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Classiques Garnier

Préface

  • Publication type: Article from a collective work
  • Collective work: Éloge du singulier. Lire la littérature de la Renaissance avec Ullrich Langer
  • Authors: Miernowski (Jan), Krause (Virginia)
  • Abstract: Lire la littérature de la Renaissance avec Ullrich Langer, c’est retrouver le plaisir de la singularité du sens. Singularité entendue non comme une exception bizarre, mais comme une sensation unique. Unique, mais paradoxalement capable d’être renouvelée et partagée, puisqu’il s’agit de la singularité de l’être humain et du langage. Les études du volume retrouvent donc la singularité du style herméneutique d’Ullrich Langer et en partagent le plaisir avec le lecteur.
  • Pages: 7 to 9
  • Collection: Encounters, n° 583
  • Series: Symposiums, seminars, and conferences on the European Renaissance, n° 122
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406148401
  • ISBN: 978-2-406-14840-1
  • ISSN: 2261-1851
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14840-1.p.0007
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 09-06-2023
  • Language: French
  • Keyword: Plaisir, singularité, Ullrich Langer, herméneutique, humain
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Préface

Cest ou bien la bicyclette ou le vélo. La bicyclette, cest une écharpe flottant sur lépaule. Le vélo, cest le bruissement de la chaîne qui glisse comme un vol dabeille. À vélo, on fonce, moulé dans une combinaison néospatiale. À bicyclette, on est flâneur de venelles, dégustateur du journal sur un banc. On est bicyclette ou vélo, mais pas les deux en même temps, dixit Delerm.

Ullrich Langer est une exception à cette règle. Il goûte les deux plaisirs à la fois.

Vélo, oui, certes, et combien ! Une carrière fulgurante, un Tour de la littérature prémoderne ponctué par les victoires détape qui ont fait lhistoire de lérudition universitaire : Divine and Poetic Freedom in the Renaissance : Nominalist Theology and Literature in France and Italy (1990) ; Perfect Friendship : Studies in Literature and Moral Philosophy from Boccaccio to Corneille (1994) ; Vertu du discours, discours de la vertu : littérature et philosophie morale au xvie siècle en France (1999) ; Penser les formes du plaisir littéraire à la Renaissance (2009) ; Lyric in the Renaissance : From Petrarch to Montaigne (2015), pour ne citer que les monographies les plus applaudies. Grimpeur chevronné, Ullrich Langer est monté sur le podium des « tre corone » de luniversité américaine : le American Council of Learned Societies Fellowship (1987-1988), le National Endowment for Humanities Fellowship for University Teachers (1992) et le John Simon Guggenheim Fellowship (1997). Un coureur, donc, qui laisse le peloton loin derrière.

Mais, cest le côté bicyclette dUllrich Langer qui nous intéresse dans ce volume inspiré par notre ami. Ce que nous voulons capter dans son style interprétatif, cest moins lenvol léger que la familiarité avec le sol. Cest le geste de poser le pied sur un endroit particulier du texte, de sentir la fermeté et les aspérités du terrain quest le langage. Cest le plaisir de retrouver le rythme de la respiration quest la lecture, le plaisir de remplir les poumons de la fraîcheur du sens, le plaisir de goûter à la singularité de lendroit et du moment où on lit, le plaisir de parcourir 8à partir de ce point dobservation lhorizon vaste des contextes historiques et culturels. Il y a un plaisir particulier à lire la littérature de la Renaissance avec Ullrich Langer. Nous vous proposons de savourer ce plaisir avec nous, comme la gorgée de bière, à chaque fois rafraîchissante, à chaque fois la première.

Lire avec Ullrich Langer, cest toujours sengager sur des pistes singulières. Fort curieusement, les endroits où il choisit de sarrêter peuvent souvent sembler anodins, voire insignifiants. Tels les déictiques quon ne voit presque pas sur la page : « ceci » et « cela » ; « ici » et « là »… Sous le regard attentif de notre ami, ces petits mots faussement évidents savèrent jouer un rôle tout à fait crucial : justement désigner un objet singulier. Or, pointer vers le singulier, cest hésiter au seuil du dicible de la rhétorique, cest basculer à la limite du pensable, puisque le singulier absolu échappe à toute emprise rationnelle. Cest ainsi que les petits mots qui ne servent quà désigner se révèlent investis de lyrisme sous le regard critique dUllrich Langer.

Ce lyrisme singulier nest point un régime dexception. Tout comme la vertu, qui porte aux sommets dexemplarité lexécution des attentes communes, de même le sentiment lyrique est un geste daccomplissement et non point de transgression. Le sonnet est bien du côté de la bicyclette, mais pour savourer pleinement les randonnées dans cette « petite » forme, il faut avoir le pied aussi léger que ferme de notre ami cycliste. Il faut avoir une endurance entraînée par les longues étapes à travers les volumineux traités moraux ainsi que les cols haut perchés des discours épidictiques et des dialogues délibératifs. Afin de goûter la singularité lyrique, il faut suivre Ullrich Langer dans les parcours ardus qui exigent un athlétisme intellectuel rarissime. Il faut voir comment il grimpe avec courage sur les sommets de la théologie nominaliste, où peu de compétiteurs osent même porter leur regard. Il faut admirer comment il mène le peloton des scrutateurs de léthique aristotélicienne. Il ny a là aucune bravade académique, car chez Ullrich Langer lérudition nest jamais une fin en elle-même, mais un patient entraînement de longue haleine qui montre comment les puissants systèmes de pensée traversent les paysages littéraires qui nous sont chers et donnent aux mots leur saveur singulière.

Ullrich Langer a consacré une de ses études les plus admirées à la parfaite amitié, parfaite et donc toujours singulière. Ce volume est 9un hommage à notre ami, un témoignage de notre admiration et une reconnaissance de lapport unique dUllrich Langer aux études de la littérature et de la culture prémodernes. Il est léloge du singulier en ce quil retrouve, à la suite de ce grand critique et érudit, la singularité de lêtre humain et du langage. Cette ambition semble particulièrement importante à notre époque où le sens est si souvent réduit à linformation et la conscience humaine à un degré de complexification mécanique. Or, aussi bien huilé que soit le cyclisme érudit dUllrich Langer, il nest jamais réductible au jeu dengrenages rodés. Plaçons-nous donc dans le sillage de notre aimable coureur, enfourchons nos bicyclettes herméneutiques pour une randonnée à travers la Renaissance. Retrouvons sur les pistes de lhumanisme les plaisirs singulièrement humains.

Jan Miernowski
et Virginia Krause