Avant-propos

Si la représentation littéraire et artistique du fragment et les réflexions qu’elle suscite constituent le centre de ces contributions, ce volume entend conduire le lecteur non seulement à des incursions dans l’univers de tel ou tel auteur, mais aussi à l’étude des discours théoriques sur le fragment et de ses rapports – fort ramifiés – avec un tout qui a existé, qui pourrait ou devrait exister, en tout cas avec une vision holistique du monde tentée par l’exhaustion de sa représentation même. La fragilité du rapport entre les parties et le tout y sera réexaminée au même titre que la difficulté, grandissante, de connaître (et d’accepter) des instances totalisantes liées à des visions d’art et à des poétiques classiques. Or, depuis le romantisme, le fragment et la fragmentation ont été théorisés comme possibilités d’un art et d’une littérature libérés de ces contraintes, au profit d’un travail à venir, dépassant ainsi l’essence même de l’œuvre d’art, exigeant de la part du spectateur ou du lecteur de la parachever à son tour.

Loin d’être close, la discussion autour du fragment, du fragmentaire, de la fragmentation, de la relation entre totalité et parties, s’ouvre ici à de nombreuses pistes réflexives et à bien des entrelacs sur l’écheveau complexe de la création littéraire et artistique, qu’il sera loisible au lecteur d’explorer. Les angles d’étude proposés sont, dans le cadre de nos disciplines, artistiques, esthétiques, poétiques, linguistiques, stylistiques, historiques, mais également philosophiques et sociologiques. Pas de contraintes méthodologiques, si ce n’est l’exigence de la clarté du développement des interventions qui vont de la Renaissance à Maurice Blanchot, Paul Celan ou Heiner Müller, de Miguel de Cervantes à Stefan Zweig, en passant par Denis Diderot, Franz Kafka ou Paul Claudel. Les lettres européennes sont interrogées, tout comme les arts, la danse, ou plus précisément la chorégraphie et le cinéma.

Phénomène captivant, fascinant, le fragment est aussi un phénomène récurrent. S’il nous hante au niveau organique par son côté séparateur, violent, castrateur même, producteur de nos angoisses enfantines et de