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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Diderot et la chimie. Science, pensée et écriture
  • Auteur : Lojkine (Stéphane)
  • Pages : 9 à 23
  • Collection : L'Europe des Lumières, n° 27
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812417948
  • ISBN : 978-2-8124-1794-8
  • ISSN : 2258-1464
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1794-8.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 06/02/2014
  • Langue : Français
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PRéface

Imagination chimique et poétique de laprès-texte

La publication aux éditions Classiques Garnier du livre de Fumie Kawamura après celui de François Pépin1 révèle un pan jusquici peu étudié et peu connu de lhistoire des sciences, indissociable au dix-huitième siècle de celle plus générale des idées et des stratégies poétiques quelles mobilisent. Il sagit de la chimie, du discours sur la chimie que tient lEncyclopédie et de lappropriation du champ et de la méthode chimiques par la pensée de Diderot. François Pépin aborde ces questions en historien de la philosophie ; Fumie Kawamura adopte une démarche à la fois anthropologique et poéticienne pour définir un nœud décisif entre le débat scientifique des Lumières, les modèles imaginaires et épistémologiques que ce débat mobilise et les formes de raisonnement, décriture et de représentation que ces modèles induisent ou manifestent.

Ce nœud, ce dispositif chimique nacquiert une évidence pragmatique et théorique quaujourdhui, avec leffondrement de la littérature comme espace critique autonome. La circulation dont il sagit ici nest en effet ni proprement littéraire, ni proprement scientifique. Il ny a pas non plus dantériorité, ni de postériorité de la chimie par rapport à lœuvre de Diderot. Il sagit dun nœud : à un moment donné de lhistoire et de la culture européennes, ce nœud sest noué. Le livre de Fumie Kawamura rend compte de cet événement.

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Pourquoi la chimie ?

La chimie, dans la pensée et dans lœuvre de Diderot, nest pas une simple affaire de contenu. Diderot sest certes intéressé à une discipline scientifique dont la position, dans le champ scientifique des Lumières, était ambivalente et controversée : héritière de lalchimie dont elle ne sest pas complètement détachée, la chimie semble par bien des aspects renvoyer à un état révolu du savoir et à des pratiques que la raison et la méthodologie scientifique naissante réprouvent. Pourtant cette rationalité démodée, ces pratiques obsolètes, résistent et font retour, depuis la médecine, depuis les courants hétérodoxes de la physique, comme puissances de proposition et dinnovation, depuis lesquelles opérer une critique radicale du mécanisme post-cartésien.

Or cette critique déborde largement le domaine de lexpérimentation scientifique. Ce qui est en jeu pour Diderot nest pas seulement la compréhension et la modélisation de tel ou tel phénomène naturel, mais le processus même, cognitif, de cette modélisation : non pas tant comment penser la nature, mais comment penser la pensée au plus près de la nature, en retrouvant, dans les mécanismes de la pensée, les processus naturels de rencontre et de transformation des éléments. Autant le dire tout de suite : une telle modélisation se situe aux antipodes de la tradition rhétorique, même si elle se nourrit de ses formes et de ses structures, et les convoque pour mieux les détourner2.

Si le débat des Lumières sur les dernières avancées scientifiques concernant la génération, la fermentation, ou lévolution apparaît comme un débat davant-gardistes où la spéculation imaginative ne se traduit pas encore en enjeux de société concrets3, la modélisation rhétorique des structures de la pensée semble alors constituer le socle pluriséculaire incontesté à partir duquel se pensent et sorganisent, au sein de

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la république des lettres, les dispositifs de la dispute, du dialogue, la gestion des idées et des débats, la circulation des savoirs, la production des œuvres de la pensée.

Diderot naborde pas la chimie comme objet de savoir dans ce cadre rhétorique ; il mobilise la chimie comme critique et débordement du cadre : ce nest pas un objet, un champ dinvestigation au milieu de tant dautres qui foisonnent ; ce sont les conditions même du débat qui sont en jeu et, au delà, une pensée de lœuvre non plus comme système darticulations verbales et denchaînements mais comme processus chimique dassociation, de superposition, de diffusion des idées, par fermentation, contamination, transmutation.

Lexique et symptôme

Larticulation du champ et du cadre doit donc être la préoccupation constante du chercheur qui entreprend dexplorer la chimie de Diderot. Jacques Proust en avait frayé la voie dans un article célèbre, « Diderot et la philosophie du polype4 » : le polype est à la fois un phénomène biologique, auquel lEncyclopédie consacre article et planches5, et un modèle de développement du raisonnement, par duplications du même, extensions paradigmatiques et, de là, à la fois par métonymie et par analogie. Jean Starobinski a élargi le champ de linvestigation bien au delà de Diderot, dans Action et réaction. Vie et aventures dun couple (1999), livre révolutionnaire par la redéfinition radicale quil institue, dans la lignée de Michel Foucault, de lobjet de la critique et des mises en relation quelle suppose désormais pour le chercheur contemporain. « Action et réaction » nest pas un thème, ne délimite pas une catégorie (littéraire, scientifique, politique), mais repère un dispositif transversal de la pensée européenne classique.

