Aller au contenu

Classiques Garnier

C

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Dictionnaire du lyrique. Poésie, arts, médias
  • Pages : 57 à 72
  • Collection : Dictionnaires et synthèses, n° 27
  • Thème CLIL : 3431 -- ENCYCLOPÉDIES, DICTIONNAIRES -- Encyclopédies et dictionnaires thématiques
  • EAN : 9782406159759
  • ISBN : 978-2-406-15975-9
  • ISSN : 2261-5938
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15975-9.p.0057
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 21/02/2024
  • Langue : Français
57

C

Caraïbes (francophones)

Les formes lyriques dans la poésie des Caraïbes (et, par extension, dans la poésie postcoloniale de langue française) aux xxe et xxie siècles, peuvent sappréhender dans toute leur dimension critique, au-delà de la tradition (Andrew Ford, 1983), à partir des relations que ses auteurs entretiennent avec lhistoire, lesthétique et la politique.

Jean-Paul Sartre a clairement identifié la relation du lyrisme à lhistoire chez les poètes noirs de lAnthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Léopold Sédar Senghor (PUF, 1988 [1948]) qui regroupe des œuvres dauteurs africains, antillais, caribéens et malgaches.Dans Orphée noir, qui sert de préface à ladite anthologie, il considère à ce titre que la poésie de la négritude a des accents orphiques (voir Orphée*, Magie*), en sappuyant sur la poésie dAimé Césaire. La plongée « en lui-même » par quoi ce poète noir antillais retrouve lAfrique perdue ou confisquée ressemble à cette « descente aux Enfers » qui permet à Orphée de « réclamer Eurydice à Pluton ». Chez le « vates de la négritude le thème du retour au pays natal et celui de la redescente aux Enfers éclatants de lâme noire » sont « indissolublement mêlés. [] Il sagit dune quête, dun dépouillement systématique et dune ascèse quaccompagne un effort continu dapprofondissement. » (Sartre, 1988, XVII).

Ainsi, par un bonheur poétique exceptionnel, cest en sabandonnant aux transes, en se roulant par terre comme un possédé en proie à soi-même, en chantant ses colères, ses regrets ou ses détestations, en exhibant ses plaies, sa vie déchirée entre la « civilisation » et le vieux fond noir, bref en se montrant le plus lyrique, que le poète noir atteint le plus sûrement à la grande poésie collective : en ne parlant que de soi il parle pour tous les nègres ; cest quand il semble étouffé par les serpents de notre culture quil se montre le plus révolutionnaire, car il entreprend alors de ruiner systématiquement lacquis européen et cette démolition en esprit symbolise la grande prise darmes future par quoi les noirs détruiront leurs chaînes (Ibid.).

La poésie de la négritude relève dun état lyrique classique avec ses manifestations spécifiques (transes, possessions). À la différence de la poésie « blanche européenne » où « il est à peu près impossible [] de renouer avec les traditions populaires : dix siècles de poésie savante les en séparent et dailleurs linspiration folklorique sest tarie. » (Ibid., XXIV) à moins de procéder par « limitation », la « poésie noire », « objective », a conservé du lyrique tous les caractères authentiques.

Cette authenticité est à la mesure de lexpérience historique concrètement vécue. Alors que là-bas, dans la poésie européenne, selon Sartre, le lyrisme est pur ornement esthétique, dans la poésie de la négritude, il est véritable manifestation dune voix qui traduit expressément la passion quil a eu « lhorrible privilège » de connaître. « On pourrait, de ce point de vue, nommer la négritude une Passion :

58

le noir conscient de soi se représente à ses propres yeux comme lhomme qui a pris sur lui toute la douleur humaine et qui souffre pour tous, même pour le blanc. » (Ibid., XXXIV)

Lorsque Sartre feint dopposer deux formes de lyrisme, un lyrisme « nègre » et un lyrisme « blanc », sa réflexion procède en fait de lhistoire du genre et de sa fortune contemporaine. Une réflexion du même type est entreprise par Milan Kundera dans Les testaments trahis au sujet du roman fabriqué « en dessous du 33e parallèle » (Chamoiseau) qui conserve mieux que tout autre lhéritage de Cervantès. Comme la souligné Andrew Ford dans son étude consacrée à Archiloque le Colon, la poésie lyrique résulte de « linteraction entre forces historiques et forces rhétoriques » (63). Pour les auteurs de lAnthologie comme Senghor, familier de lAntiquité et de lhistoire de sa poésie, Platon avait « ravalé la poésie au niveau dinstrument dune morale de lhonnête homme, en lidéalisant, ou en la dénaturant, sagement suivant le but éthique, pour conduire vers le Beau mais surtout le Bien. » Malgré les efforts dAristote pour corriger les leçons de son maître, « lorientation éthique et instrumentale de la poésie naura pas changé fondamentalement » (« Dialogue sur la poésie francophone », 1990, 381). En se reportant à lAntiquité, Senghor rapporte la poésie de la négritude à la poésie dHomère. Pour celui-ci, « et les Grecs de son époque, le poète est visité, habité par un dieu, qui lui donne la force de linspiration [] Possédé par une divinité, la muse, le poète-récepteur modulait le chant que lui chantait celle-ci, mais non sans y apporter sa marque, cest-à-dire sa forme propre [] cest ici que lon rejoint lAfrique noire et cest dautant plus révélateur que les Grecs reconnaissaient le caractère métis de leur civilisation, qui, disaient-ils, avait reçu les apports complémentaires [] de lÉgypte, qui, au dire de ses habitants, avait été à son tour, civilisée par les “Éthiopiens”, cest-à-dire par les Noirs » (art. cité, 379).

Le rapprochement que Senghor opère entre les Grecs et les Noirs dAfrique jette une autre lumière sur la relation que Sartre établit entre lunité dexpression poétique et lhistoire unique de lesclavage :

Dun bout à lautre de la terre, les noirs, séparés par les langues, la politique et lhistoire de leurs colonisateurs, ont en commun une mémoire collective. [] Ainsi lorsque le noir se retourne sur son expérience fondamentale, celle-ci se révèle tout à coup à deux dimensions : elle est à la fois la saisie intuitive de la condition humaine et à la fois la mémoire encore fraîche dun passé historique (Sartre, op. cit., XXXVII).

Une telle situation historique rappelle, mutatis mutandis, lexil qui a présidé à la naissance de la poésie lyrique dans la Grèce archaïque. De même que le poète grec, Archiloque le Colon en loccurrence, loin de chez lui, est confronté à son ailleurs originel, de même le poète de la négritude. Dans la postface dÉthiopiques (1956), Senghor décrit la situation des poètes noirs qui, exilés en Europe et forcés de rendre compte de leur réel, doivent se servir du seul instrument à leur disposition, la voix. Celle-ci doit leur permettre de renouer le fil perdu de la création :

Ils chantent, mais ce nest pas ce quils voient de leurs yeux. Bien sûr, ils ont évolué – morts les cours damour et les jeux gymniques ! Ils nont donc plus, pour les nourrir, les rythmes des tam-tams et des balafons, la voix des kôras, lencens de lAmante. Le voilà donc, le poète daujourdhui, gris par lhiver dans une grise chambre dhôtel. Comment ne songerait-il pas au royaume denfance, à la terre promise de lavenir dans le néant du temps présent ? Comment ne chanterait-il pas la « Négritude debout » ? Et puisquon lui a confisqué ses instruments, que les 59remplacent tabac, café et papier blanc quadrillé ! Le voilà comme le griot, dans la même tension du ventre et de la gorge, la joie au fond de langoisse. Je dis : amour et parturition (Senghor, Éthiopiques, 1990 [1956], 156-157).

