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Classiques Garnier

De la bonté et mauvaistié des femmes A Damoyselle Jacqueline Courtain, dame de Loyselet, fille de grande expectation : Jean de Marconville, escuyer, desire accroissement d'honneur, de felicité, et d'heureuse vie en parfaicte santé

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : De la bonté et mauvaistié des femmes
  • Pages : 27 à 32
  • Réimpression de l’édition de : 2000
  • Collection : Textes de la Renaissance, n° 35
  • Série : L’Éducation des femmes à la Renaissance et à l’âge classique, n° 2
  • Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
  • EAN : 9782812455933
  • ISBN : 978-2-8124-5593-3
  • ISSN : 2105-2360
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-5593-3.p.0022
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/04/2007
  • Langue : Français
22 DE
LA BONTE
ET MAVVAISTIE
des femmes.
Par Iran de Marconuille Gentehornme Percheron,
Sien boueux eft l'homme quihante Ir muerte aucc la fetame fa . . ai.
A P, A it I s
pour keit; pallier libraire, demeurant
furk po; t fitina Miche
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23 24 A DAMOYSELLE JACQUELINE COURTAIN, DAME de Loyselet,1 fille de grande expectation : Jean de Marconville, escuyer, desire accroissement d'honneur, de felicité, et d'heureuse vie en parfaicte santé.
Madamoyselle, Irenée dit qu'il ne fault pas boire toute l'eau de la mer pour sçavoir si elle est salée,2 attendu qu'on le peult cognoistre par une seule goutte, aussi combien que j'aye peu frequenté avec vous, pour ne vous avoir veue que deux ou trois fois pour le plus, toutesfois quant premierement je dressay ma veue sur voz yeux resplendissans et que je vous ouy [2v1 parler, je trouvé3 le peu de voz paroles tant bien composées et pleines de tant de sens, qu'incontinent j'apperceu outre la native venusté (de laquelle le ciel prodigue vous a grandement favorisée) je ne sçay quel raion de vertu duquel estes enrichie et qui rend voz jeunes ans recommandables d'une excellente rarité, avec ce je remarqué4 les graces surcelestes, desquelles ce grand Monarque du ciel et de la terre vous a richement douée, de sorte qu'il semble que ce divin Promethée ait voulu monstrer la grandeur de sa puissance quant il a logé un si bon esprit en un si beau et plaisant domicile, ouquel comme dedans une tres-riche boutique il a faict reluire les raions de sa sagesse. Et cela m'a donné occasion de ne perdre l'affection que j'ai de vous faire cognoistre le bien que je vous veux, car aiant cogneu qu'avez jusques ici suivy la vie Palladienne (c'est à dire contemplative) prenant plaisir à la lecture des livres, j'ai
1 Une des trois filles de Jacques Courtin, « Conseiller du Roy, Bailly du Perche et Seigneur de Cissé » à qui Marconville avait dédié son Recueil memorable d'aucuns cas merveilleux advenuz de noz ans.
2 Irénée de Lyon, Adversus Haereses II, 19.8 : « Nec enim oportet, quod solet dici, universum ebibere mare eum qui velit discere quoniam aqua eius salsa est » (éd. Rousseau et Doutreleau, « Sources chrétiennes » n° 294 [Paris, Ed. du Cerf, 1982], t.II, p. 196).
3 je trouvay D R.
4 j'ay remarqué D R.