Une telle conception de lobjet de la critique ne va pas cependant sans difficultés. Jean Starobinski explore dans un premier temps toutes

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les acceptions quon peut trouver des termes « action » et « réaction » dans les textes les plus divers de la fin du xviie au début du xixe siècle6.

Le résultat de la recherche est surprenant : alors que pour le public contemporain, dans le domaine des sciences cest la chimie qui est la discipline reine des réactions, ce mot napparaît que très rarement chez les chimistes de lépoque, et reste lapanage de la physique cartésienne7 : au choc de la boule de billard lancée répond la réaction de la boule percutée. Chez les chimistes, les notions clefs sont celles de fermentation, déclenchée par laffinité, et produisant lagrégat ou le composé8. Les phénomènes chimiques ne commencent à être traités en termes de réaction quà la fin du dix-huitième siècle lorsque, pour dire les choses un peu rapidement, la modélisation physique a triomphé de celle concurrente que proposait la chimie9. Cest alors quapparaît lacception politique du terme : mais le réactionnaire politique ne peut être identifié à la réaction physique, ou médicale, quau prix dune métaphore psychologique assez inconsistante10 : la présence du mot « réactionnaire » dans le Manifeste du parti communiste conduit Jean Starobinski à pointer une « rhétorique du Manifeste, dont on sait combien elle fut efficace11 », rhétorique amputée dun des deux

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termes du couple et désormais fort éloignée de limaginaire physique et physiologique originaire : lincantation dun mot dont lorigine nest plus perçue peut-elle expliquer lun des phénomènes politiques les plus décisifs de lhistoire contemporaine ?

On perçoit ici les limites de lenquête lexicale : « Je crois que nous avons plus didées que de mots. Combien de choses senties et qui ne sont pas nommées ! », écrit Diderot dans les Pensées détachées sur la peinture12. Le mot réifie, tue le couple, efface ou écrase limagination qui la convoqué, structure un jeu différentiel qui simplifie, réduit la plasticité de la scène, du jeu, de la configuration dans lesquels lidée était originellement prise. Ce nest pas le mot, cest le phénomène qui symptomatise, voire détermine les coalescences, les glissements, les actions et réactions constitutives dune épistémè, dune rationalité scientifique, littéraire, culturelle, sociale et politique.

Or le phénomène en jeu se laisse difficilement appréhender. Y a-t-il, lié au couple action/réaction, un phénomène scientifique à quoi achoppe la modélisation scientifique des Lumières, et à partir duquel se fédèreront, simagineront les productions alternatives de la pensée et du discours, les formes révolutionnaires du gouvernement, les modèles modernes de sociabilité et de société ?

Ce phénomène, cet événement type, nest pas le choc des deux boules, avec ce quil suppose de modélisation linéaire, de réduction des causalités. Ce nest pas non plus la loi de lattraction, et sa généralisation depuis lastronomie à lensemble des phénomènes de la physique13.

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Cest dans la répétition du couple, dans la puissance disséminante de la réaction, que se manifeste la fécondité du modèle : modèle limite, à la limite du modélisable, où la réaction absorbe laction, la divise et lanticipe ; phénomène que la science échoue à observer, expérience sans expérimentation possible, ou dans laquelle limagination doit suppléer lobservation. Mais le mot de fermentation, qui a constitué le point de départ de lenquête de Fumie Kawamura, ne saurait lui non plus délimiter le champ dune enquête lexicale : ne serait-ce que dans lEncyclopédie, il faut naviguer des articles de médecine à ceux de physique et de chimie, et, dans les planches, du laboratoire du chimiste-alchimiste14 à la fabrique de lamidonnier15 et du cirier, au traitement du blanc de baleine, aux ateliers du brasseur16, du distillateur deau de vie17, aux opérations du blanchissage18 et aux savonneries19, et de là à la minéralogie

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et à la métallurgie, autant dactivités et de techniques que rien ne relie textuellement sinon le regroupement opéré par Jacques Proust dans son édition des planches de lEncylopédie20.

À chaque fois, la chimie y fait symptôme, un symptôme que limagerie des planches aide à circonscrire et à caractériser : lalambic, le four, la cuve désignent un espace un peu mystérieux, obscur et souvent fumant, où de la matière est en transformation. Le récipient chauffe souvent, il faut parfois mélanger, le savant comme louvrier saffairent. À la fermentation des matières, à leur effervescence, à leur décomposition et leur recomposition, correspond une activité intense : quelque chose de très ancien, qui touche à lincantation, à la magie des chaudrons de sorcières, se combine avec un phénomène complètement nouveau, le développement des manufactures, la première révolution industrielle, lirruption des lieux et des processus du capitalisme21, à la fois spectaculaires et cachés, ordonnés dans limplacable rationalité quils font naître et désordonnés par laffairement même quils mettent en œuvre.

