue sous ma direction à Nice, au mois de février 2020. Cest donc avec un véritable plaisir que jai accepté de rédiger ces quelques lignes de préface. Son projet de recherche avait débuté dès sa première année de Master. Ses qualités dhistorienne, sa force de travail et ses innombrables dépouillements darchives, lui ont permis de pouvoir mener ce projet ambitieux à son point daboutissement, concrétisé par cette publication.

Les études sur lenfermement ne sont pas si nombreuses et jouent un rôle important, tant sur le plan historique que sur celui de lactualité. La prison et ses maux sont toujours présents à lheure actuelle et toutes les réflexions sur ces questions interrogent également nos pratiques.

Dans le sillon notamment des travaux de Michelle Perrot, pour qui en 1975, la prison faisait partie du « grand nocturne des sociétés », lhistorienne Aline Martinet nous livre ici une fine analyse de lhistoire des prisons et des prisonniers des Alpes-Maritimes de 1792 à 1939, grâce à une étude méticuleuse, sappuyant sur une multitude de sources écrites françaises et italiennes, réparties aux Archives nationales, aux Archives départementales des Alpes-Maritimes, aux Archives municipales de Nice et de Grasse ou encore aux Archives dÉtat de Turin.

« Il ny a de petit pays ni de petit sujet car il suffit que lon aperçoive un fil abandonné qui traîne et que lon prenne en main pour que la totalité de lécheveau apparaisse brusquement », a écrit Albert Silbert, en 1966, dans Le Portugal méditerranéen à la fin de lAncien Régime xviiie-début xixe siècle. Cette remarque a conduit la démarche dAline Martinet, car si son étude porte sur lévolution du système des prisons et prisonniers dans une analyse comparative, puisque le cadre géographique correspond aux anciennes limites de lancien Comté de Nice et de larrondissement de Grasse, cest au final la société dans son ensemble, celle en « dehors des murs » et celle « enfermée », qui est analysée par lhistorienne.

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Loriginalité du travail dAline Martinet, repose sur une séquence historique relativement longue, allant de 1792 à 1939, une période durant laquelle la région niçoise est ballotée dans le concert des Nations. En effet, celle-ci est successivement administrée côté niçois, et selon les périodes, par lÉtat français, par le Royaume de Piémont-Sardaigne puis à nouveau par la France, ce qui pose le problème de la continuité de la détention face à lalternance politique.

Mme Aline Martinet, joue ainsi constamment avec ce jeu déchelles, des espaces et du temps. Cela permet dinclure des régimes et des souverainetés nationales différentes et de mesurer et comprendre la manière dont les cadres politiques infléchissent les conceptions, les réformes et les pratiques de lenfermement. Lhistorienne nous fait ainsi découvrir la construction du système pénitentiaire dans un cadre à la fois national, international et frontalier.

Aline Martinet nous entraîne ainsi, au fil des pages, dans lorganisation des lieux de détention. Ces derniers sont tous différents et ny a pas de modèle unique. Durant la moitié du xixe siècle, on assiste néanmoins à un développement des normes architecturales pour standardiser le modèle de la prison. Mais ce que donne à comprendre cette thématique repose sur le fait que les lieux façonnent la vie des hommes et que larchitecture carcérale est une problématique incontournable dans une étude sur lhistoire des prisons et des prisonniers.

Parmi les nombreux points forts de louvrage, figurent cette approche « par le bas », qui donne à comprendre la vie de ces hommes et de ces femmes « qui vivent enfermés » derrière les murs et les barreaux. Ils sont aussi bien prisonniers ou prisonnières que gardiens et gardiennes, et composent cette mini société des lieux de détention. Les forçats ne sont pas oubliés non plus dans louvrage, comme lillustre la chaîne des condamnés aux fers, arrivant de Turin ou de Gênes, en transfert au bagne de Toulon.

