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Classiques Garnier

Note sur les domiciles parisiens de George Sand pendant la période avril 1840 - décembre 1842

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Correspondance. Tome V. Avril 1840 – décembre 1842
  • Pages : 849 à 853
  • Réimpression de l’édition de : 1969
  • Collection : Bibliothèque du xixe siècle, n° 5 – Hors collection
  • Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN : 9782406084433
  • ISBN : 978-2-406-08443-3
  • ISSN : 2258-8825
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08443-3.p.0871
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 26/10/2018
  • Langue : Français
871
NOTE
SUR LES DOMICILES PARISIENS
DE GEORGE SAND
PENDANT LA PÉRIODE

AVRIL z 840 -DÉCEMBRE z 84z


tS4o-i84z — r6, rue Pigalle (actuel 20).
George Sand a loué à cette adresse depuis le t 5 octobre r 8; 9 deux pavillons sur cour, celui de gauche étant occupé pat Chopin et Maurice 1.
Balzac, dans une lettre à Mme Hanska du r 5 mars z 84r, a laissé des indications très précises sur ce logement
Elle demeure rue Pigalle, iG, au fond d'un jardin, au-dessus des remises et des écuries d'une maison qui est sur la rue. Elle a une salle à manger où les meubles sont en bois de chêne sculpté. Son petit salon est couleur café au lait et le salon où elle reçoit est plein de vases chinois superbes, pleins de fleurs. Il y a toujours une jardinière pleine de fleurs; le meuble est vert; il y a un dressoir plein de curiosités, des tableaux de Delacroix, son portrait par Calamatta [...] Le piano est magni- fique et droit, carré, en palissandre. D'ailleurs Chopin y est toujours [...] Elle ne se lève qu'à 4 heures; à quatre heures, Chopin a fini de donner ses leçons. On monte chez elle par un escalier dit de meunier, droit et raide. Sa chambre à coucher est brune; son lit est deux matelas par terre, à la turque [...] Enfin le portrait de l'amoureux de la Z[aionczec] [c'est Grzymala] en castellan de Pologne, est dans la salle à manger, fait jusqu'au genou... » (Lettres à !'Étrangère, I, p. 553)•
Renseignements concordants donnés par Un homme de rien