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Lexemple de Quesnay

François Quesnay, le fondateur de lécole des physiocrates, est une figure remarquable de cette ambivalence du modèle. Il fut dabord un médecin, et à ce titre sintéressa à la chimie. Son Essai physique sur léconomie animale, dabord publié en un volume chez Cavelier en 1736, puis réédité augmenté en trois volumes en 1747, comporte alors une seconde section intitulée « Chymie naturelle ». La physiologie du médecin, qui écrit par ailleurs un Traité de la gangrène et un Traité de la suppuration (1749), sappuie sur lobservation et les méthodes de la chimie : étude et différenciation des acides, des alcalis et des neutres, description des huiles, processus de putréfaction (chap. 21), conduisant à la troisième section sur les humeurs : la circulation du sang et des humeurs y est opposée à la fermentation, qui suppose stagnation et immobilité22.

Dorigine modeste, cest à ses talents de médecin que Quesnay doit son ascension sociale, à partir de laquelle il débute une seconde carrière déconomiste. Son célèbre Tableau économique de la distribution des dépenses annuelles dune Nation agricole obéit encore à une logique taxinomique23 : division de la société en trois classes24, différenciation de ces classes par le commerce quelles établissent réciproquement, différenciation des Nations entre elles dans la « république commerçante ». Cest la Philosophie rurale, parue anonymement25 en 1763, qui opère lavancée décisive par laquelle on a fait de Quesnay linventeur de la circulation :

Cest dans lemploi & la régénération, cest-à-dire dans la consommation & la reproduction, que consiste le mouvement qui condense la Société, & qui

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perpétue sa durée. Cest par là que les dépenses donnent vie à la production, & que la production répare les dépenses. Cette circulation a, comme toutes les autres, des regles exactes de flux & reflux, qui empêchent également & lépuisement des canaux, & leur engorgement26. Ce sont ces regles si importantes à connoître, non pour porter lintervention dune main téméraire dans des conduits dont le jeu naturel dépend uniquement de limpulsion qui leur est propre, & qui ne souffrent aucun secours étrangers, mais pour éviter ce qui peut leur nuire : ce sont, dis-je, ces regles si importantes, & néanmoins si peu connues, que nous allons anatomiser27.

Quoique les termes daction et de réaction ne soient jamais prononcés, on repère bien ici le balancement dune série de couples qui semblent en dériver : emploi et régénération, consommation et reproduction, flux et reflux, épuisement et engorgement. La métaphore physiologique sous-jacente est dautre part trahie par le néologisme « anatomiser ». Mais la comparaison avec la circulation du sang, souvent citée28 comme le modèle à partir duquel Quesnay aurait travaillé, nest jamais formulée. Au contraire du modèle mécaniste et fermé de la circulation sanguine décrit par Harvey en 1628, la Philosophie rurale insiste sur « le labyrinthe » (p. 120), ses « canaux innombrables » (p. 122), son « tissu de lignes entrelacées & répétées » (p. 108), ses « retours & permutations réciproques » (p. 256) : car le propre de la circulation économique, ce sont les pertes (51 réf.), le déchet (13 réf.) ; et sa hantise – la stagnation29, ou plutôt son équivalent physiologique, létat de langueur30 dont le symptôme est la disette (24 réf.).

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Dun côté donc, une rationalité économique de la circulation, impliquant le balancier du flux et du reflux, loptimisation des pertes, et constituant un objectif à atteindre, cartésien, physique, utopique, dont le modèle qui se généralise dans la société est déjà intellectuellement périmé. De lautre, la description dune réalité économique, pointant les pertes et les rétentions, les réserves (19 réf.) excessives, est traitée explicitement comme établissement clinique dun diagnostic qui renvoie aux maladies auxquelles Quesnay sest le plus intéressé, les maladies de putréfaction. Dans le Traité de la gangrène31, on trouvait déjà, opposée à la circulation (30 réf.), la langueur au cœur des préoccupations de Quesnay : « car si on a recours à lamputation lorsque les chairs sont parvenues à ce degré de langueur, on réussit rarement » (p. 38) ; « mais le plus redoutable…, cest cette langueur, ou cette extinction presque entiere de la vie » (p. 193) ; « Cet état de langueur semble ne nous présenter dautre indication que celle de réveiller lactivité des esprits » (p. 194-5). La langueur ne sopère pas. Symptomatiquement, elle ne dit presque rien. Ce qui intéresse Quesnay, cest la limite extrême du modèle mécanique, au point où il se retourne et présente son envers non modélisable, fermentatif et chimique : dun côté, classer, différencier, diagnostiquer, quantifier ; de lautre, au plus près du réel, appréhender légarement et la stagnation des liquides, la déperdition des flux, la décomposition incontrôlable des matières. Quesnay nest pas interventionniste ; tout au plus sagirait-il, quand il nest pas trop tard, de rétablir le flux, par la suppuration32, ou la dépense33.

