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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Théâtre complet. Tome III
  • Pages : 415 à 417
  • Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 83
  • Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
  • EAN : 9782406117803
  • ISBN : 978-2-406-11780-3
  • ISSN : 2261-575X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11780-3.p.0415
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 24/11/2021
  • Langue : Français
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PRÉFACE

Un soir du mois de décembre 1858,a nous dînions, Vivier1 et moi, chez M. de Girardin. Vivier, quib a été le premier corniste du monde en même temps quun des hommes les plus spirituels de Paris, se plaisait à certaines charges fort en vogue sous la Restauration, qui avaient illustré Romieu, James Rousseau, Nestor Roqueplan2, et dont il a été le plus ingénieux et le dernier exécutant.c Heureux temps que celui où les bourgeois navaient à redouter que les charges de quelques mystificateurs.

Vivier, qui vit toujours, sain de corps et desprit, en véritable philosophe, dans la retraite, au pays du soleil, à Nice, ad publié dernièrement, outre des Souvenirs sur Napoléon III, dans lintimité de qui il a vécu, des 416dialogues, des réflexions,e des phrases à la façon de M. Prudhomme3, qui dénotent lobservationf la plus fine et la plus originale4.

Le soir où nous étions réunis chez M. de Girardin, il nous raconta une des dernières farces quil avait faites, et comme il était question dune soirée prochaine où madame de Girardin désirait quon jouât la comédie, il fut convenu quaprès le dîner, nous essaierions, Vivier et moi, de tirer une pièce en un acte, aussi gaie que possible,g du récit quil venait de nous faire. À minuit, la pièce était écrite. Elle ne fut pas représentée chez madame de Girardin, qui ne la trouva pas assez distinguée. Il va sans dire que cette madame de Girardin5 nétait pas la première, lauteur du Chapeau dun Horloger6. Quelques jours après, Montigny vint me voir et je lui lus cette pochade. Il la prit pour une représentation auh bénéfice dun artiste. Vivier signa seul.

Un mariage dans un chapeau ne fut pas très bien accueilli le premier jour ; il eut ensuite une centaine de représentations. À la fin de la pièce, Ducoudrot qui doit épouser Aglaé refuse de prendre un chapeau quii ne lui appartient pas. Son futur beau-père sécrie : « Il est honnête, ma fille ne sera pas heureuse ». La censure crut devoir arrêter la pièce pendant plusieurs jours à cause du cynisme de cette réflexion7. Montigny 417eut beaucoup de peine à faire comprendre aux censeurs que ce nétait pas une théorie philosophique. Mon ambition secrètej avait toujours été décrire une véritable bouffonnerie dans le genre de lOurs et le Pacha, dukMaître décole ou du Chapeau de paille8. Il ny a pas de meilleure action que de faire rire les hommes, les honnêtes gens et même lesl autres, et de leur enlever des épaules, pendant quelques heures avant le sommeil, le fardeau de lexistence.m

Jenvoyai la brochure à Labiche9, en lui révélant la part que javais prise à cet ouvrage et en lui demandant si je devais donner suiten à cette première tentative. Il me conseilla den revenir à ce que javais fait jusqualors.o

Mars 1894.

1 Eugène Léon Vivier (1817-1900), natif dAjaccio, sétait retiré à Nice après une carrière de corniste au Théâtre-Italien qui lui avait valu dêtre reçu au château dEu par Louis-Philippe, avant dêtre admiré par Napoléon III ; il composait la musique et parfois les paroles de chansonnettes ; une biographie, assez romancée, de Charles Limouzin précise La Vie et les aventures dun corniste : 1817-1852, Paris, Marpon et Flammarion, 1900.

