Résumés/Abstracts

Karl Sierek, « Esquisses pour une anthropologie négative du cinéma »

À partir de recherches de Binswanger sur les théories du rêve dans la philosophie présocratique et l’idée de Foucault de l’image comme appel, l’article trace l’horizon d’une anthropologie du cinéma, qui se définit comme institution de rituels communautaires de production et d’autoreprésentation d’une pratique contre ce que Ulrich Sonnemann a appellé « l’oubli de l’avenir ». L’étude caractérise l’objet de l’anthropologie du cinéma comme science de l’éclosion de qualités humaines et d’appareils humanoïdes.

Using Binswanger’s research on dream’s theories in the Pre-Socratic philosophy and Foucault’s propositions about the idea of image as dress and appeal, this work engages a reflection on an anthropology of cinema, défined as institution of rituals of production and self-representation of a practice that Ulrich Sonnenmann called “an oblivion of future”. The anthropology of cinema could be considered as a science of germination for human qualities and humanoids machines.

Martine Beugnet, « La mort en partage »

Un grand nombre d’articles et d’ouvrages étudient les aspects historiques, esthétiques, et éthiques de la mort au cinéma. Il s’agit donc d’interroger la proximité paradoxale entre invisibilité et sur-visibilité de la mort à l’écran, et la capacité du cinéma à recréer les conditions d’une expérience et d’une médiation collective de la mort ordinaire. Si la question de la médiation est peu abordée dans les études, elle est pourtant liée à une problématique au moins aussi rebattue que celle de la mort au cinéma.

There exists an extensive bibliography on the subject of death and the cinema, addressed from a historical, aesthetic as well as ethical point of view. The aim of the present chapter therefore is to interrogate the paradoxical proximity between the invisibility and hyper-visibility of death on screen on the one hand, and cinema’s capacity to recreate the conditions and experience of a collective mediation for “ordinary” death 210on the other. This issue of mediation is rarely explored, yet it relates to one of the great topoi of media studies today: that of the death of the cinema itself.

Jacques Aumont, « L’oubli au travail »

Le cinéma a toujours passé pour un enregistrement de la réalité, souvent comparé à une espèce de mémoire. L’article accentue au contraire la capacité d’oubli que possède l’enregistrement filmique, et qui se manifeste tant dans des modalités de l’image que du montage, tant dans le choix de certains thèmes fictionnels que dans un rapport plus large à la « mort au travail ». Parmi des exemples variés, est souligné le travail systématique en ce sens de Shohei Imamura dans ses documentaires des années 1960-1970.

Film has always been considered as a record of reality, often compared to a sort of me-mory. The thrust here is to focus attention on the potential of forgetfgulness that fil-mic recording possesses – a potential which manifests itself in some visual modali-ties, in some uses of editing, in the choice of certain fictional themes more generally, in a noted relationship of film to “death at work”. Among a variety of examples, a specific atten-tion has been devoted to the systematic work, in this direction, of Shohei Imamura in his documentaries of the 1960s and 70s.

Olivier Cheval, « La communauté interdite ou l’anthropologie négative de Tsai Ming-liang »

Les fictions de Tsai Ming-liang décrivent un réseau urbain contemporain qui maintient séparées les trajectoires impersonnelles d’individus n’ayant de relation qu’avec les objets, les éléments et les lieux. Mais les finals de ses films outrepassent cette solitude pour figurer l’union qui scellerait un retour dans la communauté humaine. Une figurativité de la séparation aboutit in fine à une figurabilité de la rencontre comme étant l’impossible : un miracle, une catastrophe ou un différé.

Tsai Ming-liang’s fictions describe a contemporary urban network which separates the impersonal trajectories of individuals who have relations only with objects, elements and places. But the finales of h0is movies exceed this loneliness to give a figure to the union which would set their return in the human community. A figurativity of the separation finally results in a figurability of meeting as impossible: as a miracle, a disaster or a postponed event.

Jean-Michel Durafour, « Cinéma, imprimerie, illisibilité. Une composition anthropologique »

Ça commence par Cortázar pour poser la question anthropologique des rapports entre cinéma et illisibilité à partir des réactions qu’une première réception du cinéma a pu engager entre le cinéma et l’imprimerie. Après un détour par la question du devenir du lisible dans l’image cinématographique, on revient sur la distinction entre visible et lisible en rappelant qu’il est toujours un présupposé du langage, et que le visible, l’indicible, le seulement visible, ne se situe pas en extériorité au langage mais dans le langage.

It begins with Cortázar and asks the anthropological question of the relationships between cinema and illegibility, starting from the reactions that a first reception of the cinema has engaged between cinema and prinery. After a detour through the question of the becoming of the readable in the cinematographic image, we come back to the distinction between visible and readable by reminding ourselves that it is always a presupposition of the language, and that the visible, the unspeakable, the solely visible, is not situated in exteriority to language but in language itself.

Christa Blümlinger, « Techniques, corps et recréations. La pensée anthropologique de Zoe Beloff »

À partir d’une installation multimédia de l’artiste Zoe Beloff, Le rêve infernal de Mutt and Jeff (2011), l’article analyse un mouvement épistémologique et esthétique, tournant autour des problèmes de l’animation comme acte fondamental de la machine-cinéma, et de l’image animée comme instrument de contrôle psychosocial du corps humain. Il s’agit d’une étude « des techniques culturelles et des techniques du corps » (Marcel Mauss). Les études de Beloff s’avèrent donc culturelles et visuelles, théoriques et artistiques.

