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Classiques Garnier

Préface

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PRÉFACE


L'ouvrage que voici reprend la substance de la thèse soutenue avec succès par Jean-Michel Ribera en 2004 à l'Université de Toulouse-Le Mirail — aboutisse- ment d'une recherche s'inscrivant dans le renouveau historiographique que connais l'histoire des relations internationales des Temps modernes. Le projet qu'il a ainsi su mener à bien s'inscrit dans le courant qui aredonné àcelle-ci ses lettres de noblesse, inspiré particulièrement par le souci d'élaborer une histoire européenne débarrassée des ceillères des préjugés séculaires et cherchant à jeter des ponts entre les différentes écoles historiques nationales qui se sont formées à partir du Xlx` siècle. Une histoire soucieuse de se dégager des prismes nationaux, voire nationalistes, inscrits en filigrane dans une partie importante de l'histoire diplomatique en faveur jusqu'il y a moins d'un siècle ; et attentive moins à l'enchaînement des péripéties qu'à la dynamique des situations et des rapports de force, comme à la signification des temps forts qui voient se cristalliser les représentations réciproques des deux puissances à une période décisive. De ce point de vue, le cas des relations entre les deux monarchies qui se disputent l'hégémonie européenne, la France du Roi Très Chrétien et l'Espagne du Roi Catholique, qui domine le destin du continent du début du XVI` siècle à la fm du XVII`, revêt une place centrale. Le long règne de Philippe II constitue à l'évidence un temps fort de cette rivalité séculaire renonçant à prolonger l'empire polycentré édifié par Charles Quint, le Roi Prudent consacre ses forces à structurer une monarchie hispanique dont le centre s'ancre en Espagne et que l'élection d'une capitale fixe, Madrid, dote d'un centre de pouvoir incontesté. Simultanément la monarchie française, ébranlée par le déclenchement des guerres de Religion, connais une longue période d'instabilité du pouvoir royal, qui atteint son paroxysme avec la crise dynastique ouverte en 1589 par l'assassinat d'Henri III. L'immensité de la littérature que ce règne a suscitée exigeait d'abord un vaste inventaire historiographique des multiples travaux qui lui ont été consacrés en diverses langues ; Jean-Michel Ribera s'y est livré avec discernement avant de frayer sa propre voie, de même qu'il a su tirer profit tant des importantes publications de sources que nous devons aux érudits du X]X` siècle que des fonds d'archives qu' il a consultés en Espagne et en France.
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En ce XVI` siècle qui vit «l'invention de la diplomatie », la place et le rôle joué paz les acteurs de premier plan des relations internationales que sont les ambassadeurs appelaient un examen global, qui n'avait curieusement pas été tenté jusqu'ici. Or les- implications de cette innovation méritent d'autant plus l'attention dans ce cas qu'entre l'Espagne et la France les rapports diplomatiques sont restés longtemps précaires, voire chaotiques. Les guerres d'Italie, prolongées paz l'enchaînement des conflits opposant Chazles Quint et François I", puis Henri II, sans compter les déplacements sans nombre de l'empereur, avaient compromis l'établissement de relations diplomatiques stables. II faut attendre la paix du Cateau-Cambrésis pour que s'ouvre une phase nouvelle, longue de trente ans, durant laquelle les deux monazchies se disent en paix, au moins de façade. Cette période leur permet pour la première fois de faire l'expérience, difficile, de la médiation diplomatique afin de prévenir ou de régler leurs conflits, dont les ambassadeurs permanents sont les principaux artisans. Ainsi l'auteur s'est-il proposé de mettre en pleine lumière l'action des cinq hommes qui, dans des circonstances mouvantes, ont tour à tour été à Madrid les représentants du roi de France auprès de Philippe II.
