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Classiques Garnier

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  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Dictionnaire Victor Hugo
  • Pages : 1073 à 1075
  • Collection : Dictionnaires et synthèses, n° 24
  • Thème CLIL : 3431 -- ENCYCLOPÉDIES, DICTIONNAIRES -- Encyclopédies et dictionnaires thématiques
  • EAN : 9782406146261
  • ISBN : 978-2-406-14626-1
  • ISSN : 2261-5938
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14626-1.p.1073
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 21/06/2023
  • Langue : Français
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Waterloo

La bataille de Waterloo (Hugo prononce Vaterlo-o) inspire le poète dès son premier Cahier de vers français, vraisemblablement en 1816 [Hugo V., 1952c]. Ces vers seront reproduits, mais sous une forme en partie censurée, dans le Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, sans doute à cause de son ton par trop ultra*. Frappante toutefois, lambivalence dont se teinte déjà lévénement, écroulement dune gloire nationale et libération, appréciation quen 1869 Hugo trouvera encore « assez juste » [CFL, XIV, p. 1282 ; Hovasse, 2017b]. Éclipsée dans le poème « Bonaparte » des Odes et Poésies diverses, la bataille resurgit en 1827 dans lode « À la colonne* de la place Vendôme », qui annonce que bientôt « la Vendée aiguisera son glaive / Sur la pierre de Waterlo[o] » [OB, p. 192]. Les tensions entre bonapartisme et ultracisme dépassées, Les Chants du crépuscule recueilleront en 1835 un tombeau de « Napoléon II » où Waterloo apparaît comme la butée de lhybris napoléonienne, la marque de la présence de Dieu dans lhistoire. La défaite de Napoléon Ier* est définitivement un de ces grands événements par quoi la providence impose ses vues sur lhumanité. Hugo tend toutefois à écarter sa funeste mémoire – et à sécarter de la plaine Saint-Jean lors de son voyage en Belgique de 1837, jugeant « inutile de rendre cette visite à lord Wellington* » et dhonorer ainsi non seulement la « victoire de lEurope sur la France », mais le « triomphe complet, absolu, éclatant, incontestable, définitif, souverain, de la médiocrité sur le génie » [FB, p. 642].

« Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine ! » [Chât., p. 128] : le poème « Lexpiation », au cœur de Châtiments, donne sous le Second Empire une première évidence sensible à la grande défaite tout en linscrivant dans le cycle des crimes et des peines quà la suite dun Ballanche Hugo projette dans lhistoire. Lhéroïque Waterloo ny est cependant pas le châtiment du 18 Brumaire : Napoléon Ier aura dû attendre dans sa tombe le coup dÉtat de 1851* pour expier le sien dans la honte. Même mesure par Dieu des événements après Sedan : « Tout proportionner, cest sa loi. À pire que Brumaire, il fallait pire que Waterloo » [HC, p. 454].

Hugo se décide finalement à aller sur les lieux de la bataille non en 1852, au moment de son exil à Bruxelles, mais en 1861. Il restera « deux mois courbé sur ce cadavre » [Chantiers, p. 896]. Il en résultera la longue digression du livre « Waterloo » des Misérables, qui déploie le récit de voyage en épopée*, en dernière épopée : « gond du dix-neuvième siècle » [p. 269], Waterloo signe la fin hasardeuse, cest-à-dire fatale et providentielle, de lépopée guerrière, le passage des temps de la tyrannie au temps de la démocratie pacifique. Cependant, brutalement raccordée à la digression en sa fin, la fiction dit aussi que souvre avec Waterloo lépoque des petits malfrats, Thénardier et son double historique évident, Napoléon le Petit.

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Descotes, 1984 ; Dufour, 2017 ; Hovasse, 2017b ; Hugo V., 1952c ; Laforgue, 1994c ; Laurent, 2017a ; Millet, 2017b ; Neefs, 2017 ; Rosa G., 1995b ; Savy, 2002, 2017.

→ apocryphes ; Delavigne ; guerre ; guerre de 1870-1871 ; hasard, fatalité, providence ; monument ; paix ; paysage ; suicide.

Claude Millet

Wellington, Arthur Wellesley, duc de –

1769-1852

Homme militaire et de politique (il est à plusieurs reprises ministre ou secrétaire dÉtat tory de 1827 à 1846), Wellington est à double titre une figure honnie du libéral-bonapartisme : en tant que vainqueur de Napoléon Ier à Waterloo* et en tant quultraconservateur. Cest de fait à lAngleterre* du ministre tory que sen prend le Journal… dun révolutionnaire de 1830, regrettant que la jeune monarchie de Juillet ne sappuie pas contre elle sur le peuple anglais [LPM, p. 121] ; mais le nom de Wellington revient finalement peu sous la plume de Hugo, même dans les textes consacrés à lépopée napoléonienne et à sa fin tragique : cest au « sort » dexpliquer Waterloo, non à un homme [CFL, VI, p. 141]. Seule la longue digression sur la bataille de 1815 dans Les Misérables revient plusieurs fois sur le général anglais, mais pour en faire lagent involontaire du progrès [p. 273, 276], non le vainqueur de Waterloo [p. 271]. Chef de guerre « froidement héroïque » [p. 254], lui manque non le goût du sublime [p. 264] mais le génie. De Napoléon, il est l« antithèse » : « la géométrie », « le carnage tiré au cordeau », « le vieux courage classique », contre « tous les mystères dune âme profonde » associée au destin et à la nature [p. 273 sq.]

