Notices biographiques
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Danser entre ciel et terre. Le maître à danser du Quattrocento, sa technique et son art
- Pages : 383 à 411
- Collection : Bibliothèque de la Renaissance, n° 80
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406092513
- ISBN : 978-2-406-09251-3
- ISSN : 2114-1223
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09251-3.p.0383
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/12/2019
- Langue : Français
Annexe II
« L’autobiographie artistique »
de Guglielmo Ebreo / Giovani Ambrosio
Le deuxième manuscrit parisien du traité, noté Pa, et signé Domini Iohannis Ambrosii pisauriensis, contient un document concernant la biographie de l’auteur que le musicologue Franco Alberto Gallo appelle une « autobiographie artistique » : Guglielmo/Giovanni se souvient des fêtes auxquelles il a participé de 1447 à 1471 dans les principales villes italiennes. Il nous donne des indications précieuses sur ses celle-ci, sur les invités, les occasions et leur magnificence1. À noter que Guglielmo ne respecte pas l’ordre chronologique, semblant rapporter les événements de sa vie comme ils pourraient se présenter à sa mémoire.
Nous traduisons ici le texte italien in extenso en français. Pour plus de clarté dans l’exposé des événements, nous introduisons – à la suite de Franco Alberto Gallo – chaque fête qu’il relate avec la date, le lieu, les circonstances et l’identification des protagonistes sans rien changer au texte par ailleurs, hors la traduction :
« Moi Giovanni Ambrosio da Pesaro, je me suis trouvé dans toutes ces fêtes organisées par des empereurs, des rois ou des marquis et des grands seigneurs, et j’étais présent à beaucoup d’autres fêtes de citoyens que je ne mentionne pas.
[1444, Ferrare, mariage de Lionel d’Este avec Marie, fille d’Alphonse Ier d’Aragon et mariage de Rodolfo IV da Varano avec Camille, fille de Nicolas III d’Este :]
Je me trouvais d’abord aux noces du marquis Lionel qui prit pour femme la fille du roi Alphonse, la cour teint table ouverte pendant un mois, on fit de grandes joutes et de grands bals, et le seigneur messire Ridolfo en fit avec elle et épousa Dame Camille.
[1444 Camerino, mariage d’Alexandre Sforza et de Constance de Piergentile da Varano :].
376Je me trouvais aussi à Camerino quand seigneur Messire Alexandre épousa Dame Constance et où se trouvait le comte d’Urbin et fut faites une belle fête. Dans la salle, un familier coupa plusieurs macci de centi2 et le seigneur messire Alexandre commanda qu’il fut pendu et se rendant au gibet pour le pendre, la bienheureuse âme de Dame Constance ordonna qu’il ne fût pas pendu et elle lui rendit la vie.
[1447, Pesaro, visite de François Sforza et Blanche-Marie Visconti :]
Je me trouvai aussi à Pesaro quand le seigneur comte François et Dame Blanche vinrent à Pesaro et le seigneur Messire Alexandre et Dame Constance lui rendirent très grand honneur et on fit beaucoup de fêtes.
[1448, Ravenne, fête pour la victoire de François Sforza contre les Vénitiens à Caravage]
Et puis j’allais à Ravenne pour acheter du blé, lorsque arriva la nouvelle de la victoire de sa Seigneurie et que fut organisée une très grande fête où je dus aller danser. Un prix fut mis qui me fut donné et un autre, le même, fut donné à la femme qui dansait avec moi ; je le portais sur le flanc à la taille ; le prix était une belle étoffe de soie et une ceinture et une bourse.
[1448, Pesaro, second mariage d’Alexandre Sforza avec Sveva de Montefeltre fille de Guidantonio :]
Je me trouvais aussi au mariage de l’autre épouse que prit le seigneur Messire Alexandre, on fit une belle parure de noce et une belle fête.
[1454, Bologne, mariage de Sante Bentivoglio, seigneur de Bologne, avec Ginevra, fille d’Alexandre Sforza :]
Et puis je me trouvai aux noces de Messire Sante de Bentivoglio quand nous amenâmes Dame Ginevra dont les fêtes durèrent trois jours où je ne vis jamais de plus beaux repas et de plus belles collations et de plus bel ordonnancement. Et les plats de viande cuite étaient à la hauteur puisqu’ils s’agissaient de chapons. Et autour des tables se trouvaient des paons avec les plumes et leurs roues semblaient être des rideaux pour cette salle.