Cest que la rationalité économique de ce qui est en débat, chez les penseurs matérialistes des Lumières, autour des phénomènes que la chimie et la physique tentent concurremment dexpliquer, nest pas la clef ultime du réseau des modèles, des méthodes, des formes imaginaires qui se

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développent autour de la réaction chimique, de la fermentation universelle, des jeux de coalescence et danalogie : il faudrait déjà pouvoir formuler lenvers du modèle et la formulation à elle seule est un enjeu idéologique et politique majeur. Cest donc aux modes de production du discours que les rationalités émergentes qui se manifestent ici ont à saffronter.

Lévénement Diderot

On touche ici à ce qui fait loriginalité de la pensée et de la démarche de Diderot : polymorphe et transversale, elle lui permet de conjoindre, dans un même mouvement, limagination chimique des fermentations avec la pratique verbale et sociale de laffinité, de lassentiment et du dissentiment, avec lexpérience sonore et musicale de la résonance, de la discordance et de laccord34, avec la critique vivante du discours, par la digression, le fragment, le dialogue35, par lexpérimentation de formes alternatives du raisonnement, le chiasme contre le syllogisme, lanalogie contre la taxinomie36.

La mise en évidence de ces conjonctions encourt toujours le soupçon dun arbitraire de la métaphore critique : Fumie Kawamura sen prémunit par le repérage minutieux des termes employés, le rapprochement des formules et des protocoles, la collation des références explicites. Ce nest pas un mot qui navigue de textes en textes, cest la réalité même des processus chimiques qui, disséminés dans des réseaux lexicaux mouvants, surgit comme référence, comme métaphore ou comme structure dans un article de grammaire de lEncyclopédie, un traité dacoustique, une lettre à Sophie Volland…

Il sagit de bien autre chose que dune singularité stylistique. Diderot concentre ici, et exploite de façon particulièrement aiguë, une configuration qui constitue le véritable envers, lenvers fécond des Lumières : non celui des anti-philosophes, providentialiste, scolastique, allégorique, qui innerve encore toutes les structures de la pensée classique, mais, faisant

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couple avec la Raison triomphante, avec la clarté et lévidence de ses développements, avec le progrès quelle annonce des connaissances et de la civilisation, le bouillonnement polyphonique des efforts de la pensée, les fusées délirantes de limagination, la mise en tension du paradoxe37, les postures du détachement comme révolte38 et de lanonymat comme engagement39. Cet envers là se manifeste dans le mouvement même des Lumières : il nest pas revendiqué contre elles, mais tout au contraire produit à leurs marges, faisant retour vers ce qui les précédait et se projetant au delà delles, dessinant par là non la logique dun modèle40 et lhistoire dune rationalité, mais lenracinement vivant et le réseau mobile dun dispositif.

Lémergence de ce dispositif chez Diderot coïncide avec la naissance de la chimie comme science, avec son émancipation de lalchimie et sa division davec la physique. Cest là la thèse maîtresse de Fumie Kawamura. Diderot est le témoin privilégié de cette coïncidence ; il en est peut-être également un peu lacteur, jusque dans les programmes pédagogiques quil imagine pour luniversité russe41, et il révèle par là, au carrefour de lhistoire des sciences et de la poétique des textes, comment pensée de la nature et pensée de la pensée, expérimentation chimique et pratique verbale, imagination scientifique et fiction pure participent, non exactement dune épistémè, mais plutôt dun envers à la fois enraciné et projeté du discours idéologique, mobilisant les mêmes représentations et les mêmes expressions, revendiquant les mêmes intérêts et concourant aux mêmes efforts de lesprit humain.

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Ce qui est en jeu, cest la matière même, iconique et sensible, préverbale de la pensée, et son rapport fermentatif à la superstructure du langage et de ses formes discursives :

Dans lenfance, on nous prononçait des mots. Ces mots se fixaient dans notre mémoire, et le sens dans notre entendement ou par une idée, ou par une image ; et cette idée ou image était accompagnée daversion, de haine, de plaisir, de terreur, de désir, dindignation, de mépris. Pendant un assez grand nombre dannées, à chaque mot prononcé lidée ou limage nous revenait avec la sensation qui lui était propre. Mais à la longue, nous en avons usé avec les mots, comme avec les pièces de monnaie. Nous ne regardons plus à lempreinte, à la légende, au cordon, pour en connaître la valeur. Nous les donnons et nous les recevons à la forme et au poids. Ainsi des mots, vous dis-je. Nous avons laissé là de côté lidée et limage, pour nous en tenir au son et à la sensation. Un discours prononcé nest plus quune longue suite de sons et de sensations primitivement excitées. Le cœur et les oreilles sont en jeu, lesprit ny est plus. [] Et que fait le philosophe qui pèse, sarrête, analyse, décompose, il revient par le soupçon, le doute, à létat de lenfance. Pourquoi met-on si fortement limagination de lenfant en jeu, si difficilement celle de lhomme fait ? cest que lenfant à chaque mot recherche limage, lidée. Il regarde dans sa tête. Lhomme fait à lhabitude de cette monnaie ; une longue période nest plus pour lui quune série de vieilles impressions, un calcul dadditions, de soustractions, un art combinatoire, les comptes faits de Bareme42. (Salon de 1767, Promenade Vernet, 6e site, DPV,XVI, 218.)

