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Classiques Garnier

[Introduction de la première partie]

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Présenter Henri Bremond à partir de sa condamnation par la Congrégation de lIndex, cest partir du point de vue des adversaires pour comprendre non pas pourquoi la Sainte Chantal a été condamnée en 19131, mais ce qui a pu faire scandale dans son discours. Si les contempteurs de la Sainte Chantal portent sans doute un regard déformé par le spectre moderniste sur lœuvre de Bremond, ils la construisent dans le même temps comme un repère hagiographique, ils en font un jalon dans lhistoire de la littérature de la sainteté. Laffaire Tyrrell, ses deux écrits hagiographiques précédents, ses sympathies dites modernistes sont autant dautres raisons qui ne doivent pourtant pas oblitérer ce que la condamnation de la Sainte Chantal fait au genre hagiographique. La crise du genre hagiographique2 à laquelle Bremond proposait une forme de solution en phase avec son contemporain littéraire et scientifique est ainsi recouverte par cette autre crise que constitue la condamnation de la Vie de Jeanne de Chantal, inscrite dans le contexte plus large du « modernisme3 ».

Or cette condamnation « fait » quelque chose, elle vient sanctionner la nouveauté dun projet hagiographique et signaler les limites dune orthodoxie qui se perçoit comme attaquée de toute part. Elle fabrique un autre texte, quelle élabore consciencieusement dans le texte de la condamnation officielle, le votum, et auquel personne naura accès avant louverture des archives du Saint-Office4. Par son contenu longtemps 30invisible, cette condamnation crée le fantasme dune œuvre scandaleuse et celui dun texte indûment attaqué et mal compris. Dépouillée de son aura dramatique, la Sainte Chantal nous semble avoir encore beaucoup à offrir, notamment si on lextirpe un peu de ce début de xxe siècle étouffant, et quon linscrit dans le regard qui est aussi celui de Bremond, dune littérature hagiographique à lagonie, dun panmysticisme encore balbutiant, de lintuition dune proximité avec linnovation du discours et des écrits de la spiritualité du xviie siècle.

1 Voir Fr. Trémolières, « Labbé Bremond à lIndex », Mélanges de lÉcole française de Rome. Italie et Méditerranée (MEFRIM), 121/2, 2009, p. 463-483, notamment les p. 474-476.

2 Il nest alors pas le seul à vouloir restaurer le genre, ce dont témoigne la relative nouveauté stylistique des Vies de la collection « Les Saints ». Hippolyte Delehaye, qui salue la Sainte Chantal lors de sa publication, est inquiété pour ses Légendes hagiographiques (1905) qui portent un regard historien critique, mais bienveillant, sur les Vies de saints (Voir B. Joassart, Hippolyte Delehaye. Hagiographie critique et modernisme, Bruxelles, Société des bollandistes, 2000).

3 « Modernisme » est un terme inventé par le magistère. Cependant cela ne signifie pas « quil faille se débarrasser de la catégorie au motif quelle est une figure forgée » (S. Houdard, « Le Grand Siècle ou le Siècle des Saints : une fausse perspective », art. cité, p. 151).

4 Le texte du votum est longtemps resté inaccessible. François Trémolières a expliqué comment il avait pu accéder aux archives Pie X en 2006 (« Labbé Bremond à lIndex », art. cité, p. 463 et n. 4).