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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Dialogues littéraires et philosophiques
    2020 – 8
  • Auteur : Lantonnet (Évelyne)
  • Pages : 15 à 24
  • Revue : La Revue des lettres modernes
  • Série : André Malraux, n° 15
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406110149
  • ISBN : 978-2-406-11014-9
  • ISSN : 0035-2136
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11014-9.p.0015
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 19/10/2020
  • Périodicité : Mensuelle
  • Langue : Français
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Avant-propos

Bien que souvent occulté par limportance accordée aux arts plastiques, lintérêt de Malraux pour la littérature ne peut être relégué au second plan. Il se manifeste dès les premiers articles quil publie – « Des origines de la poésie cubiste » en 1920 – et culminera dans son dernier essai, LHomme précaire et la littérature, paru en 1977. Cette cinquantaine dannées nest pas seulement dévolue aux productions littéraires, auxquelles il sest consacré – autobiographie, romans, essais –, mais durant ce demi-siècle, il cherche à élucider le phénomène de la création dans ses aspects même les plus contradictoires. Pour Henri Godard, lacte décriture implique un engagement de tout lêtre à la recherche dune maîtrise : ce qui semblait le plus dispersé, le moins étayé sinscrit dans une forme, non aléatoire, mais coordonnée. Ce quil appelle « lautre face de la littérature1 » correspond à cette domination du destin, qui fait triompher la volonté de lartiste à ordonner les figures du moi et du monde. Lenjeu réside donc dans une affirmation de lhomme face aux puissances qui lécrasent.

Toutefois, Malraux ne se contente pas de composer des œuvres – ce qui est déjà considérable – il entend discourir sur les jeux de langage et de sens, tendant à la littérature comme un miroir delle-même. De même que Monsieur Teste approfondit sa saisie intellectuelle par le dispositif du redoublement – « Je me voyais me voir » –, Malraux inaugure son entrée en littérature par une activité critique, laquelle tout au long de sa vie lui permet de penser lécriture, en la pratiquant. Cette duplication lui confère une distance qui aiguise ses points de vue et une ouverture sans précédent. Ses écrits se doublent dun laboratoire de recherche qui lincite à expérimenter et à remettre en question ce qui semblait être acquis. Cette dimension, en élargissant son champ de vision et de 16contestation, lui ouvre des perspectives et instruit la métamorphose. Ainsi pourrait-il être parlé dune véritable théorie, au sens étymologique du terme – observation, contemplation – et non construction dun système. Comme latteste Jean-Claude Larrat, la littérature est « lobjet dune réflexion spécifique2 » ; lacte décriture saccompagne dun regard sur lui porté, qui le légitime et linterroge.

De ce fait, Malraux entretient avec la littérature des liens privilégiés : cest delle quil vient ; cest vers elle que tendent ses expérimentations. Ouverte et dynamique, la forme du dialogue convient à sa manière de penser. Comme Diderot, celui qui, dès son plus jeune âge, prônait : « Il faut penser par comparaison », voit sa pensée se subdiviser. Sil y a véritable affrontement chez le philosophe des Lumières, le processus dengendrement de lesprit semble chez Malraux tisser dincessants allers et retours à la recherche de similitudes et différences, qui lui permettent de penser lhomme dans le monde. Mais alors que Diderot soutient les points de vue contradictoires, Malraux met à jour la métamorphose, qui modifie sans bannir.

Dabord familier des cercles de Max Jacob et dAndré Salmon, le jeune Malraux ne tarde pas à se faire connaître en publiant dans la Revue « Action » une analyse critique de Lautréamont. Mis à part sa carrière de bibliophile et de collectionneur, quil poursuit autour de libraires, tel René-Louis Doyon, sa première formation littéraire sapprofondit à la NRF, où il entre sur recommandation de Marcel Arland. Entre 1923 et 1930, Malraux fournit 14 notes critiques, dialogue symbolique avec des auteurs que Malraux est désireux de faire connaître au public contemporain. Le principe en est simple : éviction de la biographie de lauteur ; refus des analyses didactiques. Comme lécrit Michel Halty3, ces notes constituent lapogée dune littérature qui se crée et se réfléchit dans le miroir de la critique. Avant décrire les premiers romans, qui lui apporteront le Prix Interallié, puis le Goncourt, Malraux réfléchit au “fait littéraire”, comme il parlera dans ses essais de “fait pictural”. Avant de concevoir, il médite sur lacte de création. Il entre dans ce cheminement par lintelligence et la lucidité, exigences plus proches dun Valéry que dun André Breton. 17Dans ce milieu foisonnant, il découvre des auteurs étrangers – Dostoïevski, David Herbert Lawrence, Faulkner – par le biais des traductions.

