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Classiques Garnier

Préface Un « tournant renaissant » ? Les enjeux de la légitimité politique

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Préface

Un « tournant renaissant » ?
Les enjeux de la légitimité politique

Cet ouvrage ne relève pas de la science politique ou de lhistoire du droit. Il sagit plutôt de la mise en perspective historique dune dimension centrale du pouvoir politique : sa légitimation. À quelles conditions le pouvoir dun prince ou dun roi peut-il se prétendre légitime ? La légitimité est-elle de même nature du point de vue du pouvoir lui-même et du point de ceux sur lesquels il sexerce ? Doit-elle faire lobjet dune attention particulière en cas de conquête, de succession discutée, de changement dynastique ou délection ? Toutes les questions reçoivent évidemment des réponses différentes selon les périodes, les pays et les circonstances. Cest en ce sens quune étude globale, de lAntiquité à nos jours, permet de conduire une réflexion qui, finalement, porte sur le pouvoir lui-même. Il sagit donc moins de dresser la liste des différences selon les contextes que de sinterroger sur ce que la légitimité est au pouvoir, voire sur ce que la légitimité fait au pouvoir ou fait du pouvoir.

La légitimité se trouve ainsi conçue non pas seulement comme une qualité du pouvoir, mais comme un processus qui laffecte et par lequel il entreprend sans cesse de se transformer. Pour saisir cet enjeu, les concepteurs de cet ouvrage ont fait le choix du décloisonnement disciplinaire, indispensable pour éviter de prédéterminer le sens de la notion centrale en labordant depuis lhorizon dune unique approche savante. Les études suivantes, conduites principalement par de jeunes chercheurs, portent donc sur des cas particuliers qui composent une cartographie collective des époques et des savoirs de la légitimité, contribuant ainsi à construire une analyse densemble du pouvoir politique du point de vue de ce qui, en lui, sefforce constamment dexhiber ce qui le distingue dune pure et simple domination.

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La collection « Travaux du CESR » est heureuse de pouvoir accueillir en son sein ce volume et de contribuer ainsi à mettre en valeur des recherches en cours. On pourrait sétonner de ce choix, dans la mesure où, dune part, toutes les contributions ne portent pas sur la Renaissance et où, dautre part, tous les participants ne sont pas membres du CESR. On pourrait répondre que le CESR a été associé dès lorigine à cette entreprise et que certains de ses membres y ont directement contribué, mais là nest pas lessentiel qui tient à un enjeu historique et conceptuel. Il sagit en effet ici, en parcourant la question de la légimité de la Grèce antique à la France contemporaine, de mettre en évidence ce quon pourrait appeler le « moment renaissant » de lhistoire du problème de la légitimité du pouvoir. Ce moment ne peut aujourdhui plus se comprendre, dune manière brutalement téléologique, comme le simple avènement de « lÉtat moderne » : cest au contraire un âge de la dissension politique et de la conflictualité des formes théoriques et des institutions, qui remet profondément en cause les manières habituelles de fonder la légitimité. Les effets de pure et simple continuité que mobilisaient des généalogies plus ou moins fondées, des règles de dévolution anciennes ou des traditions séculaires sont désormais insuffisants : de Machiavel à Jean Bodin, en lespace de soixante ans à peine, les conceptions de la légitimité basculent. Un triple système conceptuel conditionne désormais la pensée de la légitimité : il repose sur une théorie de la souveraineté, sur la définition de la raison dÉtat et sur la centralité du problème du consentement. Chacun de ces pivots théoriques entraîne avec lui un ensemble de questions problématiques : la souveraineté, qui semble conceptuellement impliquer lindivisibilité dun pouvoir sans supérieur aucun, pose précisément la question des limites du pouvoir et des modalités de son partage ; la raison dÉtat, qui semble enfermer dans le coffre-fort des « arcana imperii » les motifs des actions du pouvoir, ouvre pourtant la voie à la demande dun fondement rationnel de sa légitimité ; lindispensable production du consentement, emportant avec elle une interrogation sur les outils qui la conditionnent, place au centre de la pensée politique moderne le problème de la participation des individus.

À elles trois, ces questions déplacent les enjeux de la légitimité, façonnent dautres formes de légitimation et produisent de nouvelles contestations. Le moment renaissant est ainsi rendu déterminant en ceci quil redistribue les cartes pratiques et théoriques de la légitimité du 9pouvoir : cest précisément pour cette raison que notre collection nous a semblé devoir accueillir ce volume qui, dune certaine manière, montre à la fois la Renaissance au travail et les conséquences de ce travail.

Laurent Gerbier

Université de Tours

Paul-Alexis Mellet

Université de Genève