Præfatio / Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Dissertatio de carmine pastorali / Dissertation sur le poème pastoral
- Pages : 50 à 53
- Collection : Bibliothèque du xviie siècle, n° 18
- Série : Discours critique, n° 1
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- EAN : 9782812429514
- ISBN : 978-2-8124-2951-4
- ISSN : 2258-0158
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-2951-4.p.0050
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/08/2014
- Langue : Français
Præfatio
[83] De poetica præcipere velle, de qua, nostra et superiori ætate, tam multa præcepta sint, ut operæ parum utilis esset, et nimis otiosæ ; sic de ea poeticæ parte tractare1, de qua nihil hactenus præceptum sit, poterit esse nec inutile, nec injucundum. Cum enim pastorale carmen per sese delicatissimum, vetustissimumque sit, habebit ejus tractatio, quod et non displiceat eruditis, qui id temporis aliqui sunt, et quod amœnitate sua curiosis satisfaciat, qui sunt bene multi : Non potest enim dici, quanta sit nunc apud homines nostros eorum multitudo, qui sese [84] dedant litteris amœnioribus : sic ut in hac civitate, quæ semper omnis urbanitatis parens jure existimata est, nemo sit liberalis et honestus, quem non artium ingenuarum amor ceperit. Quod cum reputarem apud me, venit in mentem mirari, in tanta, quæ nunc est amœniorum studiorum curiositate (nam hodie multo magis quam olim « studiorum amœnitates quærimus2 »), qui de hoc carmine diligenter et accurate præceperit, fuisse neminem.
Videbam cæteras politiorum Musarum partes hominum nostrorum studio, et opera florentissimas, scænam poetarum arte celebratam, in reliquis poeticæ partibus cum laude laboratum ; mirabar hanc unam relictam a nostris, ac pæne desertam. Opinor, quod ut observatum a Fabio Institutionum oratoriarum libro primo proæmio « nullam ingenii sperantes gratiam, circa res procul ab ostentatione positas3 », earum simus multo neglegentiores. Nam ut omittam reliquas artes, quis nostra
[83] Préface
Quand bien même la volonté de recommander des préceptes sur l’art poétique, sur lequel, à notre époque et à la précédente, on en a formulé de si nombreux, relèverait d’une activité trop peu utile et excessivement oiseuse, peut-être, du moins, pourra-t-il n’être ni inutile ni désagréable de traiter de cette partie de l’art, sur laquelle jusqu’ici on n’a formulé aucun précepte. Le poème pastoral étant en effet en lui-même très raffiné et très ancien, en traiter aura tout à la fois de quoi ne pas déplaire aux savants, qui sont considérables de nos jours, et de quoi satisfaire par son charme les amateurs, qui sont bien nombreux : car on ne saurait dénombrer la multitude de ceux, chez nos contemporains, qui [84] s’adonnent à la littérature galante au point que, dans notre cité, que l’on a toujours estimée à bon droit mère d’élégance, personne n’est noble ni honnête s’il n’est épris des arts libéraux. Tandis que j’y faisais réflexion, j’en suis venu à m’étonner de ce que, parmi cet engouement que l’on voit actuellement pour ces études galantes – car aujourd’hui, bien plus qu’hier « nous cherchons les agréments de l’étude » –, il n’y eût personne pour recommander sur ce genre de poésie des préceptes exacts et précis.