r. Nous reproduisons ici, en la romplétant, la note qui concernait ce logement dans notre tome l~T.
872 [Louis de Loménie] : «J'arrive au fond de la Chaussée d'Antin, dans une rue silencieuse et solitaire [nous sommes en t 84oJ ; j'entre dans une maison de belle apparence; on me conduit dans un jardin; au fond de ce jardin, à droite, on m'indique un petit pavillon isolé [...] on m'ouvre, on me fait monter par un tout petit escalier... » (Galerie der Contemporains i!lurtrer Ceorge Sand.)
Voici ce que dit l'écrivain allemand Gutzkow en mars r84z « Le désir de voir ne fût-ce que son appartement m'emporta. C'est rue Pigalle, iG, tout prés de chez moi, non loin de la Notre-Dame de Lorette. Je marche. Paris prend un air nouveau aux abords de la rue Pigalle. Je vois ici que, mëme à Paris, on peut avoir des maisons de campagne avec jardins. Je passe devant la rue des IVlartyrs, par la rue Fontaine, où une gaie petite place est entourée de villas dans le plus beau style italien et où demeure Thiers; je prends à gauche la rue Pigalle n~ so, n~ r8, n~ z6. —Numéro i61 Le coeur me bat. Une grande maison nouvelle. Il y a un jardin derrière, je le vois bien, mais la maison est fermée. Il y a un verrou devant le mystère, un mur de forteresse qui ne me permet pas méme d'apercevoir les jalousies de ses chambres. C'est alors que je lis sur la porte un écriteau ainsi conçu :Petit appartement à louer pour un garfo>7. Je vais jouer une petite farce. »
Gutzkow feint de vouloir louer une chambre
« Je vis par la porte cochère un petit jardin et au fond le pavillon habité par George Sand [...] Je descendis et regardai le petit jardin. Quelques ormes, quelques tilleuls, trois ou quatre plates-bandes, mi-préparées pour le printemps. L'enclos qui se revétira bientôt de verdure n'est pas grand, mais il y a à côté plusieurs petits enclos pareils, — ce qui forme une vue large sur l'espace. Les oiseaux de là-bas viennent se poser sur les arbres ici. Les lilas d'ici embaument l'air de là-bas. La chenille qui vit le jour dans le troisième jardinet là-bas, peut devenir chrysalide dans le jardin voisin et papillon ici —dans le jardin de George Sand. C'est comme un petit coin de nature en mosaïque, formé de tous les enclos, un paysage fait à la Fourier, un phalanstère naturel. Et je vois qu'il y a à Paris des endroits oû l'on peut, sinon devenir poète, au moins en rester un, si on l'est déjà. I.e concierge comprit parfaitement l'intérèt qu'éveillait en moi cet endroit et ne m'empocha pas de rester un peu longuetnent au jardin. I.es jalousies étaient baissées. C'est là qu'habitait un ccfur malade » . [...]
~Karl Gutzkow, zq mars r 84x — (Errrrer conrplr~ier, t. XIL~ Voir aussi Jules 1[ichelet, Journal, Paris Gallimard, r959, t. i, p. 368.
873 George Sand occupera ce logement jusqu'en juillet i84z. L'immeuble du r 6 rue Pigalle, devenu le zo vers r 848, esc toujours le mëme. Une longue entrée cochère, dont la voûte est ornée de rosaces, est sûrement celle qui a vu passer Chopin et George Sand. biais les pavillons qui s'élevaient sur le jardin, disparus peu avant la dernière guerre (si nous en croyons la concierge actuelle), sont remplacés pat des bâtiments sans caractère à usage de bureaux ou de commerces.
Ils étaient décrits ainsi au cadastre (Arch. de !a Seine)
« Au fond du jardin à droite un corps de bâtiment simple en profondeur élevé sur terre plain d'un étage carré et t partie en attique, partie en mansarde; ze corps de bâtiment formant avant-corps semi-double en profondeur, élevé d'un rez-de- chaussée; iQ7 étage carré et ze mansardé [...]. Les z corps de logis au fond du jardin sont desservis par un escalier principal allant jusqu'au r er et par z escaliers de service (...]. Les murs... sont en pans de bois, couvertures en ardoises. »
Au rez-de-chaussée, il y avait des écuries et des remises. Au r er à droite (exposition jardin) une entrée noire, salle à manger, petit salon, chambre à coucher, couloir de déga- gement : au ze, entrée, cuisine en ze jour, aisances, salle à manger, passage, cabinet de toilette, pièce à feu.
Au r er à gauche, (appartement de Chopin) :entrée, chambre à coucher sur le jardin, cabinet de toilette, salon, salle à manger ; au ze, à droite du palier pièce à feu, aisances; à gauche pièces sans feu en 3e jour, cabinet en ze jour, pièce à feu.
Le propriétaire de février 1839 à i8S5 s'appelait Victor Bérard.
Nous avons vainement cherché une photographie ou un plan des pavillons. 11 est très surprenant que ni les sandistes, ni les chopinologues n'aient songé à en fixer le souvenir quand il en était temps encore.
Il semble que beaucoup de personnes aient été abusées par le changement des numéros. Le Dictionnaire hlrtoràque der ruer de Paris, de Jacques Hillairet, met au r6 actuel l'empla- cement de cette demeure, de mëme que le Guide littéraire de la France. I41. Albert blousset dit « à l'emplacement qu'oc- cupe le Théâtre Pigalle aujourd'hui r>. Or le théâtre Pigalle, depuis remplacé par un garage, n'était pas au iG, mais au tz. Le marquis de Rochegude ne parle pas du passage du couple célèbre.
