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Classiques Garnier

Introduction à la deuxième section

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Économie. Passé, présent, avenir
  • Pages : 991 à 993
  • Collection : Bibliothèque de l'économiste, n° 45
  • Série : 1, n° 23
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406128991
  • ISBN : 978-2-406-12899-1
  • ISSN : 2261-0979
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12899-1.p.0991
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 30/06/2022
  • Langue : Français
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Introduction
à la deuxième section

Que peut-on dire concernant lavenir sil nexiste pas darmoire des possibles ? Cette proposition dHenri Bergson est confirmée et précisée lorsquon considère, comme cest le cas dans cet ouvrage, que ce qui adviendra dans lavenir procède de décisions dagents-acteurs qui sont confrontés à lincertitude radicale et dont les pratiques sont gouvernées par la puissance de la multitude. La précision apportée est quelle sapplique à lavenir à long terme, celui pour lequel on ne peut sen remettre à la convention de continuité de Keynes pour lever lincertitude radicale. Notre question devient donc : que peut-on dire à propos de lavenir à long terme ? « Rien » nest pas la bonne réponse dès lors quun constat évident simpose : nous narrêtons pas de nous projeter dans lavenir et cela nest pas considéré comme le signe dune déraison. Et pour cause, « se projeter dans lavenir » nest pas « prévoir lavenir ». Ce dont on peut parler pour lavenir à long terme, cest de projets. Nous lavons vu, il y a peu, pour le projet néolibéral qui donne sens à la MRE. Mais, bien quil soit ancré dans le passé en raison de la vision sur laquelle il est fondé et quà ce titre ce soit une utopie réaliste, ce projet nest pas porteur dune issue « par le haut » à la crise du modèle de la Nation moderne, même quand on sen tient à son pôle « de gauche ». Force est de constater que lon ne peut inférer des propos tenus dans lespace public international lexistence de projets qui aient une telle ambition1.

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Pour penser des projets qui nous fassent sortir du modèle de la Nation moderne tout en étant des utopies réalistes, la vision de lhistoire de lhumanité en termes dune succession de mondes, qui a été présentée au début de la seconde partie, nous en donne une clé. En effet, la typologie en compréhension qui a été construite comprend deux mondes qui nont pas encore été actualisés. Ce sont des mondes virtuels (au sens de Bergson). Ils sont porteurs de formes de société humaine qui, en raison du caractère virtuel de leurs matrices respectives, ont le statut de projets de société. Nous allons voir quil y a de bonnes raisons de qualifier le premier de projet réformiste et le second de projet révolutionnaire2. Pour lun comme pour lautre, la société humaine visée relève encore de lespèce « société moderne » et elle est mondiale. Ce fond commun conduit à parler à leur sujet de seconde modernité. Celle-ci est tout à fait distincte de la première. En effet, la société humaine de première modernité est une Nation, cest à dire un modèle de groupement humain global qui a les deux caractéristiques suivantes : il norganise quune faction de lhumanité et, comme il procède dune dépersonnalisation de la souveraineté politique qui a pour conséquence son absence de territorialité a priori, cette absence en fait un modèle universel. Au contraire, la société humaine de seconde modernité, celle qui est visée par le projet réformiste comme celle qui lest par le projet révolutionnaire, comprend tous les humains. Viser lavènement dun modèle de seconde modernité est donc un projet pour lhumanité toute entière. Lactualisation de cette seconde modernité ne peut advenir que si des regroupements dhumains se constituent ici et là dans le monde, avec pour projet dagir collectivement en ce sens. Il vient dêtre dit que de tels regroupements, ainsi identifiés, nexistent pas au moment où ce livre est écrit. Certes les propos tenus sur « le monde daprès » quil conviendrait de construire ne manquent pas, mais, si on laisse de côté ceux qui se focalisent sur « le monde daprès la pandémie Covid 19 » en sattachant à ceux qui esquissent un « projet pour lavenir 993du monde » à long terme, aucun de ces derniers ne nous dit explicitement quil sagirait « du monde daprès la Nation moderne » et quil y aurait lieu de distinguer deux projets tout à fait distincts. Cest la raison pour laquelle ces projets-modèles sont présentés dans cette section sans se préoccuper de les rapporter à ces propos divers en mettant en évidence des proximités avec lun ou lautre. Quant à la transition entre létat présent du monde et celui qui est visé, il nen est question que dans le dernier chapitre.

Il est dabord fait état des points communs et des différences entre ces deux projets, le principal point commun étant que la société visée est mondiale et la principale différence, que la nation a encore sa place dans le projet réformiste tandis quelle a disparu dans le projet révolutionnaire. Parce quil conjugue continuité et rupture, il nest question ensuite que du premier. Deux chapitres traitent de la composante économique du modèle particulier visé par ce projet en focalisant lanalyse sur deux domaines, celui des mondes de production qui lui sont propres et celui des relations économiques internationales qui y sont conçues en termes de co-développement. Dans le dernier chapitre, le propos porte sur cette période dite de transition (celle qui est à même de déboucher sur un état du monde permettant de dire que le projet a été actualisé), en faisant état dun moment essentiel de cette transition – la constitution dune communauté de nations qui préfigure ce qui devrait advenir à léchelle mondiale – et de la direction que devrait prendre la construction européenne pour y participer, si ce nest en être le noyau, en offrant ainsi une issue à sa crise actuelle.

1 À sen tenir au cas français, les débats politiques, tels quils sont animés par les leaders des partis politiques, les journalistes et les intellectuels, portent quasi-exclusivement sur ce quil faut faire en France, si ce nest à léchelle européenne (UE ou zone Euro). En matière économique, le mondial nest présent dans les propos tenus, si tel est le cas, que par le point de vue de celui qui sexprime concernant le libre-échange et il sagit le plus souvent dun positionnement de principe en faveur de ce dernier ou en faveur du protectionnisme. En première analyse, le premier est celui des partisans de ladaptation à la MRE, cest-à-dire ceux qui sinscrivent plus ou moins explicitement dans le projet néolibéral. Quant au positionnement en faveur du protectionnisme, il est à la fois celui des défenseurs de la Nation (le recentrage sur la Nation, quitte à ce quelle soit européenne) et celui des altermondialistes (une « autre » mondialisation) dont on ne peut dire quils seraient porteurs dun projet précis à ce niveau. Ce constat est sidérant au regard de lanalyse développée dans la section précédente. Faut-il le mettre au compte du déni, de lautisme ou dune complexité du sujet ? Il nest pas interdit despérer que lurgence climatique va contribuer à changer la donne.

2 Les deux sont des modèles de transformation. Le premier ne consiste pas en une simple réforme du modèle de la Nation moderne. Il serait sans toute préférable de le qualifier de « réformiste-révolutionnaire ».