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Classiques Garnier

Introduction

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Correspondance. Tome XXII. Avril 1870 – mars 1872
  • Pages : i à iii
  • Réimpression de l’édition de : 1987
  • Collection : Bibliothèque du xixe siècle, n° 22 – Hors collection
  • Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN : 9782406084945
  • ISBN : 978-2-406-08494-5
  • ISSN : 2258-8825
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08494-5.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 13/12/2018
  • Langue : Français
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INTRODUCTION

Nous avons laissé George Sand au tome XXI, heureuse de vivre au milieu des siens qu'elle adore et d'un pays qu'elle aime, gâtant et instruisant ses petites-filles, se laissant couler vers la septentaine avec une philosophie souriante. La grande aisance est venue avec le traité Lévy qui lui assure des reve¬ nus réguliers. Aussi flânerait-elle davantage, mais qu'on ne la prenne pas pour une retraitée, bien qu'elle se soit un jour, on s'en souvient, qualifiée de « vieux troubadour retiré des affaires *. Pourrait-elle, d'ailleurs, jeter sa plume et cesser son dialogue avec ses lecteurs et ses correspondants, son monologue avec elle-même ? De son écriture alourdie elle va couvrir en¬ core bien des pages : trois romans (Césarine Dietrich, Francia, Nanon) ; une grande série d'articles pour le Temps, voilà sa production de deux années ou du moins la partie visible, car il y faut ajouter ce qu'elle confie chaque jour â ses Agendas sur les événements. Nous entrons dans les heures tragiques de la guerre étrangère puis de la guerre civile, et le journal devient plus dense et plus grave : réflexions, craintes lucides, espoirs ressuscités puis contredits, angoisses, noires tristeses rem¬ plissent tour à tour les pages et paffois les débordent. Elle en extraira seulement, pour la Revue des Deux Mondes, la période qui se clôt avec l'armistice. Ce Journal d'un voyageur pendant la guerre s'arrête sur des considérations bien amères : * On ne voit pas sans effroi et sans accablement le progrès faire fausse route, l'avenir reculer, l'homme descendre, la vie morale s'éclipser. » Que de déceptions pour celle qui croyait au progrès indéfini ! Et pourtant elle n'a pas encore vu le pire : dans quelques semaines ce sera l'explosion de la Commune, le déchaînement

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INTRODUCTION

fratricide. Ses états d'âme pendant l'insurrection parisienne, ses révoltes, ses indignations, ses colères n'ont pas été l'objet de publications immédiates, nous allons les découvrir dans la cor¬ respondance. Si beaucoup de lettres ont disparu (et les événe¬ ments expliquent suffisamment ces lacunes) il en reste assez pour nous éclairer sur la pensée de George Sand et sur sa souffrance morale. C'est là, et non lors de la capitulation, que ses illusions les plus tenaces ont reçu le démenti le plus cin¬ glant. Son idéal est en miettes, sa confiance dans le peuple ébranlée. Plus que d'autres George Sand a pâti de son attitude de¬ vant les événements de 1871. Combien de fois ai-je entendu, émanant de personnes qui admiraient par ailleurs la femme et la romancière, l'objection restrictive : r Oui, mais, comment justifier sa prise de position à l'égard de la Commune ? » Nous voyons ici l'impact de la campagne de glorification de la Commune, dans les années qui ont suivi 1968 : on a prononcé, on a écrit alors bien des jugements sans nuances, en privilégiant les citations tronquées, en extrayant ραφη un seul adjectif d'un long passage. Je renvoie à la recension qu'en a faite impartialement Annarosa Poli dans George Sand et les années terribles. Pourquoi George Sand a-t-elle été plus critiquée que d'autres ? Flaubert par exemple, beaucoup plus virulent, reçoit l'absolution : il ne s'est pas déjugé. Tandis que la révolutionnaire de 1848, qu'on s'attendrait à voir prendre fait et cause pour les * rouges » de 1871, va faire contre elle la quasi unanimité. On va lui reprocher d'avoir pris la même position, après tout, que tous les écrivains nota¬ bles de l'époque (â l'exception de quelques adeptes ou sympa¬ thisants que l'on peut compter sur les doigts d'une main : Jules Vallès, l'auteur de l'Insurgé, membre de la Commune, le géographe Elisée Reclus, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et... Victor Hugo qui de Bruxelles offrit comme on sait l'asile aux communards en fuite.) Je n'entreprendrai pas ici sa justification ; je renverrai seu¬ lement â d'autres volumes de cette longue correspondance, oh l'on peut constater que George Sand a toujours rejeté toute dictature, même en 1848, a toujours été fidèle â l'organisa¬ tion démocratique de la société, ennemie toujours de la vio¬ lence et du sang répandu. Et j'ajouterai une citation d'un

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auteur plutôt favorable aux thèses de l'extrême-gauche : * Rien n'est plus facile et plus sot que de la mettre en contra¬ diction avec elle-même d'un jour à l'autre, selon les nouvelles reçues. Qui donc, ayant vécu des événements analogues pour¬ rait la blâmer, sans mauvaise foi, de sa confusion ? » (Edith Thomas, George Sand, p. 121). J'ai cru longtemps qu'elle ne pouvait recevoir à Nohant que la presse de Versailles, mais c'était une erreur dont la lecture de l'Agenda m'a détrompé, la presse des communards lui par¬ venait aussi, quoique moins régulièrement. Un seul exemple : * On m'écrit qu'il ne faut croire que la moitié de ce qu'on dit sur les folies de la Commune. Mais ce qu'elle imprime est bien assez pour qu'on la juge. * Qu'on lise dans ce volume l'éloquente, l'admirable lettre ouverte à Flaubert du 14 septembre 1871. Ceux qui s'obstine¬ raient à trouver là le reniement de toute une vie, qu'ils lèvent la main. Je me fais un plaisir, comme à chaque volume, de remercier soit pour leur communication de documents, soit pour leur col¬ laboration bénévole et sympathique à mes commentaires et éclaircissements : Nîmes Marielle Caors, Sheila Gaudon, Lydia Grey, Miche¬ line Lacombe, Jeanne Vinciguerra ; MM. Michel Bonicel, Roger Bourdet, Amédée Carriat, Di Méo, Charles F. Dupêchez, Gayardon de Fenoyl, Oscar A. Haag, David A. Powell, Gabriel Spillebout, et la Bibliothè¬ que Jagiellonska de Cracovie. Georges LUBIN Ce tome contient 1 095 numéros, dont 483 en déftcit (pro¬ portion élevée, due sans doute aux événements) et 612 lettres ou billets. Sur ce dernier total, 500 documents ont été vérifiés sur autographes, microfilms ou photocopies, soit environ 82 %. 366 sont totalement inédits, 72 le sont partiellement, pro¬ portion moins élevée que d'habitude (71%) : là encore le contexte est à considérer, ces années dramatiques ayant été explorées avec un intérêt particulier dès la première édition de la correspondance en 1882-1884 et à nouveau lors du cente¬ naire des années 1870 et 1871.