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Classiques Garnier

Copeau, Camus, Lupa, Castorf, Macaigne : points de capiton de la pratique de l’adaptation des romans de Dostoïevski à la scène

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Copeau, Camus, Lupa, Castorf,
Macaigne : points de capiton
de la pratique de ladaptation
des romans de Dostoïevski
à la scène

Après avoir avancé et articulé entre eux de multiples paramètres contextuels pouvant expliquer lintensité des relations que le théâtre entretient avec les œuvres de Dostoïevski de la fin du xixe siècle à nos jours, je souhaite, dans les deux autres parties de cet ouvrage, revenir à certaines adaptations qui me paraissent pouvoir approfondir notre réflexion sur la question qui moccupe. Loccasion sest quelques fois présentée, dans le cours de lhistoire que jai écrite, de faire quelques remarques sur la forme quont pu prendre lune ou lautre adaptation, ou sur leur réception critique. Au moment de revenir sur cinq dentre elles qui tiennent une place déterminante dans lhistoire des adaptations des romans de Dostoïevski à la scène – celles de Jacques Copeau, dAlbert Camus, de Krystian Lupa, de Frank Castorf et de Vincent Macaigne –, mon approche, déterminée par la mise en perspective historique, sera désormais dramaturgique. Dans la continuité des chapitres précédents, létude de la genèse de ces adaptations permettra dapprocher de plus près les motifs dattirance des metteurs en scène pour les romans de Dostoïevski. Lanalyse des rapports que leurs adaptations entretiennent avec les romans dont elles sinspirent et des différents processus de création dont elles sont issues devrait en outre révéler les difficultés auxquels ces metteurs en scène se confrontent et les questions que soulève leur entreprise, et ainsi laisser entrevoir quelles ambitions pour le théâtre renferme leur projet.

Mon corpus se distingue par son hétérogénéité. Il comprend un spectacle de 1911, appartenant à la première période de lhistoire des 244adaptations de Dostoïevski telle que je lai structurée, un spectacle de 1959, à la charnière de la première et de la deuxième période, et trois contemporains, créés ou recréés entre 1990 et 2014 dans différents pays dEurope. Pour mener au mieux leur étude, il me semble pertinent denvisager ladaptation de Camus dans la continuité de celle de Copeau dans ma deuxième partie, le premier sinscrivant lui-même dans le sillage du second malgré les aspirations différentes quil exprime pour le théâtre à partir de Dostoïevski. Celles de Lupa, Castorf et Macaigne seront en revanche analysées de manière non plus chronologique mais transversale dans la dernière partie de cet ouvrage, à partir de problématiques qui me paraissent communes.

Cette bipartition, en plus de rester attentive à lévolution de lart théâtral et à celle de la lecture des œuvres de Dostoïevski tout au long du xxe siècle, permet de mettre en valeur la mutation plus radicale encore de la pratique de ladaptation. Avant même dentrer dans le détail de chacune des œuvres de mon corpus, les pages qui précèdent font en effet apparaître que jusque dans les années 1970-1980, les romans de Dostoïevski sont adaptés, transformés en pièces de théâtre ensuite mises en scène, alors quà partir des années 1990, les metteurs en scène se passent pour la majorité de létape de réécriture à la table et mettent plus directement le roman à lépreuve de la scène – façon de procéder qui rend lopération dadaptation plus difficile à déchiffrer1. Lidentification et la distinction de ces deux façons de faire du théâtre avec les œuvres de Dostoïevski, que les titres des parties deux et trois de cet ouvrage cherchent à mettre en évidence, me semblent capables de saisir la plupart des enjeux quune adaptation de Dostoïevski soulève, dans la première moitié du xxe siècle et au tournant des xxe et xxie siècles.

1 Témoigne de cette évolution le fait que les textes des adaptations les plus récentes de Dostoïevski, françaises comme étrangères, ne font pas lobjet de publications autonomes, alors que ceux de la première moitié du xxe siècle, dans la continuité de la pratique du xixe siècle, ont pour la majeure partie été publiés peu après leur création – publications permettant notamment que ladaptation soit ensuite montée par dautres metteurs en scène. Une exception doit cependant être signalée pour la période contemporaine, ladaptation de Zéno Bianu, LIdiot, dernière nuit, créée par Balazs Gera en novembre 1999. La nuance est néanmoins que la publication du texte chez Actes Sud ne survient pas après la création du spectacle, mais la précède au contraire de quelques mois.