[1454 Ferrare, mariage de Giovanna Malvezzi]
Je me trouvai aussi aux noces de la fille de Virgilio Malvezzi qui alla se marier à Ferrare dans la maison Piactesi.
[1460, Urbin, mariage de Frédéric de Montefeltre avec Battista, fille d’Alexandre Sforza :]
Et puis je me trouvai aux noces du comte d’Urbin qui prit pour femme la fille du seigneur Messire Alexandre.
377[1462, Forli, mariage de Pino Ordelaffi, seigneur de Forli, avec Barbara Manfredi :]
Et puis je me trouvais à Forli avec Messire Domenico, aux noces du seigneur de Forli qui prit pour femme la fille du seigneur de Faenza et on fit une digne fête.
[1450, Milan, entrée de François Sforza à Milan :]
Et puis j’étais présent quand le duc François fit son entrée à Milan et fut fait duc ; les joutes, les danses et les grandes fêtes durèrent un mois et il fit deux cents chevaliers. Et j’ai entendu dire par Giovanni da Castel Nova et Giovanni Chiapa à Messire Alexandre que dix mille personnes mangeaient à table et qu’au son de la trompette tous étaient à la cour.
[1455, Milan, fiançailles d’Ippolita Maria Sforza, avec Alphonse d’Aragon :]
Et puis je me trouvais là quand fut réalisée une très digne fête pour la duchesse de Calabre quand elle fut épousée à Milan. Et j’ai entendu dire par Messire Alexandre qu’il en coûtât 63 000 ducats et moi je me trouvai avec Messire Domenico à faire des moresques et beaucoup de danses en présence de nombreux ambassadeurs venus de toutes les provinces.
[1459 Milan, réception du duc Jean de Clèves (1419-1481)]
Je me trouvais aussi à une grande fête à Milan quand vint le duc de Clèves.
[1459 Mantoue, réception du pape Pie II]
Quand vint le pape à Mantoue et le duc François lui fit très grand honneur et à chaque fois ils dansèrent accompagnés par toute la cour pendant trois jours. Le premier jour, il porta une capeline estimée à 60 000 ducats, toute couverte de perles et de bijoux. Le second jour, il mit une chaîne en or avec un seul bijou qui valait un grand trésor. Le troisième jour, il s’habilla à l’italienne et le duc François mit tous les vêtements sur lui.
[1459 Milan, réception d’une noble dame allemande]
Je me trouvais aussi à une très digne fête à Milan d’une dame allemande qui vint avec cinq demoiselles et qui allait à Mantoue auprès du pape, le duc François la confia au Seigneur Messire Alexandre afin qu’il l’accompagnât à Milan.
[1458, Imola, mariage de Tiberto Brandolini avec Cornelia Manfredi sœur de Taddeo Manfredi, seigneur d’Imola :]
Je me trouvais également aux noces de Messire Tiberto Brandolini qui prit pour femme la sœur de Monsieur le seigneur d’Imola.
[1458 Bologne, mariage de Sigismondo Brandolini avec Antonia Bentivoglio fille d’Annibale Ier Bentivoglio seigneur de Bologne :]
378Nous allâmes aussi à Bologne où il eut pour belle-sœur la sœur du messire Giovanni de Bentivoglio et nous l’amenâmes à Castelnovo et fîmes de très grandes fêtes. Et à Parme un escrimeur en tirant donna un coup d’épée à un de ses serviteurs, qui mourut immédiatement, et on lui fit rapidement couper la tête.
[1464, Milan, fêtes pour la prise de Gênes par François Sforza :]
Je me trouvais aussi à Milan avec le seigneur Costanzo à une très grande fête qui fut donnée quand le duc François fut fait seigneur de Gênes, où Papi fit entrer un grand dragon avec une grande boule de feu et des oiseaux, à laquelle chacun prit un grand plaisir.
Et puis je me trouvais à Milan où il y eut une très grande fête avec messire Alexandre quand le duc François vint à Mantoue afin de voir le pape. Il y avait plus de soixante bateaux, entre bucentaures et galions et des barges, tous couverts de velours et de draps de satin avec des drapeaux. Et messire Alexandre en eut deux de soie dont il se couvrit.
