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Classiques Garnier

Annexe III Contre Jules Janin

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Correspondance générale. Tome VII
  • Pages : 543 à 545
  • Collection : Correspondances et mémoires, n° 54
  • Série : Le dix-neuvième siècle, n° 22
  • Thème CLIL : 3639 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Art épistolaire, Correspondances, Discours
  • EAN : 9782406149323
  • ISBN : 978-2-406-14932-3
  • ISSN : 2261-5881
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14932-3.p.0543
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 18/10/2023
  • Langue : Français
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Annexe III

Contre Jules Janin

1.

M. Jules Janin ma fait épeler en quelques mois force grimoires sur papier timbré ; le passe-temps était médiocrement récréatif ; mais je viens de lire son feuilleton sur Flaminio, et je demande en grâce quon me ramène aux assignations parlant et comme dessus.

Un chiffon rouge, placé sous les yeux dun coq-dInde, a le pouvoir de le mettre subitement en fureur. Il faut que le génie ait des propriétés analogues, et que son éclat affecte bien douloureusement la rétine de certains faiseurs de feuilletons, pour que ceux-ci poursuivent de leurs clameurs le rayon splendide qui les aveugle et les fait tournoyer, éperdus dans leurs cavernes, comme des chats-huant surpris par le soleil.

Je comprends que devant certaines tentatives hardies ou étranges, qui font sortir le théâtre de ses évolutions séculaires, on discute, on nie lefficacité des procédés nouveaux, ou la moralité de lœuvre mais il y a, même dans lextrême vivacité de la controverse, un ton à prendre et des convenances à respecter. Quand on nest rien, cest-à-dire quand on nest quun feuilletoniste, et quon a devant soi un écrivain hors ligne, et que cet écrivain est une femme, on commence par se découvrir, on discute ensuite. On ne sen vient pas batifoler avec une grande dame de la pensée, lui rire au nez malhonnêtement, prendre son style par la taille, comme pourrait se le permettre tout au plus un soldat ivre venant à rencontrer une coureuse. Pardon, Monsieur Janin, si votre critique nest pas en état de se tenir sur ses jambes, quelle saccote à la muraille et laisse passer Madame Sand. Prenez-vous sa muse pour un vaudeville ? Car il faut, en vérité, que votre petit jargon ait pris une pointe, ce jour là, pour que vous ayez osé dire dun grand style : « Ainsi parle, en sa 544triste prose de déclamateur, maître Flaminio » et qualifié de sonate de Charenton la belle langue spiritualiste que vous nentendez pas !

M. Janin a voulu se reconnaître dans un portrait de fantaisie ayant pour titre la critique faux-bonhomme, et dont voici un fragment : « Populaire avec tous les grimauds de lettres du dernier ordre, comme un arc trop violemment tendu, cest en souffletant le génie quil se redresse et quil se venge de labaissement auquel le condamnent les besoins dune vanité hystérique. Il nest pas décrivain de valeur que, dans un badinage pervers et un accès détourderie froidement jouée, il nait bafoué pour le plaisir cruel de lui faire expier, par des pleurs de sang, un succès légitime et populaire. Il en est même que la mort na pu soustraire aux gamineries sacrilèges de sa plume1. »

Je ne sais si la ressemblance est frappante ; mais est-ce ma faute, si le feuilleton sur Flaminio et les attaques dirigées contre son auteur donnent si complètement raison, – je ne dirai pas au talent du peintre, – mais à la bonne foi de lécrivain ?

B. Jouvin

Publication : Benoît Jouvin, « À travers la critique. Jules Janin », Figaro, année 1854, no 353, dimanche 12 novembre 1854.

2. Alexandre Dumas et M. Janin

Larticle de M. Janin sur Flaminio vient dinspirer à M. Alex Dumas quelques lignes vigoureuses, profondément indignées, que nous croyons devoir reproduire dans Figaro. – Décidément, la ballade allemande a raison Les morts vont vite2. La mort littéraire de M. Janin est proche.

Nous avons des indignations que nous ne pouvons contenir, et nous avons été indigné en lisant larticle de M. Janin sur Flaminio.

