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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Correspondance (1912-1942)
  • Pages : 7 à 9
  • Collection : Correspondances et mémoires, n° 13
  • Série : Les xxe et xxie siècles, n° 1
  • Thème CLIL : 3639 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Art épistolaire, Correspondances, Discours
  • EAN : 9782812430947
  • ISBN : 978-2-8124-3094-7
  • ISSN : 2261-5881
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3094-7.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/01/2015
  • Langue : Français
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AVANT-PROPOS

« Je vous interdis dy aller ! » Était-ce « Je vous interdis ! » ou « Je vous défends ! », je ne saurais le dire, mais le ton nadmettait pas la réplique.

Cela se passait au 89 boulevard Montparnasse. Tandis que javais interrompu mon travail, je venais dannoncer à Marie Romain Rolland que je comptais me rendre à un colloque Duhamel.

Déjà, lors de ma soutenance de thèse en Sorbonne, javais été lobjet dun pareil oukase. Venue pour la circonstance, Marie Romain Rolland sétait placée au bord du premier rang, à droite. Elle pouvait ainsi me voir de trois quarts et observer presque de face le jury, présidé par le professeur Jacques Robichez, auteur dun Romain Rolland1 qui fait toujours autorité. Les deux personnes se connaissaient bien. Dentrée de jeu, le président rappela que, lors dune soutenance, lassistance « assistait », mais ne participait pas au débat, qui ne se tenait quentre le jury et limpétrant. Quand, à la fin, comme il est dusage, le président prit la parole et minterrogea sur divers points de ma thèse, vint la question, qui ne me surprit guère : « Romain Rolland était-il vraiment antisémite ? » Ce fut la même réaction : « Je vous interdis de répondre ! » « Répondez ! », riposta immédiatement le président du jury.

Ainsi, au sujet de Rolland il y avait des domaines réservés, quil ne fallait pas aborder. Des tabous, en quelque sorte. Des dossiers verrouillés : Guilbeaux2, Duhamel, Istrati… entre autres… Trois personnes qui avaient eu à connaître Marie Romain Rolland au temps où, en URSS, elle était Marie Koudacheva.

Lordre qui métait adressé était formel. Inutile de dire que chaque fois il a été transgressé. Je me devais, évidemment, de répondre au président du jury. Quant au colloque Duhamel, pourquoi aurais-je été empêché dy assister ? Mais quelle anguille se cachait sous roche ? Je

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savais quelle guerre sourde Marie Romain Rolland menait pour que Duhamel lui communiquât le texte des lettres que Rolland lui avait envoyées. Sans aucun succès. Après le décès de Duhamel en 1966 les choses restèrent longtemps en létat.

Maintenant, suite à la donation faite par Antoine Duhamel des correspondances de Romain Rolland et de Marie Koudacheva à Georges Duhamel, celles-ci sont conservées à la Bibliothèque nationale de France. Bien que tous les documents ne soient pas disponibles, particulièrement la correspondance échangée entre Marie Koudacheva et Romain Rolland, sous scellés jusque lan 2050, lon dispose cependant de suffisamment déléments pour se faire une opinion sur les relations entre les deux écrivains. Pour bien éclairer les relations entre eux et le rôle joué par Marie Koudacheva dans celles-ci, il paraît utile de présenter, enfin, cette correspondance.

Récapitulons les éléments essentiels actuellement à notre disposition : la correspondance croisée entre les deux écrivains, les journaux de lun et de lautre, malgré une série de coupures dans le Journal de Rolland3, une série de lettres à des tiers, les lettres écrites par Marie Koudacheva à Georges Duhamel.

Sy ajoutent dautres documents précieux. À la suite de la publication en 1983 du livre posthume de Duhamel, Le livre de lamertume, qui présentait la femme de Rolland comme le « type de lintrigante révolutionnaire russe4 », celle-ci a fermement réagi. Le livre forme comme un dossier à charge. Après la publication de louvrage et après avoir lu certaines recensions peu amènes, Marie Romain Rolland a voulu rétablir certains faits. Prévoyant un « Cahier Rolland-Duhamel », elle a rassemblé, en désordre, une série de documents, parmi lesquels certains sont particulièrement intéressants :

1. la copie dune lettre, notée comme « non envoyée », nettement inspirée par elle, destinée à Pierre Enckell, qui avait fait le compte rendu de louvrage de Duhamel dans Les Nouvelles littéraires ;

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2. la photocopie dune lettre adressée au professeur Bernard Duhamel, fils aîné de lécrivain, éditeur du livre de lamertume ;

3. la copie dune lettre du 4 février 1984 à Chantal Fouché qui soccupait alors dune éventuelle publication de cette correspondance Rolland-Duhamel et qui y a renoncé ;

4. la photocopie de la première lettre de Rolland à Marie Koudacheva, du 8 février 1923 ;

5. des extraits, parfois longs, de lettres envoyées par Marie à Rolland en avril, juin, juillet 1928, pour mettre en lumière les raisons de sa venue auprès de celui-ci ;

6. la photocopie dune longue lettre, non datée (sans doute de mai ou juin 1954) de Nina Guilbeaux, qui parle de l« agression » de son mari à la suite de lettres restées sans réponse que celui-ci avait envoyées à Rolland : il y exprimait son étonnement et son incompréhension devant les positions prises par ce dernier à légard de lURSS. Nina Guilbeaux reconnaît que par son livre, La Fin des soviets, écrit pour « exciter » Rolland, son mari a porté préjudice à Marie et elle en exprime ses « vifs regrets ».

En quelque sorte, après le témoin à charge intervenait le témoin à décharge. Il paraît légitime et nécessaire de puiser dans ce dossier, conservé dans le Fonds Romain Rolland à la Bibliothèque nationale de France, certains éléments capables de donner une plus juste vision des choses5.

Le lecteur peut ainsi se faire une opinion sereine sur la relation Rolland-Duhamel.

1 Jacques Robichez, Romain Rolland, Paris, Hatier, « connaissance des lettres », 1961.

2 Pourquoi tant de pages sur Guilbeaux nont-elles pas été publiées dans le Journal de guerre 1914-1919 ?

3 En particulier durant lannée 1930 (NAF 26567). Rolland indique lui-même les pages quil a supprimées le 20 août 1940 (p. 165-172, 181-190, 203-208 et la moitié des pages 275-276) ; leur caractère intime, estimait-il, nappartient pas au public.

4 Georges Duhamel, Le livre de lamertume, Paris, Flammarion, 1983, p. 185.

5 Ce dossier contient aussi la copie dactylographiée des lettres de Georges et Blanche Duhamel à Romain Rolland, la photocopie des pages du Voyage de Moscou consacrées à Maria Pavlovna, la photocopie des textes de Guilbeaux, particulièrement du chapitre de La Fin des soviets, dénonçant un « mariage dÉtat », la copie des passages du Journal et dextraits de lettres de Rolland à différents correspondants relatifs aux insinuations de Guilbeaux.