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Classiques Garnier

Avant-propos à l'édition espagnole

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Contes de la Pampa
  • Pages : 57 à 59
  • Collection : Classiques Jaunes, n° 683
  • Série : Textes du monde
  • Thème CLIL : 3444 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Romans -- Romans étrangers
  • EAN : 9782406079514
  • ISBN : 978-2-406-07951-4
  • ISSN : 2417-6400
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07951-4.p.0057
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/05/2018
  • Langue : Français
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Avant-propos
à lédition espagnole1

Ces pages modestes, éparpillées dans différents ouvrages et journaux, ont déjà été proposées au public en traduction française sous le titre de Contes de la Pampa – chez les Frères Garnier, à Paris [1907] – et en traduction italienne sous le nom de Racconti della Pampa – dans la Biblioteca Amena, chez Fratelli Treves, à Milan [1908] – ; mais jusquà ce jour, elles navaient pas été réunies en castillan dans un seul volume.

Je dois déclarer que de la même façon que je nai jamais cru que la langue espagnole puisse connaître dans les Amériques une évolution fondamentalement différente, je ne crois pas non plus que de celle-ci puisse émerger une littérature complètement autonome de celle de lEspagne, étant donné que nous avons, ici et là-bas – je parle de ceux qui veulent se faire comprendre –, le même vocabulaire, ce qui constitue notre socle commun. Dans cet ordre didées, les noyaux intellectuels doutre Atlantique sont peut-être plus près de la Castille que certaines régions de cette même Péninsule – dans laquelle des langues et des dialectes particuliers favorisent la création datmosphères idéologiques différentes.

On ne peut pas nier, cependant, que malgré lexpression commune et les survivances ancestrales, pointent en Amérique des modifications ethniques, des nouveaux paysages et des 58conflits propres à un milieu social différent ; motif, émotion et ambiance fort spécifiques que lécrivain autochtone est obligé de traduire dans son œuvre.

Jai toujours jugé pernicieux que notre littérature puisse être le reflet aveugle de celle dEspagne, parce quil ny aucune raison pour que, habitant dans des milieux si différents, nous fassions la répétition de ce que dautres font par inspiration directe. Mais il serait encore plus nocif dabandonner notre orbite naturelle de rotation pour se mettre à la traine de littératures exotiques, en généralisant, au nom duniversalismes artificieux, la copie infructueuse de la production littéraire étrangère.

À mon sens, il doit exister une modalité américaine et lon doit logiquement chercher celle-ci dans les Amériques. Les panoramas, sensations et sujets quoffrent ces territoires, qui sont spécifiques à cette région, suffisent largement pour caractériser un mouvement sans renoncer au renouvellement mondial qui métamorphose tout ; mais sans pour autant sauter la barrière de la langue, sans oublier nos propres origines, sans nous éloigner de ce que nous appellerons – du point de vue éthique – notre système solaire.

Jai toujours fustigé les efforts faits pour trouver dans le langage capricieux et barbare des faubourgs cosmopolites des Amériques lexpression dun nationalisme intellectuel qui nest quapparent. Cette entreprise est synonyme dune incapacité à développer un certain esprit de synthèse. Les faits et les modalités dautrefois, ceux daujourdhui et ceux de demain peuvent toucher à éloquence au sein de ladmirable langue espagnole, que nous parsemons parfois de quelque tournure étrangère ou de quelque rude localisme, au nom de la souplesse et de la fantaisie. Tout cela est la preuve de la vitalité de cette langue et contribue à son renouvellement. Mais dans ses fondements et dans sa vertu propre, elle sera 59toujours le trait dunion indestructible entre les cent millions dindividus de culture hispanique disséminés dans le monde.

Par ce propos je veux rendre explicite le point de vue qui ma poussé à écrire ce genre de littérature. Demain, dautres écrivains appliqueront avec plus de talent ou de fortune ces principes ; mais aucun ne les servira avec plus damour envers lAmérique et dadmiration plus délibérée envers lEspagne que moi.

Manuel Ugarte

1 Publié dans Manuel Ugarte, Cuentos de la Pampa, Madrid, Espasa-Calpe, 1920, coll. Universal, p. 5-7. Traduit de lespagnol par Axel Gasquet.