Je voyais tous les autres domaines des Muses élégantes fleurir, grâce à l’empressement et aux soins de nos contemporains, la scène illustrée par le talent des poètes, dans les autres domaines poétiques un travail louable ; mais je m’étonnais de ce que celui-ci seul fût laissé de côté par les nôtres et presque abandonné. À mon avis, comme l’observe Quintilien dans la préface du livre I des Institutions oratoires, « N’espérant aucune reconnaissance pour [notre] génie à propos de sujets éloignés de ce qui se voit », nous les avons beaucoup trop négligées. Car, si je laisse de côté les autres arts, qui, à notre époque – si du moins il voulait être tenu pour honnête et talentueux – ne serait pas poète ou n’aimerait-il pas le paraître ? La divine force de la poésie a enflammé les connaisseurs et les profanes au point que, dans un enthousiasme si grand et si partagé,
ætate, si modo honestus, ingeniosusque haberi velit, vel non sit poeta, vel non videri amet ? Peritos juxta et imperitos inflammavit poeticæ divina vis, adeo ut in tanta tamque communi animorum inflammatione quidam quasi furor sit, non esse poetam. Parum etiam fuit ut omnia carminibus personarent ; quod in poetica summum est, affectavimus, quodque vix [85] semel et iterum bene cessit omni retro antiquitati, tentavit jam sæpius ætas nostra, ut carminis epici majestatem sustineret. Non hic sæculi fiduciam accusabo, loquantur magna, quibus os magnum est, et tantum scribat unusquisque, quantum in scribendo valet. Ipse, dum tubam heroicam tractant tam multi, referam me ad agrestium calamorum gracilitatem, si modestus sim : nam mihi, ut Theocriteo pastori, debet esse satis canere ad fistulam,
᾽Αρκεῖ μοι καλάμος αὐλὸν ποππύσδεν ἔχοντι4.
Ut autem parum laudis afferat rei tractatio ita levis, tamen de litterarum dignitate merebor fortasse aliquid, si hoc elegantioris litteraturæ quasi instrumento musarum cultum locupletaverim, fecerimque communi litterarum bono, ne vel illa quidem pars eruditionis omnium forte tenuissima negligatur. Quod, opinor, ero consecutus, postquam, quæ dignitas hujus carminis, tum quæ materia et forma ; mox quæ sit ars illius ac disciplina, postremo quas habeat difficultates exposuero : quæ quattuor partes sunt, quibus continebitur omnis a me suscepta de carmine pastorali disputatio.
c’est pour ainsi dire une folie que de n’être pas poète. De même, il n’a pas suffi que tout retentît dans des poèmes. Nous avons cherché à atteindre le sommet dans la création poétique, et, ce qui a réussi à peine [85] une fois ou deux à l’Antiquité entièrement révolue, notre époque l’a déjà tenté assez souvent, au point de soutenir la majesté du poème épique5. Je n’accuserai pas ici la hardiesse de ce siècle ; qu’ils disent de grandes choses, ceux dont la bouche est grande, et que chacun écrive à la mesure de ses forces d’écrivain. Pour ma part, pendant que de si nombreux poètes font retentir la trompette héroïque, je m’adonnerais à la finesse des chalumeaux champêtres, si j’étais modeste : car pour moi, comme pour le berger de Théocrite, il devrait suffire de chanter au son de la flûte,
Il me suffit de siffloter dans un pipeau de paille.
Quand bien même le traitement d’un sujet si léger procurerait trop peu d’éloge, peut-être aurai-je rendu quelque service à la dignité des lettres si j’ai enrichi le culte des Muses grâce à cet instrument, pour ainsi dire, d’une littérature assez élégante et si j’ai fait pour le bien commun des lettres en sorte que cette part même de culture, qui est peut-être la plus délicate de toutes, ne soit pas négligée. J’y serai parvenu, à mon avis, quand j’aurai exposé la dignité de ce poème, puis son contenu et sa forme, ensuite sa technique et sa méthode, enfin ses difficultés. Ces quatre parties contiendront toute la réflexion que j’ai entreprise sur le poème pastoral.
1 Marginalia : « A Julio Scaligero, Minturno, Vossio, et aliis tractatum de hoc carmine leviter, nihil accurate præceptum » : « Julius Scaliger, Minturno, Vossius et d’autres ont traité de cette poésie superficiellement, ils n’ont rien prescrit de précis. »
2 Marginalia : « Plinii Præfatio Ad Vespasianum ». Pline l’Ancien, Histoire naturelle, préface adressée à Vespasien, 14.
3 Quintilien, Institution oratoire, livre I, Préface, 4.
4 Adaptation de Théocrite, Idylles, 5, 7.
5 Sur la profusion des poèmes épiques tentés par les poètes modernes, voir René Rapin, Les Réflexions sur la poétique et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes, (1684), Paris, Champion « Classiques », 2011, II, 16.