Le sens se noue entre le mot qui nous vient de lextérieur et lidée, limage, la sensation que nous lui associons. Limage est la partie riche, profonde du sens ; le mot en constitue la figure imposée, la forme vide et rapide, labréviation de surface. À la superstructure rhétorique des mots mis en circulation, ses séries, ses combinaisons, soppose le rapport vrai, lent, difficile du mot avec limage. La quête du sens passe par la réactivation de ce rapport premier43, que Diderot identifiait, dans la Lettre sur les sourds, au hiéroglyphe poétique.

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La comparaison que Diderot fait entre la circulation du sens et celle de la monnaie, ainsi que lhomologie évidente entre les tables comptables de Barême et le tableau économique de Quesnay nous invitent au rapprochement et mettent en évidence, par la transversalité des champs sollicités (linguistique, économique, psychologique, social, philosophique), la présence dun dispositif au sens où lentendait Michel Foucault. Nous retrouvons bien ici la double modélisation, physique et chimique, à lœuvre chez Quesnay : au-dessus, laction et réaction des mots, jaugés vite comme des pièces, à la forme et au poids, sans préjuger de limage (« Nous ne regardons plus à lempreinte, à la légende, au cordon… »). Mais, au-dessous, le philosophe nous incite à régresser vers lenfance, à faire travailler notre imagination, à remotiver le sens, à réveiller lesprit : Diderot détaille dans Le Rêve de DAlembert en quoi consiste ce lent et difficile réveil, à quels jeux analogiques on se livre alors, à quelles harmoniques ténues on sattache ; il explore parallèlement dans Le Neveu de Rameau dautres mises en rapport, dautres nouages du sens, le dialogue, la folie et la pantomime44.

Laprès-texte

Il faut faire preuve ici de toute la patience méthodique et de la souplesse danalyse de Fumie Kawamura pour, sans forcer le trait en étiquetant brutalement tous ces phénomènes comme chimiques, mettre en relation le modèle analogique extrapolé du syllogisme, le modèle acoustique et musical45, le modèle dialogique46, comme réseau lâche

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innervé par la métaphore chimique de laffinité et de la fermentation. Parfois, limage se perd (dans le texte cité plus haut de la Promenade Vernet, la lenteur de la mise en rapport du mot et de limage nest pas la lenteur fermentative des matières stagnantes), parfois elle se retrouve dans la fulgurance dune formulation célèbre (le Neveu de Rameau comme grain de levain qui fermente47).

On voit alors se dessiner le trajet de louvrage : depuis la constitution externe de la chimie comme science vers la compréhension interne de la poétique de Diderot, Fumie Kawamura esquisse les contours dun événement-Diderot qui ne saurait se réduire à un texte, car il innerve lespace social, le champ scientifique, les pratiques musicales et se comprend, se modélise par circulation vers et depuis ces extériorités. Cest depuis limagination chimique de Diderot, qui est une imagination au sens plein, créatif, productif, porteur de rationalité, que lon peut alors penser une poétique de laprès-texte, cest-à-dire de laprès-littérature, dans un monde, le nôtre, où cette catégorie, effondrée, nous permet de renouer avec les transversalités des Lumières.

Stéphane Lojkine

1 F. Pépin, La Philosophie expérimentale de Diderot et la chimie, Classiques Garnier, 2012.

2 Voir les développements de Fumie Kawamura sur lanalogie et le syllogisme au chapitre « Lanalogie. Du modèle mathématique au modèle musical ».

3 Rien à voir par exemple avec les répercussions idéologiques, économiques et sociales du darwinisme un siècle plus tard et aujourdhui. Voir G. M. Hodgson et Th. Knudsen, Darwins Conjecture : The Search for General Principles of Social and Economic Evolution, University of Chicago Press, 2013.

4 J. Proust, « Diderot et la philosophie du polype », RSH, no 182, 1981, p. 21-30.

5 Article « Polype, Poulpe, polypus » (XII, 945-7) et planches de la Suite du règne animal, polypiers, planches 86 à 93 (t. XXIII).

6 Jean Starobinski inscrit sa recherche dans une « histoire des mots scientifiques » en prenant soin de multiplier et de croiser les langues : en plus du français, le latin, qui reste la langue scientifique des Lumières, langlais, litalien (Action et réaction. Vie et aventures dun couple, Seuil, 1999, p. 44).