Au cours de ces années à la NRF, point un nouveau projet, que Malraux expose à Gide : constituer un tableau de la littérature française en proposant à des auteurs contemporains de présenter un auteur du passé. Malraux choisit Laclos, cette étude prendra place dans Le Triangle noir. Ce Tableau sera publié en 1939.

Dès 1931, Malraux quitte lunivers parcellaire des notes, en élaborant des textes plus substantiels. Pour la plupart, ces études deviendront des préfaces. Cest ainsi quadmirateur de David Herbert Lawrence, il analyse dans LAmant de Lady Chatterley les mécanismes de lérotisme, tension présente chez bon nombre de ses héros, de Perken à Ferral. Lannée où il reçoit le prix Goncourt, il examine la question de lindividualisme dans Sanctuaire de Faulkner. Puis, cest louvrage dAndrée Viollis Indochine SOS, qui lincite à méditer sur lhomme moderne. Commentant LImposture, il montre que Bernanos saffranchit des normes classiques du récit en donnant la primeur, non aux personnages, mais aux conflits. Quil sagisse des thèmes ou des modes de composition, ces regards jetés sur la littérature contemporaine laident à repérer la rupture des codes et les accents de la modernité.

Le dialogue avec les créateurs de son temps prend une forme plus personnelle, sans atteindre les strates de lintimité, par lintermédiaire de la lettre. Les extraits de correspondances, choisis par Jean-Yves Tadié et François de Saint-Cheron entre 1920 et 1976, donnent un aperçu de la qualité des destinataires – philosophes (Raymond Aron), écrivains (Louis Guilloux, André Gide), amis (Emmanuel Berl, Jean Grosjean) – et des liens qui les unissent. Entre gens de plume, les échanges portent souvent sur des remerciements à la réception darticles ou douvrages. À propos de La Condition humaine, Raymond Aron pose son diagnostic : « Cest un livre expressionniste, comme lœuvre de Grünewald, comme Les Karamazoff4. » De même, Malraux porte une appréciation sur lensemble des publications de Gide, décrétant « le vrai livre, cest le Journal entier », dans lequel il décèle « une saveur de lintelligence5 ». 18Il est instructif de voir Malraux, sans décourager son correspondant, pointer du doigt les faiblesses de Dossier confidentiel, que lui a soumis Louis Guilloux : il cible ce qui lui semble trop traditionnel et incite son interlocuteur à prendre confiance, à oser. Suivant une exigence bien malrucienne, il voit dans cette pratique « un élément de conquête des moyens qui vous permettront de vous traduire vous-même6 ».

Ces dialogues ébauchés avec des créateurs aussi différents que Roger Martin du Gard ou Roger Nimier permettent dentrevoir la place, non plus de la faculté créatrice, mais de la faculté critique que Malraux exerce sur ses propres œuvres. Ce qui lintéresse, cest de déceler comment on devient artiste. À la réception de LÉcole des femmes, il évoquait auprès de Gide « le métier daccoucheur des vérités interdites7 », nest-il pas lui-même “laccoucheur des vérités cachées” ?

Il est une autre manière pour André Malraux dentrer en dialogue avec ses contemporains : commenter lexploration de son œuvre qua pu mener un critique sagace, comme Gaëtan Picon. Quand celui-ci sapprête à publier son Malraux au Seuil dans la collection « Écrivains de toujours », Malraux ajoute 45 annotations de sa plume, écrites dans le contexte des Voix du silence et du Musée imaginaire de la sculpture mondiale. Il intervient dans cette étude soit en apportant des précisions, soit en développant certains points de vue.

