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Classiques Garnier

Annexe n° 2 Examen (1660)

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Théâtre. Tome III
  • Pages : 823 à 824
  • Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 97
  • Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
  • EAN : 9782406142867
  • ISBN : 978-2-406-14286-7
  • ISSN : 2261-575X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14286-7.p.0823
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 05/04/2023
  • Langue : Français
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ANNEXE no 2

Examen
(1660)

Cette pièce est en partie traduite, en partie imitée, de lespagnol. Le sujet men semble si spirituel et si bien tourné, que jai dit souvent que je voudrais avoir donné deux plus belles que jaie faites, et quil fût de mon invention. On la attribué au fameux Lope de Vegue, mais il mest tombé depuis peu entre les mains un volume de D. Juan dAlarcon, où il prétend que cette comédie est à lui, et se plaint des imprimeurs qui lont fait courir sous le nom dun autre. Si cest son bien, je nempêche pas quil ne sen ressaisisse. De quelque main que parte cette comédie, il est constant quelle est très ingénieuse, et je nai rien vu dans cette langue qui mait satisfait davantage. Jai tâché de la réduire à notre usage, et dans nos règles ; mais il ma fallu forcer mon aversion pour les a parte, dont je naurais pu la purger sans lui faire perdre une bonne partie de ses beautés. Je les ai faits les plus courts que jai pu, et je me les suis permis rarement, sans laisser deux acteurs ensemble qui sentretiennent tout bas cependant que dautres disent ce que ceux-là ne doivent pas écouter. Cette duplicité daction particulière ne rompt point lunité de la principale, mais elle gêne un peu lattention de lauditeur, qui ne sait à laquelle sattacher, et qui se trouve obligé de séparer1 aux deux ce quil est accoutumé de donner à une. Lunité de lieu sy trouve, en ce que tout sy passe dans Paris, mais le premier acte est dans les Tuileries, et le reste à la Place Royale. Celle de jour ny est pas forcée pourvu quon lui laisse les vingt-quatrea heures entières. Quant à celle daction, je ne sais sil ny a point quelque chose à dire en ce que Dorante aime Clarice dans toute la pièce, et épouse Lucrèce à la fin, qui par-là ne répond pas à la protase. Lauteur espagnol lui donne ainsi le change pour punition de ses menteries, et le réduit à épouser par force cette 824Lucrèce quil naime point. Comme il se méprend toujours au nom, et croit que Clarice porte celui-là, il lui présente la main quand on lui a accordé lautre, et dit hautement, lorsquonc lavertit de son erreur, que sil sest trompé au nom, il ne se trompe point à la personne. Sur quoi le père de Lucrèce le menace de le tuer sil népouse sa fille après lavoir demandée, et obtenue, et le sien propre lui fait la même menace. Pour moi, jai trouvé cette manière de finir un peu dure, et cru quun mariage moins violenté serait plus au goût de notre auditoire. Cest ce qui ma obligé à lui donner une pente vers la personne de Lucrèce au cinquième acte, afin quaprès quil a reconnu sa méprise aux noms, il fasse de nécessité vertu de meilleure grâce, et que la comédie se termine avec pleine tranquillité de tous côtés.

1 « Séparer à » : partager entre.