Avant-propos
- Prix Jeune Chercheur (Humanités) de la ville de Lyon, 2010
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Dramaturgies de la crise (xxe-xxie siècles)
- Pages : 9 à 10
- Collection : Études sur le théâtre et les arts de la scène, n° 8
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406065456
- ISBN : 978-2-406-06545-6
- ISSN : 2275-2978
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06545-6.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/09/2017
- Langue : Français
Avant-propos
D’un retournement l’autre : tel est le titre de l’audacieuse « comédie sérieuse en quatre actes et en alexandrins » que l’économiste Frédéric Lordon a consacrée au printemps 2011 à la crise financière qui ébranle encore l’Europe1. Et la presse de s’étonner et de s’enthousiasmer de la capacité du théâtre à se saisir de cette actualité-là2 également convoquée, au même moment, dans d’autres œuvres3. C’est oublier que tout au long du xxe siècle, la crise a constitué une thématique majeure pour des dramaturges se plaisant à jouer de la polysémie de ce concept, désignant dans de multiples domaines disciplinaires une « phase grave dans l’évolution d’une situation4 ». Crise médicale, crise économique, crise sociale, crise politique, etc. sont omniprésentes dans les dramaturgies modernes et contemporaines. Au xxe siècle, siècle de crises s’il en est, siècle en tout cas où cette notion est devenue l’un des modes privilégiés d’appréhension du monde5, la crise s’impose comme un enjeu thématique majeur pour les auteurs de théâtre impliquant tant l’individu que le collectif, tant l’intime que le politique.
Faisant grand cas de la capacité du théâtre à mettre en scène la crise, on aurait tort d’oublier que cette notion n’est pas réservée au seul champ politique, intervenant également dans le champ poétique. Dès la fin du xviiie siècle et le début du xixe siècle, se fait en effet jour, dans les traités 10d’esthétique théâtrale, une interprétation des tragédies de Corneille et Racine notamment comme crise, interprétation réinvestie et développée au xxe siècle par de nombreux théoriciens du théâtre – Étienne Souriau6, entre autres. Aussi, il convient dans cet ouvrage7 de faire retour sur cette notion poétique de crise – qu’à l’inverse de Barthes, on ne croit pas « illusoire8 ». C’est qu’articulant irrémédiablement poétique et politique, le théâtre et le monde, cette notion pourrait nous permettre de penser de manière inédite les œuvres qui se sont écrites au xxe siècle et celles qui s’écrivent encore aujourd’hui – de penser finalement comment le théâtre moderne et contemporain pense le monde.
1 F. Lordon, D’un retournement l’autre – Comédie sérieuse sur la crise financière en quatre actes et en alexandrins, Paris, Éditions du Seuil, 2011. Sur cette pièce, cf. infra, p. 142-146.
2 V. Rémy, « L’École des infâmes », in Télérama, no 3199, 4 mai 2011, p. 12. Pour une approche approfondie de cette question, cf. La crise, comment la raconter ?, sous la direction de A. Béja, Esprit, 2012.
3 Cf. entre autres D. Hare, The power of yes : a dramatist seeks to understand the financial crisis, London, Faber & Faber, 2009.
4 Le Nouveau Petit Robert – Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, sous la direction de J. Rey-Debove et A. Rey, Paris, Le Robert, 2009.
5 « Nous […] pensons sous le surplomb de la crise », note M. Revault d’Allonnes dans La Crise sans fin – Essai sur l’expérience moderne du temps, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La Couleur des idées », 2012, p. 112.
6 E. Souriau, Les Deux Cent Mille Situations Dramatiques, Paris, Flammarion, 1950.
7 Cet essai est issu d’une thèse profondément remaniée en vue de sa publication, Poétiques de la crise dans les dramaturgies européennes des xxe et xxie siècles. Dirigée par J.-L. Rivière (E.N.S. de Lyon), soutenue en 2009 à l’Université Lumière – Lyon 2, cette thèse a été distinguée en 2010 par l’attribution à son auteur du Prix Jeune Chercheur en Humanités et sciences humaines de la Ville de Lyon.
8 R. Barthes, Sur Racine (1960), Paris, Seuil, coll. « Points / Essais », 2002, p. 58.