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Classiques Garnier

Avertissement de l'auteur pour la première édition

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Avertissement
de lauteur

pour la première édition

Ce cours, résultat général de tous mes travaux, depuis ma sortie de lécole Polytechnique, en 1816, fut ouvert pour la première fois en avril 1826. Après un petit nombre de séances1, un maladie grave mempêcha, à cette époque, de poursuivre une entreprise encouragée, dès sa naissance, par les suffrages de plusieurs savants de premier ordre, parmi lesquels je pouvais citer dès lors MM. Alexandre de Humboldt, de Blainville et Poinsot, membre de lAcadémie des Sciences, qui voulurent bien suivre avec un intérêt soutenu lexposition de mes idées. Jai refait ce cours en entier lhiver dernier, à partir de 4 janvier 1829, devant un auditoire dont avaient daigné faire partie M. Fourier, secrétaire perpétuel de lAcadémie des Sciences, MM. de Blainville, Poinsot, Navier membres de la même Académie, MM. les professeurs Broussais, Esquirol, Binet, etc., auxquels je dois ici témoigner publiquement ma reconnaissance pour la manière dont ils ont accueilli cette nouvelle tentative philosophique.

Après mêtre assuré par de tels suffrages que ce cours pouvait utilement recevoir une plus grande publicité, jai cru devoir, à cette intention, lexposer cet hiver à lAthénée royal de Paris, où il vient dêtre ouvert le 9 décembre. Le 40plan est demeuré complètement le même ; seulement les convenances de cet établissement mobligent à restreindre un peu les développements de mon cours. Ils se trouvent tout entiers dans la publication que je fais aujourdhui de mes leçons, telles quelles ont eu lieu lannée dernière.

Pour compléter cette notice historique, il est convenable de faire observer, relativement à quelques-unes des idées fondamentales exposées dans ce cours, que je les avais présentées antérieurement dans la première partie dun ouvrage intitulé Système politique positive2, imprimée à cent exemplaires en mai 1822, et réimprimée ensuite, en avril 1824, à un nombre dexemplaires plus considérable. Cette première partie na point encore été formellement publiée, mais seulement communiquée, par la voie de limpression, à un grand nombre de savants et de philosophes européens.

Jai cru nécessaire de constater ici la publicité effective de ce premier travail, parce que quelques idées offrant une certaine analogie avec une partie des miennes se trouvent exposées, sans aucune mention de mes recherches, dans divers ouvrages publiés postérieurement, surtout en ce qui concerne la rénovation des théories sociales. Quoique des esprits différents aient pu, sans aucune communication, comme le montre souvent lhistoire de lesprit humain, arriver séparément à des conceptions analogues en soccupant dune même classe de travaux, je devais néanmoins insister sur lantériorité réelle dun ouvrage peu connu du public, afin quon ne suppose pas que jai puisé le germe de certaines idées dans des écrits qui sont, au contraire, plus récents.

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Plusieurs personnes mayant déjà demandé quelques éclaircissements relativement au titre de ce cours, je crois utile dindiquer ici, à ce sujet, une explication sommaire.

Lexpression philosophie positive étant constamment employée, dans toute létendue de ce cours, suivant une acception rigoureusement invariable, il ma paru superflu de la da définir autrement que par lusage uniforme que jen ai toujours fait. La première leçon, en particulier, peut être regardée tout entière comme le développement de la définition exacte de ce que jappelle la philosophie positive. Je regrette néanmoins davoir été obligé dadopter, à défaut de tout autre, un terme comme celui de philosophie, qui a été si abusivement employé dans une multitude dacceptions diverses. Mais ladjectif positive, par lequel jen modifie le sens, me paraît suffire pour faire disparaître, même au premier abord, toute équivoque essentielle, chez ceux, du moins, qui en connaissent bien la valeur. Je me bornerai donc, dans cet avertissement, à déclarer que jemploie le mot philosophie, dans lacception que lui donnaient les anciens, et particulièrement Aristote, comme désignant le système général des conceptions humaines ; et, en ajoutant le mot positive, jannonce que je considère cette manière spéciale de philosopher qui consiste à envisager les théories, dans quelque ordre didées que ce soit, comme ayant pour objet la coordination des faits observés3, ce qui constitue le troisième 42et dernier état de la philosophie générale, primitivement théologique et ensuite métaphysique, ainsi que je lexplique dès la première leçon.

Il y a, sans doute, beaucoup danalogie entre ma philosophie positive et que les savants anglais entendent, depuis Newton surtout, par philosophie naturelle. Mais je nai pas dû choisir cette dernière dénomination, non plus que celle de philosophie des sciences qui serait peut-être encore plus précise, pare que lune et lautre ne sentendent pas encore de tous les ordres de phenomènes4, tandis que la philosophie positive, dans laquelle je comprends létude des phénomènes sociaux aussi bien que de tous les autres, désigne une manière uniforme de raisonner applicable à tous les sujets sur lesquels lesprit humain peut sexercer. En outre, lexpression philosophie naturelle est usitée, en Angleterre, pour désigner lensemble des diverses sciences dobservation, considérées jusque dans leurs spécialités les plus détaillées : au lieu que par philosophie positive, comparée à sciences positives, jentends seulement létude propre des généralités des différentes sciences, conçues comme soumises à une méthode unique, et comme formant les différentes parties dun plan général 43de recherches. Le terme que jai été conduit à construire est donc, à la fois, plus étendu et plus restreint que les dénominations, dailleurs analogues, quant au caractère fondamental des idées, quon pourrait, de prime abord, regarder comme équivalentes.

1 Voir lIntroduction, p. 14.

2 Il ne faut pas confondre cette première ébauche avec le Système de politique positive, en quatre volumes, publié de 1851 à 1854. Pour le titre primitif que portait cet opuscule, cf. p. 12, n. 6.

3 Pour la philosophie positive, les théories nont donc pas de valeur absolue, mais doivent toujours être relatives aux faits. Cette attitude positive – que nous aurons à définir plus en détail en létudiant à propos de ses principales applications – présente deux caractéristiques essentielles.

1o Au point de vue logique, le positivisme subordonne limagination et la dialectique à lobservation. Cette subordination a pour cause le sentiment des lois naturelles, quil sagit de connaître telles quelles sont, et non pas de reconstruire ou dinventer ; 2o Au point de vue scientifique, le positivisme substitue la notion du relatif à celle de labsolu. Comte estime quune pareille substitution ne pouvait être achevée que par la fondation de la sociologie comme science. En effet, les sciences antérieures avaient bien montré que nos conceptions sont relatives à notre organisme et au milieu dans lequel nous vivons. Mais ce nétait là quune étude statique. Il fallait une recherche dynamique portant sur lévolution, pour nous révéler que le développement intellectuel de lhumanité est assujetti à une loi. La démonstration de cette loi nous contraint de renoncer à lespoir chimérique de jamais atteindre une vérité absolue. La vérité est relative à chaque époque et sexprime dans les théories qui systématisent le mieux, aux différents moments de lhistoire, lensemble des observations et des connaissances.

4 La physique sociale nest pas encore regardée comme une science. Les travaux de Comte ont précisément pour but de combler cette lacune.