Pour Senghor, la pratique de la poésie nègre (contemporaine) confirme les dispositifs originels dun lyrisme africain (voir Afrique subsaharienne*). Autrement dit, il ny aurait pas de lyrisme sans une sorte de reconfiguration de la voix poétique : lécriture remplace loral et la fixe ; le poète succède au griot ou à la griotte et le (la) dépasse ; les excitants ou les stupéfiants se substituent à lenvoûtement et à lenthousiasme* qui précèdent la déclamation. La « nouvelle poésie nègre et malgache de langue française » désigne alors, plus fondamentalement, le moment de lavènement dun personnel poétique inconnu dans lAfrique ancienne (lécrivain de plume) et celui dune parole qui doit emprunter des accents ou des formes autres pour mieux conserver (ou conforter) les anciennes. Le lyrisme des poètes de la négritude prolongerait les traditions africaines de ce genre tout en rejoignant les pratiques originelles connues de cette forme dans la Grèce archaïque.

Le poète martiniquais Édouard Glissant sappesantit, lui, sur le rapport du lyrisme au politique. En replaçant lapparition des formes esthétiques dans leur contexte historique, il suggère que le lyrique ne peut être détaché de lépique ou du tragique. Le lyrique apparaît, selon lui, en Occident, avec la conscience du sujet sur son existence dans la Cité et en labsence dune interrogation ou dune incertitude sur son devenir : « Quand en effet lépique et le tragique se furent épuisés en Occident (quand la Cité se fut rassurée sur son existence), ils firent place à ces deux modes : le lyrique et le politique, tous deux de clarté, où sengagèrent les individus devenus personnes humaines, cest-à-dire désassemblés du mystère sacré de la collectivité » (Glissant, Poétique de la relation, 1990, 67).

Replaçant lesclavage au cœur de son propos historique et critique, Glissant interroge globalement ses conséquences politiques – labsence de conscience de soi, de peuple, dindividu, de liberté, de pays, de nation, de communauté, etc. – sur la production des esthétiques antillaises au tournant du xxie siècle. De façon plus spécifique, il sagit, pour lui, de poser les bases dune poésie plus conforme à la nature des sociétés forgées dans (et par) lesclavage transatlantique, sociétés qui relèvent de larchipel, du composite, du divers ou de lhybride (Voir Glissant, Philosophie de la Relation. Poésie en étendue, 2009). Ici, le lyrique ne saurait être envisagé sans que soient pris en compte ce qui, conjointement et paradoxalement, fonde lavènement desdites communautés au monde : lépopée européenne des voyages et des découvertes dun Nouveau Monde ; la tragédie du nègre résultant des conséquences néfastes de la rencontre des peuples, des mondes, des civilisations (effacement des histoires, soumission des peuples, crime contre lhumanité, etc.) :

Un épique et un tragique modernes exprimeraient la conscience politique (non plus une impossible conscience naïve) mais désengagée de la fureur civique ; fonderaient le lyrisme dans une confluence de la parole et de lécriture, par où le communautaire, sans seffacer (mais sans quil généralise ses vérités à la manière dont le tragique chrétien – Eliott ou Claudel – a voulu le faire), initierait à la totalité sans abdiquer le particulier ; et relativiseraient de la sorte le spécifique sans avoir à confondre lAutre (létendue du monde) dans une transparence réductrice (Glissant, op. cit., 67-68).

Dans sa réflexion sur cette « nouvelle région du monde » (Une Nouvelle Région du monde, 2006), « post-découverte » en 60quelque sorte, Glissant révèle en définitive ce qui caractérise, selon lui, lessence du lyrique : un aspect dun ensemble plus vaste, le poème ; une partie non distincte dun tout indifférencié, les « Arts » ou les « littératures », dont les valeurs ne se comprennent que dans une « philosophie de la Relation » caractérisée par une absence de « frontières ». La créolité en est lexemple. Quelle soit associée ou non à une écriture, la voix doit veiller à exprimer des contraires, détail et totalité, particularité et globalité, passé et présent, moi et lAutre, etc. Elle doit se tenir en équilibre entre toutes les exigences de telle sorte que se révèlent à la fois lintensité et la fragilité des choses. Quelle que soit sa forme esthétique, le lyrisme porterait un double sceau : laffirmation dune identité propre, inaliénable, dune part ; louverture au monde quil faut maintenir dautre part, à travers des accents « non totalisants », voire « non totalitaires ». Chez Glissant, le lyrique ne peut être séparé dune « politique de la Relation » où les sujets « changent en échangeant sans se changer ou se dénaturer ».

La volonté de renouer le lyrisme avec une expression esthétique ouverte au monde oblige les poètes contemporains de la Caraïbe, à se méfier des idéologies de toutes sortes, des messianismes de tous poils, qui ont marqué les histoires politiques du xxe siècle. Pour le Haïtien, René Depestre, le lyrisme ne peut saccommoder du thuriféraire. Cest au contraire ce qui sauve la poésie postcoloniale de laventure délirante de lengagement politique :

Le mythe messianique qui a failli truquer à jamais mon intégrité dartiste et de citoyen maura également mis à deux doigts de perdre lautre voix, celle que tout vrai poète tient des zones démerveillement de son enfance. Cette perte meût condamné à errer à travers le monde, frappé d« aphasie lyrique » [selon lexpression dOctavio Paz], comme ce chanteur « à la coque vide » dont parle un aphorisme de Hugo Von Hofmannsthal (Depestre, Anthologie personnelle, 1993, 11).

Pour Depestre, qui en a fait une longue (et amère) expérience, le vrai poète (noir) doit séloigner de ces « trois flèches » qui « propulsent » le triple credo contestataire, à savoir, la « négritude-debout », le « brûlot surréaliste » et « lidée de révolution », pour retrouver la « voix de lenfance ». Cest en celle-ci, et en celle-ci seule, que gît le lyrisme.

On comprend ainsi pourquoi, en définitive, dans la poésie des Caraïbes, de Saint-John Perse à Glissant, de Césaire à Damas, de Monchoachi à Roumain, de Davertige à Jean-Claude Charles, dIda Faubert à Carl Brouard (pour ne citer que quelques-unes des grandes voix poétiques de ces contrées) – comme dans la poésie dAfrique noire dailleurs (Senghor en est lexemple) –, le lyrique se confond au « Royaume de lenfance ». Ce lieu de lhistoire (personnelle et collective), aussi présent quéloigné dans le temps, toujours actuel et toujours fugace, lenfance, présente toutes les caractéristiques qui rendent possible la permanence incontestée dun chant dont la valeur est de rendre la passion de son moi (individuel et communautaire) au monde.