Paz une approche progressive, menée d'une main sGre, l'auteur introduit son lecteur aux azcanes de ce théâtre de la diplomatie de la Renaissance, où les ombres l'emportent sur les lumières. La première partie brosse un panorama suggestif de la scène et des règles du jeu diplomatique qui se met alors en place dans les principales puissances européennes, suivant l'exemple des nouvelles pratiques expérimentées dès le XV` siècle par les républiques et les principautés italiennes. Les principaux jalons sont évoqués en référence aux études qui leur ont été consacrées, y compris les plus récentes, comme l'émergence du droit international, la mission de renseignement impartie paz la république de Venise à ses ambassadeurs permanents, l'adoption successive de tels usages par les principaux souverains. L'exemple vénitien, d'abord suivi paz l'Espagne des Rois catholiques, ne tarde pas à être imité dans des cas précis par François I" à son retour d'Italie (le premier représentant de la France est envoyé à Venise en 1517), comme par la Papauté, la Chancellerie impériale, puis l'Angleterre. Sans renoncer aux ambassades «extraordinaires », les souverains mettent en place un réseau d'ambassadeurs de plus en plus serré. Cependant l'établissement de telles relations diplomatiques avec l'Espagne se trouve perturbé durant l'interminable « rivalité »qui oppose Chazles Quint à François I", non seulement durant les périodes répétées de guerre, mais même dans les intermèdes de paix appazente le roi de France place alors ses résidents auprès de la diplomatie impériale à Vienne et à Bruxelles, et non en Espagne.
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Aussi l'envoi par Henri II de Sébastien de l'Aubespine auprès de Philippe II, alors aux Pays-Bas, ouvre-t-il un mode de relations entièrement nouveau. Cette première figure de la galerie des portraits qui nous est présentée offre des traits révélateurs :tout évêque de Limoges qu'il fût, ce qui ne pouvait déplaire au roi catholique, cet homme d'Église n'était pas un débutant en matière de diplomatie. Après avoir négocié l'alliance des cantons suisses, garantissant leur concours militaire à la France, il avait été un des négociateurs du Cateau-Cambrésis, chargé en particulier de conclure le mariage d'Élisabeth de Valois avec Philippe II. Son choix inaugurait sous les meilleurs auspices l'ère de paix qui semblait s'ouvrir entre les deux couronnes. Bien différents de lui, les trois ambassadeurs appelés tour à tour à lui succéder présentent plus d'un point commun :issus de la noblesse provinciale, le quercinois Saint-Sulpice, le languedocien Fourque- vaux, le saintongeais Vivonne, sieur de Saint-Gouard (plus tard marquis de Pisany), sont des hommes d'épée qui ont servi le roi sur les champs de bataille avant d'être appelés à des missions diplomatiques. Leurs états de service parlent pour eux. Tous trois enfin, tout au long de leur carrière, se montrent d'un dévouement sans faille non seulement à la personne des rois Charles IX et Henri III, mais à celle de la reine mère, Catherine de Médicis, à qui l'un d'eux assure du «devoir que vous devons rendre de fidélité et d'obéissance en temps si turbulent et plein de malice. » Le passage par l'ambassade de Madrid est pour chacun d'eux une étape, méritoire et pleine d'embûches, d'une vie vouée au service de la maison de France, quoi qu'il en coûte à leurs ambitions et à leur juste espoir de récompense. Le portrait du dernier représentant du roi de France à Madrid, qui n'a plus le titre d'ambassadeur, s'il n'offre plus le visage buriné du capitaine, dégage de la pénombre un personnage de clerc lettré qui paraît s'être formé à la diplomatie à même le terrain. Ce Pierre de Segusson, sieur de Longlée, avait en effet exercé pendant neuf ans les fonctions de secrétaire auprès de l'ambassadeur avant de prendre sa suite en qualité de simple résident.