[1465, Naples, mariage d’Alphonse d’Aragon avec Ippolita Maria Sforza :]
Je me trouvais aussi aux noces du duc de Calabre, à Naples, où fut organisée une très belle fête et, vraiment, les plus belles collations que je n’ai jamais vues. Je fus avec Sa Majesté le Roi pendant deux ans et je vis faire des belles fêtes et des belles collations. Et dans chaque mets de la collation, il y avait un château et dans un autre un cheval et dans un autre une colombe avec des banderoles d’or en sucre au milieu de l’assiette et dès qu’on arriva à la moitié de la collation, les restes furent mis dans des sacs comme cela était l’usage dans le pays.
[1459, Padoue, mariage d’Endea Malatesta avec Girolamo Dandolo]
Puis je me trouvais à Padoue aux noces d’un fils de messire Andrea Dandolo3 qui prit pour femme la fille du seigneur Galeazzo [Malatesta] de Pesaro et on fit une très digne fête et tout le Conseil de Venise s’y trouva ; on ne vit jamais une plus grande noblesse et l’on vit tous les gentilshommes aller deux par deux avec des vestes de velours cramoisis longues jusqu’au sol et aussi quelques velours noirs qui accompagnèrent l’épouse à l’église, si bien que cette place ressemblait au paradis.
[1468, Milan, mariage de Galéas Marie Sforza avec Bonne de Savoie :]
Je me trouvais aussi aux noces du duc Galéas qui prit pour femme la duchesse venue de France ; il y avait le comte d’Urbin et beaucoup d’autres seigneurs.
[1469, Venise, réception de l’empereur Frédéric III de Habsbourg :]
379Puis je me trouvais à Venise quand vint l’empereur et que furent faites les plus dignes fêtes que je n’ai jamais vues de toute ma vie. Il y avait en particulier des galères, palischelmi4, bucentaures, toutes couvertes de draps de satins et qui allèrent vers l’empereur avec des flûtes et des trompettes ; un soir, sa Seigneurie fit danser et j’organisais une fête en livrées de masque avec de nouvelles danses et ce soir-là je fus fait chevalier ; jamais dans les temps chrétiens ne fut réalisée une plus belle fête et une plus belle collation.
Je me trouvais aussi un autre soir dans la maison des Priuli5 à Venise où vint l’empereur et où fut faite une très digne collation.
[1463, Mantoue, mariage de Frédéric Gonzague avec Marguerite de Bavière :]
Et puis je me trouvais aux noces du fils du marquis de Mantoue où, pour divertissement, deux Allemands coururent avec les épées dégainées et l’un d’entre eux tomba mort ; dans toutes les rues, il y eut beaucoup de tonneaux de vin et tout ce qui pouvait rafraîchir la bouche. C’est tout.
[1471, Urbin, marriage d’Élisabeth fille de Frédéric de Montefeltre avec Roberto Malatesta :]
Je me trouvais aussi à une belle fête qui fut réalisée à Urbin qui fut clôturée. La famille du seigneur Roberto qui prit pour femme la très illustre Dame Élisabeth, fille du très illustre seigneur comte d’Urbin. Et je fis une belle fête masquée et d’autres belles et très dignes collations furent faites aussi. Je me souviens que je fus malade et alité pendant dix jours.
[1471 Pesaro, fête de carnaval :]
Puis je me trouvais à Pesaro où furent donnés par le très illustre seigneur messire Alexandre de très grandes fêtes et de nombreux carnavals. Plus particulièrement, il fit servir un repas qui fut le plus digne fait par des chrétiens et avec le plus grand ordonnancement ; et il fit ce repas pour les citoyens le mardi de carnaval. Qui voudrait écrire tout cela aurait beaucoup à écrire mais nous n’en écrirons qu’une petite partie.
Ce repas a duré du matin jusqu’au soir vingt-deux heures passées et l’on fit dix-huit services de viandes et toutes les quatre viandes il y avait une salade et tous les rôtis étaient couverts d’or. Sur la table furent jetées plus de mille livres de dragées et de massepains si bien que les femmes 380qui s’y trouvaient amènent avec elle vingt livres de dragées. Et le sol de la salle était tout couvert de dragées.
Et puis on dansa et vinrent des personnages masqués qui portaient des feux sur la tête semblables à des blessures d’amour. Le soir de la fête, l’illustre seigneur donna de ses mains à toutes les femmes une grande torche neuve et un drap de tulle plein de dragées et, une par une, les femmes, qui étaient environ cent, furent accompagnées jusqu’à leur maison au son des flûtes, avec grand ordonnancement et grande joie. Fini.