7 J. Starobinski, op. cit., p. 53.

8 Voir F. Kawamura, chap. « Pourquoi la chimie ? », § « Laffinité chimique dans Le Rêve de DAlembert » et chap. « La fermentation universel ».

9 Le débat est plus complexe en réalité, et la différence des disciplines ne recoupe pas lopposition des deux modèles : Fumie Kawamura décrit, dans le premier chapitre, les différentes écoles de chimie et les divisions au sein de la physique. François Pépin ne vient que progressivement à cette opposition centrale mais difficile à démêler dun modèle physique et dun modèle chimique : Les Pensées sur linterprétation de la nature (1753) et le projet encyclopédique placent en effet la chimie dans lhéritage baconien dune herméneutique de lexpérience au sein de laquelle le clivage des deux modèles nest pas toujours immédiatement visible (op. cit., p. 322 sq., 544 sq.) Cest dans le texte même de Diderot, et notamment dans Le Rêve de DAlembert, que les deux modèles saffrontent et sinterpénètrent. Voir F. Kawamura, chap. « La fermentation universel ».

10 Benjamin Constant, De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de sy rallier. Des réactions politiques. Des effets de la terreur, 1796, cité par J. Starobinski, op. cit., p. 313 sq.

11 J. Starobinski, op. cit., p. 333. Dans la traduction française, « réaction » ou « réactionnaire » napparaissent que quatre fois dans le corps du texte, une seule fois avec la présence visible de la métaphore : « Les classes moyennes [] sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à lenvers la roue de lhistoire ». Face à la réaction (qui désigne un clan plutôt quune force active), le mot action nest utilisé que deux fois : « La découverte de lAmérique, la circumnavigation de lAfrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ daction » ; « Sil arrive que les ouvriers se soutiennent par laction de masse, ce nest pas encore là le résultat de leur propre union, mais de celle de la bourgeoisie ». Indubitablement, pour Marx, laction de la bourgeoisie, qui est aussi le mouvement de lhistoire soppose à la réaction du clan réactionnaire. Mais du point de vue lexical, ce nest pas sur ces mots que se bâtit la rhétorique du Manifeste : cest de force et de masse quil est dabord question (19 et 6 réf.), et de révolution (14 réf.). Lobjectif est dune « transformation révolutionnaire de la société tout entière » ; la bourgeoisie est « lélément révolutionnaire de la société féodale en dissolution » ; « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production ». Ne retrouve-t-on pas là, plutôt que le modèle physique de laction et de la réaction, celui chimique du levain qui fermente et des processus continus de la fermentation ? Marx parle ainsi du « processus de décomposition de la classe dominante ».

12 CFL, XII, 337.

13 Jean Starobinski suggère en filigrane que la généralisation de lattraction marque le passage dune physique aristotélicienne des mouvements et des lieux vers une physique des forces, quantifiable et modélisable mathématiquement (op. cit., chap. 1). Mais lantiquité avait connu une autre physique, des fluides, autour dArchimède et de Lucrèce : voir Michel Serres, La Naissance de la physique, Minuit, 1977. Le modèle analysé par Michel Serres, autour de turba, turbo, est certainement plus proche que celui dAristote de ce qui travaille le débat scientifique à la frontière de la physique et de la chimie à lâge classique. Et le matérialisme des Lumières a plus daffinités avec Lucrèce quavec Aristote…

14 Voir la première planche de Chimie au t. XX, qui met en scène la discussion du physicien et du chimiste dans un laboratoire où les différentes expériences de fermentation, distillation, réaction ont pour légende… une table des symboles alchimiques, dite « table des raports » (voir F. Pépin, op. cit., p. 336). Le mot « fermentation » apparaît pour ainsi dire incidemment, deux fois, fig. 18, « Appareil pour mesurer la quantité dair qui séchappe des corps en fermentation » (à droite sur le rebord du manteau de la cheminée), et, pour le même appareil, planche XII, fig. 172, « Appareil pour évaluer lair qui sort des substances en fermentation. Rouelle. » – Dans larticle « Chymie ou Chimie » de Venel (III, 408-437), le mot « fermentation » apparaît huit fois, mais au milieu dautres termes. Par exemple : « tout mouvement chimique est un mouvement intestin, mouvement de digestion, de fermentation, deffervescence, &c ». Ou plus loin, « linstrument immédiat de la fermentation, &c » (noter let cætera qui dissémine le mot), aussitôt identifié à « un principe capable de combinaison & de précipitation ». Ou encore : « le méchanisme de leffervescence & de la fermentation », renvoyant à un larticle « Effervescence & Fermentation », qui sappellera finalement « Ebullition, Effervescence, Fermentation » (II, 516-7, du chevalier de Jaucourt, grammaire et chimie, complété par DAlembert pour la physique et dAumont pour la médecine).

15 Une planche « Amidonnier » au t. XVIII. La légende évoque la « Mise en trempe, ou maniere de jetter leau sur le levain ».

