Principes de l'édition
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Théâtre complet. Tome I
- Pages : 25 à 27
- Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 27
- Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- EAN : 9782812435027
- ISBN : 978-2-8124-3502-7
- ISSN : 2261-575X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3502-7.p.0025
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/10/2015
- Langue : Français
PRINCIPES DE L’ÉDITION
À part quelques exceptions motivées, ce Théâtre complet prend pour textes de base les éditions originales, accompagnées de variantes tirées d’autres éditions parues du vivant de l’auteur. Ce principe général n’exige plus guère d’explication. Les versions ultimes auront bénéficié des dernières retouches de l’écrivain, mais, comme nous l’a bien rappelé Georges Forestier, « plus que toute autre œuvre littéraire, en effet, une pièce de théâtre est au xviie siècle éprouvée par le public avant de faire l’objet d’une édition1. » Lectures dans les salons, puis devant les comédiens et ensuite dans les répétitions, représentations enfin tant dans les théâtres publics que dans les visites privées : le texte définitif n’est donné à l’imprimeur qu’à la suite de nombreux contrôles et modifications.
Suivant le principe adopté par les Éditions Classiques Garnier (comme par la Bibliothèque de la Pléiade et d’autres éditions savantes), nous avons présenté les œuvres de Thomas Corneille dans une graphie modernisée, sauf dans quelques endroits où la versification exige que l’on retienne l’orthographe originale (avecque, encor …). Par contre, moderniser systématiquement la ponctuation risque d’ouvrir une boîte de Pandore, et cela pour plusieurs raisons. Le sens de la ponctuation utilisée au xviie siècle pour la lecture à haute voix ou pour la déclamation est une question qui continue à faire couler beaucoup d’encre. Pour Georges Forestier, par exemple, cette ponctuation
avait pour fonction de marquer les pauses dans le discours, en guidant la voix et le souffle : on ne se préoccupait de sens que lorsqu’il s’agissait du point – qui signale la fin d’une période considérée comme achevée –, du point d’interrogation et du point d’exclamation. Les traités de langue, de grammaire ou de poésie s’attachaient ainsi à marquer soigneusement la gradation des pauses dans le discours que devaient signaler la virgule, le point-virgule, les
deux-points et le point, et soulignaient par exemple que le point-virgule est une variante de la virgule, destinée à marquer une pause à peine plus longue, surtout destinée à se substituer à elle dans une période un peu étendue, tandis que les deux-points […] marquent une pause plus longue que le point-virgule2.
À cette ponctuation qui marquait ainsi une fonction rythmique il faut ajouter l’usage répandu des majuscules qui, lui aussi, indiquait le ton et l’accent d’intensité d’un mot ou d’une phrase (p. lxi). Un auteur comme Racine s’est donc évertué à noter par la ponctuation comment ses pièces « devaient être déclamées par les comédiens, et dites [à voix haute] par tous ses lecteurs » (p. lxiii).