Les expériences successives des cinq hommes leur ont permis sinon de se couler dans le même moule, du moins de se conformer à une mission commune et de s'initier aux pratiques subtiles du métier d'ambassadeur. On lira avec intérêt la deuxième partie de l'ouvrage, dans laquelle Jean-Michel Ribera se montre un guide averti des peines, des tours et des détours qu'ils doivent savoir maîtriser. La mise en place d'un réseau d'informateurs n'est pas une sinécure il y faut de la discrétion, de la persuasion, de la persévérance... et quelque argent !Moyennant quoi l'ambassadeur est renseigné quand il le faut, là où il le faut :sur l'arrivée de la flotte des Indes à Séville, sur la marche des affaires à Medina del Campo, et bien sûr sur les intrigues politiques qui se jouent tantôt en Aragon, tantôt au Portugal. Le tout est de garder ces accointances à couvert de la vigilance des autorités espagnoles. Car il n'importe pas moins d'entretenir
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des relations confiantes avec ceux des ministres et conseillers qui se montrent les mieux disposés envers la France. Ce jeu de séduction vise des interlocuteurs comme Gonzalo Pérez et surtout le prince d'Eboli, Ruy Gomez, en veillant à ne pas éveiller les soupçons de leurs rivaux clairement gallophobes, le duc d'Albe. Sans négliger pour autant d'obtenir un accès direct au roi, d'un abord le plus souvent méfiant et rébarbatif. II reste, et c'est essentiel, à mettre en forme toutes les informations ainsi butinées et à acheminer les dépêches et mémoires ainsi rédigés par des voies sûres jusqu'à la cour de France. Tout cela, comme le montre l'auteur avec une profusion d'exemples puisés aux meilleures sources, exige des trésors d'ingéniosité. Sur les aléas et le coût élevé des courriers, sur la rédaction et les destinataires de la correspondance, sur l'usage du chiffre pour les informations les plus confidentielles, l'enquête menée avec rigueur amène à des conclusions convaincantes. Aux risques et aux soucis du métier de diplomate s'ajoute l'inconfort de sa situation personnelle dans une terre étrangère où lui- même et son personnel sont parfois en butte à des propos ou des gestes xénophobes. L'ambassade de Madrid est bien comme l'écrit l'auteur «une charge ruineuse, vécue comme un exil » :les tracas d'une pénurie financière chronique ne sont pas compensés, loin s'en faut, par l'assurance d'une reconnaissance politique qui ne se manifeste que chichement. L'exercice de la diplomatie est le plus souvent vécu comme une frustration à laquelle l'ambassa- deur aspire vite à mettre un terme en obtenant son rappel.
Entrés dans la familiarité de ces personnages et dans l'intimité de leurs fonctions, nous sommes à même de les accompagner dans les péripéties de leur action, qui épouse la trajectoire des relations entre France et Espagne au long de trois décennies. L'auteur distingue à juste titre deux phases successives : un « temps de l'alliance », se prolongeant non sans soubresauts de 1559 à 1568, auquel succède un «temps des hostilités voilées », plus long, qui culmine dans la reprise des hostilités devant le refus de Philippe II de reconnaître à Henri IV toute légitimité à monter sur le trône de France. La trame chronologique, reconstituée principalement à partir de la correspondance des ambassadeurs, est ainsi tissée des inflexions de leur temporalité subjective, qui n'est pas toujours celle du récit historique habituel. Ainsi, au cours de la première phase, l'auteur nous invite-t-il à réévaluer l'expérience des relations pacifiques instaurées dans les premières années. De part et d'autre, après plus d'un demi-siècle d'affronte- ments coûteux, le désir de paix n'est pas feint, et il est sans doute soutenu par le sentiment populaire. Encore faut-il que la diplomatie y mette du sien, comme sait le faire avec doigté L'Aubespine après avoir rejoint Philippe II à Gand. Il ne s'agit pas de compromettre l'union matrimoniale dont il a été l'artisan, du fait du retard mis au paiement de la dot ou d'atermoiements intempestifs. Ainsi précède-t-il à la cour d'Espagne l'arrivée du cortège, conduit par Antoine de
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Bourbon, qui accompagne Élisabeth par Roncevaux jusqu'à sa rencontre avec son époux à Guadalajara. Il lui revient ensuite d'arbitrer les chamailleries entre ses dames de compagnie françaises et d'amortir les heurts quand la reine doit se satisfaire de son nouvel entourage espagnol. L'effort en valait la peine, car la reine venue de France sait conquérir une place de choix à la cour et chez ses sujets. Quand il prend la relève de L'Aubespine, Saint-Sulpice fait cause commune avec elle pour resserrer les liens dynastiques et politiques avec la cour de France : toute son énergie, durant les années de son ambassade, sera consacrée à satisfaire le désir répété de Catherine de Médicis de ménager une réunion de famille lui permettant de retrouver sa fille. La tâche paraît insurmon- table, car la reine mère n'entend pas se rendre en Espagne selon le souhait de son gendre Philippe II, qui de son côté rechigne à quitter son royaume et désigne un représentant peu conciliant en la personne du duc d'Albe. La rencontre se fera donc sans lui à Bayonne, où les effusions familiales ne suffisent pas à aplanir les incompréhensions. Encore la cour des Valois a-t-elle dû s'incliner devant ses «scrupuleuses opinions » en renonçant à inviter Jeanne d'Albret, Coligny et les autres chefs protestants à cette réunion de famille. Ainsi l'entrevue de Bayonne illustre-t-elle à merveille les espoirs et les désillusions de relations internationales fondées sur les alliances matrimoniales, impuissantes à assurer «bien, sûreté et conservation au repos de toute la chrétienté »qu'en attendait la reine Catherine.