La concentration de la pensée sexerce dans différents domaines : politiques, littéraires, esthétiques. Il adopte une position sans ambiguïté sur le concept marxiste de “lutte des classes”, quil refuse de considérer comme « clef de lhistoire8 », ce qui coupe court aux exégèses de ses premiers romans, dans lesquelles il était fréquent dassimiler Malraux et quelques-uns de ses héros révolutionnaires. Les jugements dordre littéraire éclairent à a fois lécrivain dont il est parlé – Dostoïevski, Thomas Edward Lawrence – et les interrogations personnelles de Malraux : questionnement métaphysique du romancier russe, jeu entre lobsession et la délivrance chez laventurier anglais, auquel il consacrera Le Démon de labsolu. En outre, Malraux aborde des réflexions quil approfondira dans des préfaces ou dans LHomme précaire et la littérature, telle la vocation du roman moderne ou la force suggestive de la musique par rapport à 19la littérature, où il est possible de discerner quelque réminiscence de Nietzsche. Quant aux débats sur lart, ils préfigurent les derniers essais, éclairant les notions de “présence” et de “métamorphose”, qui deviendront les bases de lesthétique malrucienne.

Lintervention peut être plus nourrie quand Malraux choisit de définir un concept, comme celui d“aventure”. Il nest pas inintéressant de voir quel regard jettent sur cette notion le lecteur de Conrad, le romancier de La Voie royale, 25 ans plus tard, alors quil avait tenté de répondre aux attentes proférées au sein de la NRF dès 1913. Instructif aussi de voir comment Malraux, à partir dun exemple personnel – importance de lAlsace dans son parcours, des Noyers de lAltenburg à la Brigade Alsace-Lorraine –, sengage dans un débat qui lui tient à cœur : les rapports entre lœuvre et la vie. Cependant, la plupart de ses commentaires portent sur le genre romanesque, réflexion riche dans la mesure où elle prend place au sortir de lécriture de fiction – Non9 – et avant la tension théorique de lessai posthume. Le roman est ici appréhendé comme un dispositif daction sur le lecteur, ce que Malraux a bien décelé chez Laclos. Parmi les moyens, dont dispose le romancier, laccent est mis sur le personnage. Dune part, Malraux, grand lecteur de Sophocle, souligne limportance de nouer le drame autour du personnage, dans le roman comme au théâtre, dautre part, réfutant lambition balzacienne de « faire concurrence à létat civil », il souhaite se détacher de la réalité, fondant par exemple lautonomie du personnage sur le lexique.

Dialogue donc avec Gaëtan Picon, qui recourt rarement à la contradiction, mais plutôt complète sa pensée, lui apporte de nouvelles perspectives. Ce dialogue se révèle fécond et doté dun certain naturel. Il préfigure les prises de position exprimées dans Néocritique.

Outre ces manières différentes de dialoguer avec les écrivains de son temps, comment oublier toutes les interventions orales, qui ont jalonné la carrière de Malraux, aussi bien en tant quhomme politique, défenseur de la culture ou amateur dart ? La notice « Entretiens10 », rédigée par Claude Travi dans le Dictionnaire André Malraux témoigne de la diversité et de la richesse de ses interventions.

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Parmi les nombreux entretiens accordés à des journalistes de renom, ceux quil accorde à Frédéric Grover couvrent une quinzaine dannées entre 1959 et 1975, période décisive pour comprendre “le dernier Malraux” : ce dernier est “ministre chez De Gaulle”, puis dès 1969, quitte les sphères du pouvoir. Cest aussi le temps de lexploration autobiographique, à travers les expériences du Miroir des limbes ; cest enfin lélaboration de la somme esthétique, que représente La Métamorphose des dieux. Comme Chateaubriand, Malraux se place au carrefour de lhistoire personnelle et de lHistoire collective. Avec son interlocuteur, il revient sur une personnalité assez mal connue du grand public, comme Jean Paulhan, qui, dixit Malraux, « était la Résistance11 », mais aussi sur des cas plus litigieux sur le plan idéologique, tels Barrès, Drieu la Rochelle ou Céline.

