Skip to content

Classiques Garnier

Annexe III

  • Publication type: Book chapter
  • Book: Correspondance. Tome XXIV. Avril 1874 – mai 1876
  • Pages: 649 to 654
  • Reprint of the edition of: 1990
  • Collection: Nineteenth-Century Library, n° 24 – Hors collection
  • CLIL theme: 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN: 9782406085003
  • ISBN: 978-2-406-08500-3
  • ISSN: 2258-8825
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08500-3.p.0671
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 12-14-2018
  • Language: French
671
ANNEXE N° III




Le lecteur trouvera ici un témoignage inédit sut les derniers moments de George Sand, émanant du docteur Henri Favre qui l'écrivit à une amie entre la mort et la cêrémonie des obsèques. C'est lui-même qui en adressa une copie à Gabrielle Dudevant-Sand le 11 août 1904, au moment des fêtes du centenaire. Je remercie mon ami Jean Darnel qui a bien voulu me communiquer ces pages, émouvantes malgré ]e ton volontiers emphatique du verbeux et prétentieux docteur qui se piquait de philoso- phie transcendante. Je les reproduis intégralement, hors quelques phrases de la fin qui ne concernaient en rien George Sand.
Nohant le 9 juin 1876 — 4 h du matin
Depuis hier, il s'est passé ici des événements de la plus haute importance. Auront-ils au dehors leur retentisse- ment ?C'est bien possible. Quoi qu'il arrive, je me tiens prêt en ce qui me regarde, et s'il y a lieu, je ne faiblirai point à l'occasion.
Je fais depuis la première heure du jour ma part de veillée des morts. Tout naturellement je vous évoque pat la pensée et par le coeur, et, placé comme je le suis présentement pat la réflexion entre la Terre et le Ciel,
672 j'unis en nous par la méditation la plus tacitement intérieure, le passé, le présent et l'avenir.
Quelle situation singulière est la mienne. Seul, dans le silence recueilli de l'aube, je vous écris sur le bureau de la femme étrange qui fut George Sand et qui n'est plus civilement qu'une morte inscrite au registre de l'état civil, que la veuve Baronne Dudevant. Dans ce château du XVIII° siècle, elle est là, dans sa chambre, sur son lit funéraire tout semé des fleurs et du feuillage de son parc. Pendant que gronde seulement tout l'orage d'un drame de famille', les oiseaux chantent au milieu des arbres verdoyants.
I. Ce drame de famille a êtê éclairé paz la publication de deux lettres qu'a faite Mme Anne Chevereau dans son excellent mêmoire, George Sand. Du catholicisme au paraprotenantisme ? présentê devant l'École pratique des Hautes Études (chez l'auteur, 1988).
Une vive discussion a opposé Maurice et sa femme à propos du texre des lettres de faire-pan, où il tenait absolument à faire figurer son titre de baron : « Tu te dis peinée parce que je veux que légalement et logiquement tu figures comme ma femme légitime sur les lettres de faire pan. [...] Ce n'est pas dans des moments aussi malheureux, aussi terribles, aussi difficiles sous tous les rapports que tu dois me montrer du déplaisir à propos d'une chose puérile. Je souffre plus que tu ne crois de tout ce qui se passe. Aide- moi au lieu de me blâmer. N'embrasse aucun patti de coterie dëmocratique ou religieux, républicain ou no61e. Nous devons en de si dures et si pénibles circonstances être ce que nous devons être, au-dessus des préjugés et des mesquines réflexions de roturier et de bâtards qui blâmera par envie. [...] Je n'ai pas de raison pour jeter aux ordures le nom et le titre de mon grand- père Dudevant un homme qui serait blessé que je ne posasse pas son titre qu'il avait gagné avec son épée et sa droiture sur les champs de bataille de la république er de l'empire. Ce n'est donc pas bien de mépriser les distinctions que nos ayeux ont obtenues er qu'ils nous lèguent. [...] cela n'a jamais été l'idée de tan cher père lui qui était couvert de décorations. Alors pourquoi es-tu offusquée que je veuille que tu prennes au moins aux yeux du monde le titre que je pore, etc. > Lettre datée samedi soir [10 juin].
A quoi Lina répond : a Je ne veux pas me rapprocher de la noblesse qui nous méprise et ne nous admettra jamais parmi les siens. Je suis et veux rester la belle-fille de Mme Sand et je ne veux pas que mon premier acte de vie nouvelle soit une affirmation de notre bazonie (sic] que ta mère a toujours répudiée et qu'elle t'a supplié de ne pas afficher. Fais-moi donc cette concession à moi qui t'en ai fait tant dans ces moments malheureux [...] ne nous faisons pas faire mutuellement des actes que notre conscience individuelle réprouve et qui amènerait [sic] un désaccord complet- >
Maurice ne renonça pas au titre pour lui-même, mais s'inclina devant une exigence aussi catégorique : le faite-pan qu'on a w dans les illusrtations
673 Ainsi que cela m'était toujours apparu devoir être, c'est moi qui ai, du fond le plus recueilli de mon coeur, offert à Dieu cette petite âme diaphane qui, dans le monde terrestre s'est laissée ternir par tant de fuligineux brouil- lards. Agenoux àson chevet de moribonde, j'ai fait à son intention une prière tout intérieure, et j'ai dit à Dieu
Seigneur, si cette âme est réellement lumineuse, comme j'en ai la conviction claire, faites qu'elle se détache de ses liens corporels sans secousse et sans convulsion. »J'ai offert au Très-Haut cette âme et toute sa limpidité enfantine, au nom du Père et de la Mère, pour le Fils, par l'Esprit. Vous étiez là près de moi en imagination à ce moment suprême où nul curieux ou indifférent ne se trouvait. L'agonie a été longue, mais les heures dernières ont été douces. J'ai pieusement fermé les yeux à cette vieille bonne amie qui m'avait un peu deviné et que je connaissais si bien. J'ai déposé sur son front glacé le baiser de souvenance suprême, et j'ai demandé une petite couronne de ses cheveux blancs que sa fille elle-même a bien voulu me donner.
Ma tâche n'était point terminée encore. Dès ce moment, tout un ensemble de péripéties sociales, politiques et religieuses, allait se dérouler. Dans la lettre ultime que la morte m'avait écrite et que je vous ai donnée à lire, était comme incluse sa profession de foi naturo-déiste'. Les sacrements de l'Église n'avaient donc point à être invoqués. Le prêtre a rôdé autour de la victime qu'il devait marquer de son signe, il a pu se promener dans les allées et sous les arbres, il a pu s'asseoir sur les fauteuils du salon ; il n'avait à espérer nulle accession, même fortuite, dans la chambre de la malade. Elle l'eût demandé que je me fusse fait un devoir tout consciencieux de l'aller quérir malgré les oppositions de l'ambiance 2. Je savais qu'il n'en
commence ainsi : a Monsieur Maurice Sand, baron Dudevant, chevalier de ]a Legion d'honneur et Madame Maurice Sand-Dudevant... »Madame, et non baronne.
1. La dernière lettre quc nous connaissons est celle du 28 mai, n° 17980. Nous n'y voyons pas de profession de foi. Faut-il penser qu'il y eut unc lettre plus tardive que Favre n'a pas communiquée à Maurice ?
2. L'ambiance : d'après le récit d'Henry Harrisse, Derniers momentr et
674 serait rien, je me trouvais donc à ce lit de mourante, le seul représentant de Dieu. Ne vous semble-t-il pas qu'ainsi s'explique notre séparation si inattendue au jour commé- moratif de notre vocation sainte ? Et c'était la nuit du 7 et le matin du 8, et je vous écris le 9, et nous serons réunis le jour de la Trinité.
Une question délicate se posait. La morte illustre doit aller se joindre au tombeau de ses proches adossé aux murs de son jardin. Elle a vécu là en faisant le bien, elle devait y reposer tranquillement sans être cause de scandale. Sa conscience avait rejeté la sactementation de l'Église, rien de plus simple, sa dépouille pouvait requérir l'accom- pagnement modeste du desservant de village. Ainsi se posait le problème à la fois en présence du catholicisme concordataire et de la libre pensée laïque. Il y avait à respecter la paix du coeur d'une simple commune, quitte à choquer l'arrogance bruyante du Paris cosmopolite et attentateur (?). J'ai été requis de me prononcer au nom de la famille et des amis sincères près de Mr Maurice. J'ai obtenu gain de cause, et avec deux parents', j'ai été envoyé en mission près du curé éconduit. La situation était délicate. Il a fallu en référer à l'archevêque de Bourges, Monseigneur de la Tout d'Auvergne. La négocia- tion aréussi, bien qu'elle risquât de se heurter à une assez lourde pierre d'achoppement. J'ai par devers moi les pièces de cet incident si spécial, nous en causerons tout à notre aise au retour.
Il y avait plusieurs partis dans l'entourage. L'irréligion voulait lever droit sa bannière ;j'ai maintenu flottant un tout petit bout de fanion religieux, cela suffisait à mes desseins ultérieurs. Nous verrons ce que cela produira au cours des événements. C'est qu'ici, je me sens en plein