Ford A., « Linventeur de la poésie lyrique : Archiloque le Colon », Mètis. Anthropologie des mondes grecs, 8-1-2, 1983, p. 59-73. Glissant E., Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990. Sartre J.-P., « Orphée noir », préface à L. S. Senghor, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, PUF, 1998 [1948]. Senghor L. S., Œuvre poétique, Paris, Seuil, 1990 [1956].

Afrique subsaharienne (francophone) ; Communauté ; Francophonie ; Noir, négritude ; Primitivisme

Romuald Fonkoua

61

Césure, coupe

Selon les règles de la versification française classique, les vers de plus de huit syllabes comportent une césure. Celle-ci ne découle pas de la distribution des accents, mais occupe une position fixe dans la structure métrique du vers. Pourtant, sa raison dêtre originelle tient à la nécessité ressentie de créer une régularité du rythme inférieure au nombre total de syllabes des vers longs, dont il serait difficile de percevoir la récurrence à loreille. Selon ce principe, il est donc logiquement attendu que la syllabe précédant la césure soit accentuée, de sorte que lon perçoive bien le retour de modules de 4 à 6 syllabes.

Lorsquun « e » caduc rôde autour de la césure, trois profils particuliers sont observés, qui sécartent du modèle classique :

1. L« e » caduc peut être placé sur la première syllabe du second hémistiche et être prononcé, car suivi dune consonne : dans ce cas, le mot est coupé par la césure, mais laccentuation reste conforme à la logique de la langue, puisque cest la dernière syllabe tonique du mot coupé qui est accentuée. On appelle ce type de césure « enjambante ».

2. Dans certains cas, le poète traite l« e » caduc de fin dhémistiche comme sil était en fin de vers et lélide même si le second hémistiche commence par une consonne : cette césure est appelée « épique », en raison de sa présence fréquente dans les chansons de geste médiévales.

3. Le troisième type est la césure lyrique : cest celui qui est le moins conforme à la logique de la langue, puisque la position de fin dhémistiche, supposément accentuée, est occupée par un « e » caduc.

Pourquoi appelle-t-on cette césure « lyrique » ? Le terme a été introduit dans les années 1820 par le philologue allemand Friedrich Diez, dans ses études pionnières sur la poésie des troubadours. Sil a opté pour ce terme, cest parce que cette césure est couramment pratiquée dans la poésie lyrique médiévale. Le partage des césures entre les genres médiévaux nest pas systématique : on trouve parfois des césures lyriques dans des chansons de geste, mais la chose est beaucoup plus fréquente en poésie lyrique, pour une raison aisément compréhensible, qui tient à la part centrale que prenait la musique dans la diction des vers lyriques. En musique, il est à peine gênant daccentuer un « e » caduc : la ligne mélodique contribue à extraire la langue de son usage courant et à atténuer limpression de discordance liée à une accentuation contraire à cet usage. Pourtant, les théoriciens du vers nont pas tardé à réprouver la césure lyrique : régulièrement critiquée dès la fin du xve siècle, elle disparaît rapidement de la prosodie française, pour ne réapparaître quà lorée de la « crise de vers » (1870-1880). On en trouve par exemple cinq dans « Quest-ce pour nous, Mon Cœur… » de Rimbaud (1872), dont trois dans les huit premiers vers (« Et de braise, et mille // meurtres, et les longs cris », ou « Périssez ! Puissance, // justice, histoire, à bas ! »). Puis, avec laffranchissement des règles classiques, la « césure lyrique » prend dans la poésie moderne une tournure moins offensive, comme en témoignent par exemple ces deux vers tirés dun sonnet de Jaccottet : « Ne crois pas quelle aille // sendormir sous des branches / ou reprendre souffle // pendant que tu écris. » (« Sois tranquille, cela viendra », dans LEffraie).

Mais, dans le cas de Jaccottet, peut-on encore parler de « césure » ? Pour que ce terme ait un sens, il faudrait admettre que les quatorze vers de ce poème sont des « alexandrins » (irréguliers) plutôt que de simples « dodécasyllabes » (i.e. des vers de 12 syllabes, mais sans césure). 62Car si lon ne tient pas la césure pour une contrainte imposée par le moule de lalexandrin, rien ne saurait nous porter à accentuer la sixième syllabe de ces vers. Dans un tel cas, le principe daccentuation serait lié à la syntaxe, et on accentuerait les syllabes qui porteraient aussi un accent en prose. Ce faisant, on pratiquerait non des « césures », mais des « coupes », consistant à délimiter les contours des groupes accentuels.

Cette définition de la « coupe » ne fait-elle pas de la notion de « coupe lyrique » une contradiction dans les termes ? Si la coupe suit la logique accentuelle de la langue, quest-ce qui pourrait justifier que lon choisisse de pratiquer une coupe lyrique, cest-à-dire de mettre en valeur un « e » caduc ? Un tel choix se justifie pourtant lorsquune ponctuation suit l« e » caduc, impliquant une pause après lui. Par exemple, chez Racine : « Jaime ! Ne pense pas quau moment que je taime [] ». Comment prononcer l« e » caduc de « Jaime » ? Personne, sans doute, ne déportera laccent de la première à la deuxième syllabe du vers, mais chaque diseur pourra opter pour un marquage plus ou moins appuyé de la deuxième syllabe, favorisant plutôt une coupe enjambante (« Jai/me ! Ne pense pas… ») ou une coupe lyrique (« Jaime ! / Ne pense pas… »). Dans ce cas, la première syllabe continuerait de porter laccent, mais la manière de prononcer l« e » caduc et le temps de latence laissé après lui le placeraient dans le groupe intonatif bisyllabique « jaime », plutôt que de suggérer un découpage 1/5 de lhémistiche considéré.

Contrairement à la césure lyrique, qui est un fait structurel observable, la coupe lyrique relève donc dun choix de diction du vers.

Gouvard J.-M., La Versification, Paris, PUF (« Premier cycle »), 1999. Lote G., Histoire du vers français, Tome I. Première partie : le Moyen-Âge, Les origines du vers français, les éléments constitutifs du vers : la césure, la rime, le numérisme et le rythme, Genève, Slatkine reprints, 1991 [1949].

Vers libre ; Verset

Christophe Imperiali

Cinéma

Film*

Circonstance

La présence du poète au présent le pousse à se rendre attentif aux « heures daffluence », au surgissement du temps comme affluence. En un mot, aux « circonstances », sil est vrai selon le mot de Hegel que tout poème est de circonstance : « le rapport vivant au monde réel et à ses accidents particuliers, aux circonstances de la vie publique et privée se montre de la manière la plus riche dans ce quon appelle les poésies de circonstance. Dans une acception plus large du mot, on pourrait désigner ainsi la plupart des œuvres poétiques » (Hegel, Esthétique, 441). Ou, selon le poète Michel Deguy : « le poème est lhôte de la circonstance »et encore : « la circonstance est la muse » (« Poème de la circonstance », Made in USA, 1978, 178). La circonstance nest pas seulement ce qui se tient autour, cest ce qui ne cesse de sadresser à moi, de minterpeler, de me traverser et qui afflue.