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emploié le labeur de quelques jours à faire un recueil des
vertus et vices des femmes pour vous en faire present et le vous
donner à voz estrenes. Ouquel recueil j'ay suivy l'ordre
d'aucuns historiografes lesquels après a [3] voir recensé les
actes vertueux de plusieurs gens de bien, ils meslentl et
conjoignent les mauvais, afin que les uns nous incitent et
esguillonnent par leurs exemples à bien faire, et que les autres
par leurs scandales et diffames nous retirent et empeschent
d'estre mal conditionnez. Car je sçay bien qu'aucuns seront
esbahis pourquoy je fay mention d'une Pasifaé, d'une
Messaline, d'une Semyramire,2 et d'autres semblables cloaques
et esgoutz de toute infamie, la memoire desquelles l'on ne peult
eveiler sans ignominie, d'autant que leur vie a esté3 si
contaminée, pollue, et souillée de toutes villenies que les
sainctes aureilles de ceulx qui l'entendent en sont offensées.
Mais j 'ay ce faict, afin que en lisant on entende le mespris et
blasme de celles qui ont par leurs actes vilains infecté la terre
et donné occasion aux historiens d'emploier beaucoup de temps
et de labeur à la description de leurs malheureuses vies, et afin
que cela serve de miroir et exemple perpetuel aux lecteurs pour
guider et conduire leurs actions et reformer l'estat de leur vie,
et afin qu'ès siecles à venir la posterité ne face le semblable
d'icelles. Par la [3v0] lecture desquels exemples l'on pourra
juger celle là seule estre heureuse, laquelle avec raison aura
peu gouverner ses sens, sans s'estre laissée emmener à ses4
effrenez desirs, enquoy nous differons des bestes, lesquelles,
conduictes seulement de leur naturel instinct, se precipitent
indifferemment où leur appetit les guide, mais nous, avec la
mesure de raison, pouvons et devons moderer noz actions avec
telle providence que sans desvoier, nous suivions le chemin et
I ils y meslent R.
2 Corr : Semyamire A B C P.
3 Corr : vie esté A B.
4 ces C.

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l'adresse de vertu.1 Semblablement on verra les exemples de
celles lesquelles comme Nireus et Narcissus se sont perdues
par une fuiarde ombre d'une flestrie et tost passée beauté, et
qui ont ressemblé à une belle bouete bien dorée par dehors,
mais pleine de fange et d'immundices par dedans. Or vous
trouverez ce recueil amplement fourny de tels exemples afin
que faciez miroir des vertueux, et evitiez les autres contraires.
Suivez donc la reputée sagesse et amiable douceur de ma
damoyselle la Baillive du Perche, l'humilité de madamoyselle
des Marais voz soeurs, et la prudence et integrité de
madamoyselle de la Bretonniere vostre voisine,2 afin que faciez
vous quatre, [4] un plat bien fourny de toutes les excellences
qui se peuvent retrouver au sexe foeminin, que plust il à Dieu
que j 'eusse louanges assez dignes pour les exalter, car ma voix
ne s'en verroit jamais lasse, l'excellence desquelles je ne desire
seulement toucher les aureilles des presens, mais aussi estre
cogneue par la memoire des siecles futurs, car si en meileure
chose je pouvois leur faire plus grand honneur, je
n'espargnerois ma peine pour aider à immortaliser la gloire de
leur renommée. Quant à vous, l'esperance est grande que lors
que vous aurez attaint l'aage de perfection, que l'automne de
vostre dit aage produira le fruict desiré que la fleur de vostre
printemps verdoiant promet,3 car Dieu a rempli voz jeunes ans
(ans vraiement dorez) du comble de plus grande felicité que ne
firent oncques tous les dieux poëtiques leur tant decorée
I Premier emprunt silencieux à Boaistuau :...« celuy seul est heureux qui
avecques raison peut gouverner ses sens sans se laisser transporter à ses
effrenez desirs; en quoy nous differons des bestes, lesquelles, conduictes
seulement du naturel instinct, se precipitent indifferemment où leur appetit les
guide, mais nous avec la mesure de raison pouvons et devons moderer noz
actions avec telle providence que sans desvoyer nous elisions le sentier
d'equité et de justice » (Histoires tragiques, éd. Richard A. Carr, [Paris,
Champion, 1977], p. 23).
2 Il s'agit de la « Damoyselle Anne Brisart, dame de la Bretonniere », à
qui Marconville va dédier la suite de cet ouvrage, De l'heur et malheur de
mariage.
3 printemps promet D.

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Pandore. Parquoy mettez 1 peine de suivre vertu comme avez par cy devant faict, et n'en trouvez le chemin ennuieux, ains que vostre esperance soit tousjours arrestée en Dieu et ne laissez couler le temps sans bien l'emploier,2 car il n'est regret semblable, (à celui ou celle qui a jugement)[4v1 que d'avoir perdu le temps. Perseverez à faire bien, afin que comme vous croissez en venusté corporelle, aussi que Dieu vous donne accroissement de vertu et de perfection. Prenez en gré le present que je vous offre pour voz estrenes d'aussi affectionné coeur que je pry Dieu vous maintenir en augmentation de ses graces. Du Deffais ce 25. jour de Decembre. 1563.3
1 mets D.
2 s'emploier A.
3 1573 D.