obrèquer de George Sand. Souvenarr d'un ami, étaient opposés à des obsèques religieuses Maurice, Lina, Aucante et Plauchut. Solange au contraire opina fermement pour le recours à l'église, et la famille Simonnet, Cazamajou et le docteur Favre «qu'on croyait libre-penseur a, se rangèrent à son avis. « Le docteur Papet, consulté, dit à Madame Solange que s'il y avait un enrerrement civil, ni lui ni sa famille ne s'y rendraient. n
1. Probablement Cazamajou et René Simonnet.
675 terroir de la race celtique 1. Nulle pompe ne sera déployée, un seul prêtre, celui de la commune, sera là ; un simple service sans messe sera fait, parce qu'il sera midi. L'église est, en cette circonstance, mise en service et non en triomphe. Unissez-vous d'intention avec moi à travers l'espace, et peut-être, au nom de l'Ëternel qui nous inspire, serons-nous seuls à dominer tacitement la situation.
Maintenant un autre point demeure à régler, et celui-là même me regarde. Le Fils ne veut pas de discours officiels, il a raison d'éloigner tout ce vain bavardage, mais Madame Sand s'est plaint qu'à l'enterrement tout civil et parisien de Sainte-Beuve, il n'y eut pas une seule parole d'adieu. Il a été convenu, non sans peine, que Dumas serait l'organe parlant de l'amitié 2. Heureusement il n'est pas parti, il m'a promis de venir. Je lui ai télégraphié : Je vous attends.
La veille, j'avais été chargé d'ëcrire à Girardin, c'était comme une sorte d'entrée en matière pour une occasion de rencontre possible. Vous voyez que les signes n'ont point manqué et que notre politique courante ne chôme pas.
J'observe tout ici et je dispose mes lignes d'intervention possible, s'il y a lieu. Je laisserai dire en parfaite indiffé- rence, mais j'ai toutes mes batteries en ligne et vous savez que je n'aime à tirer qu'à boulets.
Quoi qu'il en puisse advenir, j'ai hâte de vous revenir
1. La race celtique est un «dada = du docteur Favre. Voir son Balzac et le tempr présent (Paris, Matpon, 1858).
2. Partis de Paris le 9 juin à dix heures du matin, Dumas, Harrisse, Eugène Lamberr, Pau] Meurice, Édouard Cadol, Calmann Lévy voyagèrent dans le même companiment et arrivèrent à Nohant à sept heures du soir. D'autres amis, dont Victor Borie, avaient pris le même train. Arrivèrent le lendemain le prince Napoléon, Renan et Flaubert.
« Dumas, raconte Harrisse, avait passë une partie de la nuit à écrire un discours », mais, comme Paul Meurice êtait arrivé porteur d'un discours de Victor Hugo, Dumas et le prince, qui s'était proposé de prendre la parole, pensèrent «qu'entre le clergé et Victor Hugo il n'y avait pas place pour eux s. Ne prirent la parole qu'Ernest Périgois, et Paul Meurice qui ]ut « lentement, de solennelle façon, les pages que Victor Hugo avait envoyées », et dont l'exorde est dans les mémoires
« Je pleure une morte et je salue une immôrtelle. n
676 car le temps s'approche et mon coeur comme ma pensëe ont besoin de s'épancher en votre intelligence et en votre âme. Je partirai sitôt la cérémonie faite, j'arriverai samedi dans la nuit. Pour vous seule je serai à Paris dimanche et je pourrai ainsi me reposer au septième jour de ma semaine sainte.
A présent je vous quitte mon Unique seule au monde de l'affection et de la foi ; la multitude va venir en son faux jour, rentrons dans notre lumiëre discrète. A vous pour toujours'.
H. F.