Claude Millet

Widor

→ mélodie française.

William Shakespeare

Paru sans nom dauteur le 14 avril 1864 à Paris (Librairie internationale) et Bruxelles (A. Lacroix*, Verboeckhoven* et Cie), avec des relais de diffusion à Leipzig, Livourne et Milan, ce volume sera en 1882, selon le classement de lédition dite « définitive » des Œuvres complètes* de Victor Hugo, le second volet, après Littérature et Philosophie mêlées, de sa « philosophie ». Les circonstances avaient été celles de la célébration, le 23 avril 1864, du 300e anniversaire de la naissance de Shakespeare*. Prévu à lorigine pour servir de préface à la nouvelle traduction des Œuvres de Shakespeare par François-Victor Hugo*, le livre se présenta finalement comme le « manifeste littéraire du xixe siècle* », appelé à continuer l« ébranlement philosophique et social causé par les Misérables » [CFL, XII, p. 358]. Ajout tardif, le livre « Shakespeare lancien » conforte le « mythe de Victor Hugo » : après Eschyle* I (« Shakespeare lancien ») et II (Shakespeare), on attendait Eschyle III, avec, comme « résultante et [] commencement absolu », Hugo, dessiné « en creux » par louverture à tous les possibles de lart après la Révolution, et « en relief » par les Génies* qui lannonçaient [Albouy, 1969, p. 146]. Après une biographie de Shakespeare, le recensement des génies au livre II de la première partie relève dune poétique de la liste. Hugo procède par accumulation, sans commencement ni fin [WS, p. 409 sq., 454], ou par énumération, formant alors système. Les auteurs de la série romaine sont ceux en qui Hugo pouvait se reconnaître et reconnaître des versants de son œuvre : la voyance (Lucrèce*), la poésie-châtiment (Juvénal*), lhistoire écrite au fer rouge (Tacite*). La liste conduit ensuite jusquau seuil du xviie siècle. 1075Rabelais*, Cervantès et Shakespeare relèvent dune esthétique que nous dirions « maniériste » : poétique de lillimitation et de la démesure [Gaudon J., 1971, 1980], de lidée « bifurquée » [WS, p. 379] ou de larabesque* [p. 344].

Dès ce début de lessai, la destinée du génie est « très-mêlée damertume » [p. 257]. Les reproches « unanimement adressés à Shakespeare » – « Invraisemblance, extravagance, absurdité. – [] Abus du contraste et de la métaphore. – [] Écrire pour le peuple. – Sacrifier à la canaille » [p. 340] – sont ceux-là même quavait eu à subir lauteur des Misérables. « Zoïle aussi éternel quHomère », dira le titre du livre III de la deuxième partie. À quoi Hugo oppose une pratique de la critique* dont le principe est ladmiration [WS, p. 382], lacceptation des génies comme des entités indiscutables [p. 380]. La valeur des génies nest pas relative. Ils appartiennent à la région des Égaux. Lart en ce sens est hors du temps et de lhistoire, dont il « problématise le schéma diachronique », celui de la « mauvaise science, qui refuse linfini et fige la connaissance » [Roman, 1999a]. Il ny a pas de progrès en art, et lon ne saurait non plus parler à son sujet de « décadence », comme avait fait Nisard*, à propos de Juvénal, dans ses Études de mœurs et de critique sur les poètes latins de la décadence (1834) [WS, p. 271, n. 13]. Lart fait, comme on dit, autorité. Le joint de cette théorie de lart à une théorie politique se trouve dans lidée quil ne saurait y avoir dautorité – et partant de légitimité, ni de roi – « en dehors de lauteur » [Seebacher, 1993a, p. 252]. Roi qui naurait en vue que lémancipation des masses et serait, comme le beau*, « serviteur du vrai » [p. 399 sqq.]. Lhistoire – lhistoire « vraie », et non « définitive » comme avait dabord écrit Hugo – est donc « à refaire » dans une perspective démocratique [p. 444].

Les Zoïles se surpassèrent : « Il nous mènerait à Charenton » (Armand de Pontmartin, dans La Gazette de France) ; « Le grand Pan est mort » (Francisque Sarcey, dans Le Nain jaune). Sainte-Beuve ne manqua pas dégratigner lauteur dans une note de son compte rendu de lHistoire de la littérature anglaise de Taine : « Des talents puissants nont pas hésité à faire de lexagération une vertu (voir dans le Shakespeare de Victor Hugo [] toute une théorie sur les génies outrés) » [Sainte-Beuve, 1867, p. 123, n. 1]. Datée d« avril 1865 », la « Préface de la nouvelle traduction des œuvres de Shakespeare » [WS, p. 455 sqq.] ne paraîtra quen 1865, avec le tome XV et dernier de ladite traduction. Sa prose est loin davoir la densité poétique de William Shakespeare.

Albouy, 1969 ; Gaudon J., 1971, 1980 ; Hugo V., 1988, 2016d ; Naugrette, 2016a ; Peyrache-Leborgne, 2003 ; Roman, 1999a ; Sainte-Beuve, 1867 ; Seebacher, 1993a.

→ actualité ; anonymat ; autobiographie ; GAP ; Proses philosophiques ; PrS ; UB.

Bernard Leuilliot †