La modalité de la présence au présent, cest lattente de ses affluences – une disponibilité sans autre objet que le présent qui vient, sa saisie en langue. Le présent (du poète) est attente de ce quil nattend pas, non quil ne lattende plus (comme un présent qui attendrait un retour du passé) ou quil ne sy attende pas (comme un présent qui sattendrait à un futur), mais quil ne saurait quoi attendre (comme un présent ouvert au présent). Disponibilité, attente, patience peuvent être avancées comme des qualités du poète attentif au présent. Poème, éveil à linattendu 63survenu en surplus daffluence ; poème : disponibilité aux différences du temps rendues simultanément actuelles. Le poète est aux aguets. Hugo dans La Fin de Satan : « Toujours être aux aguets ! Toujours être en éveil ! »

Si le poète est aux aguets pour saisir la circonstance, le poème saisit le lecteur au présent de la langue et, par lui, la langue semble comme « rendre présent » le présent lui-même : frisson lyrique, intensité par où le poète touche, émotion quand la poésie rencontre le rythme profond de lexistence. La proposition lyrique, énoncée au présent de lindicatif, rassemble les présents et les offre au lecteur (cf. Effet de présence*).

Les présents du présent ont reçu plusieurs noms dans la poétique : le « il y a » dApollinaire, le « chaos » de D. H. Lawrence, « lévénement » enfin, quil sagisse de celui dAlain Badiou, de Claude Romano ou de Gilles Deleuze.

Le « Il y a » et le « chaos »
en poésie

On rappellera « Enfance » de Rimbaud (« Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir ») et le poème dApollinaire « Il y a », qui se rend si bien attentif à ce quil y a, à ce mobilier du monde sous la main : « Il y a des petits ponts épatants / Il y a mon cœur qui bat pour toi / [] Il y a un poète qui rêve au ptit Lou / Il y a un ptit Lou exquis dans ce grand Paris ». Dans « Il y a », un seul être vous manque et tout se peuple de ce quil y a. Il y a ce quil y a sans distinction et le poème fait flèche de tous ces bois-là. Cest le lyrisme de « tout lamour du monde » donné au présent impersonnel et sans la moindre tentative de synthèse. Le « Il y a » fascine les phénoménologues : Heidegger, Blanchot, Derrida et Romano après eux. Cest que le syntagme français peut être lindice en langue de la différence ontologique : lontique cest ce quil y a (il y ax, y, z : un oiseau, des petits ponts épatants) ; lontologique cest le fait quil y a (le lien fascinant du « il » et du « y »). Le poète fraie dans lontique, et il arrive que ce frayage ouvre sur la différence ontologique, comme un chemin qui découvre un gouffre.

D. H. Lawrence a formulé ce rapport avec rigueur. « Lhomme, les animaux, les fleurs, tous vivent dans un chaos si étrange et à jamais houleux. Le chaos auquel nous nous sommes accoutumés, nous lappelons cosmos. Lindicible chaos intérieur qui nous compose, nous lappelons conscience, esprit et même civilisation ». (Le Chaos et la poésie, Black Herald Press, traduction Béatrice Longre, 2017). Lawrence voudrait que le poème fût une fidélité au chaos ; que le poète déchire la belle ombrelle que la culture ne cesse dinterposer entre le chaos et lui. Il arrive, poursuit Lawrence, quun poète vienne, « qui fait une fente dans lombrelle et voyez ! le chaos entraperçu est une vision, une fenêtre vers le soleil ». Nombreux sont les efforts pour « peinturlurer la fente » et réduire le chaos, mais le « désir du chaos est le souffle de la poésie ». Le chaos, cest ce quil y a au présent et à quoi le poète doit rester fidèle. Peut-être pourrait-on trouver là une manière de revenir aux poèmes du chaos primordial – on pense à Lucrèce, aux poètes métaphysiques, mais aussi à Du Bartas ou à Hugo. On pense à ces poètes dont la langue permet de dépasser les cadres de lintuition : il suffira de citer le Rimbaud des Illuminations ou le sonnet de Mallarmé, « À la nue accablante tu », sublime vertige dabsences dont il ne reste rien que labîme en sa vanité – le « flanc enfant dune sirène ».

Lévénement de la circonstance

Nombreux sont ceux qui font aujourdhui de lévénement le présent du poème. Une pensée de lévénement appelle 64une poétique nouvelle du présent. Elle se fonde sur une ontologie et commande des thèses sur la subjectivation. On évoque ici deux pensées majeures de lévénement qui correspondent à deux poétiques : Alain Badiou et Gilles Deleuze. Alain Badiou, tout comme Claude Romano (LÉvénement et le monde, 1998, et LÉvénement et le temps, 1999), a proposé une pensée influente de lévénement. Badiou et Romano dans des perspectives plus divergentes quopposées partent de lévénement pour reconfigurer une pensée du sujet ; Deleuze pense lévénement pour déployer un champ transcendantal sans sujet.

Dans LÊtre et lévénement, Badiou définit le sujet comme fidélité à un événement fondateur, ce qui le distingue dun fait. Cest un multiple singulier dont on doit se demander sil appartient à une situation, sécartant de son site « par interposition de lui-même entre le vide et lui » ou sil ne lui appartient pas, ce qui donnerait raison à Mallarmé, pour qui « rien na eu lieu que le lieu » (voir la méditation dix-neuf). La pensée politique, érotologique et théologiquede Badiou fait du sujet un fidèle. Une telle philosophie permet de comprendre quil faut inverser les liens entre fidélité et événement : ce nest pas parce que tel ou tel événement est exceptionnel que jy suis fidèle, mais bien parce que je suis fidèle à telle ou telle rencontre que son événement en devient exceptionnel. On avancera ici que, dans cette optique, le poème reste fidèle au présent immémorial de la rencontre : il ne cesse dopérer en fidélité. Cette thèse se retrouve chez Claude Romano pour qui lévénement constitue la temporalité de ladvenant. Cest son présent continué que les poèmes prescrivent. Le pétrarquisme a pu nommer cette fidélité à lévénement.

La pensée du présent de lévénement de Gilles Deleuze et les conséquences quil en tire sont éloignées des thèses de Badiou, quil permet de rapprocher de Romano. Pour Badiou, le présent de lévénement définit des subjectivations. Deleuze considère quune véritable pensée de lévénement permet de nous débarrasser du sujet. Il invite à un lyrisme impersonnel. Logique du sens, ce livre difficile, propose dans une lecture croisée des stoïciens et de lœuvre de Lewis Caroll, une ontologie de lévénement qui enveloppe une théorie de lexpression. « Entre ces événements-effets et le langage », peut-on lire dans la troisième série intitulée « De la proposition », « ou même la possibilité du langage, il y a un rapport essentiel : il appartient aux événements dêtres exprimés ou exprimables, énoncés ou énonçables par des propositions au moins possibles »(22). Or le temps de lévénement, ce nest pas le présent de Chronos, mais celui de lAion (voir Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, 1975, surtout « Le verbe et le temps », 3-120). Lontologie deleuzienne de lévénement libère des types dindividuation qui ne sont plus personnels. « On sinterroge sur ce qui fait lindividualité dun événement : une vie, une saison, un vent, une bataille, cinq heures du soir… ». Et Deleuze de conclure : « nous croyons que la notion de sujet a perdu beaucoup de son intérêt au profit des singularités pré-individuelles et des individuations non personnelles » (« Réponse à une question sur le sujet », dans Deux régimes de fous, textes et entretiens 1975-1993, 2003, 325-327 ; Logique du sens, 1969, 124-125). Le lyrisme deleuzien est un lyrisme de la troisième personne, un lyrisme impersonnel.