1. Ace témoignage inédit, dont le lecteur aura noté le ton prétentieux et alambiqué, nous avions envisagé de joindre tous ceux qui ont déjà été mis à jour, soit par leur auteur (c'est le cas de la brochure d'Harrisse), soit pat Wladimit Karénine à la f'in de son ouvrage (t. IV, entre les pages 595 ec 631j. Ils relatent les souvenirs, impressions et jugements de personnes qui ont vécu à Nohant les heures angoissées de la semaine tragique, ou sont arrivées tout de suite après le dëcès pour assister aux obsèques. Ils s'accordent souvrnt, mais parfois se contredisent. Dans une intention louable, malheureu- sement contrariée par un manque de méthode, W. Karénine, qui avait consulté et copié tous ces documents, les a imbriqués les uns dans les autres pour les éclairer mutuellement, mais de telle façon qu'on ne peut toujours déterminer qui a dit quoi, où s'arrête le compte rendu de l'un et où commence celui de l'autre. Il eùt été préférable de soumettre tous ces textes au lecteur sans coupures, absolument tels que les avaient rédigés leurs auteurs : Paulin de Vasson, sa femme Nannety, le docteur Marc Chabenat, le docteur Jules Pestel, Lina Dudevant-Sand, Henry Harrisse. Faute de pouvoir recourir aux originaux, nous nous bornerons à reproduire la dernière de ces relations. Cette plaquette, publiée à l'occasion du centenaire en 1904, n'a été tirée qu'à 52 exemplaires, destinés à la famille et à quelques amis. Le texte original avait subi des modifications avant l'impression, et certains jugements critiques ont disparu (sur le docteur Favre notamment, qui vivait encore). Nous donnerons en note des extraits des autres témoignages pour compléter ou corriger les passages en contradiction avec les impressions d'autres mémorialistes. Ainsi le lecteur pourra fonder lui-même son opinion sur les attitudes et réactions de la famille et des proches.