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Classiques Garnier

Annexe Examen (1660)

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Théâtre. Tome III
  • Pages : 1033 à 1034
  • Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 97
  • Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
  • EAN : 9782406142867
  • ISBN : 978-2-406-14286-7
  • ISSN : 2261-575X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14286-7.p.1033
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 05/04/2023
  • Langue : Français
1033

ANNEXE

Examen
(1660)

Leffet de cette pièce na pas été si avantageux que celui de la précédente, bien quelle soit mieux écrite. Loriginal espagnol est de Lope de Végue sans contre-dit1, et a ce défaut que ce nest que le valet qui fait rire, au lieu quen lautre les principaux agréments sont dans la bouche du maître. Lon a pu voir par les divers succès quelle différence il y a entre les railleries spirituelles dun honnête homme de bonne humeur, et les bouffonneries froides dun plaisant à gages. Lobscurité que fait en celle-ci le rapport à lautre a pu contribuer quelque chose à sa disgrâce, y ayant beaucoup de choses quon ne peut entendre, si lon na lidée présente du Menteur. Elle a encore quelques défauts particuliers. Au second acte, Cléandre raconte à sa sœur la générosité de Dorante quon a vue au premier, contre la maxime quil ne faut jamais faire raconter ce que le spectateur a déjà vu. Le cinquième est trop sérieux pour une pièce si enjouée, et na rien de plaisant que la première scène entre un valet et une servante. Cela plaît si fort en Espagne quils font souvent parler bas les amants de condition, pour donner lieu à ces sortes de gens de sentredire des badinages, mais en France, ce nest pas le goût de lauditoire. Leur entretien est plus supportable au premier acte, pendant que Dorant écrit, car il ne faut jamais laisser le théâtre sans quon y agisse, et lon ny agit quen parlant. Ainsi Dorante qui écrit ne le remplit pas assez, et toutes les fois que cela arrive, il faut fournir laction par dautres gens qui parlent. Le second débute par une adresse digne dêtre remarquée, et dont on peut former cette règle, que quand on a 1034quelque occasion de louer une lettre, un billet ou quelque autre pièce éloquente ou spirituelle, il ne faut jamais la faire voir, parce qualors cest une propre louange que le poète se donne à lui-mêmea ; et souvent le mérite de la chose répond si mal aux éloges quon en fait, que jai vu des stances présentées à une maîtresse, quelle vantait dune haute excellente, bien quelles fussent très médiocres ; et cela devenait ridicule2. Mélisse loue ici la lettre que Dorante lui a écrite ; et comme elle ne la lit point, lauditeur à lieu de croire quelle est aussi bien faite quelle le dit. Bien que dabord cette pièce neût pas grande approbation, quatre ou cinq ans après la troupe du Marais la remit sur le théâtre avec un succès plus heureux ; mais aucune des troupes qui courent des provinces ne sen est chargée. Le contraire est arrivé de Théodore, que les troupes de Paris ny ont point rétablie depuis sa disgrâce, mais que celles des provinces y ont fait assez passablement réussir.

1 Allusion au fait quil avait attribué le modèle du Menteur, La Verdad sospechosa de Ruiz de Alarcón, à Lope de Vega, à cause de la mauvaise constitution dun recueil de 1630, quil avait entre les mains. Il a reconnu cette erreur dans lExamen du Menteur (voir la page 823).

2 Cest aussi ce que Corneille a essayé déviter en supprimant lamorce déloge de sa pièce quon trouvait dans la dernière scène, où Cliton, pensant quon pouvait écrire une nouvelle comédie sur Dorante, disait : « La seconde à mon gré vaudrait bien la première » (v. 1918).