La grammaire temporelle
du présent et la circonstance

Lessentiel est que le présent est une réalité composée, moins une pointe (on dit bien « à la pointe de lactualité ») quune nappe ou un bassin où du futur chasse du passé et du possible sombre pour sy figer dans du nécessaire. Autant ce dernier 65point qui relève de la logique devra être ici négligé, autant la saisie du présent doit nous retenir car ce dernier, comme le faisait déjà remarquer Augustin, peut bien être compris comme exprimant un passé (« il sort à linstant ») comme un futur (« il arrive tout de suite ») ou comme un présent (« je vous le passe ») ; comme indiquant un instant (« il tombe »), une période (« il pleut tout le temps ici »), une vérité générale (« la terre tourne autour du soleil »).

On peut suivre ici une analyse du poète Michel Deguy : « Le poème, synoptique au présent de lindicatif, rassemble des choses – ou en disjoint – dans le à-la-fois de son il-y-a, comme si son sujet, son je, quil soit lyriquement shifté ou non, était un relateur dans un moment de survol, très ailleurs très près, au pseudo-présent (construit) dune vision ou conception » (« Le sujet du poème, sujet à poèmes », Aux heures daffluence. Poèmes et proses, 1993, 14). Le poème opère au présent (à la fois) la synthèse des présents (il y a). Il rameute les présents du passé, convoqués dans la rémanence de « ce qui nen finit pas » (ces « il y avait » qui persistent à/sous la surface du présent), et les présents du futur, évoqués dans limminence de ce qui ne peut manquer de survenir (ces « il y aura » qui sannoncent à/sous la surface du présent). Pour ce faire, le « je » du poète assume la position de surplomb du « rassembleur » – poète Orphée des temps. Ramassant, il conçoit et donnant à voir il conçoit encore. Présence et présence de présence. Certes. Mais ce présent, que vaut-il ? Le poète le qualifie de « pseudo-présent ». Quest-ce à dire ? On a coutume daffirmer depuis Aristote (Poétique XX, 57 a 15 sq.) que le verbe à lindicatif présent est le vecteur privilégié de lopposition des trois époques : lactuel, le passé et le futur. Le présent de lindicatif aurait trait à lactuel comme les temps du passé au passé et le futur de lindicatif à lavenir. Quand le poète affirme que le présent de lindicatif du poème est un pseudo-présent, il exprime un doute puissant sur cette thèse et rencontre certains grammairiens qui formulent le doute suivant : et si le présent navait pas trait à lactuel mais à lactualisation (voir Guy Serbat, « Le prétendu “présent” de lindicatif : une forme non déictique du verbe », dans Linformation grammaticale, 1988, 32-35) ? De fait, dans les formes grammaticales du présent, aucun élément signifiant ne saurait être isolé qui soit porteur dun sème indiquant le présent. Pire encore : le présent ne cesse de sévader de son site propre, pour sinstaller dans les sites opposés, en bonne intelligence avec des marques explicites de passé ou de futur. Les exemples sont légion, sans même recourir à lexemple classique du « présent historique ». Faut-il alors suggérer lexistence dun « présent poétique » ? Mieux vaut sans doute reconnaître que le présent historique et le présent lyrique exploitent la singularité du présent : il est étranger à lactuel et, en général, à toute notion dépoque. Ce qui explique à la fois son affinité pour les vérités éternelles (celles des mathématiques) et pour les contextes clairement marqués comme non actuels. Autant dire que le « présent » nobéit à aucune deixis temporelle. La poétique du présent de lindicatif exploite cette ampleur temporelle : le poète a bien raison de lindiquer comme un « pseudo présent ». Tout présent de poème serait alors « comme un présent » (Voir Effet de présence*). Le poète rassemble en synopsis le monde présent, il conjugue les époques et rassemble les êtres : il fait comme sil conjuguait les époques et rassemblait les êtres. Le présent est une fiction grammaticale dont le poète est le chef dorchestre (voir Bernard Pottier, « Le présent est une fiction vécue » Théorie et analyse linguistique, 1987, 163).

Ce quil y a, cest laffluence des circonstances ou, si lon préfère, la 66« concordance des temps », si la question introduite par la grammaire de la concordance des temps est celle du rapport entre le temps de lénonciation et le temps vécu. Cette question se pose quand le vécu est comme tiraillé entre un temps chronologique et un présent logique. Elle se situe précisément dans la mise en rapport dune temporalité empirique et dune constitution transcendantale. Le poème sait faire varier les effets de sens du présent.

Guillaume G., Temps et verbe. Théorie des aspects, des modes et des temps suivide Larchitectonique du temps dans les langues classiques, Paris, Honoré Champion, 1984 [1929]. Richard J.-P., Poésie et profondeur, Paris, Le Seuil, 1955. Weinrich H., Le Temps, Paris, Le Seuil (« Poétique »), 1973.

Aspect (temporel) ; Effet de présence ; Temps ; Rites

Martin Rueff

Chant, chanson

Le chant savère un point nodal de la figuration lyrique, au travers du mythe fondateur dOrphée*. Ce mythe du poète-chanteur, déplorant la perte de son Eurydice, et faisant lever le soleil en exprimant mélodiquement sa douleur, éclaire un lien essentiel entre le chant et les seuils : sy joue une image du lyrique aux confins de la perte et de la disparition, mu par un désir de résurrection, et un essor de lumière, en compensation. Le mythe* dessine le chant lyrique comme un itinéraire cathartique ou de sublimation, de lintime au cosmique. Cest à cette aune que peut senvisager une distinction entre la pratique universelle du chant – émission vocale sur une ligne mélodique, sans nécessité de paroles articulées, ou clairement intelligibles – et la catégorie esthétique du genre chanson, qui suppose une articulation entre la mélodie et des paroles. Ce genre possède en outre lintelligibilité aisée des paroles, grâce à un phrasé naturel – à la différence par exemple du bel canto et de la tradition des airs dopéra*, autres formes de chant, ou dautres formes de poésie orales*, comme le slam* et le rap*, déclamations rythmées, a priori sans besoin de mélodies.

Depuis une trentaine dannées, lapproche cantologique du genre chanson dans la sphère francophone tend justement à souligner ce lien structurellement lyrique entre la forme chanson telle quelle sest fixée avec les troubadours en langue doc – en tant quéquilibre entre des paroles assez brèves et une mélodie dessence monodique –, et une dimension temporelle dessence éphémère, précisément nourrie de cette fugacité que la mémorisation dune chanson, avec ses paroles intelligibles, permet, apotropaïquement, déterniser.