16 Larticle « Brasserie » de Diderot recourt 14 fois au terme « fermentation » (II, 400-404), qui napparaît dans aucune des légendes des cinq planches de Brasserie (t. XIX).

17 Une planche au t. XX, après le Diamantaire et avant le Doreur.

18 Blanchissage des toiles (2 planches, t. XIX) et des cires (3 planches, t. XX).

19 5 planches, t. XXVI. Les « opérations » chimiques sont ici caractérisées de la manière la plus évasive. Ainsi, pour la planche I : « Fig. 1. a, ouvrier qui enfonce le matras dans la chaudiere pour faciliter lentrée des lessives & les mêler. b, ouvrier qui verse un seau de lessive le long du bâton du matras, afin davoir lentrée plus libre & faciliter le mêlange des matieres. c, autre ouvrier prêt à enfoncer le matras dans la matiere pour la remuer. »

20 Jacques Proust, LEncyclopédie Diderot et DAlembert. Planches et commentaires, Hachette, 1985, « Les premières techniques chimiques », p. 696-720. – La délimitation du corpus chimique dans les articles de lEncyclopédie semble plus aisée, car ces articles sont signalés par leur « désignant ». Mais la question des désignants est elle-même complexe : inscrits dans une taxinomie, ils renvoient au Système figuré ; faisant réseau dans le corps du dictionnaire, ils tendent à constituer un territoire autonome, contre le Système ; parfois omis en tête darticle, ils étendent leurs ramifications au delà deux-mêmes. Voir à ce sujet R. Franckowiak, « La chimie dans lEncyclopédie », RDE, no 44, 2009, p. 225-226 et François Pépin, op. cit., p. 265-268.

21 Cest donc, chez Marx, vers Le Capital plutôt que vers le Manifeste quil faudrait tourner linvestigation. Dans le liv. I, Karl Marx se réfère récurremment à la chimie comme modèle de référence à partir duquel penser les phénomènes économiques. Cest dabord comme critère de vérité face aux élucubrations des autres économistes : « Que penserait-on dun chimiste… ? » (Sect. I, chap. 2, n. 2) ; « Jusquici aucun chimiste na découvert de valeur déchange dans une perle ou dans un diamant. Les économistes qui ont découvert ou inventé des substances chimiques de ce genre, et qui affichent une certaine prétention à la profondeur… » (I, 4. De même, III, 9). La chimie est ensuite convoquée comme le medium par excellence dans la production de la plus-value (Sect. III, chap. 7, 1). Marx dit avoir forgé la notion de « procès de travail » à partir de lusage du mot français processus « dans les livres de chimie, physiologie, etc .» (ibid., n. 1). Il cite la Chimie de J. V. Liebig (III, 10, 2, n. 6 et IV, 15, 2, n. 1), « le chimiste français Chevallier » (III, 10, 3, n. 14). Il évoque « la révolution mécanico-chimique de la blanchisserie, de limprimerie et de la teinturerie » (IV, 15, 1).

22 Pour cette raison, Quesnay réfute lexplication de la digestion par la fermentation et sen tient, au moins dans un premier temps, au modèle cartésien par macération (t. III, « Du Chyle », p. 7-8). Voir lanalyse de Fumie Kawamura sur larticle « Digestion » de lEncyclopédie par Venel, chap. « La pulvérisation de la statue de Falconet ou la fermentation digestive », et chap. « La fermentation comme modèle général anti-cartésien ».

23 Voir M. Foucault, Les Mots et les choses, Gallimard, 1966, chap. v, « Classer », précédant le chap. vi, « Échanger ».

24 Dans le texte qui accompagne le Tableau de 1759, texte publié en juin 1766 au Journal de lagriculture, du commerce et des finances (3e Part., p. 11-61), le mot classe apparaît 79 fois, circulation nest employé que 4 fois.

25 Louvrage se réclame dès les premières lignes du Tableau économique. Il est attribué généralement à Mirabeau et Quesnay y aurait contribué.

26 Sur le couple engorgement/écoulement, voir également p. 47.

27 Philosophie rurale, ou économie générale et politique de lagriculture, Amsterdam, Les libraires associés, 1764, vol. I, chap. iv, La Distribution des dépenses, p. 101-2. Les références sont données dans léd. en un volume et non dans léd. en 3 volumes, publiée chez le même éditeur la même année.

28 Voir notamment Pierre Musso, « La raison du réseau », Quaderni, 2003, no 52, p. 62, et lintéressante mise en relation de la physiologie (biologie réticulaire de Lamarck…), de léconomie, de la polyorcétique (le réseau des forteresses de Vauban) et de lhydraulique. Musso évoque, au cœur du dispositif, Le Rêve de DAlembert.

29 « Ce que vous appelez bonne année, nest quun calme immobile, présage & précurseur ordinaire de la tempête, une stagnation de la circulation. » (Chap. ix, p. 197.)