Les deux hommes débattent de la manière de conduire une biographie, Grover étant désireux de raconter la vie de Paulhan. En 1971, Malraux a déjà expérimenté les difficultés du genre, lorsquil a tenté de retracer lépopée de Lawrence. Les deux interlocuteurs sont fascinés par Paulhan, Grover lui concédant un rôle décisif dans lorientation des Lettres françaises (70), Malraux voyant en lui « le plus grand critique (jentends un critique découvreur) du siècle » (82). Les méthodes évoquées pour constituer cette biographie sont soit dordre général – recourir au contexte –, soit spécifiques – dépouiller la correspondance. Une autre stratégie consiste à investiguer lœuvre. Enfin, pourquoi ne pas répertorier les différentes activités du maître : secrétaire de Jacques Rivière, académicien, découvreur de talents ? Cet entretien est moins dédié à une personnalité quà un problème littéraire.

Lentretien sur Barrès date de 1968, période où la remise en question des usages et des croyances fertilise les imaginations. Sur les positionnements politiques et idéologiques, les deux critiques mettent en exergue le caractère “accidentel“de son nationalisme. Barrès ayant huit ans en 1870, il a “opté” pour la Lorraine, mais ce sont bien les circonstances historiques, qui ont fondé son particularisme. Malraux ne peut sempêcher dy voir une marque de laléatoire. Dans cet entretien, ces choix sont peu évoqués. Une formule péremptoire résume bien le jugement porté : « Il était caporal en politique alors que dans le domaine de la littérature, il était général. » (45) Général à plus dun titre. Pour la génération qui 21naît avec le nouveau siècle à linstar de Malraux, Barrès est un maître : « Cétait le plus grand écrivain. » (43) Il domine la critique : si Gide préside à la NRF, Barrès détient La Revue des deux mondes. Malraux signale aussi son activité de journaliste. Barrès conquiert lunivers romanesque avec La Colline inspirée, puis devient célèbre grâce au Jardin sur lOronte. Malraux dégage les sources de son admiration, en rendant hommage au « styliste » et au « voyageur », double éloge qui conviendrait fort bien à lauteur des Mémoires doutre-tombe. Malraux cependant semble déçu dans la mesure où malgré lexaltation de ses idées dessence patriotique, Barrès ne sest jamais engagé, dans la mesure où il demeure comme empêché par lui-même : cette problématique intrinsèque de léchec est peut-être ce qui en ferait un anti-Malraux, ou plus exactement ce que Malraux ne voudrait pas être.

Drieu, Céline : deux écrivains controversés à cause de leurs position idéologique et politique. Lentretien sur Drieu, daté de 1959, est le plus ancien du recueil ; il coïncide avec le début des années de Gaulle. À linverse de Barrès, Malraux voit en sa trajectoire « une vie réussie » : il va même jusquà qualifier Drieu « un des êtres les plus nobles que jaie rencontrés » (28). Cette considération est réciproque, Drieu notant dans son Journal à propos de Malraux : « Cest la plus forte nature dhomme que jaie rencontré. » (33) Outre cet hommage au courage, se discerne entre les deux hommes un vif intérêt pour lécriture. Dès leur parution, Drieu commente les romans de Malraux des Conquérants à La Condition humaine. Comme pour Barrès, Malraux est sensible à la qualité de lécriture : « Cest un magnifique écrivain, un styliste de premier ordre. » (25) Sil détecte chez lui une propension à se mésestimer, il ne souscrit pas à un tel jugement ; en 1963, il rassemble les écrits de Drieu ayant trait à la critique littéraire.

