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Classiques Garnier

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Incontinence

Ne pas pouvoir « se retenir » est le propre du jeune enfant*, du fou, du malade ou du vieillard incontinent « retombé en enfance ». Il manifeste labsence de maîtrise de soi, lanimalité, ou est leffet dune violente émotion comme la peur* (voir lépisode de Sancho Pança faisant sous lui de peur dans le Don Quichotte de Cervantès). « Se retenir » et « se contrôler » seront donc, à linverse, limpératif absolu exigé par tous les manuels de savoir-vivre (notamment ceux qui sont destinés aux jeunes filles), et la « retenue » une valeur centrale de toute éducation. Les premières pages du roman Wonderfuck (2024de lécrivaine Katharina Volckmer évoquent la hantise, chez lenfant de lincontinence excrémentielle et de la souillure des sous-vêtements.

Souvent associée à la diarrhée*, lincontinence, connotée négativement, fait système, dans le discours scatologique*, dune part avec tout ce qui est, réellement ou métaphoriquement, « relâchement », « dés-organisation », « débâcle » – Zola* intitule La Débâcle son roman sur lhistoire dune défaite militaire (1892) –, bref tout ce qui « foire », et dautre part avec son contraire, la constipation*, qui est « mauvaise » retenue, fruit de la retenue « excessive » que les médecins déplorent tout particulièrement chez les « gens de lettres » trop absorbés dans leurs travaux intellectuels et sédentaires (voir Tissot, De la santé des gens de lettres, 1768).

Lacte de défécation* ou de miction* étant soumis à des normes (pudeur*, hygiène*, civilité) très strictes, qui peuvent varier dans le temps et lespace, lincontinence comme toute infraction (par défaut ou par excès) est rapidement repérée et sanctionnée. Saint-Simon dresse le portrait de la Princesse dHarcourt qui se soulage en public :

Sale, malpropre [], cétait une furie blonde, et de plus une harpie ; [] elle en avait lavarice et lavidité ; elle en avait encore la gourmandise et la promptitude à sen soulager, et mettait au désespoir ceux chez qui elle allait dîner, parce quelle ne se faisait faute de ses commodités au sortir de table, quassez souvent elle navait pas loisir de gagner, et salissait le chemin dune effroyable traînée, qui lont mainte fois fait donner au diable par les gens de Mme du Maine et de M. le Grand. Elle ne sen embarrassait pas le moins du monde, troussait ses jupes et allait son chemin, puis revenait en disant quelle sétait trouvée mal : on y était accoutumé (Mémoires, t. IV, chap. iii).

Dans son roman policier LAffreuse embrouille de via Merulana (1947-1957), Carlo Emilio Gadda décrit longuement, avec des termes médicaux et dans une certaine tradition rabelaisienne, une vieille garde-barrière incontinente qui, apeurée par larrivée des gendarmes, ne peut retenir ses fuites : sont alors évoqués le « tourment de ses entrailles », les « bons offices du plexus hémorroïdaire moyen », « la striction délibérée des anneaux rectaux les plus cotés, bien

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quexténués par la vieillesse », les « valvules de Houston », les « semi lunaires de Morgagni », la « tentative désespérée de blocage de lampoule », les « rétentions ultimes », le « déblocage de quelques gouttes phobiques, plouf, sur le quai », enfin le dessous de « lentrejambe de la vieillarde », dépourvu de « lingerie intime » (chap. ix).

Sur le concept du visage du fils de Dieu, spectacle conçu et mis en scène par Romeo Castellucciau Theater der Welt à Essen en 2010, représente une crise dincontinence sénile dun père sous les yeux de son fils. La représentation se veut hyperréaliste : les excréments* se répandent de plus en plus, au fil des trois crises. À chaque fois le fils du vieil homme nettoie les coulures sur le mobilier, puis les fesses* et le dos de son père, et lui met une couche. La scène est dominée, au loin, par une reproduction géante du tableau du Christ bénissant – Salvator Mundi – peint par Antonello di Messina (xve siècle). La pièce dure cinquante-neuf minutes et la première crise dincontinence plus de quarante. Le metteur en scène a expliqué vouloir lier le trivial et le sacré en passant de la scatologie à leschatologie (comme le fit aussi Dali en son temps) : de même que le père, par son incontinence, perd sa substance, de même le Christ a abandonné sa divinité et, mourant sur la croix pour le salut du monde, sest abaissé jusquà la misère humaine la plus triviale.

Dans Nausée de Céline (1980), le critique Jean-Pierre Richard consacre une annexe à la « puissante rêverie de lincontinence » quil met au jour dans lœuvre célinienne. Il montre comment la « tripe », parce quelle constitue pour lécrivain le cœur de toute intimité mais quelle ne cesse de se répandre, fait le drame dune perpétuelle incontinence et dune permanente déperdition du moi. Doù une curieuse ressemblance établie entre langage et défécation, les deux issues possibles du contenu intestinal.

La publicité*, discours de léloge (des objets et services vendus), tient compte du nombre important, dans la population, de malades et de personnes âgées et aborde, avec précautions, lincontinence. Les femmes, habituées des spots pour protections hygiéniques menstruelles et autre « protège-slips », sont beaucoup plus présentes dans les réclames que les hommes, même si lon a vu apparaître sur les écrans, lors de la Coupe du monde de rugby de 2023, un sportif vêtu dune culotte jetable. Le sujet reste délicat.

Médecine

Injure

Grossièreté ; Merde ; Pamphlet