Dans louvrage, les exemples de vie de cette population, vivant à lombre de la société, foisonnent. Parmi eux se retrouvent évidemment les rapports, qui sont pluriels, entretenus entre les détenu(e)s et le personnel surveillant. Létude dAline Martinet, nous éclaire admirablement sur la vie « dans les murs » rythmée par la violence, les brimades et le vol, mais encore la sexualité avec des prisonnières qui se retrouvent enceintes ou avec le développement de pratiques homosexuelles. Lhistorienne analyse 13également les trafics en tous genres et parfois les plus improbables qui peuvent exister dans lenceinte de ces lieux denfermement à limage de la fabrication de fausse monnaie avec des os de seiche et de létain.

Lauteure livre également un éventail des formes de détention qui existent depuis le début de la période étudiée, durant laquelle certaines sont progressivement abandonnées, à limage du bagne lors des années 1850.

Dans un même registre, se situe la place primordiale des gardiennes et des gardiens. Un personnel nécessaire pour la gestion des locaux et lorganisation de la vie carcérale au sein des lieux demprisonnement. Progressivement, les gardiens et les gardiennes deviennent au cours de la période de véritables surveillants professionnalisés et dotés duniformes, de fusils et de sabres. La question du genre permet à lauteure de mettre en évidence limportance de traitement qui sinstaurent au gré des périodes entre surveillantes et surveillants.

Louvrage restitue avec précision le contexte, lambiance et le fonctionnement interne qui représentent lunivers pénitentiaire dans son ensemble. Dans les prisons du xixe siècle, la discipline préside au règlement. Elle y règne en maître et Aline Martinet, nous donne ainsi accès à un domaine encore mal connu, que constitue la punition au sein de la prison ou la bastonnade pour le bagne.

Elle démontre comment la peine de prison consiste à éprouver une sensation dinutilité de soi par le désœuvrement, lisolement, la fréquentation forcée avec dautres prisonniers, la nourriture imposée, réglementée, lhygiène rudimentaire, les problèmes liés à labsence de sexualité et dintimité. Le problème de la pauvreté en prison nest pas oublié. Aline Martinet analyse, non seulement les conditions de vie en prison, mais aussi les stratégies de survie et les résistances à cet univers.

Parmi les points forts de louvrage figurent notamment les études des lettres de détenus, les sollicitations, les demandes de grâces, etc., de même que certaines conditions denfermement, dont un éclairage est donné avec lusage de la paille, ou encore lanalyse « des barbets » et du « barberisme ». Lensemble de ces domaines représente indéniablement un apport incontestable des recherches dAline Martinet.

Cette vue « par le bas », met en lumière avant tout les individus, les hommes tout autant que les femmes. Lanalyse nous permet de suivre lévolution globale de cette population et de mesurer sil existe des 14constantes dans lenfermement carcéral. En fait, ce nest pas automatiquement labsence de travail qui conduit en prison mais la précarité qui est lié à celui-ci : le manque de stabilité professionnelle, les métiers peu qualifiés, facilement remplaçables et peu payés caractérisent une grande majorité des détenus. Lirresponsabilité est aussi un trait commun : le célibat, labsence de cadre familial structurant ou encore denfant, sont des éléments fragilisant.

Aline Martinet a fourni un travail dune qualité peu courante, qui a réussi à restituer une histoire « par le bas » à la fois politique, juridique, administrative, mais surtout humaine de lhistoire des lieux denfermement. Cest une plongée dans la vie quotidienne des prisons qui est souvent synonyme dentassement, disolement, de pauvreté, de précarité et dépidémies, malgré les préoccupations morales des autorités politiques et les prises de conscience de limportance de lhygiénisme.

La force de louvrage repose sur le regard neuf de lhistorienne qui se veut à la charnière entre histoires individuelles et histoires collectives. Son livre est le fruit dun riche travail, construit avec intelligence et révélant un immense investissement dans la diversité des approches. La démonstration est menée avec le nécessaire sens de la nuance, avec un souci constant du concret et avec finesse. Son étude constitue un réel apport historiographique.

Jean-Paul Pellegrinetti

Professeur Histoire contemporaine Université Côte dAzur Nice

Directeur du Centre
de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC UPR 1193)