Skip to content

Classiques Garnier

[Introduction à la première partie]

51

La première partie de ce travail sinscrit dans la lignée des analyses de la « compétence générique » (Jean-Marie Schaeffer), compétence qui « ne saurait être que celle des auteurs ou des lecteurs, et non pas celle des textes1 ». De nouveau, la notion d« horizon dattente » explorée par Jauss2 savère essentielle. Si, en ouvrant un roman comique, le lecteur du xviie siècle sattend à (ou découvre) une critique des romans contemporains en vogue, sattend-il (ou perçoit-il) pour autant linscription des nouvelles du xvie siècle dans la matière romanesque ? La question des « compétences génériques » concerne autant les auteurs que leurs lecteurs et lectrices. La présence demprunts aux conteurs de la Renaissance dans les romans comiques ne signifie pas, du côté du lecteur contemporain, une réception effective et automatique de ce jeu dinfluence générique, surtout si cette influence est concurrencée par dautres littératures à succès, notamment les nouvelles contemporaines ou espagnoles. Il importe donc de commencer par une présentation de la situation éditoriale, au xviie siècle, des recueils de nouvelles de la Renaissance (chapitre i). Lit-on toujours ces nouvelles du siècle passé au xviie siècle ? Quels livres sont à la disposition les lecteurs et des lectrices de Sorel, de LHermite ou de Scarron ? Quels ouvrages peuvent leur permettre dobtenir la connaissance nécessaire pour identifier divers épisodes ou passages des romans comiques inspirés de ces récits souvent facétieux ? Lobservation de lobjet livre, avec la comparaison de deux éditions de lHeptaméron aux xvie et xviie siècles, est à ce titre révélatrice. Comme le rappelle Dominique Combe, « cest lobjet livre qui conditionne la perception des genres pour le lecteur, qui est dabord un acheteur dans une librairie ou un emprunteur dans une bibliothèque3 ». Cette étude de la réception est aussi liée à la concurrence que représentent les nouvelles contemporaines, en France comme en Espagne (chapitre ii). Aux nouvelles de Sorel et Segrais sajoute la vogue ibérique des « nouvelles exemplaires » (Miguel de Cervantès, María de Zayas). Le public a le choix. Or peut-on identifier avec précision le lectorat des recueils de nouvelles de la Renaissance 52(chapitre iii) ? Ainsi que le souligne M. Macé, puisque « le genre est le crible fondamental de la lecture, chacun de nous en a fait lexpérience dans la fréquentation quotidienne des œuvres » et cest pourquoi « une phénoménologie de la perception générique [] commen[ce] par la pratique concrète du livre4 ». Cette pratique concrète implique un examen des bibliothèques privées5. Les lettrés du xviie siècle, amateurs notamment des nouvelles de Boccace ou de Marguerite de Navarre, ne sont pas les seuls à savourer ces histoires. Le succès des compilations et de la Bibliothèque bleue permet à un lectorat plus « populaire » dapprécier ces bons tours et ces bons mots. Les femmes constituent également une catégorie particulière à étudier, dautant que maints conteurs du xvie siècle leur adressent leur recueil. Or, parmi ces lecteurs, un nom se distingue : Charles Sorel (chapitre iv). Sa production littéraire et critique apporte un éclairage aussi important que complexe : sa lecture est à la fois rejet (Les Nouvelles françaises, 1623), jeu (La Maison des jeux, 1642) et jugements des conteurs de la Renaissance (« Remarques sur le Berger extravagant », 1633 ; Bibliothèque française, 1664 ; De la connaissance des bons livres, 1671).

1 J.-M. Schaeffer, Quest-ce quun genre littéraire ?,Seuil, 1989, p. 74.

2 Voir introduction, supra.

3 Dominique Combe, Les Genres littéraires, op. cit., p. 9.

4 M. Macé, Le Genre littéraire, op. cit., p. 22.

5 La rareté des études sur ce sujet impose des analyses restreintes, du moins invitant à des conclusions prudentes.