30 « le vulgaire, qui prend le symptôme pour la maladie, ne se plaint que de la langueur de la circulation » (p. 41) ; « Le faste des Grands est du moins pour [les cultivateurs polonais] un besoin à satisfaire par les produits de la culture, ce qui la soutient contre létat de langueur où elle est » (p. 175) ; « on va voir quelle énorme dégradation cet état de langueur cause à la masse des richesses de la Nation » (p. 210) ;« que penserait-on dun médecin qui chargé dun malade accablé de langueur & de dégoût par laltération de tous les efforts de la machine, chercherait à lui présenter des ragoûts » (p. 247) ; « la langueur du commerce » (p. 256) ; « elles sont… dans un état de dégradation é dépuisement par la langueur de la culture & lindigence des cultivateurs » (p. 291).

31 Traité de la gangrène, par M. Quesnay, Médecin Consultant du Roy, A Paris, chez DHoury père, 1749.

32 Voir p. 179, 271, 297, 406. De même, dans la Philosophie rurale, « rétablir les achats & les ventes » (p. 74), « rétablir la balance juste & naturelle » (p. 110), « rétablir les revenus par la dépense » (p. 170), non sans circonspection (« Semblables à ce docteur ignorant… », p. 247).

33 Cent références dans la Philosophie rurale. Voir notamment la dépense « en augmentation ou régénération » (p. 32). « La dépense est le premier objet à considérer dans le développement de lordre économique. » (p. 2.)

34 Voir F. Kawamura, chap. « LAnalogie. Du modèle mathématique au modèle musical ».

35 Voir le chap. « La structure dialogique ».

36 Voir le chap. « Un autre syllogisme ».

37 Le paradoxe étend sa logique, chez Diderot, bien au delà et en amont du Paradoxe sur le comédien. Ainsi au début de larticle « Sculpture » du Salon de 1765 : « Dans le paradoxe, accumulant images sur images, appelant à leur secours toutes les puissances de léloquence, les expressions figurées, les comparaisons hardies, les tours, les mouvements ; sadressant au sentiment, à limagination, attaquant lâme et sa sensibilité par toutes sortes dendroits, le spectacle de leurs efforts est encore beau. » (DPV, XIV, 277.) Diderot, qui semble se décrire ici, fait en fait léloge des fanatiques, et donne en exemple Jean-Jacques Rousseau…

38 Cest la posture de Sénèque dans lEssai sur les règnes de Claude et de Néron.

39 Voir la Lettre apologétique de labbé Raynal.

40 On note également chez François Pépin une certaine réticence face à lidée dun « modèle » chimique. Il parle dabord dun « point de vue » de la chimie, puis critique avec raison lopposition de deux « discours », newtonien et anti-newtonien, établie par J.-C. Guédon, qui supposerait lexistence dune « théorie toute faite » de la chimie (op. cit., p. 583) : il ny a pas de philosophie de la chimie (p. 736).

41 Voir F. Kawamura, chap. iv, « Le génie du chimiste : un génie analogique », § « La définition de la chimie : le Plan dune université ».

42 François Barrême, négociant avec LItalie et mathématicien sous Colbert, fut expert à la Chambre des comptes de Paris. Il se rendit célèbre par le Livre nécessaire (1671), dans lequel figuraient des tables permettant déviter des calculs longs et fastidieux dans la gestion des comptes. Son livre, devenu Barême universel donna son nom à sa méthode, qui constitue lorigine de la comptabilité moderne.

43 Lidée que les langues ont été dabord imagées avant de perdre cette énergie première par la condensation des idées composées en signes simples se trouve également chez Condillac, Essai sur lorigine des connaissances humaines (4e Sect., chap. i, §7 et 5e Sect., §6) et chez Rousseau, Essai sur lorigine des langues, 1746 (chap. iii, « Que le premier langage dut être figuré »). – La réactivation dun rapport premier aux objets est également la méthode que la chimie revendique contre les spéculations métaphysiques de la physique : sur la stratégie de lobscur quelle développe à cet effet, et le problème de la causalité cachée, voir F. Pépin, op. cit., p. 366-7, 382-383.

44 Le dispositif chimique nest donc pas visuel, même sil peut mobiliser indirectement un jeu scénique comme celui de la pantomime. La séduisante opposition esquissée par François Pépin entre le modèle allégorique du flambeau et le modèle chimique de la vue repose sur un repérage lexical qui force le sens. « Dans la vûe de… » nest pas une vue, au sens des sites de la Promenade Vernet. (F. Pépin, op. cit., p. 426-430.)

45 F. Kawamura, chap. « Lanalogie. Du modèle mathématique au modèle musical ».

46 Voir le chap. « La structure dialogique » et le parallèle quil propose entre Le Neveu de Rameau et Le Rêve de DAlembert.

47 Chap. « Le dessein satirique », § « le graine de levain qui fermente : Rameau, et face à Bertin le modèle mécaniste antagoniste », § « Le levain qui fermente contre lautomate : Rameau le fou contre Bertin le sot ».