Fixée par les troubadours à partir du duc Guillaume dAquitaine, peu après lan mille, la forme chanson surgit dune confluence culturelle : le chant monodique, dit grégorien, vient dêtre mis au point et diffusé depuis les abbayes de lempire carolingien. Mais, thématiquement, le chant, à lorigine sacré, reprend désormais les inspirations profanes et amoureuses de la poésie lyrique arabo-andalouse : le territoire de la langue doc se trouve au carrefour de ces deux traditions, avec les Pyrénées comme espace de passage. La chanson naît comme une œuvre courtoise, dans les cours de seigneurs, ou de lettrés éduqués par des clercs : ils savent lire, écrire et chanter, et ils remplacent dans leurs chansons la célébration de la Vierge sacrée par celle dune Dame de cœur, tout aussi suzeraine, que la sensualité mélodique peut essayer de charmer. Le troubadour se pose en Orphée chrétien. La forme ainsi établie se diffusera dans toutes les sphères de linfluence culturelle de la langue doc. La chanson sera dès lors la forme populaire du chant en particulier 67dans les aires hispanophones, lusophones, catalanes bien sûr, et francophones, grâce au truchement des héritiers en pays doïl des troubadours : les trouvères. Le genre acquiert une telle spécificité que le mot « shanson » apparaît même dans la langue japonaise, à côté du mot « uta », qui signifie chant, à linstar de langlais « song », qui regroupe sans les différencier chant et chanson.

Une brève histoire
avec des malentendus

Les développements de la musique savante et polyphonique, puis les progrès de limprimerie et dune poésie donnée à lire, éloignent au fil des siècles poésie et chanson : œuvres savantes dun côté et, de lautre, productions populaires, non signées, contestant souvent lordre établi (politique ou moral), parfois simples expressions liées à un moment (chansons de travail, chansons à boire) ou, seule expression chantée dune forme lyrique, mais collective, manifestations de sentiments à partager sous des lieux communs mélodiques et verbaux (amours, chagrins, douleurs…).

La question des relations entre poésie, lyrique et chanson, resurgit au moment où lon recommence à signer ses œuvres, à lère romantique. On publie des recueils de paroles de chansons, à interpréter sur ce quon appelle des timbres, cest-à-dire des airs à la mode, qui sont donc longtemps des supports interchangeables. Lémergence du droit dauteur pour les compositeurs, à partir de 1851 en France, puis les développements des techniques denregistrement sonore, à partir de 1877, grâce aux inventions dEdison et de Cros, vont pousser à ladoption de mélodies originales pour chaque chanson, même si les interprètes demeurent longtemps multiples. À part de rares précurseurs, comme Dupont, Nadaud, puis Bruant, la figure de lauteur-compositeur-interprète (ACI) prend vraiment son essor à partir de Charles Trenet, cest-à-dire à la fin des années 1930, et surtout après-guerre, avec lavènement de figures emblématiques comme la fameuse triade Ferré, Brassens, Brel. Cette figure de lACI, en concentrant trois fonctions longtemps dissociées, permet dincarner la création lyrique non plus en tant que performance vocale, ou diffusion orale dune poésie dabord conçue pour être lue dans un livre, mais en tant que création artistique spécifique, articulant à lorfèvrerie dune prosodie particulière avec des mots destinés au chant, une volonté dexpression et de communication singulière, au travers dune forme simple et concentrée, puisque diffusable face à un public aussi large et divers que possible.

Dès lors, la production de Brassens ou de Ferré met sur le même plan des chansons composées à partir de leurs propres mots, et des adaptations quils proposent de poèmes allographes que, souvent dailleurs, ils coupent et réagencent pour en faire, non des poèmes chantés, mais des chansons intégrées à leur propre répertoire. Ils commencent par des poètes du xixe siècle, Hugo, Verlaine ou Richepin, puis de tous les siècles, de Rutebeuf, Villon à Aragon, quand dautres chantent Prévert ou Queneau – souvent en purs interprètes, comme Montand, Gréco ou Reggiani… Dans un pays où lécrit est toujours marqueur de légitimité symbolique, létiquette « poète » accolée à certains ACI équivaut alors à un signe de qualité sur fond de tension non résolue entre arts nobles et arts populaires (le fameux débat Béart/Gainsbourg sur la chanson comme un art mineur ou non).

De fait, sur quelle base objective, sinon des a priori personnels, affirmer que Brassens ou Brel seraient poètes (Ferré était publié comme tel dès les années 1950), voire Béart, Nougaro, 68Barbara, Gainsbourg ou Leprest, mais pas Asso, Delanoé ou Lemesle : eux, simples paroliers ? La cantologie déplace lenjeu : assumer la chanson comme un art à part entière. Sa particularité est une courte durée partagée par tous ses récepteurs, et sa matière non seulement une musique et des paroles facilement intelligibles, mais aussi une interprétation. Dès lors nul besoin de le sacrer poète pour valoriser tel chanteur. Créateur, tout simplement, quil ait le statut dauteur-compositeur-interprète, comme Trenet, Barbara, Anne Sylvestre, Lavilliers ou Stromae ; parolier-interprète comme Nougaro ; compositeur-interprète tel Julien Clerc ; ou encore pur(e) interprète comme Edith Piaf ou Johnny Hallyday.

Larticulation avec des poèmes préalables nest alors quun des cas dinterprétation possible, au même titre que les paroles dÀ bout de souffle écrites par Nougaro sur une musique déjà célèbre de Dave Brubeck. ACI mais pas seulement, Brassens en joue de bien des façons. Sa mise en chanson en 1972 du poème méconnu dun poète oublié, Antoine Pol, « Les Passantes », en assure la seule renommée. Son succès, ses reprises par de multiples interprètes montrent sa force conjuratoire. Finir sur ces vers : « On pleure les lèvres absentes / De toutes ces belles passantes / Que lon na pas su retenir », et sinscrire ainsi dans les mémoires qui en reprennent à lenvi les mots et les notes, cest dépasser les oublis, et, comme les madeleines de Proust, devenir ce beau paradoxe dune passante retenue – limage même dune chanson, air fugace et néanmoins mémorisé, fredonné.

Brassens coupe ses poèmes sources. Chez Pol comme chez Hugo, Aragon ou Richepin, dont il tronçonne le poème pour réduire ses « Oiseaux de passage »à un morceau de trois minutes (alors quune interprétation de lintégralité du poème, sur la même mélodie de Brassens, donne un morceau de bravoure de 8 minutes quand Rémo Gary linterprète). Autre refaçonnage : Brassens va jusquà mettre en chanson « La Prière » (daprès le « Rosaire » de Francis Jammes), sur la même ligne mélodique qu« Il ny a pas damour heureux » (poème dAragon dont il supprime aussi la chute, et perturbe donc le sens). Il lui faut ainsi interpréter les six syllabes de « Je vous salue Marie » sur le même air que les huit du vers-refrain dAragon. La poésie en chanson est donc bien affaire dinterprétation (dans tous les sens) et non seulement un art décrire. Cest là que sy creuse son caractère lyrique spécifique.