Car la suspicion du roi Catholique ne désarme pas devant l'affirmation du parti protestant en France jusque dans le conseil royal. La crise ouverte par l'installation d'une colonie de huguenots français en Floride —servant les ambitions maritimes de Coligny —témoigne d'une tension quasi insurmontable, lorsque des Français, protestants qui pis est, enfreignent le monopole espagnol autour de la mer des Caraibes. Le nouvel ambassadeur, Fourquevaux, a beau s'efforcer de calmer le jeu en assurant que les colons français vivront « paisible- ment et en bons voisins », il doit fmir par se rendre à l'évidence :Philippe II ne déclare-t-il pas à Élisabeth «qu'il ne pouvait endurer l'usurpation de ses pays par nation du monde et moins par les adversaires et ennemis de sa religion » ! La nouvelle du massacre de la garnison française par l'expédition du capitaine Menéndez, dont il a donné l'ordre, provoque à Madrid une joie plus grande « que si ce fût pour une victoire obtenue contre le Turc. »C'est dire l'épreuve que dut affronter le soldat-diplomate Fourquevaux, qui s'efforça du moins de ne jamais rompre un dialogue difficile et grâce à qui, comme l'observe Jean-Michel Ribera, « la crise diplomatique ne dégénéra pas en guerre ouverte. »
Si l'affaire de Floride avait mis à jour la fragilité des relations pacifiques instaurées par le traité du Cateau-Cambrésis, la mort de la reine Élisabeth de
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Valois, suivant une fausse couche, ne devait pas tarder à consommer une rupture affective et symbolique bien vite irrémédiable. Témoin et messager du funeste événement, l'ambassadeur le vit sur le double registre qui est le sien :celui du deuil en présence de la mort chrétienne de la jeune femme devant laquelle il ressent lui-même «plus grand besoin de consolation que moyen de la donner », et celui de la disparition de celle qui assurait «meilleur succès »aux « inten- tions et négoces » de son frère le roi de France. Les dépêches de Fourquevaux, écrites sur le vif, traduisent admirablement cette ambivalence des sentiments face au coup du destin, comme elles font ensuite écho au déploiement des fastes funéraires conjugués à la déploration populaire. Puis elles illustrent le pénible retour au réel des relations politiques, marqué par la lecture du testament, le rapatriement de la suite française de la reine, et bientôt les supputations en vue du remariage de Philippe II. Au fur et à mesure que s'éloigne la mort de la jeune reine s'impose le constat de la prise de distance qu'elle a signifiée entre les deux couronnes. Les nouveaux projets matrimoniaux de Catherine de Médicis ne peuvent conjurer cette réalité, et l'ambassadeur doit admettre son impuissance quand Philippe II se détourne de la soeur de la disparue, Marguerite, pour convoler avec sa nièce Anne et revenir ainsi à l'alliance dynastique avec les Habsbourg de Vienne.