Using the artist Zoe Beloff’s multimedia installation The infernal dream of Mutt and Jeff (2011) as a starting point, the contribution discusses its epistemological and aesthetic explorations, which focus on the problems of movement as a fundamental act of the cinema machine, and of the moving image as an instrument for the psychosocial control of the human body. Beloff’s studies reveal themselves cultural and visual, both theoretical and artistic.

Sarah Ohana, « Exaltation de la mémoire. Représentation, mythe et symptôme »

Voir défiler sa vie devant ses yeux au moment de sa mort est un mythe qui a bonne fortune dans l’imaginaire collectif, il semble ainsi naturel que ce phénomène soit repris dans l’économie fictionnelle du film (de Napoléon d’Abel Gance à Vanilla Sky de Cameron Crowe). Afin de trouver l’origine de cette image, il est important de la considérer avant tout comme un évènement réel, et ainsi vue sous cet angle, de l’aborder à titre de pathologie de la mémoire.

Life flashes before your eyes when you are about to die » is an old myth which has been fixed in the collective imaginary, it seems natural that this phenomenon occurs in films too (from Abel Gance’s Napoléon to Cameron Crowe’s Vanilla Sky). In order to find the origin of this image, it is important to consider it first and foremost as a real event, and thus seen from this angle, to approach it as a pathology of memory.

Maxime Scheinfeigel, « Acteur et personnage au cinéma. Du document à la fiction des corps »

Cet article s’intéresse à des êtres à la fois singuliers et pluriels : ceux et celles qui se trouvent devant des caméras, soit en tant qu’acteurs occasionnels (films documentaires), soit en tant qu’acteurs professionnels (films de fiction). Il interroge ce qui les distingue. Les premiers travaillent à leur transformation en personnages, sont conscients de l’image, de la figura que leur personne filmée va produire. Les seconds ne sont pas censés connaître ce processus qui, en principe, ne les concerne pas.

This article focuses on both singular and plural beings: those who are in front of cameras, either as casual actors (documentary films) or as professional actors (fiction films). The work questions what distinguishes them. The first work on their transformation into characters, are aware of the image, the figura that their filmed person will produce. The latter are not supposed to know this process, which in principle does not concern them.

Jean Paul Colleyn, « Quand le visible s’incarne. Nollywood et la crise de modernité »

Au tournant des années 1990, la scène cinématographique du Ghana et du Nigeria a connu une profonde transformation économique et esthétique qui a affecté les représentations, les imaginaires et les données symboliques 213qui gouvernent l’ordre social. Cette communication s’intéresse à la manière dont ce nouveau cinéma a modifié les rapports entre le visible et l’invisible qui fondent les rites et les croyances populaires et se demande si Nollywood est réellement à l’origine d’un nouveau type « type historique de regard ».

At the turn of the 1990s, the film scene in Ghana and Nigeria underwent a profound economic and aesthetic transformation that affected the representations, imaginations and symbolic data that govern the social order. This paper examines how this new cinema has changed the relationship between the visible and the invisible that underlies popular rituals and beliefs, and whether Nollywood is really at the origin of a new type of “historical type of gaze”.

Gilles Mouëllic, « Ombres et lumières. La visibilité de l’homme noir au cinéma »

Dans Invisible Man, son célèbre roman publié en 1952, Ralph Ellison décrit sur près de 600 pages la prise de conscience d’un homme noir de sa propre invisibilité dans un monde dominé par les Blancs. Les années cinquante sont aussi celles où le cinéma américain représente enfin la ségrégation comme un des problèmes majeurs d’une Amérique malade de son racisme. Ce texte examine comment s’est peu construite une visibilité de l’homme noir dans le cinéma mainstream américain depuis l’avènement du parlant.

In Invisible Man, his famous novel published in 1952, Ralph Ellison describes in about 600 pages the realization of a black man of his own invisibility in a world ruled by Whites. The fifties are also years when the American cinema represents, at last, segregation as one of the major issues of an America sick of its racism. This text wonders how was progressively built a visibility of the black man in the mainstream American cinema since the advent of talking pictures with.

Raymond Bellour, « Homo Animalis Kino »

Il n’existe dans l’univers du cinéma pas de thème anthropologique plus aigu que celui de la définition mutuelle et croisée entre l’homme et l’animal. C’est que le dispositif du cinéma s’y avère aussi par là à travers le corps de son spectateur. L’article le cerne à travers trois films très récents qui ont en commun un souci spécifique, propre aussi bien à l’inquiétude qu’aux virtualités du temps présent (Holy Motors de Carax, Leviathan de Castaing-Taylor et Paravel, Adieu au langage de Godard).

In the cinema world there is no anthropological theme more crucial than the reciprocal definition between the human being and the animal. The reason is that the cinematic dispositive is thus active through the body of its spectator. This work defines this relation through three recent films which have in common a specific care, related to the anxiety as well as to the virtualities of the present time (Holy Motors by Carax, Leviathan by Paravel and Castaing-Taylor, Adieu au langage by Godard).

Serge Cardinal, « Une écoute qui geste un monde. Quatre promenades avec des vachers du Sertão »

Dans le documentaire Aboio, de Marilia Rocha, des vachers chantent pour rassembler et guider les vaches. Leur chant aux accents mélancoliques est l’expression vocale d’un toucher audio-visuel qui surface les hommes et les animaux et, ce faisant, rend possible un contact entre eux. Et c’est ainsi que des vaqueiros du Sertão nous obligent à la pratique d’une anthropologie esthétique.

In Marilia Rocha’s Aboio, the melancholic tone of the cowboys singing has the power to gather and to guide the cattle. Their songs are the vocal expression of an audio-visual touch by which this documentary transforms men and animals into enfolded surfaces. In so doing, these vaqueiros of the Sertão lure us into an aesthetic anthropology.