Il sy joue sous forme dune harmonie suggestive, concise et mise en voix. Par exemple, la capacité de Renaud à bousculer la syntaxe pour donner à entendre en refrain la « féérie » de son amour paternel : « Je suis Morgane de toi » ; lart qua Souchon de condenser, lair de rien ; la tradition de Piaf et le désenchantement dune génération en un vers « Oh la la la vie en rose ». Le « la la la » des vieilles chansons y résonne en « las las las », mais aspire à senvoler, retourné en refrain, « foule sentiment-ale », rime démultipliée en « -al », vers les « étoiles » et les « voiles » de nos rêves partagés. Les sonorités déploient leur propre poésie dans un chant à reprendre en chœur. À cette aune, poésie et chanson, ce serait, en somme, lart de faire résonner les échos du prosaïque, comme lorsque Jeanne Cherhal ose « Douze fois par an », avec le flux entêtant de sa petite musique : cinq notes en leitmotiv, la troisième allongée, un seul adverbe répété, « Régulièrement », et la chanson sait alors faire partager même aux hommes le ressenti des menstruations féminines ; pour donner mots et notes au corps chantant.

Face au malentendu dune simple hiérarchie discutable et fondée sur létiquette douteuse de « chanson à texte » (mais qui a entendu des chansons sans texte ?), 69le lyrisme intrinsèque des chansons se déploierait plutôt lorsque leurs créateurs (ACI ou purs interprètes) osent faire fredonner des règles quils bousculent, quils déplacent, quils mettent en perspectives nouvelles. Comme lorsque Brel fait oublier, porté par lélan crescendo de « Quand on na que lamour », la syntaxe entre ses subordonnées accumulées et sa principale grammaticalement décalée : « Quand on na que lamour [] / Nous aurons dans nos mains ». Abolir la seule logique de lecture, au profit dune réception concentrée par un temps bref et irréversible, ne serait-ce pas cela, la rime profonde entre poésie et chansons ?

Chanson et transparence du moi :
quelle posture lyrique

À cette aune où linterprétation chantée est perçue comme le cœur de lémotion lyrique en chanson, il faut également assumer un brouillage du pacte de sincérité entre le créateur et ses récepteurs. Assumer le « je » pour un chanteur ne signifie pas pour autant livrer des clés autobiographiques scrupuleuses. Jai proposé la formule dune « posture de limposture » pour qualifier ce qui, en chanson, reprend le paradoxe du comédien. Si nul nhésite à distinguer Jacques Brel du personnage ridicule quil interprète dans « Les Bonbons », beaucoup en revanche croient percevoir une dimension autobiographique à lintimité que met en scène« Ne me quitte pas ». Or, en toute rigueur, il faut distinguer le chanteur (qui peut enchaîner « Les Bonbons »et « Ne me quitte pas »), et le canteur (le personnage interprété, différent pour chaque chanson, équivalent donc au narrateur par rapport à lauteur dans un roman, ou au sujet lyrique*). Lauthenticité ne relève pas de lexactitude autobiographique, mais de limpression de sincérité que linterprète parvient à transmettre, au moment du chant, au travers de son corps et de sa voix. Le lyrisme est une posture*, et non un pacte autobiographique : chacun peut se reconnaître dans lintime de cette descente aux enfers que Brel incarne avec « Ne me quitte pas », jusquau royaume des ombres. Nul besoin de voyeurisme pour frissoner de cet inéluctable tic-tac joué davance, que Brel retourne en ces cinq syllabes répétées, y compris par le piano : nemekitepa – et quil reconnaît avoir été surtout inspirées par le rythme de scansion des quatre fameuses notes de Beethoven, comme une voix du destin, dans sa cinquième symphonie. Et si Nougaro ou Hallyday chantent leurs filles en bébés bercés, Cécile ou Laura, le fait quils aient continué à les chanter même quand elles étaient devenues adultes manifeste bien cet écart entre le reflet biographique et ce que toute interprétation scénique implique de décalage. Romain Didier cristallise avec bonheur ce jeu subtil, lorsquil chante, dans « Station Émile Zola », au travers dun canteur dont le « je » est au conditionnel : « Ma mère en souriant me caresserait les joues / Et moi pauvre ignorant je trouverais ça normal ». Lautobiographie en chanson, ce serait peut-être ce conditionnel à la première personne, ces canteurs incarnés par les chanteurs à chaque interprétation : on y croit, parce queux, cest nous. Le lyrique en chanson serait alors faire partager cette impression dune intimité commune.

Après-guerre, certaines de ces figures chantantes atteignent même au mythe par leur capacité de cristallisation. Piaf incarne la rue et son tragique, dont elle assume la catharsis. Avec Montand, linterprète nest plus seulement un personnage, comme Bruant chantant les Apaches, mais finalement grand bourgeois. Issu du monde prolétarien, Montand transmet sa trajectoire au public. Sa fonction médiumnique est concentrée par une mise en scène, et sa capacité démotion instaure, au sens fort, une communauté entre 70les auditeurs. De même, Bécaud (« M. 100 000 volts »), Aznavour (« lenroué vers lor »), Barbara (« la grande dame brune »), Johnny Hallyday, idole et phénix chaque fois brûlé par les planches, puis Goldman, symbole dune génération hésitant Entre gris clair et gris foncé (1987). Peu importent donc les styles orchestraux et rythmiques : que, depuis Gainsbourg, on ait assimilé les rythmes anglo-saxons et, comme Souchon, développé des modes dexpression peu syntaxiques, ou quà linstar de Lavilliers, les chansons cultivent les métissages musicaux jusquaux nouvelles tendances du raï, du reggae ou du rap, cest toujours cet univers personnel de lartiste qui sexprime, entre scènes et disques. Juridiquement, la fondation de lADAMI (société civile pour lAdministration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes), en 1985, entérine enfin ce rôle créateur de linterprète des chansons. Libérée de toute subordination à la poésie ou à la musique, la chanson, art du spectacle vivant, assume sa spécificité : proposer à la fois la dynamique dune énonciation éphémère et une inscription dans la durée, sous la double forme dairs qui courent dans les mémoires et de leur enregistrement en tant quœuvres.

Hirschi S., Chanson. Lart de fixer lair du temps, Paris, Les Belles lettres (« Cantologie »), 2008. Hirschi S., La chanson française depuis 1980 – de Goldman à Stromae, entre vinyles et MP3, Paris, Les Belles Lettres / PUV (« Cantologie »), no 8, 2016. Hirschi S. et al. (dir.), La Poésie délivrée. Nouvelle édition [en ligne]. Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pupo.10113. Hirschi S. et al. (dir.), Cartographier la chanson contemporaine, Aix-en-Provence, PUP (« Chants sons »), 2019.

Art lyrique, musique ; Éthos, posture ; Lyre, luth, harpe ; Mélos, mélique ; Psaume

Stéphane Hirschi

Communauté

En poésie lyrique, la communauté serait celle de ceux qui nen ont pas. Facilité de langage qui permet à autrui dapparaître dans son altérité radicale. Cest seulement en dehors de ses attaches que la communauté peut apparaître comme ouverte. Friedrich Hölderlin avait pressenti la fuite du sacré qui allait entraîner une chute communautaire. La poésie acquiert à ce moment une profondeur autre qui nest pas patriotique : la possibilité dune égalité entropique universelle.