Contemporain de La Tête dobsidienne, le dernier entretien porte sur Céline. Il est dominé par la notion de métamorphose. Afin de cerner les mutations de Céline, Malraux propose de comparer des photos de lécrivain, Malraux voudrait juxtaposer des clichés entre Voyage et Normance : « On voit bien la transformation dun masque » avec dun côté « un type costaud, un côté sympathique extrêmement sain », de lautre, « un masque du diable » (89). Ce thème du changement est corroboré par Grover, qui propose de rassembler la correspondance dévolue à deux ou trois destinataires. Cette pluralité des visages et des masques donne lieu à une véritable exploration (extrapolation), qui conduit les deux hommes à sinterroger sur 22lantisémitisme. Au cœur du problème, Malraux décèle « une névrose », quil apparente à une crise. Grover, qui se place en arbitre, estime que face au tragique et au non-sens, Malraux parie pour le courage et la fraternité, Céline est marqué par leffroi et la solitude. Alors que le premier est appelé par une exigence métaphysique, le second se débat dans le hic et nunc. Parmi les œuvres de Céline, Voyage au bout de la nuit, qui a reçu le prix Goncourt un an avant La Condition humaine, est le plus souvent cité ; sa verve, que les deux critiques ont lintelligence de ne pas assimiler au langage parlé, est appréciée. Malraux y voit des liens possibles avec la faconde de Diderot. À la différence du reste de lœuvre, le Voyage, fondé sur une expérience authentique, hanté par des doubles de Céline, arc-bouté contre la sentimentalité est devenu une fiction attractive.

Ces entretiens éclairent des personnalités marquantes du premier quart du vingtième siècle. À part le cas Céline, les interlocuteurs sintéressent peu au débat idéologique. Malraux se focalise plus volontiers sur des sujets littéraires : Comment concevoir une biographie ? Comment pratiquer la critique des œuvres ? Comment trouver une langue qui ne soit pas plate copie de la réalité tout en donnant lillusion du naturel ? La discussion éclaire les choix, parfois les forces ou les limites des autres scripteurs ; elle permet à Malraux de mettre à plat quelques problèmes, auxquels il sest heurté. Éclairage extra et introverti.

À cette grande diversité de dialogues, à mi-chemin entre lécriture et loralité, il conviendrait dajouter deux expériences filmiques, qui dévoilent au public les facultés dimprovisation dAndré Malraux, lagilité de cet esprit quaccompagne une mémoire indéfectible. Le premier tournage intitulé Les Métamorphoses du regard12 est dû à Clovis Prévost : les trois premiers films, auxquels ont participé Pierre Dumayet et Walter Langlois, suivent la démonstration de La Métamorphose des dieux, tandis que le quatrième, animé par André Parrot, revient sur les concepts fondamentaux de lesthétique malrucienne. Le second, réalisé par Jean-Marie Drot, le Journal de voyage avec André Malraux13 met en lumière les relations de Malraux avec certaines villes dart, certains artistes ou encore quelques pays, qui ont joué un rôle déterminant dans sa vie. Ces entretiens tournés 23entre 1975 et 1976 à Verrières-le-Buisson constituent aux dires du réalisateur comme « un testament philosophique et spirituel ».

Si le dialogue socratique cherchait par la maïeutique à révéler la vérité enfouie dans chaque homme, Malraux adopte plusieurs points de vue, qui peuvent apparaître légitimes. Il met à jour la relativité des considérations humaines.

Ce numéro 15 de La Revue des lettres modernes, intitulé Dialogues littéraires et philosophiques, présente un double visage, comme était Januarius.

Dans un premier temps, jai proposé aux contributeurs susceptibles dêtre intéressés, une réflexion sur loralité chez Malraux, pensant que si le domaine de limage avait été depuis longtemps exploré, celui du son lavait moins été. La formulation initiale « Des paroles du monde à un monde de la parole » na pas rencontré beaucoup déchos. Vous trouverez au début du recueil les premières strates de ce projet : louverture sous les auspices de la Grèce que nous offre Konstantina Pliaka et lanalyse de Marie Geffray mettant en évidence le rôle fondateur et altruiste de Malraux « porte-parole » au sens strict du terme. À leur suite, la démonstration que conduit Jean-Pierre Zarader est dun autre ordre : il se focalise sur ce passage entre les paroles du monde et le monde de la parole, en refusant de se précipiter sur la notion de métamorphose et interroge les écrits sur lart pour en dégager les enjeux. Ces propositions légitimes et intéressantes ne suffisaient pas à constituer un numéro de revue.

En composant mon article « À la recherche de la voix juste », à partir du traumatisme originel que subit Kyo, il mest apparu que pour répondre au deuil de la voix, deux chemins souvrent devant lécrivain : celui des faussaires – Clappique, Lautréamont – et celui, ardu et plus authentique, de lartiste qui conquiert sa voix : Flaubert.

