Aller au contenu

Classiques Garnier

Sommaire

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Écrans
    2015 – 1, n° 3
    . Expanded Cinéma
  • Pages : 5 à 6
  • Revue : Écrans
  • Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN : 9782812450792
  • ISBN : 978-2-8124-5079-2
  • ISSN : 2491-2557
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-5079-2.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/10/2015
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
7



INTRODUCTION


Politique de l'expanded cinema
Luc Uancheri, Université Lumière Lyon 2

L'esthétique connaît depuis deux décennies au moins un réinvestissement politique né d'une solidarité conceptuelle qui fait de l'esthétique la scène polémique où s'enregistrent les transformations qui affectent nos manières de voir, de faire et de penser, et de la politique l'expression des écarts qui donnent forme aux divisions sensibles du corps social. Cette manière d'éclairer les scènes de l'art et de l'espace public est aujourd'hui largement associée au nom de Jacques Rancière et à une formule, le partage du sensible, qui a eu le succès que l'on sait dès le milieu des années 1990. Succès paradoxal, au demeurant, qui l'a amené à reconnaître que ce qui circule sous ce nom lui reste « relativement obscur n'. «  Il faut dire, ajoute Rancière, que je ne contrôle plus très bien les lectures, les interprétations, ni leurs effets, car je reçois tout le temps des lettres de gens qui organisent des biennales qui sont, disent- ils, conçues selon mon principe, ce pourquoi je dois venir. nz On sait que cette formule est intimement liée aux Dix thèses sur la politique, soutenues une première fois à l'Institut Gramsci de Bologne en 1996, avant qu'elles ne trouvent leur version défmitive dans l'édition remaniée et augmentée de Aux bords du politique parue en 1998. Ce que l'on sait moins ou que l'on a moins souligné, c'est que ces thèses ont été écrites en réaction à l'essai de Hannah Arendt, Qu'est-ce que la politique  ?, dont la traduction française paraît au Seuil en 1995. Que Jacques Rancière ait écrit contre Hannah Arendt ne l'a cependant pas empêché de reconnaître ce qti il partageait avec elle, fut-ce pour mieux s'en distinguer. C'est en 2003, dans un entretien avec Peter Hallward pour la revue AngelalQ, Journal of the Theoretical Humanities, que Rancière revient sur l'influence qti Hannah Arendt a exercé sur sa pensée de la politique  : «  La base d'accord c'est que
'Rancière, Jacques  : 2012  : La méthode de l'égalité, Paris, Bayard, p. 303. z Ibid., 303-304.
7
8 la politique est affaire d'apparence, une affaire de constitution de scènes communes et pas une affaire de gouvernements des intérêts communs.3 n. Leur désaccord, lui, naît de la lecture que Rancière fait des écrits d'Hannah Arendt sur l'émergence de la question sociale dans la compréhension des révolutions américaine et française. Quoi qu'il en soit des critiques adressées par Jacques Rancière au rôle qu'Hannah Arendt aura fait jouer à la pitié et à la compassion dans le développement des processus révolutionnaires -elles ne sont, au demeurant, guère étoffées -, on ne saurait oublier que la profonde originalité de sa pensée tient à ce qu'elle a réussi à repenser le domaine public comme « l'espace de l'apparence n où se règlent les rapports de la parole et de l'action, véritablement premiers par rapport à « toute constitution formelle du domaine public et des formes de gouvernements4 n. En d'autres termes, ce qti Hannah Arendt réussit comme nouage théorique - la possibilité d'associer les données sensibles, l'espace, le temps et les formes de visibilité qui accompagnent la constitution d'une scène commune à la définition de la politique -constitue un déplacement considérable de la question politique qui quitte son horizon anthropologique. N'oublions pas que Qu'est-ce que la politique  ? s'ouvre sur une critique du zôon politikon d'Aristote, assortie d'une défense de Hobbes, l' auteur du Léviathan. Hannah Arendt définit en somme ce que l'on pourrait appeler une condition théorique de la philosophie politique, dont Jacques Rancière a saisi toute la portée  : «  La politique est d'abord une intervention sur le visible et l'énonçables.n S'ouvrait ainsi la voie à une politique de l'esthétique, dont ce dernier a dégagé les justes conséquences pour l'art contemporains, la littérature' et le cinéma$.
Cette reconfiguration générale de la scène de l'art mérite d'être rapportée à la situation esthétique du cinéma, confronté depuis deux décennies au moins à un réinvestissement théorique au contact de pratiques artistiques et de discours sur l'image définitivement étrangers à la forme coutumière de son dispositif. Le nom de cinéma s'est ainsi émancipé de ses conditions historiques, au point d'être devenu le nom d'un embrayeur théorique spécifique du champ de l'art contemporain. L'ancienne notion d'expanded cinema, en définitive peu exploitée depuis
a Rancière, Jacques  :2009 : « Politique et esthétique » (2003), inEt tantpispourles gens fatigués, Paris, Editions Amsterdam, p. 340.
' Arendt, Hannah  :2012 : «  La condition de 1 homme moderne  » (1958), in L'humaine condition, Paris, Gallimard, p. 220.
s Rancière, Jacques  : 1998  : Aux bords du politique, Paris, La fabrique éditions, p. 177. s Rancière, Jacques  : 2004  : Malaise dans l'esthétique, Paris, Galilée.
'Rancière, Jacques  : 2007  : Politique de la littérature, Paris, Galilée.
$Rancière, Jacques  :2011 : Les écarts du cinéma, Paris, La Fabrique.
8