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Classiques Garnier

Présentation

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : ELFe XX-XXI
    2011, n° 1
    . L’aventure
  • Auteur : Gefen (Alexandre)
  • Pages : 207 à 208
  • Revue : ELFe XX-XXI
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812440885
  • ISBN : 978-2-8124-4088-5
  • ISSN : 2262-3450
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4088-5.p.0207
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/11/2011
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Présentation

La sidération de la classe intellectuelle française après l’attribution du prix Nobel de littérature à Jean-Marie Le Clézio, comme les récentes invitations enjoignant la littérature française à réintégrer le concert des nations et à renouer avec une littérature d’aventure au sens le plus large du terme1 en sortant de son autarcie et de son formalisme supposés, nous disent bien la place symbolique chargée du roman d’aventures dans les débats et les procès que les écrivains français se lancent régulièrement à eux-mêmes. Qualifié d’universel par Jean-Yves Tadié2, défini comme un genre simple par André Jolles ou Mikhaïl Bakhtine, en apparence unanimement respecté dans toutes les littératures étrangères et champion toutes catégories depuis Héliodore de la diffusion du livre, le genre conserve une place profondément incertaine et polémique dans notre tradition hexagonale, qui en use tour à tour comme d’un modèle et d’un repoussoir. De cette situation controversée, on trouvera preuve dans Le Petit Manuel du parfait aventurier de Pierre Mac Orlan, paru en 1920 à La Sirène, éditeur d’Apollinaire, Cocteau et Cendrars, bijou d’ironie faisant l’éloge paradoxal de l’écrivain de bibliothèque comme modèle de l’aventurier « passif » des temps modernes. Dans ce « manuel destiné aux adolescents et adolescentes », comme le présente narquoisement sa préface, Mac Orlan, traducteur de Stevenson et auteur d’À Bord de l’Étoile matutine comme de nombreux autres romans d’aventures à succès, tente de surmonter à coup de paradoxes, l’antinomie franco-française du littérateur et de l’explorateur, de l’art et de la vie, au bénéfice du lecteur, devenant romancier « à peu près conscient » et jouissant du roman d’aventures comme d’un exercice spirituel à la fois moderne et artiste. Cet anti-bréviaire proclamant à quel point « les livres d’aventures sont dangereux » dénonce avec pessimisme et la tristesse des tropiques

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et la position d’usurpateur de l’aventurier. Il semble promouvoir, d’une part, l’improbable complémentarité d’un écrivain qui se « nourrit de cadavres » mais qui donne sens in fine à l’expérience vécue, et, d’autre part, d’un pirate cultivé, devenir-monde de l’écrivain de salon, dont le modèle serait le héros du Chant de l’équipage, un « Don Quichotte marin3 », flibustier et lecteur de Marcel Schwob, héros de ce qu’Albert Thibaudet nomma généreusement l’un des « plus spirituels et savoureux romans d’aventures que je sache4 ». Partant, Mac Orlan rejoint dans une certaine mesure la défense du roman d’aventures que menait déjà Camille Mauclair en 18985 comme les options paradoxales de Jacques Rivière dans son célèbre essai de 1913 sur le genre, qui, dans une autre bataille à front renversé, tentait de défendre un roman où l’aventure serait « la forme de l’œuvre plutôt que sa matière ». Que cette intellectualisation définisse ou non un roman d’aventures à la française capable de surmonter la dissociation de l’aventurier en deux avatars contradictoires, le bref essai de Mac Orlan défend avec humour l’extension du champ esthétique à une littérature faussement mineure, riche d’« ouvrages qui, pour n’être pas l’œuvre d’écrivains de grande notoriété, n’en sont pas moins importants » comme le suggère malicieusement l’auteur, en se faisant à la fois le précurseur de notre réévaluation contemporaine de la paralittérature et de notre revalorisation moderne de la lecture comme exploration cognitive active d’un univers de fiction.

Alexandre Gefen

1 Voir par exemple l’essai de Tzvetan Todorov, La Littérature en péril, Flammarion, 2007.

2 J.-Y. Tadié, Le Roman d’aventures [1982], P.U.F., collection « Quadrige », 1996, p. 206.

3 Ibid., p. 194.

4 « Le roman de la destinée » in Réflexions sur la littérature, édition annotée par Antoine Compagnon et Christophe Pradeau, Gallimard, coll. « Quarto », 2007, p. 419.

5 Voir Michel Raimond, La Crise du roman, Corti, 1966, p. 47.