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Classiques Garnier

[Introduction de la troisième partie]

  • Publication type: Book chapter
  • Book: Démons du crime. Les pouvoirs du truand dans l’entre-deux-guerres
  • Pages: 349 to 350
  • Collection: Comparative Perspectives, n° 118
  • CLIL theme: 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
  • EAN: 9782406126676
  • ISBN: 978-2-406-12667-6
  • ISSN: 2261-5709
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12667-6.p.0349
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 06-15-2022
  • Language: French
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Aussi drastique quelle soit, la surveillance implique toujours un angle mort1. Prenons trois exemples. Aux États-Unis, la guerre contre le crime menée par Hoover se concentre sur des bandits charismatiques. Le FBI senorgueillit des dépouilles de « Baby Face » Nelson, Dillinger, Bonnie et Clyde. La loi triomphe. Pourtant, cest à cette époque que la pègre se constitue discrètement en syndicat du crime, organisation nationale qui est ignorée par ladministration policière jusquà laffaire « Murder, Inc. » en 1940. En Allemagne nazie, les Vereine ont été dissoutes, la pègre écrasée et quelques célébrités exécutées, tels les frères Saß en 1940. Pourtant, certains criminels échappent toujours à la police car ils ne fréquentent pas le monde interlope et ne correspondent pas aux catégories du Berufsverbrecher2. Cette lacune était déjà latente dans M, mais Lang pointait encore une autre faille de la surveillance. Les agents qui font la descente sont à leur tour observés par les grands truands qui décident ensuite de surveiller les enfants. Puis, la pègre trouve Beckert mais elle en a oublié la police, en hors-champ, qui les arrête tous. La surveillance, même quand elle se prétend panoptique, demeure partielle. Parce quelle sélectionne les objets du contrôle, elle délimite de nouvelles zones dombre.

De cette simple idée, on tire deux enseignements. Premièrement, les logiques de surveillance induisent des domaines incontrôlés. Où se trouvent-ils ? On a vu que les discours criminologiques déterminent en partie la surveillance. La question peut ainsi se reformuler : quest-ce qui échappe aux conceptions du truand précédemment évoquées ? Parce quelles éprouvent et transforment ces représentations du crime, les œuvres creusent des failles dans le contrôle social. En arguant de lirrationalité du crime face au savoir criminologique, en renouvelant les formes artistiques face aux clichés des représentations, en laissant entendre des voix autres que celles des autorités, les œuvres pointent des équivoques et posent des questions imprévues. Cest dans les déplacements et les 350usages inattendus des discours admis que peut se nicher une subversion discrète, même au sein des systèmes les plus autoritaires.

Le second enseignement est dordre méthodologique et invite à élargir le champ de réflexion. À ne considérer les truands quà travers le spectre du contrôle social, nous avons créé notre propre zone dombre et négligé dautres utilisations de ces figures. En dehors de la dichotomie pouvoir/résistance, il est apparu que la pègre pouvait émouvoir, séduire, amuser. Les lectures quen fait le public sont guidées par des préoccupations éloignées dune logique disciplinaire. Plutôt que détudier les œuvres comme une propagande ou une résistance, considérons leurs usages pratiques, quotidiens, parfois surprenants. Mais comment rendre compte des innombrables actes de lecture ? Le contexte historique fournit encore des points dappui. Les changements sociaux produisent de nouveaux besoins et de nouveaux modes de consommation. Les truands peuvent figurer ces nouvelles pratiques culturelles. Au-delà du seul domaine juridique, ils indiquent des comportements qui transgressent des normes longtemps admises. Ils répondent à la question du public : comment agir dans cette nouvelle société ? Néanmoins, cette perspective reste fragile. Le public ne consomme pas toujours lœuvre comme le texte le supposerait. Ainsi, on abordera cette dernière section avec précaution : lacte de lecture est trop versatile pour quon puisse y fonder des certitudes.

1 C. Katti, « “Systematically” Observing Surveillance : Paradoxes of Observations according to Niklas Luhmanns Systems Theory », T. Levin, U. Frohne et P. Weibel (éd.), Crtl [Space], op. cit., p. 51-63.

2 P. Wagner, Volksgemeinschaft ohne Verbrecher, op. cit., p. 219-225.