[1460, Urbin, réception d’Alfonso d’Avalos :]
Je me trouvais également à Urbin quand le très illustre seigneur comte d’Urbin fit un très grand honneur au seigneur Don Alfonso. Il fit faire deux jours de carnaval et de fêtes masquées et l’on dansa beaucoup.
[1460, Pavie, fête avec François Sforza et Blanche Marie Visconti :]
Je fus présent avec le duc François et avec Dame Blanche à Pavie où eut lieu une très belle et digne fête. Là on me demanda de faire une belle moresque, ce que je fis. Puis il y eut un grand banquet pendant lequel on lui fit cadeau d’une grande cage en argent niellé et émaillée qui avait à l’intérieur une calandre qui chantait.
[1460, Milan, réception des ambassadeurs de Louis XI, roi de France :]
Et je me trouvais dans une grande fête que le duc François donna à Milan pour la venue d’un ambassadeur du roi de France et où furent invitées beaucoup de gentilles dames de Milan et où l’on dansa beaucoup. Il y en avait un qui marchait sur une corde et dansait les sabots au pied et la corde était haute comme le dôme de Milan. Il dansait au son des flûtes, beaucoup de gens étaient venus voir, autour de quatre-vingt mille personnes, et tous étaient à la cour.
[1469 Pesaro, fête au port :]
Et puis je me trouvais au port de Pesaro lorsque Messire Alexandre fit danser et faire une belle fête avec de nombreuses femmes de Pesaro. Ce soir-là, il y eut un Grec qui se fit attacher la main derrière lui, ainsi que les pieds, et qui se fit mettre dans un sac avec une arbalète ; il fit nouer très fortement le sac par trois personnes, fut mis dans un bateau et fut jeté à la mer. Et avec deux d’arbalète et d’un coup, il sortit l’arbalète chargée et en tira un carreau et il n’avait aucun mal. Fini.
[1471 Faenza, mariage de Carlo Manfredi da Faenza avec Costanza da Rodolfo da Varano, fille de Rodolfo IV da Varano, seigneur de Camerino :]
J’étais aussi aux noces de messire Carlo da Faenza qui prit pour femme la fille de Messire Rodolfo da Camerino ; celles-ci durèrent trois jours ; la table y était appareillée et il y eut de grandes joutes ; l’épouse vint 381à cheval en triomphe et le seigneur la rejoignit et l’épousa à cheval. Monseigneur était entouré d’une belle compagnie de citoyens et de courtisanes habillés en velours et avec des étoffes d’argent. On y fit de belles danses et on y fit de belles moresques. Et ce seigneur se présenta à ses familiers qui l’avaient servi longtemps entre deniers et draps et parements qui valaient cinq ducats, ainsi le seigneur fut très magnanime. Puis dans la fête, il y eut un funambule sur une corde très haute qui tomba, s’écrasa et mourut sur le coup.
[1474, Naples, réception des ambassadeurs de Charles, duc de Bourgogne :]
Puis je me trouvais à Naples au grand honneur que fit Sa Majesté le roi à l’ambassadeur du duc de Bourgogne et jamais chez des chrétiens on ne fit un aussi grand triomphe que celui-ci.
Avant tout, les seigneurs du royaume et les gentilshommes lui donnèrent un repas qui dura du matin jusqu’au soir ; et, après le repas, chacun d’eux lui donna des présents, qui des chevaux, qui des bijoux, qui des mules et qui une chose et qui une autre. Pendant le repas le duc de Calabre passa par ici : ce repas fut organisé le mardi soir de carnaval et commença à deux heures de la nuit et dura jusqu’au matin à l’Ave Maria ; et pour chaque service, toutes les assiettes étaient couvertes de châteaux d’argent et de paons vivants et de chevreuils, qu’il semblait qu’on pouvait en manger ; et encore sur ces assiettes des agneaux et des aigles d’argents si bien faits que je n’ai jamais vu une telle magnificence et que je restais stupéfait de voir tant de magnanimité.
Puis vint un service de poisson, puis un service de viande et puis de nombreuses sortes de salades, puis des gelées de poissons, de viandes et de gelées blanches et de gelées rouges et de gelées vertes et toutes sortes de gelées, et quand on arriva à minuit pour entrer dans le carême, toute la viande fut enlevée et arrivèrent beaucoup de gros poissons cuisinés de diverses manières. Il serait très long de le décrire si je racontais tout.