Le langage offre dans son suspens un recul face à laction violente. Léchange à deux sous-entend et implique une action séparée de la violence. Une telle conception de la communauté souvre dans ce vers dHölderlin traduit par Philippe Jaccottet : « Je chante au lieu de la communauté ouverte » (Hölderlin, Œuvres, 1967, 839). Louverture de la communauté serait séparation du « je » dans sa souveraineté, rupture radicale avec le « Moi » soudainement mis hors de lui (mais aussi de tout lieu), par une expérimentation dans sa vie même, de la mort de lautre (amant, amis, prochains ; mais aussi disparition, éloignement du monde, des espèces). Le partage à réaliser tout en restant solitaire, restitue, par lécriture, un sens premier à la notion de communauté : celui de parler, de communiquer, et donc déchanger à deux, sur fond de désastre et de séparation. Les événements communs de naissance, de vie et de mort permettent de penser un rapport daccompagnement. Dans la mort dautrui se concentre cette mise hors de soi qui permet au sujet de sexposer à la communauté.

Comment savoir ce que le mot pourrait signifier ? Il est difficile de cerner les contours dun « Nous » qui pourrait convenir, unir ou rassembler. Doit-on et peut-on parler de « communauté humaine » ? Ou alors, la communauté doit-elle être pensée à travers un rapport 71dappartenance (quil soit rapport de classe, de genre, de sang, de frontière, de patrie, voire de race…) ? Le monde occidental semble entraîné dans une résurgence de préoccupations identitaires. Il nest pas incohérent que, dans une mondialisation partiale et partielle des droits humains, lappartenance communautaire apparaisse comme une réponse à une fracture de luniversalisme. Place de la poésie lyrique ? Pourtant, cest plutôt lapplication de celui-ci qui pose question, en conférant des droits universels et inaliénables au seul citoyen national. Des mouvements nationalistes et certains mouvements progressistes, quils soient anti-racistes ou féministes, se détachent des valeurs universalistes qui les ont pourtant fondés pour préférer une pensée centralisée par la situation communautaire de – et par les stigmatisations subies par – lindividu. Lambiance qui est la nôtre est communautaire. Chacun semble savoir à quelle communauté il appartient. Néanmoins, la communauté est-elle ce qui fonde le rapport et la subjectivité ; ou est-ce le contraire ? La communauté échappe à toute réalisation. Elle est, par nature, an-archique et ne peut passer par laveu. Elle peut trouver un prisme pour se réfléchir dans lécriture poétique. Cest précisément la difficulté quune telle notion soulève. Elle révèle la tension qui est celle de notre monde, qui nous constitue et qui fait de nous ce que nous sommes.

Le lent arrachement des hommes à Dieu (ou aux dieux) en même temps quil acte la dislocation des autorités qui géraient traditionnellement le concept de « communauté » et quil précipite cette perte de valeurs dans des régimes extrêmes (fascismes, communisme, nazisme, individualisme, capitalisme), entend également faire surgir, par le questionnement de ce concept troublé, un sens cette fois-ci sans attache et sans projet. Si, comme lécrit Jean-Luc Nancy, « Dieu est pour la communauté, les dieux sont toujours dieux de la communauté [] » (Nancy, Des Lieux divins, 1997, 40), cest que dans labsence de Dieu se révèle également labsence de la communauté. Il y aurait un double hiatus au sein de lindividu, séparé des liens qui lunissaient alors à ses semblables, et séparé du monde. Lécriture devient un laboratoire dexpérimentation des liens au sein de cette vie séparée. Dans La communauté désœuvrée, Jean-Luc Nancy insiste sur ce point : « La communauté fera désormais la limite de lhumain aussi bien que du divin. Avec Dieu ou avec les dieux, cest la communion – substance et acte, acte de la substance immanente communiquée – qui a été définitivement retiré à la communauté » (Nancy, La communauté désœuvrée, 1999, 33). Pourtant, rien na été perdu. Ce qui aurait été perdu nétait quun voile posé sur le vide de notre condition « dêtre ». La communauté ne peut se forger sur lidée dune communauté perdue à « retrouver ». Elle postule labsolu dun rapport incommensurable et sans valeur quune politique fondée seulement sur léquivalence de tout ne peut entendre. Elle est un effort continuel qui na pas pour fondement lunion. Il ny a plus de détermination principielle à la communauté : il ny a pas de communion de singularités dans une totalité supérieure à elles et immanente à leur être (en) commun. La communauté naurait existé jusque-là que par défaut.

En mai 1968, Maurice Blanchot fonde le « comité daction étudiant-écrivain », pour soutenir lévénement de mai, sans travailler à fonder une politique du mouvement. Ce serait un lieu pour lexpérimentation de la communauté. Il écrit : « Mai 68 a montré que, sans projet, sans conjuration, pouvait, dans la soudaineté dune rencontre heureuse, comme une fête qui bouleversait les formes sociales admises ou espérées, saffirmer 72(saffirmer par-delà les formes usuelles de laffirmation) la communication explosive, louverture qui permettait à chacun, sans distinction de classe, dâge, de sexe ou de culture, de frayer avec le premier venu, comme avec un être déjà aimé, précisément parce quil était le familier-inconnu » (Blanchot, La communauté inavouable, 1983, 52). Maurice Blanchot fait entendre que la communauté ne connaît pas dappartenance sous laquelle lindividu pourrait se reconnaître (lautre, lui, acquiert une reconnaissance renouvelée sous le terme de familier-inconnu). Cette communication doit être comprise à partir dun fait éthique. Elle est la conscience que la frontière qui me sépare de lautre est indépassable. Elle peut cependant être métaphoriquement traversée. Le langage offrirait un espace dintimité pour le « je » et « lautre ». Au sein de cet espace, ils ne seraient pas égaux, mais la communication entraînerait à chaque fois la « révélation dautrui » (Blanchot, LEntretien infini, 1969, 89).

En allant vers lautre, on peut rejoindre une terre qui ne doit rien à la naissance, ni à la patrie. Hors de tout savoir et de tout système prédéfini et prévoyant, tentent de se penser un anonymat fondateur, une loi du cœur, dun cœur pouvant agir comme loi ou autre chose quune loi : lintelligence du cœur. La communauté ne guérit pas de la solitude dêtre un homme, ni nen protège, mais elle est « la manière dont elle ly expose, non par hasard, mais comme le cœur de la fraternité : le cœur ou la loi » (Blanchot, op. cit., 47).

Blanchot M., La Communauté inavouable, Paris, Édition de Minuit, 1984. Hölderlin F., Œuvres, éd. Ph. Jaccottet Paris, Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), 1967. Nancy J.-L., La Communauté désœuvrée, Paris, Christian Bourgeois Éditeur, 1990.

Dialogue, dialogisme ; Éthique ; Lyrisme de masse ; Résistance 

Thibault U. Comte