La dégradation des relations ne tarde pas à se manifester dans le comporte- ment du monarque lui-même et de ses ministres, comme l'ambassadeur en fait part avec amertume à Catherine de Médicis : « on prend de ce côté les affaires du roi très froidement... il n'y a que leur intérêt qui les ébranle. »Lorsqu'à Fourquevaux, qui a enfin obtenu son congé, succède en 1572 Jean de Vivonne, sieur de Saint-Gouard, la diplomatie courtoise fait place à une diplomatie de combat qui ne cherche plus à arrondir les angles. Il est vrai que désormais les contentieux se multiplient. La nouvelle du massacre de la Saint-Barthélemy, accueillie à Madrid avec un enthousiasme teinté d'incrédulité, ne rétablit pas la confiance ébranlée par le mariage de Marguerite de Valois et d'Henri de Navarre. Le rapprochement de la France avec l'Angleterre d'Elizabeth, les sinuosités de la politique de la monarchie française envers les protestants, plus encore la collusion ouverte de François d'Alençon avec les rebelles des Pays-Bas ne laissent plus le moindre doute au roi Catholique. Tout cela est bien connu, même si les contrecoups ne s'en font sentir qu'indirectement àMadrid. En revanche Jean-Michel Ribera met en pleine lumière de façon neuve l'impact considérable de la succession du Portugal dans la dégradation des relations franco-espagnoles. Son récit permet de mesurer le désarroi de l'ambassadeur français, qui refuse de rester confiné à Madrid et entreprend une équipée rocambolesque pour gagner Lisbonne, où se trouve le roi. Faute d'y retrouver ses prérogatives diplomatiques, il refuse la tutelle du secrétaire Idiaquez,
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préférant se loger dans un tripot d'où il peut suivre toutes les intrigues. En un sens, cette page haute en couleurs illustre avec éclat la faillite de l'instance de médiation qu'est la représentation diplomatique !C'est aussi le temps où se développent les diplomaties pazallbles, telle l'ambassade de Claude du Bourg, émissaire du sulfureux François d'Anjou. La dernière étape de ce «temps des hostilités voilées », après le dépazt de Saint-Gouazd, incombe à son dévoué secrétaire, Longlée, qui des, années durant, s'efforce contre vents et marées de remplir sa mission d'information malgré les avanies qui lui sont infligées. De plus en plus méfiant envers Henri III, Philippe II n'hésite plus à faire feu de tout bois en attisant les dissidences qui se font jour en France et en leur apportant son concours. Pour finir, à paztir de 1585, Longlée ne se fait pas faute de tenir la cour de France informée de « la principale entreprise de ce roi, qui était de mettre la guerre en France à bon escient. » n a désormais la conviction «qu'il fallait que Sa Majesté Catholique crût que toutes les meilleures et grandes forces de la France ne branlaient que sous le nom de la Ligue, qui avait son espoir en lui. Aussi consacre-t-il le plus clair de ses efforts à communiquer toutes les informations qu'il peut recueillir sur « ce que peut l'or d'Espagne en tant d'endroits de France ». Même la nouvelle de l'assassinat d'Henri III ne devait pas le décourager de poursuivre sa mission impossible en restant à Madrid au nom d'un roi, Henri lV, que Philippe II refusait de reconnaître ! Ce n'est qu'en avril 1590 qu'il se résigne à quitter la cour d'Espagne où il a pu voir rejeter, écrit-il à Henri 1V, «tout ce qui avait seulement l'odeur du nom ou de la grandeur de Votre Majesté. » Le temps de la diplomatie est révolu : c'est à la guerre de déterminer le rapport de force conduisant, huit ans plus tazd, à la paix de Vervins.
Le livre de Jean-Michel Ribera apporte ainsi au lecteur un éclairage original sur les relations des deux puissances rivales, en montrant la réalité et les limites d'une étape inédite de coexistence pacifique, puis la renaissance et la montée des pulsions conflictuelles conduisant à une nouvelle phase de rupture diplomatique, prélude à la guerre. Un de ses mérites est de faire sentir le poids de certaines situations tendues, comme la dimension humaine propre à la personnalité de chacun de ces représentants du roi de France. Le métier de diplomate, en ces temps troublés, n'était pas de tout repos ! Le choix judicieux de citations qui nous font entendre la voix des acteurs et la clarté de la rédaction ajoute à la saveur et à l'intérêt d'une lecture qui ne lasse jamais et captive souvent, sans sacrifier aux exigences d'une solide recherche.

Jean-Pierre A1~LRIC