Dès lors sest imposée à moi lidée de dialogue et il a été possible de proposer à tous comme seconde perspective dinvestigation : « les dialogues littéraires et philosophiques ».

Sous le signe du dialogisme, quels liens se tissent entre Malraux et ses interlocuteurs, quils appartiennent à une tradition de pensée ou soient directement ses contemporains ?

Si Marie Geffray se met à lécoute de la pensée antique, si Derek Allan reprend les feintes chères aux libertins des Liaisons dangereuses, 24Peter Tame sattache aux relations entre Malraux et Barrès, Myriam Sunnen à celles qui transparaissent entre Malraux et Spengler.

Fidèles au dogme malrucien dune critique comparatiste, Sophie Doudet nous convie à une mise en miroir des Conquérants et du Bouddha vivant de Paul Morand, Sylvie Howlett se propose déclairer les liens entre Malraux et Waltenberg de Hédi Kaddour.

Concernant les études, elles sont de divers ordres. Tout dabord, un discours de Malraux prononcé en 1936 : « LArt et les masses », qui nous a été transmis par Jacques Chanussot. Ensuite, de la part dEugène Kouchkine une réflexion très documentée sur Malraux et la Russie. Jonathan Barkate, quant à lui, nous dévoile un aperçu de sa thèse consacrée à lécriture de lHistoire chez Malraux. Que tous soient vivement remerciés davoir proposé ces documents et analyses à la curiosité du public.

De 2016 à 2018, nombreux ont été les comptes rendus de diverses publications qui prouvent, sil en était besoin, que notre auteur suscite encore questionnements et passions. Vous pourrez en prendre connaissance et – pourquoi pas ? – engager de féconds dialogues avec dautres chercheurs.

Thierry Poulain a vérifié le respect des normes typographiques et assuré la mise en pages de lensemble du recueil, travail ardu, dans lequel il a montré beaucoup de patience et de rigueur. Saluons cette précieuse assistance.

Afin que cette revue continue de sinscrire dans le mouvement du siècle, il serait souhaitable quelle se diversifie, tant par la pluralité des approches critiques que par le croisement des langues et des cultures, vœu perpétuellement réaffirmé par André Malraux.

Pour toute proposition de participation au numéro 16 de La Revue des lettres modernes, vous pouvez adresser un mail à ladresse suivante : evelyne.lantonnet@laposte.net

Évelyne Lantonnet

1 Henri Godard, LAutre face de la littérature, NRF, Gallimard, 1990, voir en particulier le dernier chapitre.

2 Jean-Claude Larrat, Malraux, théoricien de la littérature, PUF, coll. « Écrivains », 1996, p. 316.

3 Michel Halty, « Les notes du jeune Malraux à la NRF », in Revue « Présence dAndré Malraux » no 3, 2003, p. 40.

4 Lettre de Raymond Aron du 25/12/1933, in André Malraux, Lettres choisies (1920-1976), Gallimard, NRF, 2012, p. 108.

5 Lettre à André Gide de 1950, ibid. p. 212.

6 Lettre à Louis Guilloux du 30/1/1930, ibid. p. 81.

7 Lettre à André Gide de 1929, ibid. p. 78-79.

8 Gaëtan Picon, Malraux, Seuil, « Écrivains de toujours », 1953, Note 34, p. 95.

9 Le lecteur pourra se reporter avec profit à létude de Jean-Louis Jeannelle, Résistance du roman Genèse de « Non » dAndré Malraux, CNRS éditions, 2013.

10 Claude Travi, « Entretiens », in Dictionnaire André Malraux, sous la direction de Jean-Claude Larrat, Classiques Garnier, coll. « Classiques Garnier » 2015, p. 388-391.

11 Frédéric J. Grover, Six Entretiens avec André Malraux sur des écrivains de son temps, Gallimard, coll. « Idées », 1978, p. 61.

12 Clovis Prévost, Les Métamorphoses du regard, Galerie Maeght, 1973.

13 Cette série, sous-titrée « À la recherche des arts du monde entier », comporte treize présentations réparties en deux coffrets, Doriane films, 1976.