Ce que Forestier choisit de ne pas préciser dans son « Lire Racine », c’est l’absence totale de manuscrits de tous les grands dramaturges de l’époque. Après avoir tenu l’affiche et épuisé sa popularité initiale, une pièce de théâtre passait à l’impression, tombant ainsi dans le domaine public où n’importe quelle troupe pouvait la jouer. L’imprimeur, une fois le travail de composition terminé, jetait tout simplement la copie manuscrite que ses ouvriers avaient utilisée : pages éphémères que le xviie siècle ne pensait pas à conserver. Aucune pièce de théâtre autographe de Pierre Corneille, de Molière ou de Racine ne nous est parvenue, et celles de Thomas Corneille ont subi le même sort. Pour Alain Niderst, Yves Giraud ou Alain Riffaud3, cette absence est cruciale. Comment être certain que l’œuvre imprimée correspond à ce qui a été représenté sur la scène ? Comment savoir que c’est l’auteur plutôt que quelque copiste ou même l’imprimeur ou un de ses employés qui a déterminé le choix de signes de ponctuation ? Comment expliquer, si ce n’est par l’inadvertance des compositeurs, les nombreuses incohérences qui existent dans la ponctuation d’un même texte dramatique, que celui-ci soit l’œuvre d’un seul
atelier ou de plusieurs, sans parler des différentes graphies que l’on trouve d’un cahier à l’autre ? Comment expliquer également les nombreuses incuries et même erreurs si l’auteur a eu l’occasion de lire des épreuves ou a pu bénéficier du travail d’un correcteur d’imprimerie ? Autant de questions qui méritent une réponse. De toute évidence, il semble impossible de soutenir qu’il existe un lien indubitable entre la déclamation et la ponctuation imprimée ; celle-ci est syntaxique plutôt que déclamatoire. Comme le rappelle Alain Riffaud4, « le postulat selon lequel les signes de ponctuation déterminent le débit et la tonalité de la voix du comédien dans la déclamation ne se retrouve jamais comme tel dans les traités sur l’art oratoire ». Le choix de textes dramatiques du xviie siècle qu’il examine minutieusement sous tous les angles ne fait que renforcer dans la pratique les arguments avancés par les théoriciens.
À cette prise de position il faut ajouter une autre difficulté : les signes employés de nos jours n’ont pas toujours le même sens qu’au temps de Thomas Corneille. Aujourd’hui, par exemple, un deux-points est placé avant une explication ou une énumération. Au milieu du xviie siècle Claude Irson affirmait que ce signe « laisse l’esprit en suspens, et dans l’attente de la suite5 », mais il avait plusieurs autres usages. Selon le Dictionnaire de Furetière en 1690, un point « marque un sens complet, et que la période est achevée. » Le point-virgule « indique une pause plus grande que la virgule, et plus petite que celle des deux-points » qui, eux, « marquent ordinairement le milieu d’un verset, ou la pause où on peut reprendre haleine. » On voit que le deux-points peut avoir la valeur d’un point moderne ou presque ; dans cette édition quelques signes de ce genre ont donc été remplacés par une ponctuation plus moderne. Même problème avec les nombreuses virgules en fin de vers, là où on s’attendrait à une ponctuation plus forte ou à une absence de ponctuation. Encore une fois, les normes actuelles ont souvent été imposées, même si la présence à la rime de virgules apparemment redondantes ne corrompt pas le sens du texte.
1 « Éditer Racine aujourd’hui : choix, enjeux, significations », [in] Ronald W. Tobin (éd.), Racine et/ou le classicisme, Tübingen, Gunter Narr, 2001 (Biblio 17/129), p. 58.
2 « Lire Racine », [in] Jean Racine, Œuvres complètes I : Théâtre-Poésie, éd. Georges Forestier, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1999, p. lx, et « Éditer Racine aujourd’hui », p. 62-63. Voir aussi Michael Hawcroft, « Reading Racine : Punctuation and Capitalisation in the First Editions of His Plays », Seventeenth-Century French Studies, 22 (2000), p. 35-50, et Sabine Chaouche, L’Art du comédien. Déclamation et jeu scénique en France à l’âge classique (1629-1680), Paris, H. Champion, 2001, p. 301-359 : « Ponctuation et déclamation : au cœur du “chant” racinien ».
3 Alain Niderst, Le Travail de Racine. Essai sur la composition des tragédies raciniennes, Saint-Pierre-du-Mont, Eurédit, 2001 (éd. rév., 2007) ; Yves Giraud, « Lire Racine, vraiment ? », Revue d’Histoire littéraire de la France, 101, 2001, p. 303-309, et la réponse de Georges Forestier, ibid., p. 310-311 ; Alain Riffaud, La Ponctuation du théâtre imprimé au xviie siècle, Genève, Droz, 2007.
4 Op. cit., p. 207.
5 Claude Irson, Nouvelle méthode pour apprendre facilement les principes et la pureté de la langue française, Paris, l’auteur et G. Meturas, 1656, p. 143.