[Introduction de la première partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: Crises et renouveaux du geste hagiographique. Les Vies de Jeanne de Chantal (xviie et xxe siècles)
- Pages: 29 to 30
- Collection: Reading the Seventeenth Century, n° 73
- Series: Littérature, libertinage et spiritualité, n° 14
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN: 9782406121084
- ISBN: 978-2-406-12108-4
- ISSN: 2257-915X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12108-4.p.0029
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-06-2021
- Language: French
Présenter Henri Bremond à partir de sa condamnation par la Congrégation de l’Index, c’est partir du point de vue des adversaires pour comprendre non pas pourquoi la Sainte Chantal a été condamnée en 19131, mais ce qui a pu faire scandale dans son discours. Si les contempteurs de la Sainte Chantal portent sans doute un regard déformé par le spectre moderniste sur l’œuvre de Bremond, ils la construisent dans le même temps comme un repère hagiographique, ils en font un jalon dans l’histoire de la littérature de la sainteté. L’affaire Tyrrell, ses deux écrits hagiographiques précédents, ses sympathies dites modernistes sont autant d’autres raisons qui ne doivent pourtant pas oblitérer ce que la condamnation de la Sainte Chantal fait au genre hagiographique. La crise du genre hagiographique2 à laquelle Bremond proposait une forme de solution en phase avec son contemporain littéraire et scientifique est ainsi recouverte par cette autre crise que constitue la condamnation de la Vie de Jeanne de Chantal, inscrite dans le contexte plus large du « modernisme3 ».
Or cette condamnation « fait » quelque chose, elle vient sanctionner la nouveauté d’un projet hagiographique et signaler les limites d’une orthodoxie qui se perçoit comme attaquée de toute part. Elle fabrique un autre texte, qu’elle élabore consciencieusement dans le texte de la condamnation officielle, le votum, et auquel personne n’aura accès avant l’ouverture des archives du Saint-Office4. Par son contenu longtemps 30invisible, cette condamnation crée le fantasme d’une œuvre scandaleuse et celui d’un texte indûment attaqué et mal compris. Dépouillée de son aura dramatique, la Sainte Chantal nous semble avoir encore beaucoup à offrir, notamment si on l’extirpe un peu de ce début de xxe siècle étouffant, et qu’on l’inscrit dans le regard qui est aussi celui de Bremond, d’une littérature hagiographique à l’agonie, d’un panmysticisme encore balbutiant, de l’intuition d’une proximité avec l’innovation du discours et des écrits de la spiritualité du xviie siècle.
1 Voir Fr. Trémolières, « L’abbé Bremond à l’Index », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée (MEFRIM), 121/2, 2009, p. 463-483, notamment les p. 474-476.
2 Il n’est alors pas le seul à vouloir restaurer le genre, ce dont témoigne la relative nouveauté stylistique des Vies de la collection « Les Saints ». Hippolyte Delehaye, qui salue la Sainte Chantal lors de sa publication, est inquiété pour ses Légendes hagiographiques (1905) qui portent un regard historien critique, mais bienveillant, sur les Vies de saints (Voir B. Joassart, Hippolyte Delehaye. Hagiographie critique et modernisme, Bruxelles, Société des bollandistes, 2000).
3 « Modernisme » est un terme inventé par le magistère. Cependant cela ne signifie pas « qu’il faille se débarrasser de la catégorie au motif qu’elle est une figure forgée » (S. Houdard, « Le Grand Siècle ou le Siècle des Saints : une fausse perspective », art. cité, p. 151).
4 Le texte du votum est longtemps resté inaccessible. François Trémolières a expliqué comment il avait pu accéder aux archives Pie X en 2006 (« L’abbé Bremond à l’Index », art. cité, p. 463 et n. 4).