2 Alexandre Dumas père rapporte dans ses Mémoires lhumour et les facéties de François Auguste Romieu (1800-1855), haut fonctionnaire (préfet jusquen 1848, directeur des Beaux-Arts sous Napoléon III), auteur de théâtre (notamment Le Bureau de la loterie, comédie-vaudeville en 1 acte [Gymnase, 16 septembre 1823], Paris, Barba, 1823, avec Édouard Joseph Ennemond Mazères), mais aussi de Proverbes romantiques, Paris, Ladvocat, 1827, et de manuels de civilité (Code des gens honnêtes ou lArt de ne pas être dupe des fripons, Paris, Barba, 1825 ; Code de la conversation, manuel complet du langage élégant et poli, contenant les lois, règles, applications et exemples de lart de se présenter et de se conduire dans le monde, Paris, Roret, 1827 ; Code gourmand, manuel complet de gastronomie, Paris, Dupont, 1827, ces deux derniers en collaboration avec Horace Napoléon Raisson) ; James Rousseau (1797-1849), auteur de physiologies (notamment La Physiologie du viveur, 1841), avait collaboré à La Chasse et lamour, vaudeville en 1 acte [Ambigu-Comique, 22 septembre 1825], Paris, Duvernois et Sétier, 1825, en collaboration avec Alexandre Dumas père et Adolphe Leuven ; Victor Louis Nestor Roqueplan (1805-1870), journaliste, homme de théâtre et directeur du Panthéon, des Nouveautés, des Variétés, de lOpéra, de lOpéra-Comique et du Châtelet, où il laissa toujours beaucoup de dettes mais fit entrer de nombreux talents, était connu pour ses tenues de dandy et ses mots desprit au café Riche ou au café de Paris.

3 Le fameux bourgeois caricatural créé par Henry Monnier, monsieur Prudhomme, apparu dans ses Scènes populaires dessinées à la plume, Paris Levavasseur, 1830, puis dans la comédie en 5 actes de Gustave Vaëz et Henry Monnier, Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme[Odéon, 23 novembre 1852], Paris Michel lévy, 1852, et encore plus récemment dans deux volumes de dessins, Mémoires de Monsieur Joseph Prudhomme, Paris, Librairie nouvelle, 1857.

4 Vivier était en effet lauteur de plusieurs brochures de maximes sur la vie quotidienne : Très peu de ce quon entend tous les jours, Paris, Impr. de Motteroz, 1879 ; Petites Comédies de la vie, Paris, Librairie illustrée, 1888 ; Suite à Petites Comédies de la vie, 1889 ; Bataille de phrases : sous les rubriques du Figaro, entendues et recueillies par M. E. Vivier, Nice, Impr. de J. Ventre, 1889 ; Petite Débauche de réflexions, ibid., 1890 ; Petits Monologues en chambre, ibid.,1892 ; Un peu de ce qui se dit tous les jours, ibid., 1892 ; Un Dernier Stock de phrases en circulation, ibid., 1893.

5 Il sagit en effet de Wilhelmina Josephina Rudolphina dite « Mina » Brunold (1834-1891), fille du prince Frédéric de Nassau, titrée en 1844 comtesse de Tiefenbach, épousée en secondes noces (Delphine Gay était morte le 29 juin 1855) par Émile de Girardin le 31 octobre 1856, dont il se sépara en 1872, après le décès de leur fille (1859-1865).

6 Delphine de Girardin (1804-1855), Le Chapeau dun horloger, comédie en 1 acte [Gymnase, 16 décembre 1854], Paris, Michel Lévy, 1855, que Dumas fils ne cite pas au hasard car son intrigue, tout aussi mince mais mieux traitée, présente aussi, sur fond de domesticité maladroite, un chapeau dont on cherche qui la laissé traîner ; mais là sarrête la parenté car lobjet risque plutôt de séparer le couple uni des époux Gonzalès.

7 Voir le rapport de censure aux Archives nationales, 29 janvier 1859, F21/989 (car classé dans le théâtre des Folies-Dramatiques quoique joué au Gymnase).

8 L Ours et le pacha, folie-vaudeville en 1 acte, dEugène Scribe et Xavier [Saintine][Variétés, 10 février 1820], Paris, Mme Huet, 1820 ; Le Maître décole, vaudeville en 1 acte, de Joseph Lockroy et Anicet-Bourgeois [Palais-Royal, 20 mars 1841], Paris, Henriot, 1841 ; Le Chapeau de paille dItalie dEugène Labiche et Marc-Michel [Montansier (ex-Palais-Royal), 14 août 1851], Paris, Michel Lévy, s. d. [1851].

9 Dans les années 1860, Eugène Labiche (1815-1888) était au faîte de sa carrière après Le Chapeau de paille dItalie (1851) et sa présentation à lempereur en 1858 ; Le Voyage de M. Perrichon (1860), La Poudre aux yeux (1861), La Station Champbaudet (1862) et La Cagnotte (1864) confirment dans lesprit du préfacier en 1894 la mention de son recours à cette autorité du théâtre comique.