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Classiques Garnier

[Introduction à la troisième partie]

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Le diplôme de technicien intermédiaire, confronté aux conditions du marché du travail local, occupe une place incertaine qui détermine en grande partie la valeur déchange du titre scolaire.

Les configurations du marché du travail, toujours plus influencé par des enjeux économiques globaux, obligent les employés à une mise en concurrence de plus en plus forte. Les techniciens néchappent pas à cette exigence du contexte socio-économique et ils doivent créer des stratégies daccès à lemploi dans un marché tendu qui les met en rivalité non seulement avec dautres techniciens ou avec des candidats non diplômés aux postes, moins « coûteux » pour les entreprises, mais aussi avec des diplômés du supérieur qui ne trouvent quune très faible offre de postes de travail. Les difficultés daccès à lemploi des techniciens mettent en évidence le fait que, même si la massification scolaire a permis aux familles issues du milieu populaire doffrir à leurs enfants des parcours scolaires plus longs, les inégalités sociales persistent. Les conditions daccès à lemploi que nous avons analysées au niveau local montrent des distinctions entre les différents diplômes scolaires, entre les filières et les établissements fréquentés et force est de constater que les techniciens intermédiaires noccupent pas une place privilégiée à plusieurs égards. Ces distinctions reposent sur une hiérarchie sociale fondée non seulement sur les diplômes scolaires, mais aussi sur des structures de classes sociales, dappartenance ethnique ou de sexe.

Les conditions daccès au travail et les caractéristiques des postes dans un contexte local mettent en évidence les divergences entre la planification scolaire, le contenu des formations, les demandes des familles et les besoins locaux de certification. Les relations entre le monde de la formation et le monde du travail se révèlent ainsi « complexes, plurielles, multidimensionnelles, historiques, changeantes, contradictoires, voire perverses » (Crozier et Friedberg 1977).

Sintéresser aux employeurs à échelle locale nous a permis de prendre en compte leurs représentations à propos non seulement de la formation professionnelle, mais aussi des différents groupes sociaux, de la division sociale, sexuelle et ethnique du travail et de ladéquation entre les formations scolaires et les attentes patronales.

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Le discours des employeurs montre, dune part, le fait quils constituent un corps hautement hétérogène selon les zones géographiques et les domaines dactivité, et, dautre part, quils partagent la querelle historique entre ce quà leur égard lécolefait et ce que lécole doit faire pour mieux sajuster à leurs besoins. Le fait quils disposent dune « armée de réserve » mieux formée et de plus en plus nombreuse grâce à la massification de la scolarisation conduit vers une précarisation généralisée des conditions du travail. Le technicien intermédiaire se trouve ainsi au cœur dun paradoxe : en voulant échapper par lécole à la précarité des conditions de vie de son groupe dappartenance, il se trouve confronté à un marché du travail où son diplôme est mis en concurrence et où il est renvoyé à son origine sociale. En effet, le diplôme du technicien renvoie au milieu populaire dans les représentations des employeurs interrogés et les jeunes issus de ce milieu seraient « moins aptes », daprès eux, à sajuster au travail dans le secteur formel de léconomie. En outre, les critères de lexpérience de travail, les « qualités humaines », les dispositions dadaptation et de travail en équipe et de « fidélité » envers lentreprise, apparaissent comme des critères plus importants que le diplôme dans les entreprises. Très peu demployeurs accordent une place particulière au technicien intermédiaire dans la hiérarchie professionnelle, ce qui détermine laccès, les conditions de rémunération et de promotion et surtout la garantie dun poste de travail à long terme.

Dans cette partie nous allons interroger la place que les diplômes de la formation professionnelle occupent dans la hiérarchie des qualifications au niveau local. Nous verrons que la formation professionnelle se trouve au carrefour des relations entre le monde scolaire et le monde du travail, où interviennent également des facteurs économiques, politiques et sociaux.