Puis au milieu du repas vint le duc de Calabre et Don Federico et on fit une momaria6 masquée habillée à la française, c’est-à-dire de draps d’or jusqu’en bas avec une bordure d’hermine et une manche qui était de damasquine brodée longue presque jusqu’à terre. Pendant ce repas, on fit des bals français avec Dame la duchesse et Dame Lionora. Puis le duc de Calabre présenta sept chevaux qui étaient tous couverts de feuilles d’or et qui avaient une lance avec cinquante rubis ou diamant tout autour de la pointe jusqu’au bout de la lance dont chacune était estimée à dix ducats, et la lance arrivait à cinquante ducats. Puis le 382duc de Calabre se dévêtit et donna ses habits de drap d’or au joueur de tambour. Cela fut le repas du duc de Calabre.
Aux Astroni7, il y eut une chasse, la plus belle jamais faite à Naples. Notez bien chaque chose. À la chasse, il y avait plus de vingt mille personnes et les chasseurs étaient plus de cinq mille et on prit cent vingt-trois bêtes, si bien que Sa Majesté le roi et le duc de Calabre étaient épuisés de tuer tant d’animaux et on donna licence à chacun de tuer ces animaux et on tua cent sangliers, neuf très grands cerfs, trois gros loups et deux chevreuils. Et le matin, on chargea toute la chasse sur cent vingt-trois mules avec des fleurs et des feuilles et on alla dans toute la ville de Naples avec les chiens et les chasseurs sonnant le cor ; et on n’avait jamais vu tant de seigneurie, tant de majesté et tant de beauté, que le ciel semblait s’ouvrir par le bruit des chiens et le son des cors que jouaient les chasseurs. Et la chasse eut lieu ainsi.
Et il y eut à la Selaria8 la joute la plus belle qui fut faite depuis plusieurs années à Naples ; et notez bien que tous ces seigneurs vinrent très richement vêtus et apprêtés avec nombre de parements ; et ils brisaient des lances et ce fut majestueux de voir tant de lances voler en l’air ; et plusieurs milliers de personnes regardaient et quatre serviteurs tenaient la table et Don Federico [le futur Frédéric Ier de Naples] remporta le prix de la joute.
Et quand l’ambassadeur du duc de Bourgogne prit licence de Sa Majesté le roi, Messire Carlino, ambassadeur du duc de Milan à cette époque, donna et présenta trois beaux chevaux et ce cadeau, il l’offrit de la part du duc de Milan au milieu du Castello Nuovo. Il était habillé d’un drap d’argent avec une grande blouse de satin cramoisie et tous les écuyers et les familiers étaient habillés de velours, l’un portait un pourpoint d’argent, et quand ils entrèrent dans cette cour, c’était majestueux de les voir venir. Et quand l’ambassadeur pris congé de Sa Majesté le roi, il donna beaucoup de colliers aux gentilshommes du roi, la duchesse de Calabre et la fille du roi firent beaucoup de cadeaux à cet ambassadeur. Il serait long de décrire tous les présents qui furent faits et tout ce qui s’est passé. Si bien qu’on estima la valeur des cadeaux à quinze mille ducats ».
1 Ebreo da Pesaro (Ambrosio, Giovanni), Pa, op. cit., folio 72ro-80vo. Édité par Gallo, Franco Alberto, « L’Autobiografia artistica di Giovanni Ambrosio (Guglielmo Ebreo) da Pesaro », Studi Musicali, xii, no 2, 1983, p. 189-202.
2 Il s’agit peut-être d’un acte de tricherie dans un jeu de cartes (n.d.r.).
3 Les Dandolo sont une famille patricienne de Venise qui a donné plusieurs doges à la cité (n.d.r.).
4 Selon le dictionnaire Tomaseo Bellini il s’agit d’une petite barque, cité également dans Boccace.
5 Les Priuli sont une famille patricienne de Venise, ils ont donné leur nom à plusieurs rues et palais de Venise, trois doges entre 1489 et 1623, mais aussi des ambassadeurs, des généraux d’armées et des sénateurs (n.d.r.).
6 Fête masquée très répandue à Venise.
7 Les Astroni : Il s’agit lieu à proximité des Campi Flegrei. Connus depuis l’époque de la Rome antique pour ses sources thermales qui ont disparu après une éruption volcanique qui a créé le Monte Nuovo en 1538. Alphonse Ier d’Aragon convertit le lieu en une réserve royale de chasse. C’est aujourd’hui la réserve naturelle du cratère des Astroni (n.d.r.).
8 Grande place de Naples où avaient lieu les joutes et les grandes fêtes (n.d.r.).