i84z-z 843 — f, Square d'Orléans.
C'est en juillet t84z que ('~eorge Sand loue un appartement
874 au n~ 5, Ier étage, du square d'Orléans, petite cité (qu'on appellerait aujourd'hui ensemble) dont l'entrée était alors 34-36 rue Saint-Lazare, et se trouve maintenant 80, rue Taitbout. L'ancienne entrée a été fermée par la construction du bureau de poste.
D'abord propriété de Mlle Mars, l'actrice, de t8zz à t8zq, revendue pat elle à un architecte anglais, Edward Cresy, qui a fait démolir les six corps de bâtiments et construire les im- meubles actuels, ce groupe comprenait en t 84z huit bâti- ments dont la façade principale était sur la grande cour carrée commune, avec jardin entouré d'une grille, mais qui étaient doubles en profondeur et prenaient jour sur des cours ou jardins contournant la propriété.
Les constcuctions étaient faites suivant l'usage anglais en brique pour la presque totalité. Les pièces sont vastes et hautes de plafond et la décoration était en rapport avec l'importance des appartements destinés à la classe aisée.
Il y avait à l'origine 35 grands appartements, ir moyens ou petits, 6 ateliers d'artistes, écuries et remises, le tout desservi
par 8 escaliers principaux et des escaliers de service.
Au n~ 5, construit en i84t, l'appartement de George Sand (n° 40) est ainsi composé, suivant la description du cadastre: (Arcb. de !a Seine)
t Escalier à droite de la cour des remises -ter étage éclairé par le comble.
Antichambre — A gauche salle à manger (sur jardin, t fenctre) — A gauche de la dite, chambre à coucher (sur cour, z fenëtres) —Adroite, salle à manger-salon (z fenétres, cour et jar- din) — A la suite, chambre à coucher (sur cour, t fenétre) — A la suite, cabinet et pièce à feu (sur cour, r fenëtre) — En face de l'antichambre, cuisine, sortie à l'escalier de service — A droite, aisances, chambre à coucher et cabinet noir.
La disposition intérieure a été complètement modifiée pour l'installation des bureaux qui occupent aujourd'hui cet appar- tement.
I_e loyer était de 3 00o francs.
Le propriétaire, John Philips Beavan, esquire, habitait Londres ; il était représenté à Paris par M. Delarac ou de Larac, qui demeurait sur place (n~ 9, rez de chaussée).
C'est en i8S9 que furent ouvertes deux portes cochères sur la rue Taitbout. En mcme temps, il y eut des travaux d'addi- tion sur certains corps de logis.
De nombreuses illustrations de la littérature et des arts ont habité cette cité, ainsi que des amis de George Sand
875 au n° z, Diaric-Sophie Taglioni, la danseuse — le pianiste et compositeur Kalkbrenner,
au n~ 4, le pianiste Marmontel,
Au n~ S Gis, Joseph d'Ortigues, homme de lettres,
au n° 7, les \larliani, le pianiste Zimmermann, beau-père de Gounod, les peintres Dubufe (père et fils),
au no g, Chopin, le sculpteur F)antan jeune, le libraire Franck, au n~ io, le pianiste Alkan.
Une autre amie de George Sand, Time d'Auribeau, vint habiter au n'~ G (i''~ étage droite).
Maurice avait un atelier au 4t, dans le mcme escalier que sa mère, d'un loyer de Soo francs.
Voici ce que dit George Sand de ce logement dans Hi.rt.-Vie
Nous avions quitté les pavillons de la rue Pigalle, qui lui déplaisaient [à Chopin], pour nous établir au square d'Orléans, où la bonne et active Marliani nous avait arrangé une vie de famille. Elle occupait un bel appartement entre les deux nôtres. Nous n'avions qu'une grande cour, plantée et sablée, tou- jours propre, à traverser pour nous réunir, tantôt chez elle, tantôt chez moi, tantôt chez Chopin, quand il était disposé à nous faire de la musique. Nous Binions chez elle tous ensemble à frais communs. C'était une très bonne association, économique comme toutes les associations, et qui me permet- tait de voir du monde chez madame Marliani, mes amis plus intimement chez moi, et de prendre mon travail à l'heure où il me convenait de me retirer. Chopin se réjouissait aussi d'avoir un beau salon isolé, où il pouvait aller composer ou rcver. Mais il aimait le monde et ne profitait guère de son sanctuaire que pour y donner des leçons. Ce n'est qu'à Nohant qu'il créait et écrivait. 1~laurice avait son appartement et son atelier au-dessus de moi. Solange avait près de moi une jolie chambrette où elle aimait à faire la dame vis-à-vis d'Augus- tine les jours de sortie, et d'où elle chassait son frère et Oscar impérieusement, prétendant que les gamins avaient mauvais ton et sentaient le cigare; ce qui ne l'empêchait pas de grimper à l'atelier un moment après pour les faite enrager, si bien qu'ils passaient leur temps à se renvoyer outrageusement de leurs domiciles respectifs et à revenir frapper à la porte pour recommencer.
George Sand donna congé le r er juillet 1847, mais loua en mëme temps un autre appartement au n~ 3 (3e étage) d'un loyer de r Soo francs, qu'elle n'a jamais occupé (location résiliée définitivement le r er avril 1848).