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Classiques Garnier

Annexe n° 3

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Théâtre. Tome III
  • Pages : 825 à 827
  • Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 97
  • Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
  • EAN : 9782406142867
  • ISBN : 978-2-406-14286-7
  • ISSN : 2261-575X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14286-7.p.0825
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 05/04/2023
  • Langue : Français
825

ANNEXE no 3

présence du menteur
dans les trois discours de Corneille

dans le discours de lutilité
et des parties du poème dramatique

Cléopâtre, dans Rodogune, est très méchante ; il ny a point de parricide qui lui fasse horreur, pourvu quil la puisse conserver sur un trône quelle préfère à toutes choses, tant son attachement à la domination est violent ; mais tous ses crimes sont accompagnés dune grandeur dâme qui a quelque chose de si haut, quen même temps quon déteste ses actions, on admire la source dont elles partent. Jose dire la même chose du Menteur. Il est hors de doute que cest une habitude vicieuse que de mentir ; mais il débite ses menteries avec une telle présence desprit et tant de vivacité, que cette imperfection a bonne grâce en sa personne, et fait confesser aux Spectateurs que le talent de mentir ainsi est un vice dont les sots ne sont point capables1.

[]

Je trouve dans Castelvetro une troisième explication qui pourrait ne déplaire pas, qui est que cette bonté de Mœurs ne regarde que le premier Personnage, qui doit toujours se faire aimer, et par conséquent être vertueux, et non pas ceux qui le persécutent, ou le font périr ; mais comme cest restreindre à un seul ce quAristote dit en général, jaimerais mieux marrêter, pour lintelligence de cette première condition, à cette élévation ou perfection de caractère dont jai parlé, qui peut convenir à tous ceux qui paraissent sur la Scène ; et je ne pourrais suivre cette dernière interprétation sans condamner Le Menteur, dont lhabitude est 826vicieuse, bien quil tienne le premier rang dans la Comédie qui porte ce titre2.

[]

Je réduis ce Prologue à notre premier Acte, suivant lintention dAristote, et pour suppléer en quelque façon à ce quil ne nous a pas dit, ou que les années nous ont dérobé de son livre, je dirai quil doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver, tant pour laction principale que pour les Épisodiques, en sorte quil nentre aucun Acteur dans les Actes suivants qui ne soit connu par ce premier, ou du moins appelé par quelquun qui y aura été introduit. Cette Maxime est nouvelle et assez sévère, et je ne lai pas toujours gardée ; mais jestime quelle sert beaucoup à fonder une véritable unité daction, par la liaison de toutes celles qui concurrent dans le Poème. [] Ainsi dans la Veuve, bien que Célidan ne paraisse quau troisième, il y est amené par Alcidon, qui est du premier. Il nen est pas de même des Maures dans leCid, pour lesquels il ny a aucune préparation au premier Acte. Le Plaideur de Poitiers dans Le Menteur avait le même défaut ; mais jai trouvé le moyen dy remédier en cette Édition, où le Dénouement se trouve préparé par Philiste, et non plus par lui3.

dans le discours de la tragédie

Il faut placer les actions où il est plus facile et mieux séant quelles arrivent, et les faire arriver dans un loisir raisonnable, sans les presser extraordinairement, si la nécessité de les renfermer dans un lieu et dans un jour ne nous y oblige. Jai déjà fait voir en lautre Discours que pour conserver lunité de lieu, nous faisons parler souvent des personnes dans une Place publique, qui vraisemblablement sentretiendraient dans une chambre ; et je massure que si on racontait dans un Roman ce que je fais arriver dans le Cid, dans Polyeucte, dans Pompée, ou dans Le Menteur, on lui donnerait un peu plus dun jour pour létendue de sa durée4.

827

dans le discours des trois unités,
d
action, de jour et de lieu

Dans Le Menteur, tout lintervalle du troisième au quatrième vraisemblablement se consume à dormir par tous les Acteurs ; leur repos nempêche pas toutefois la continuité daction entre ces deux actes, parce que ce troisième nen a point de complète. Dorante le finit par le dessein de chercher des moyens de regagner lesprit de Lucrèce ; et dès le commencement de lautre il se présente pour tâcher de parler à quelquun de ses gens, et prendre loccasion de lentretenir elle-même si elle se montre5.

[]

Je tiens donc quil faut chercher cette unité exacte autant quil est possible ; mais comme elle ne saccommode pas avec toute sorte de sujets, jaccorderais très volontiers que ce quon ferait passer en une seule Ville aurait lunité de lieu. Ce nest pas que je voulusse que le Théâtre représentât cette Ville tout entière, cela serait un peu trop vaste, mais seulement deux ou trois lieux particuliers enfermés dans lenclos de ses murailles. Ainsi la Scène de Cinna ne sort point de Rome, et est tantôt lAppartement dAuguste dans son Palais, et tantôt la maison dÉmilie. Le Menteur a les Tuileries et la Place Royale dans Paris, et la Suite fait voir la prison et le logis de Mélisse dans Lyon. []. Pour rectifier en quelque façon cette duplicité de lieu quand elle est inévitable, je voudrais quon fît deux choses : lune, que jamais on ne changeât dans le même Acte, mais seulement de lun à lautre, comme il se fait dans les trois premiers de Cinna ; lautre, que ces deux lieux neussent point besoin de diverses décorations, et quaucun des deux ne fût jamais nommé, mais seulement le lieu général où tous les deux sont compris, comme Paris, Rome, Lyon, Constantinople, etc. Cela aiderait à tromper lAuditeur, qui ne voyant rien qui lui marquât la diversité des lieux, ne sen apercevrait pas, à moins dune réflexion malicieuse et critique, dont il y en a peu qui soient capables, la plupart sattachant avec chaleur à laction quils voient représenter. Le plaisir quils y prennent est cause quils nen veulent pas chercher le peu de justesse pour sen dégoûter ; et ils ne le reconnaissent que par force, quand il est trop visible, comme dans Le Menteur et La Suite, où les différentes décorations font reconnaître cette duplicité de lieu, malgré quon en ait6.

1 Discours de l utilité et des parties du poème dramatique dans Corneille. Trois discours sur le poème dramatique, éd. Marc Escola et Bénédicte Louvat, Paris, Garnier-Flammarion, 1999, p. 78-79.

2 Ibidem, p. 81.

3 Ibidem, p. 86.

4 Ibidem, Discours de la tragédie, p. 121

5 Ibidem, Discours des trois unités, daction, de jour, et de lieu, p. 134.

6 Ibidem, p. 150-151.