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– Vous lisez donc les articles de M. Janin ? allez-vous me dire.

Non, je ne lis pas les articles de M. Janin, Dieu men garde ! Moi aussi jai lestomac mauvais, non pas à lendroit des succès de mes confrères, mais de cette prose entortillée et malsaine ; mais parfois, il sélève certaines rumeurs qui viennent jusquà moi, et qui me font, je ne dirai pas retourner, mais baisser la tête.

– Eh bien ! une de ces rumeurs est venue. Un homme du monde, le baron Courtier, qui ne connaît pas M. Janin, qui na aucune raison ni de laimer, ni de le haïr ; le baron Courtier3, artiste de cœur, est venu, il tenait le Journal des Débats, il me lapportait. Je ne voulais pas le lire, il ma dit : Lisez, car vous devez lire cela. Et je lai lu.

Voilà pourquoi je viens prendre M. Janin au collet, et lui dire :

– Vous dormirez quand vous serez à lAcadémie, si jamais vous y êtes, M. Janin ; mais en attendant, ce que vous venez décrire contre un des grands talents de notre époque, à qui vous ne pouvez pas pardonner de vous avoir appelé gazetier ; ce que vous venez décrire contre lauteur dIndiana, de Valentine, dAndré, de Mauprat, de Geneviève, de Jacques, de Consuelo, de François le Champi, de Claudie, du Pressoir, de Flaminio4 ; vous lauteur de lÂne mort, de Barnave et de la Religieuse de Toulouse, pauvres romans quon na pas lus ou que lon a oubliés ! ce que vous avez écrit contre un génie que vous feriez bien mieux dadorer que dinsulter, ne passera pas ainsi, sans bruit et sans résultat, comme vos attaques habituelles.

Voilà, chers lecteurs, les raisons de cette déclaration de guerre que je jette à M. Janin, épisode de notre guerre de trente ans ; ainsi, apprêtez-vous à voir passer sous vos yeux

L Âne mort.

Barnave.

La Religieuse de Toulouse.

Et les Gaietés Champêtres5.

Il faut une hécatombe à Flaminio.

Que M. Janin en fasse autant de mes neuf cents volumes et de mes cinquante drames, et il aura de la besogne pour le reste de son existence hebdomadaire.

Alex. Dumas

Lextrait de Dumas reproduit par Figaro, est issu de « Causerie avec mes lecteurs », Mousquetaire, no 353, jeudi 9 novembre 1854, p. 1, col. 1-2.

1 Les Binettes contemporaines par Joseph Citrouillard. Revues par Commerson, pour faire concurrence à celles d Eugène de Mirecourt, – Vosges, Paris, Gustave Havard, 1854, vol. 1, p. 56.

2 Titre emprunté au refrain de Lenore de Bürger sous lequel seront rassemblées les nécrologies rédigées par Dumas : celles de Chateaubriand, du duc et de la duchesse dOrléans, de Hégésippe Moreau, deBéranger (vol. 1), dEugène Sue, dAlfred de Musset, dAchille Dévéria, de Lefèvre-Deumier, de Marie Dorval.

3 Antoine Joseph, baron Courtier.

4 Indiana, J.-P. Roret, 1832 ; Valentine, H. Dupuy, 1832 ; André, Félix Bonnaire et Victor Magen ; Mauprat, Félix Bonnaire, 1837 ; Jacques, H. Dupuy, 1833 ; Consuelo, L. de Potter ; François le Champi, A. Cadot, 1850 ; Claudie, drame en trois actes représenté pour la première fois au Théâtre de la Porte-Saint-Martin le 11 janvier 1851 ; LePressoir, drame en trois actes, représenté pour la première fois au Gymnase Dramatique, le 13 septembre 1853. – Confusion de Dumas : Geneviève est un roman de Lamartine, et non de George Sand.

5 L Âne mort et la femme guillotinée, Baudoin, 1829 ; Barnave, Alexandre Mesnier et Levavasseur, 1831 ; La Religieuse de Toulouse, Michel Lévy frères, 1850-1851 ; Les Gaîtés champêtres, Michel Lévy frères, 1851.